Publié le 24 Août 2018

Cet article présente l'évolution du répertoire du New York Metropolitan Opera de 1883 à nos jours.
3 périodes sont distinguées : 
1883 jusqu'à la Seconde Guerre mondiale, dans le premier bâtiment construit par J. Cleaveland Cady.
1940 à 1965, dans ce même bâtiment .
1966 à nos jours, dans le nouveau bâtiment que nous connaissons aujourd'hui.

Détail du Wall of Fame du New York Metropolitan Opera

Détail du Wall of Fame du New York Metropolitan Opera

En introduction sont présentés les principaux théâtres et troupes qui firent la vie lyrique de New York avant la construction du MET.
Cette synthèse s'appuye principalement sur "Opera in America - a cultural history" de John Dizikes, et intègre nombre d'éléments provenant d'autres sources. Les statistiques du MET sont une compilation des archives publiques de l’institution disponibles depuis 2005.

How to View 26,000 Operas at Once
https://www.nytimes.com/2005/07/31/arts ... -once.html

METOPERA database

Le répertoire du New York Metropolitan Opera de 1883 à nos jours
Le répertoire du New York Metropolitan Opera de 1883 à nos jours

I) L’Opéra à New York avant le Metropolitan Opera

Le Park Theater et les Garcia

Pendant près de 30 ans, le Park Theater, bâtiment ouvert en janvier 1798 à l’intersection de Broadway et de Park Row (Financial District), est le seul théâtre de la ville. On y joue principalement des drames anglais, et toutes les couches sociales sont représentées parmi le public.

Le Park Theatre - 1822

Le Park Theatre - 1822

Lorenzo da Ponte, le célèbre librettiste de Mozart, est quant à lui installé à New York depuis 1805, et enseigne l’italien à Manhattan. Il désire faire connaitre l’opéra italien aux New-yorkais, et persuade le ténor Manuel Garcia, avec l’aide d’un ami anglais, de venir aux Etats-Unis.

Lorsque Manuel Garcia quitte le Théâtre des Italiens de Paris en 1825, pour entamer une tournée en Amérique avec sa femme, Maria Joachina, et leurs trois enfants, Maria Felicia (la future Malibran), Pauline (la future Pauline Viardot) et Manuel Junior, il est accueilli par le Park Theater où, de novembre 1825 à juillet 1826, il représente 9 opéras : Le Barbier de Séville, Tancrède, Otello, Il Turco in Italia, Cinderella, The Cunning lover (L’Amante astuto) et La Figlia dell’aria, opéras écrits pas les Garcia, Giulietta e Romeo (Zingarelli) et Don Giovanni

Malgré le succès, la troupe ne se maintient pas et retourne en France, mais les Garcia sont les premiers à avoir établi des liens forts entre les Etats-Unis et l’opéra italien.

Peu après, un théâtre concurrent apparaît, le Bowery Theater, inauguré le 22 octobre 1826. Quelques opéras en anglais y sont joués, Native Land, Guy Mannering, Rob Roy. Ce théâtre brûlera par 6 fois (1828, 1836, 1838, 1845, 1913 et définitivement en 1929).

Maria Malibran Garcia

Maria Malibran Garcia

Maria Malibran s’y produit et obtient un immense succès en chantant dans des comédies françaises et italiennes. On assiste à l’émergence du concept de ‘diva’ qui va scinder le monde de l’opéra en deux : ceux qui y cherchent à combler un désir d’unité où tous les éléments forment un tout, et ceux qui désirent mettre en avant un élément particulier, la diva, ce qui va être à l’origine de sa transformation en une forme de business. Maria Malibran revient à Paris à l’hiver 1828.

Lorenzo da Ponte (80 ans en 1829 !) négocie ensuite avec Montresor, un ténor bolonais, et sa compagnie, et ceux-ci arrivent à New York en 1832. Le seul théâtre disponible est la résidence de Aaron Burr, renommée le Richmond Hill Theatre. On y joue La Cenerentola, L’Italienne à Alger, Elisa e Claudio (Mercadante).

Lorenzo da Ponte

Lorenzo da Ponte

Dans le même temps, La Flûte Enchantée est jouée au Park en 1833, pour la première fois aux Etats-Unis. Ce Théâtre disparaîtra dans les flammes en 1848.

Après l’échec financier du Richmond Hill Theatre, da Ponte décide résolument de construire un véritable théâtre totalement dédié à l’opéra : Le New York’s Italian Opera House.

Le New York’s Italian Opera House

Le New York’s Italian Opera House est ainsi inauguré en novembre 1833, et l’on y joue principalement des œuvres de Rossini (La Gazza Ladra, Le Barbier de Séville, La Donna del Lago, Le Turc en Italie, Matilde di Shabran). Les comédies non rossiniennes sont un échec.

L’entreprise est cependant déficitaire et, en 1836, le théâtre est vendu à de nouveaux propriétaires.

Le New York’s Italian Opera House

Le New York’s Italian Opera House

Lorenzo da Ponte décède le 17 août 1838 et est enterré au cimetière catholique de la 3e avenue.

Niblo’s Theater

En 1834, un Irlandais qui souhaitait faire de l’argent dans le divertissement, William Niblo, ouvre le Niblo’s Theater qui comprend un jardin central (Niblo’s Garden) et un grand salon (Niblo’s Indoor). 

Dans les années 1830, des groupes de chanteurs s’y réunissent, dans les années 1840, les Minstrels shows (imitations de spectacles musicaux afro-américains en trois actes) dominent la scène, et dans les années 1850, on joue des musiques militaires. Et dans le jardin, on peut écouter des opéras de Donizetti ou d’Haendel.

Niblo’s Theatre - 1855

Niblo’s Theatre - 1855

En 1843, une compagnie française de la Nouvelle-Orléans vient chanter Auber, Halévy et Herold au Niblo’s Indoor, puis La Fille du Régiment au Niblo’s Garden. Elle revient en 1845 pour interpréter La Favorite, Les Huguenots, La Juive et La Muette de Portici.

Une troupe de chanteurs italiens, sur le chemin de La Havane, vient également en 1843 chanter au Niblo’s Garden Norma et Lucia di Lammermoor.

Castle Garden

En 1844, l’ancien Fort Clinton bâti pour défendre New York, et transformé en lieu de divertissement dès 1824, devient une salle de concert.

Mario et Giulia Grisi y donnent leur premier concert américain, et Henriette Sontag son dernier.

Entre 1847 et 1851, La Havana Company produit Lucreza Borgia, Ernani, Macbeth, Attila, I Puritani et Don Pasquale.

Intérieur de Castle Garden

Intérieur de Castle Garden

L’arrivée de Jenny Lind à New York, une des élèves de Manuel Garcia Junior, marque le début d’une tournée américaine qui part de Castle Garden pour visiter tous les USA. Elle ne chantera cependant pas un seul opéra.

Ce Gold Rush qui consiste à faire du profit sur la qualité exclusive des plus belles voix se révèle néanmoins destructif pour les artistes américains, qui ne peuvent rivaliser avec les artistes européens qui migrent en nombre vers l’Amérique du Nord. 

Jenny Lind

Jenny Lind

Palmo’s Opera House

En 1843, Palmo’s Opera House ouvre entre Broadway et Chambers Street, et l’on y joue le répertoire italien (Bellini, Donizetti, Rossini, Verdi) jusqu’à ce qu’il ferme en 1847, faute de s’être attaché une grande chanteuse de renommée internationale. 

Il ré-ouvre l’année d’après sous le nom de Burton’s Theatre, et reste dorénavant voué aux pièces en langue anglaise.

Astor Place Opera House

Une part de l’élite New Yorkaise, qui ne se résigne pas à abandonner l’opéra, regroupe ses forces afin d’établir un théâtre lyrique permanent. Une cinquantaine de notables réunissent rapidement les fonds nécessaires (1 000 $ chacun) et désignent Astor Place et la 8e avenue pour bâtir un nouveau théâtre. 

Le 22 novembre 1847, l’Astor Place Opera House est prêt et est confié à Edward Fry, le frère de William Fry, compositeur parti pour un temps en Europe après l’échec de son opéra ‘Leonora’.

Ernani, Macbeth, Nabucco y sont joués, mais à nouveau l’absence de grandes chanteuses populaires conduit au désintérêt du public. Les émeutes de 1848, sous l’influence de la situation politique en Europe, entraînent la destruction de ce théâtre.

Émeutes devant Astor Place Opera House - 1848

Émeutes devant Astor Place Opera House - 1848

The Academy of Music

Dans les années 50, des gens de Boston, Philadelphie et New York proposent de construire, dans chacune de ces villes, un opéra de taille sans précédent adapté à la culture locale.

En octobre 1854, à proximité de l4th street et d’Irving Place, l’Académie de Musique ouvre avec Mario et Giulia Grisi. Sont joués des opéras en français et en italien avec des stars, les prix sont le double de ceux de Boston, l’Académie est clairement une entreprise lucrative. Il s’agit d’assurer la prédominance de New York en Commerce et en Art.

The Academy of Music

The Academy of Music

Marx Maretzek devient le directeur musical permanent pendant 20 ans, et dirige les premières américaines de L’Africaine, Roméo et Juliette, Rigoletto, Traviata et Il Trovatore.

Il n’y avait quasiment aucun décalage entre les créations des œuvres de Verdi en Europe et leur création en Amérique. Verdi s’impose immédiatement dans les années 50, car Donizetti et Bellini sont décédés, et Rossini ne compose plus.

Le 25 novembre 1863, la première de Faust est chantée en italien, et devient un succès aussi populaire qu’en France. 

Toutefois, en 1866, un feu détruit l’auditorium, et celui-ci est reconstruit en peu de temps, mais à plus petite échelle.

The Grand Opera House

Construit en 1868 à l’intersection de la 8e avenue et de 23e street, le Pike’s Opera House est racheté en 1869 par Jim Fisk et Jay Gould qui le renomment The Grand Opera House. Ils décident de le spécialiser dans les opérettes d’Offenbach. La Périchole reçoit sa première américaine dans ce théâtre, et La Grande Duchesse de Gerolstein est jouée 5 mois et 2 semaines après sa création à Paris.

The Grand Opera House : avant et après

The Grand Opera House : avant et après

A cette époque, pas moins de 5 compagnies jouent les opéras d’Offenbach à New York.

Casino Theater

Localisé au 1404 Broadway, le Casino Theater ouvre en 1882 et est le premier théâtre totalement électrifié de New York.

Son directeur, Rudolph Aronson, en fait un second Niblo’s Garden en installant un jardin sur son toit, et plus de 4300 représentations seront données.

Lillian Russell chante La Grande Duchesse de Gerolstein, et la première américaine de Cavalleria Rusticana est jouée en 1891 dans ce théâtre.

Lillian Russell

Lillian Russell

Les comédies musicales et les opérettes en font le succès jusqu’à la dernière représentation, le 05 janvier 1930, dédiée à Faust.

Le répertoire du New York Metropolitan Opera de 1883 à nos jours
Le répertoire du New York Metropolitan Opera de 1883 à nos jours

II) Le New York Metropolitan Opera (MET)

The New York Metropolitan Opera de 1883 à 1939

Le grand opéra apparu dans les années 1830 à Paris, avec ses 4 à 5 actes, son ballet élaboré, l’absence de dialogues parlés, comblait une aspiration à la noblesse dans le traitement de l’histoire, et était sensé provoquer un sens de la grandeur morale.

Il fallait de grandes maisons d’opéras pour accompagner le rituel social qui allait avec ce genre, et c’est sur ce modèle que furent construits le Covent Garden de Londres (1858), L’Opéra de Vienne (1869), Le Palais Garnier (1875) ou l’auditorium de Chicago (1889).

Et partout aux Etats-Unis, les nouveaux riches challengeaient l’ancienne élite pour la prédominance sociale.

A la fin des années 1870, Mrs William Kissam Vanderbilt ne peut obtenir une loge à l’Académie de musique, ce qu’elle ne peut tolérer. Mais même l’ajout de 26 loges supplémentaires ne permet pas à l’Académie d’accueillir tous les notables qui le désirent.

Peu de temps après, en avril 1880, 55 personnalités souscrivent 10 000 $ chacune pour construire un nouvel opéra qui comblera les attentes de la nouvelle société. Josiah Cleveland Cady est retenu comme architecte.

Avec une capacité de plus de 3 000 places afin de pouvoir représenter de grands opéras, et 122 loges pour accueillir les sociétaires, le Metropolitan Opera ouvre ses portes le 22 octobre 1883 sur Broadway et 39e street avec Faust et Christine Nilsson en Marguerite. 

L'ancien New York Metropolitan Opera 

L'ancien New York Metropolitan Opera 

C’est un succès social et artistique immédiat.

Henry Abbey, le premier imprésario du MET, se voit cependant entraîné dans une rivalité inévitable avec l’Académie, car leur répertoire diffère peu. A Rigoletto, I Puritani, La Traviata, La Sonnambula, Lucia di Lammermoor, Don Giovanni, Carmen et Lohengrin (ces deux derniers étant chantés en italien), l’Académie oppose Martha, L’Elisir d’amore, Aida, Les Huguenots (en italien), Rigoletto et Faust.

Le MET introduit une nouveauté, La Gioconda, mais l’aventure tourne au désastre financier en 1884. Les loges qui valaient 15 000 $ à l’ouverture valent pourtant 22 000 $ un an plus tard.

Leopold Damrosch, ancien violoniste à la cour de Weimar dont la famille est amie avec Wagner, propose au MET de monter une saison allemande. Plus d’un million de catholiques et protestants allemands ayant fui l’Europe après la révolution de 1848, il doit bien exister à New York un public intéressé par ce répertoire.

Et effectivement, un nouveau public entre au MET, si bien que dès janvier 1885, La Walkyrie est un des sommets de la saison.

Les six années suivantes voient le triomphe de Wagner, ce qui aboutit à l’annulation de la saison 1886 de l’Académie, échec renforcé par l’absence de stars telle Adelina Patti

Neuf opéras de Wagner font partie des 30 titres les plus joués, et Lohengrin est à la première place au côté d’Aida de Verdi.

Emma Calvé

Emma Calvé

Dorénavant, le MET est sans concurrence sérieuse, mais il lui devient difficile de s’extraire de la vague Wagner. Les tentatives pour faire découvrir Fernand Cortez (Spontini) ou Le Barbier de Bagdad (Cornelius) sont vaines.

Pendant les années qui suivent, les noms les plus célèbres de l’art lyrique défilent à New York : Emma Calvé dans Carmen, Nelly Melba dans Lucia di Lammermoor, Victor Maurel dans Otello, les propriétaires des loges veulent des bijoux et des stars et ils obtiennent satisfaction.

Cette starisation de l’opéra a des conséquences destructives, car le MET se définit comme un modèle pour le reste du continent qui entend dimensionner le nombre de stars et de représentations de Wagner nécessaires pour réussir une saison. L’effet est encore plus destructif, car tout ce qui environne les chanteurs, c’est à dire la mise en scène, l’orchestre, le chœur, est négligé en comparaison de l’importance qu’il leur est donné dans les grandes maisons germaniques.

Victor Maurel

Victor Maurel

C’est l’âge d’or du chant, mais on est loin de l’âge d’or de l’opéra, comme le font remarquer plusieurs critiques. 

Au début du XXe siècle, le Wagnérisme se mesure au réalisme et au modernisme.

Le refus d’idéaliser ouvre la voie aux opéras réalistes auxquels trois italiens, Puccini, Mascagni et Leoncavallo, et un français, Charpentier (avec Louise), sont associés.

La nature réaliste de Puccini s’impose en quelques années. Entre 1900 et 1921, La Bohème est jouée 121 fois, Tosca 112 fois, Madame Butterfly 106 fois, alors que quatre opéras de Mozart totaliseront 65 représentations en tout. Ses airs italiens si familiers lui valent une gloire sans pareil. Mais la Jenufa de Janacek, traduite en allemand, n’est jouée que pour 5 représentations et n’est pas acceptée par le public.

Certains ouvrages doivent par ailleurs leur succès à la participation de grands artistes. Ainsi, celui de Mignon d’Ambroise Thomas est dû en grande partie à la présence de Christine Nilsson, et celui de Martha à la participation de Caruso.

Christine Nilsson

Christine Nilsson

Un autre mouvement, moderniste cette fois, joue un rôle majeur dans la recherche de nouveauté et la volonté d’oublier le passé. L’excellent accueil de Salomé et Elektra (Richard Strauss), Pelléas et Mélisande (Claude Debussy) montre qu’un nouveau public musicien se manifeste et se différencie de l’ancienne société hiérarchique et matérialiste. Ce public est cependant mal accueilli au MET

Der Rosenkavalier (Strauss), jouée pour la première fois en 1913, seule œuvre moderne qui comprenne des mélodies mémorisables, réussit à s’imposer durablement.

Ainsi, en prenant une part centrale dans le répertoire américain, les opéras réalistes provoquent la disparition des opéras français du début du XIXe siècle.

Cinq ans après sa première au Palais Garnier, dans la version révisée de Rimski-Korsakov, Boris Godounov entre au répertoire du MET en 1913, et débute une carrière sans la moindre faiblesse jusqu’à aujourd’hui.

Les années d’entre deux–guerres sont alors des années de survie pour l’opéra.

The Manhattan Opera House de 1906 à 1910

Immigrant juif allemand arrivé à New York en 1863, Oscar Hammerstein prospère dans un premier temps dans le commerce de cigares.

Mais il a également le goût pour la production d’opéras, et construit plusieurs théâtres, Harlem Opera House, Manhattan Theatre, Olympia Theatre, Victoria Theatre, pour finalement construire sur 7e avenue, vers 34th street, le Manhattan Opera House destiné à concurrencer le Metropolitan Opera.

The Manhattan Opera House de 1906 à 1910

The Manhattan Opera House de 1906 à 1910

Le MET réagit en obtenant de Ricordi les droits exclusifs sur les représentations des opéras de Puccini.

Hammerstein répond en embauchant comme directeur musical Cleofonte Campanini, et rallie des chanteurs tels Alessandro Bonci, Charles Dalmorès, Maurice Renaud, Nellie Melba.

I Puritani ouvrent ainsi la première saison le 03 décembre 1906, suivis par Carmen, Aida, Rigoletto, Lucia di Lammermoor. Cette saison profitable est suivie par une seconde saison axée sur des œuvres plus innovantes, La Gioconda, La Damnation de Faust, Les Contes d’Hoffmann, Pelléas et Mélisande, et plus tard, Le Jongleur de Notre Dame (Massenet), Salomé, Hérodiade, Sapho, Grisélidis, La Fille de Madame Angot, Elektra.

Au bout de 4 ans de soirées éblouissantes, Hammerstein et le MET entrent en négociations afin de mettre un terme à cette compétition extraordinaire. Hammerstein vend au MET les droits sur les opéras de Massenet et de Strauss pour 1,25 millions de dollars, et s’engage à ne plus produire d’opéras pendant 10 ans. Il décède en 1919.

Le répertoire du New York Metropolitan Opera de 1883 à nos jours
Le répertoire du New York Metropolitan Opera de 1883 à nos jours

The New York Metropolitan Opera de 1940 à 1965

Les années d’après-guerre connaissent la plus forte période d’expansion dans l’histoire de l’opéra aux Etats-Unis, mais, à l’instar à Paris, le grand opéra français (Les Huguenots, la Juive, L’Africaine, Le Prophète, La Reine de Saba, Guillaume Tell) disparaît de la programmation.

L’ancienne génération de chanteurs, Lehmann, Kipnis, Melchior, Pinza, Pons, Traubel, disparaît également.

Sortant d’un long silence depuis la période 1908-1915 pendant laquelle il dirigeait au MET, Arturo Toscanini entre au studio de la radio pour enregistrer avec le NBC Symphony Orchestra le grand répertoire, Fidelio (1944), La Bohème (1946), Otello (1947), Aida (1949), Falstaff (1950), Un Ballo in Maschera (1954).

La technologie permet de faire le lien entre le passé et le présent, et donne accès à bien plus d’auditeurs.

Succédant à Edward Johnson qui avait dirigé le MET depuis les dernières années de dépression jusqu’à la Seconde Guerre mondiale, Rudolf Bing, l’un des fondateurs du Festival d’Edimbourg, prend la direction du MET en 1950, et reste à sa tête pendant 22 ans.

Le MET connaît sa période la plus excitante avec un nombre incomparable de grandes chanteuses, Callas, Tebaldi, Milanov, Rysanek, Sutherland, Nilsson, et une ouverture sans précédents aux artistes noirs, Anderson, Price, Verrett, Bumbry, Arroyo.

Rudolf Bing, Leontyne Price, Robert Merrill, sur le lieu de construction du nouveau MET

Rudolf Bing, Leontyne Price, Robert Merrill, sur le lieu de construction du nouveau MET

Il attire de jeunes chefs, monte des nouvelles productions imaginatives, Don Carlo, Don Giovanni, Die Fledermaus, La Perichole – ce qui prouve qu’Offenbach a sa place dans une grande salle comme celle du MET -, Cosi fan Tutte.

Verdi a dorénavant trois titres parmi les 10 premiers, autant que Puccini, et Don Giovanni et Les Noces de Figaro font partie des 15 premiers, alors qu’à l’inverse, plus aucun Wagner ne fait partie des 15 premiers.

Der Rosenkavalier triomphe.

Étrangement, Roméo et Juliette (Gounod) disparaît quasiment de la programmation, et Faust entame un déclin qui s’accentuera avec l’ouverture du nouveau Metropolitan Opera.

La Manon de Massenet poursuit sa belle carrière au MET débutée à la fin du XIXe siècle, avant que la construction du nouveau MET n’entraîne subitement la raréfaction de sa présence sur scène.

The New York City Opera (NYCO)

En 1943, en pleine Seconde Guerre Mondiale, une compagnie d’opéra soutenue par le maire de la ville, Fiorello La Guardia, est fondée dans un bâtiment existant, The Mecca Temple, contenant un auditorium de 2 692 places. 

The Mecca Temple

The Mecca Temple

Cette compagnie, baptisée New York City Opera, réussit à définir sa propre identité.

Mais au lieu de privilégier les splendeurs vocales, elle développe son talent dans la réalisation de productions d’une grande force dramatique.

Elle programme également des œuvres américaines et des œuvres européennes oubliées : The Pirate of Penzance, Show Boat, Eugène Onéguine, L’Amour des trois oranges – qui, en 2018, n’est toujours pas inscrit au répertoire du MET -, Le Château de Barbe-Bleue, Wozzeck.

Et 10 ans avant que toute autre compagnie fasse son examen de conscience sur la question raciale, Todd Duncan, baryton Afro-américain, fait ses débuts en 1945 dans I Pagliacci.

Une fois passées les difficultés du début des années 50, le New York City Opera s’engage dans une brillante décennie qui l’établit comme la plus américaine des compagnies : The Ballad of Baby Doe (Moore), Lost in the stars (Weill), Susannah (Floyd), Trouble island (Still) sont à l’affiche de la saison 1958.

En 1966, le NYCO se déplace au Lincoln Center for the performing Art et fait dorénavant face au MET qui tente d’en prendre le contrôle administratif, mais trouve une résistance forte.

The New York City Opera (NYCO)

The New York City Opera (NYCO)

Dans les années 70, le NYCO révèle nombre d’artistes qui auront une flamboyante carrière internationale : Beverly Sills, José Carreras, Shirley Verrett, Samuel Ramey, Placido Domingo, Carol Vaness, et bien d’autres.

Il connait malheureusement en 2008 la crise financière la plus redoutable de son existence, en voyant sa dotation passer de 48 à 5 millions d’euros, entraînant le retrait de Gerard Mortier engagé pour diriger l’institution new-yorkaise dès cette année-là. Le NYCO dépose le bilan en 2013, année la plus sombre du MET qui ne remplit plus sa salle qu’aux trois quarts.

Le répertoire du New York Metropolitan Opera de 1883 à nos jours
Le répertoire du New York Metropolitan Opera de 1883 à nos jours

The New York Metropolitan Opera de 1966 à nos jours

En 1966, l’ouverture du Nouveau Metropolitan Opera sur le Lincoln Center for the performing Art est rendue possible par l’intervention du secrétaire au Travail des Etats-Unis.

Wallace Kirkman Harrison, architecte en chef du Siège des Nations-Unis, est chargé de la conception de cette salle qui contient plus de 3800 places.

Le nouveau New York Metropolitan Opera 

Le nouveau New York Metropolitan Opera 

Très mal apprécié aux Etats-Unis depuis le XIXe siècle, sa musique étant jugée peu dramatique et dominée par la finesse des détails orchestraux au détriment des voix, Mozart est reconsidéré seulement à partir des années 1980.

Idomeneo et La Clemenza di Tito connaissent leur première américaine dans les années 60 et 70, mais le premier n’entre au MET qu’en 1982, et le second qu’en 1984.

La Flûte Enchantée rejoint enfin Don Giovanni et Les Noces de Figaro parmi les titres les plus représentés.

Puccini se renforce encore plus (5 titres dans les 30 premiers), Verdi également (12 titres dans les 50 premiers). Par ailleurs, Le Bal Masqué est l’ouvrage de Verdi qui aura réalisé la percée la plus importante du siècle (73e avant 1940, 16 e après 1966). Turandot découvre aussi que le MET est une salle idéale pour son grand spectacle. 

Un Ballo in Maschera - Metropolitan Opera (2015)

Un Ballo in Maschera - Metropolitan Opera (2015)

Et parmi les ouvrages français, Roméo et Juliette fait son retour parmi les 25 premiers, juste devant Faust, aux côtés des Contes d’Hoffmann en progression constante. Invariablement depuis un siècle, Samson et Dalila se maintient confortablement autour de la 35e place.

Quant à Wagner, seule La Walkyrie se maintient à la 25e place, Lohengrin, Tannhaüser et Tristan und Isolde étant les ouvrages du compositeur qui perdent le plus en représentations au cours du siècle.

Si l’opéra du XXe siècle a encore plus de mal à s’imposer qu’en Europe, on observe quand même que Wozzeck s’ancre durablement au répertoire, que Jenufa est l’opéra de Janacek le plus joué, et que Die Frau ohne Schatten fait jeu égal avec Il Trittico de Puccini créé à New York en 1918.

Enfin, Il Barbiere di Siviglia n’est plus l’unique opéra de Rossini qui réussit à s’imposer, et L’Italienne à Alger commence à faire partie du répertoire permanent du MET.

Intérieur du New York Metropolitan Opera

Intérieur du New York Metropolitan Opera

Pour conclure

Dès le début du XXe siècle, le MET est définitivement le lieu de représentation des opéras de Puccini, compositeur qui correspond le mieux au goût d’un public attaché au répertoire italien et aux mélodies populaires. Le mouvement de reflux du grand opéra français et de Wagner est similaire à ce que l’on observe à Paris, mais Mozart gagne en reconnaissance dans la dernière partie du siècle.

Verdi est dorénavant le compositeur le plus joué (20% des représentations) devant Puccini (16%) et loin devant Mozart (9%), et la langue italienne domine toujours la programmation avec plus de 60% des soirées. En pratique, le MET reconnait peu de chefs-d’œuvre avant Mozart et après Puccini

Mais le goût pour les nouveautés qui caractérise la période d’avant-guerre s’est considérablement estompé, car si plus de 100 ouvrages peu connus ont été joués sur moins de 10 soirées chacun entre 1883 et 1939, moins de 30 le sont depuis 1966.

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Publié le 19 Août 2018

The Bassarids (Hans Werner Henze)
Représentation du 16 août 2018
Felsenreitschule  - Salzburger Festspiele 2018

Dionysus  Sean Panikkar
Pentheus  Russell Braun
Cadmus  Willard White
Tiresias / Calliope  Nikolai Schukoff
Captain / Adonis  Károly Szemerédy
Agave / Venus  Tanja Ariane Baumgartner
Autonoe / Proserpine  Vera-Lotte Böcker
Beroe  Anna Maria Dur
Danseuses Rosalba Guerrero Torres

Directeur musical Kent Nagano
Orchestre Wiener Philharmoniker

Mise en scène Krzysztof Warlikowski (2018)
Décors et costumes Małgorzata Szczęśniak
Lumières Felice Ross
Vidéo Denis Guéguin
Chorégraphie Claude Bardouil
Dramaturgie Christian Longchamp

Rosalba Guerrero Torres (Danseuse), Sean Panikkar (Dionysos) et Russel Braun (Penthée) - Photo Bernd Uhlig                 

The Bassarids est un opéra du compositeur allemand Hans Werner Henze (1926-2012) qui fut créé au Festival de Salzbourg le 06 août 1966 dans une traduction allemande. C’est seulement deux ans plus tard qu’il fut chanté pour la première fois en anglais, la langue originale du livret, lors de sa première aux Etats-Unis.

Œuvre majeure du XXe siècle inspirée des Bacchantes d’Euripide, elle est régulièrement reprise dans le monde entier, Milan 1968, Londres 1968 et 1974, Berlin 1986 et 2006, Cleveland & New-York 1990, Paris-Châtelet & Amsterdam 2005, Munich 2008, Rome 2015, Madrid 1999 et 2018, mais sous des altérations diverses (traduction allemande, orchestration réduite, version révisée de 1992 sans l’intermezzo).

Tanja Ariane Baumgartner (Agavé) et Vera-Lotte Böcker (Autonoé) - Photo Bernd Uhlig

Tanja Ariane Baumgartner (Agavé) et Vera-Lotte Böcker (Autonoé) - Photo Bernd Uhlig

Revenir à la version originale en anglais avec l’intermezzo et avec une orchestration opulente, comme la représente cette année le Festival de Salzbourg, permet donc d’explorer un espace sonore étendu, et de révéler sa puissance théâtrale. Pour Kent Nagano, ce n’est cependant pas une première, car il vient de diriger The Bassarids à Madrid en juin dernier avec l’Orchestre et le Chœur nationaux d’Espagne.

Le sujet, le retour à Thèbes de Dionysos, dieu vengeur obsédé par la mort atroce de sa mère, Sémélé, se confrontant à la société autoritaire et ordonnée sur laquelle règne Penthée, petit-fils du fondateur de la ville, Cadmos, et fils d’Agavé, la sœur de Sémélé qui n’avait pas cru à l’union de cette dernière avec Zeus, pourrait dans un premier temps faire écho au Roi Roger de Karol Szymanowski, mais il en diffère considérablement. La musique est bien plus complexe et brutale, et les forces destructrices en jeu bien plus extrêmes.

Russel Braun (Penthée) et Sean Panikkar (Dionysos) - Photo Bernd Uhlig

Russel Braun (Penthée) et Sean Panikkar (Dionysos) - Photo Bernd Uhlig

Krzysztof Warlikowski et Małgorzata Szczęśniak montrent cela en disposant un décor longitudinal et peu élevé en dessous des arcades du Felsenreitschule, qu’ils divisent en trois parties.

A gauche, la tombe de Sémélé et les lieux de culte où se retrouve le peuple thébain. Au centre une pièce du Palais Royal. A droite, une pièce plus intime où les désirs s’expriment et l’humain s’y déshabille.

Dionysos arrive par une des arcades latérales, dominant la scène, accompagné d’une ménade fortement érotisée.

Dans ce cadre écrasé, l’oppression des thébains est montrée par l’arrivée du chœur face à la scène, comme des spectateurs, mais qui se font chasser par des policiers lorsqu’ils montrent leur attirance pour le nouveau culte de Dionysos.

Tanja Ariane Baumgartner (Agavé) - Photo Bernd Uhlig

Tanja Ariane Baumgartner (Agavé) - Photo Bernd Uhlig

Le vieux roi Cadmos ne peut trouver en Willard White qu’un interprète émouvant, humain, un timbre sombre et dilué, des attaques fauves, ce chanteur / acteur touchant en est au moins à sa septième collaboration avec Krzysztof Warlikowski. Il est d’ailleurs le seul personnage représenté simplement sur scène, le moins fou de tous probablement, mais physiquement diminué et impuissant.

Russell Braun, qui interprétait également le rôle de Penthée à Rome en 2015, préserve une forme d’innocence aussi bien par sa façon si naturelle de jouer que par la clarté vaillante du timbre qui supporte solidement les tensions de la partition. On croirait entendre un adolescent encore jeune pour le pouvoir, enfant gâté qui se connait mal et se croit capable de résister indéfiniment à la jouissance sexuelle qui est à la base de l’humanité.

Quant à son costume beige aux motifs naïfs, il suggère une envie pacifique de découvrir une autre communauté, de trouver son identité.  Il est le personnage le plus tourné en dérision avec celui de Tiresias que Nikolai Schukoff, chargé d’exclamations à cœur ouvert, rend entièrement sympathique. Et Károly Szemerédy est un très étrange capitaine, plein d’aplomb mais également animé par une légèreté insidieuse.

Tiresias (Nikolai Schukoff), Tanja Ariane Baumgartner (Agavé), Willard White (Cadmos) - Photo Bernd Uhlig

Tiresias (Nikolai Schukoff), Tanja Ariane Baumgartner (Agavé), Willard White (Cadmos) - Photo Bernd Uhlig

Sean Panikkar, qui participait aux représentations des Bassarids à Madrid avec Nikolai Schukoff, est véritablement celui qui est dans la plénitude de son épanouissement vocal. Son rayonnement puissant s’accompagne d’une netteté de phrasé parfaite, et son personnage cultive l’ambiguïté en montrant une face mystérieuse qui peut soudainement s’affirmer et devenir subtilement menaçante, ou bien découvrir une apparence bienveillante.

Dramatique et hystérique Tanja Ariane Baumgartner en Agavé, tempérament plus aiguisé pour l’Autonoé de Vera-Lotte Böcker, impulsivité d’Anna Maria Dur, les rôles féminins se distinguent par la manière dont ils s’emparent de l’excessivité du jeu voulue par le metteur en scène.

Russel Braun (Penthée) et Sean Panikkar (Dionysos)

Russel Braun (Penthée) et Sean Panikkar (Dionysos)

Mais si d’aucun faisait remarquer que, dans les grandes maisons de répertoires, Krzysztof Warlikowski donne parfois l’impression d’éviter les expressions scéniques excessives, en revanche, The Bassarids entrent en concordance parfaite avec l’univers du metteur en scène, son déchaînement viscéral, sa culture littéraire antique, si bien que l’on ne sait plus si c’est la musique qui transcende son approche théâtrale, ou bien si c’est son geste expressif qui donne un sens fort au drame orchestral.

Cette osmose atteint son climax dans la scène de transe extatique des Bassarides, où le désir sexuel féminin frénétique est à la source de la fureur meurtrière qui va s’en suivre. Les éclairages ondoyants (Felice Ross) sur les corps excités font ressentir la fascination à l’approche de l’enfer, mais auparavant, et tout au long du drame, la danseuse Rosalba Guerrero Torres incarne par le dévoilement de son corps et sa souplesse esthétique la tentation qui enserre l’appel de Dionysos.

Małgorzata Szczęśniak, Krzysztof Warlikowski et Sean Panikkar

Małgorzata Szczęśniak, Krzysztof Warlikowski et Sean Panikkar

Précédemment aux ardeurs de la scène du Mont Cithéron, l’intermezzo annonce à travers le jugement de Calliope comment ce désir féminin peut devenir destructeur. La scène est jouée dans la chambre située à droite, et sa projection vidéo est déroulée à gauche où l’on voit Dionysos apprendre à Penthée la puissance de cette aspiration. C’est intelligemment mis en scène, ce qui permet à chacun de suivre le déroulement du jeu. Mais l’ajout de figurants mimant des chiens asservis fait surtout sourire et distrait de l’enjeu réel de ce tableau un peu long.

La scène finale, qui évoque tant Salomé avec cette tête coupée dans les mains d’Agavé suivie par les restes du corps de Panthée, n’est pas présentée comme une apothéose, mais comme un résultat navrant que Dionysos finit par incendier à coup de bidons d’essence.

Ainsi, deux désirs monstrueux se résolvent, celui d'Agavé pour la tête de son fils, et celui de Dionysos pour sa mère fantasmée, deux forces sous-jacentes qui se révèlent à la toute fin.

Anna Maria Dur, Nikolai Schukoff, Kent Nagano, Tanja Ariane Baumgartner

Anna Maria Dur, Nikolai Schukoff, Kent Nagano, Tanja Ariane Baumgartner

Et l'on pense beaucoup à Richard Strauss au cours de cette représentation, car Kent Nagano joue admirablement des tensions violemment théâtrales de la musique, tout en lui vouant un lustre sonore caressant éblouissant. Les percussions sont situées en hauteur à droite de la scène, l’immersion orchestrale est somptueuse, et l’on peut suivre en permanence le chef diriger les solistes, les phalanges de musiciens, les envolées lyriques des chœurs qu’il mime d’un geste panaché fulgurant, un immense travail qui valorise les strates harmoniques, les murmures inquiétants et les effets foudroyants.

Chœur qui magnifie une écriture vocale respirant en phase avec les ondes orchestrales, Wiener Philharmoniker luxueux, cette expérience musicale et théâtrale aboutie qui nous plonge au cœur des névroses humaines, renvoie en même temps une énergie sensuelle qu’il faut prendre telle quelle au-delà de ce que le texte exprime.

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Publié le 14 Août 2018

Tosca (Giacomo Puccini)
Représentation du 11 août 2018
Soirées lyriques du Théâtre gallo-romain de Sanxay

Floria Tosca Anna Pirozzi
Mario Cavaradossi Azer Zada
Le baron Scarpia Carlos Almaguer
Angelotti Emanuele Cordaro
Le Sacristain Armen Karapetyan
Spoletta Alfred Bironien
Sciarrone Vincent Pavesi
Le geôlier Jesus de Burgos

Direction musicale Eric Hull
Mise en scène Stefano Vizioli

                                                                                                      Anna Pirozzi (Floria Tosca)

La nouvelle édition du Festival de Sanxay porte sur la scène de son site gallo-romain Tosca, 14 ans après qu’une première production fut jouée en ce lieu avec Olga Romanko, Luca Lombardo et Carlos Almaguer dans les trois rôles principaux.

Le décalage entre les paysages de champs vallonnés, les petites routes ombragées, la nature domestiquée qui y vit, et le spectacle incroyable d’une œuvre lyrique chantée en plein air, sans la moindre sonorisation, devant 2000 spectateurs chaque soir, est quelque chose de tellement hors du commun, qu’il devient inenvisageable de se passer de ce rendez-vous annuel qui se déroule au cœur de la région du Seuil du Poitou où se rejoignent deux bassins sédimentaires majeurs, le Parisien et l’Aquitain.

Et à nouveau, la distribution réunie brille par son homogénéité vocale agréablement satinée par l’air de la nuit.

Anna Pirozzi (Floria Tosca) et Azer Zada (Mario Cavaradossi)

Anna Pirozzi (Floria Tosca) et Azer Zada (Mario Cavaradossi)

Azer Zada, jeune ténor azéri familier du rôle de Cavaradossi, se coule avec aisance dans la peau d’un personnage au regard charmeur, jouant constamment de la douceur d’un timbre massif dont il préserve le moelleux en atténuant toute tension, même dans les aigus. Il offre ainsi un parfait exemple de chant intègre à la fois dynamique et unifié, sans la moindre césure.

Anna Pirozzi, adulée des amateurs de pure vocalité du monde entier, interprète une Floria Tosca terrienne, fortement présente et sans aucun effet de geste ou de posture sophistiqué. Car le tempérament guerrier de la soprano napolitaine, si prégnant chez certaines héroïnes verdiennes qu’elle fait revivre régulièrement, se retrouve aussi dans cette héroïne puccinienne dépeinte sous un angle nettement rageur.

Et d’un souffle solide et élancé, toutes les difficultés de son personnage passent inaperçues, d’autant plus que l’expressivité et les couleurs ensoleillées de sa tessiture aiguë lui donnent un aplomb marquant, mais qui laissent moins de place à la sensibilité amoureuse de la cantatrice du Palais Farnèse.

Carlos Almaguer (Scarpia)

Carlos Almaguer (Scarpia)

Seul chanteur présent en 2004 dans le même rôle, Carlos Almaguer rend à Scarpia une stature autoritaire et noble à la fois, sans la moindre vulgarité, qui l’apparente à un aigle royal cherchant à cerner sa proie. Souplesse de la voix, maturité du timbre, cohérence forte entre la manière d’être et l’impression sonore, cette solidité affichée permet également, pour quelqu’un qui ne connait pas la pièce, de maintenir un certain temps l’ambiguïté sur la nature humaine du chef de la police.

Parmi les seconds rôles, Armen Karapetyan se distingue en brossant un portrait fort et subtil du Sacristain, sans sur-jeu comique comme on le voit trop souvent, qui lui restitue une dignité souvent négligée.

Anna Pirozzi (Floria Tosca) et Azer Zada (Mario Cavaradossi)

Anna Pirozzi (Floria Tosca) et Azer Zada (Mario Cavaradossi)

Néanmoins, l’ensemble de la représentation souffre des soulignements à gros traits du metteur en scène, et d’une direction d’acteur simpliste qui ne permet pas d’installer une crédibilité et une continuité dans le déroulement des affects en jeu. Le décor principalement constitué d’une façade noire et de plusieurs portes, au sol ou en hauteur, dont l’une en forme de croix, permet certes des changements de situations efficaces, soutient les voix, mais reste fermé même au début du troisième acte, quand la musique aurorale et le chant du berger posent le dernier moment de sérénité du drame.

Carlos Almaguer (Scarpia)

Carlos Almaguer (Scarpia)

A l’inverse, Eric Hull tire de son ensemble orchestral de belles couleurs sombres tissées avec finesse, esthétisme, mais met surtout en valeur la qualité du son, l’éclat chaleureux des cuivres, plutôt que l’impulsion, la prise de risque théâtrale qui pourrait bien plus saisir l’auditeur par la violence des situations. On remarque également qu’une partie des musiciens est située sous la scène avancée pour l’occasion au-dessus de l’orchestre comme une proue de navire, ce qui pourrait expliquer l’atténuation sensible du son lors de l’ouverture pastorale du dernier acte. L'effet des cloches disséminées tout autour de l'enceinte du théâtre, tintant au lever du soleil sur Rome, est charmant, d'autant plus qu'il invite à lever les yeux au ciel.

Et quelle résonance magnifique entre l’air ‘E lucevan le stelle’ chanté par Azer Zada dans la scène de la prison, et le ciel étoilé qui, ce soir-là, est zébré d’étoiles filantes, les perséides, filant au-dessous de la constellation de Cassiopée avec des pics de fréquence à 3 météorites par minute, dont l’une se désintègre même à l’aplomb du site de Sanxay !

Coucher de soleil sur le champ aménagé en parking spécialement pour le festival.

Coucher de soleil sur le champ aménagé en parking spécialement pour le festival.

L’année prochaine, pour les 20 ans du festival, Sanxay présentera Aida, 10 ans après le succès de la production captivante dirigée par Antoine Selva dans ce même théâtre. Ce spectacle est donc très attendu, et il faut souhaiter qu’il sera aussi le point de départ de l’élargissement du répertoire du festival, pour l’instant circonscrit aux 5 Verdi et 4 Puccini les plus célèbres, à Norma, Carmen et La Flûte Enchantée.

Les contraintes acoustiques pourraient sans doute poser problème au Barbier de Séville ou à Don Pasquale, mais le Vaisseau Fantôme, Salomé, Lucia di Lammermoor, Manon Lescaut, Manon, Le Bal Masqué, Macbeth, Les Contes d’Hoffmann, Don Giovanni, devraient avoir leur chance en ce lieu magique.

A proximité du théâtre, veaux et vaches peuvent, eux-aussi, profiter des bienfaits de l'art lyrique.

A proximité du théâtre, veaux et vaches peuvent, eux-aussi, profiter des bienfaits de l'art lyrique.

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Publié le 4 Août 2018

Carmen (Georges Bizet)
Représentation du 03 août 2018
Erfurt Festspiele

Carmen Katja Bildt
Don José Won Whi Choi (invité)
Escamillo Mandla Mndebele (invité)
Micaela Margrethe Fredheim
Frasquita Julia Neumann
Mercedes Annie Kruger
Morales Ks. Máté Sólyom-Nagy

Direction musicale Myron Michailidis
Mise en scène Guy Montavon (2018)

 

Won Whi Choi (Don José) et Katja Bildt (Carmen)

Depuis 1994, le festival de théâtre musical d'Erfurt se déroule pendant tout le mois d'août, en prenant pour cadre la cathédrale Sainte-Marie et l'église Sainte-Sévère, deux édifices moyenâgeux splendides, surmontés de flèches élancées, emblèmes de la capitale de la Thuringe, le cœur vert de l'Allemagne.

Carmen est au programme de la 25e édition du festival avec trois distributions différentes, et le décor, un immense amas pyramidal de voitures multicolores et de caravanes, évoque une favela où vivent des gens du voyage.

Katja Bildt (Carmen)

Katja Bildt (Carmen)

On pense d'emblée à la mise en scène célèbre de Calixto Bieito, mais Guy Montavon, l'intendant de la manifestation, n'en reprend pas la violence excessive, et fait même apparaître, à plusieurs reprises, aussi bien au parterre que depuis les hauteurs de la cathédrale, des figurants qui représentent la bonne société bourgeoise allemande bousculée par les manières sans ambages des gitans.

La habanera

La habanera

Ce monde est très bien animé, il y a de l'action en permanence, des voitures foncent vers l’estrade de la scène, Carmen s’échappe à toute allure à bord d’un 4x4, et la sonorisation des artistes permet de pousser très loin le réalisme du jeu, puisque le dispositif n'oblige pas les chanteurs à être en permanence face au public.

Et l'actualisation de la réalité sociale n'occulte pas totalement les couleurs hispaniques, car la habanera est chantée pendant qu'une toute jeune fille s'initie au flamenco. Mais il est cependant dommage que l'ouverture du dernier tableau aux arènes de Séville ne serve qu'à changer de décor et ne soit pas utilisée pour une scène de pantomime.

Won Whi Choi (Don José) et Margrethe Fredheim (Micaela)

Won Whi Choi (Don José) et Margrethe Fredheim (Micaela)

La distribution est composée d'artistes solides issus de la troupe du théâtre d'Erfurt, auxquels se joignent quelques chanteurs invités.

Katja Bildt, jeune interprète du théâtre d’Erfurt, s’approprie le rôle-titre avec une apparente facilité, soignant la précision de diction liée à un beau timbre mezzo-clair, et dépeint un portrait qui respire la joie de vivre, sans zone obscure trop marquée, qui ne s’assombrit que pendant l’air des cartes.

Son partenaire du soir, Won Whi Choi, détaille plus en profondeur le portrait psychologique de Don José, et lui dédie non seulement un jeu d’une grande sensibilité, mais en plus chante avec une parfaite intelligibilité, un superbe style, la voix ayant une couleur crème homogène même dans les aigus. On comprend pourquoi le New-York Metropolitan Opera l’a déjà engagé, car il est au niveau des meilleurs artistes français d'aujourd'hui capables de chanter ce rôle avec le même engagement et la même musicalité.

Mandla Mndebele (Escamillo)

Mandla Mndebele (Escamillo)

Velouté et chair pulpeuse sont le point fort de Margrethe Fredheim, Micaela parfaitement classique dans sa composition, un galbe vocal au souffle généreux qui, toutefois, privilégie la sensualité aux détails des mots.

Et quelle prestance pour l’Escamillo de Mandla Mndebele, certes fortement nerveux et physique dans sa façon incisive de chanter, mais qui permet de compléter un quatuor qui offre un ensemble de qualités couvrant l'intégralité du spectre artistique que l’on attend à l’opéra!

Les seconds rôles sont tous bien tenus et enjoués, et parmi les différents chœurs, ce sont les enfants qui se distinguent par la netteté de leur chant.

Le choeur d'enfants

Le choeur d'enfants

L’orchestre et son directeur musical, Myron Michailidis, sont certes installés dans un studio situé à gauche de la scène, néanmoins, l’excellent équilibre de la sonorisation permet de préserver aussi bien le naturel du son des voix que celui des instrumentistes, et de profiter de toutes les nuances d’un ensemble manifestement au point, sans désynchronisation sensible avec les solistes.

Les lignes musicales ont un délié et un lustre magnifiques, la tension dramatique surgit sans effet de surtension exagérée, mais les différences perceptibles entre la version retenue et celles que nous connaissons au disque (souvent un mélange de Choudens et Oeser), ne permettent pas clairement de dire quelle est la référence choisie.

La cathédrale Sainte-Marie et l'église Sainte-Sévère d'Erfurt abritant le décor de Carmen

La cathédrale Sainte-Marie et l'église Sainte-Sévère d'Erfurt abritant le décor de Carmen

Carmen, c’est tous les soirs jusqu’au 26 août dans un décor historique monumental, et l’occasion de découvrir la vitalité du théâtre musical en Allemagne.

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Publié le 2 Août 2018

Parsifal (Richard Wagner)
Représentation du 01 août 2018
Bayreuth Festspiele

Amfortas Thomas Johannes Mayer
Titurel Tobias Kehrer
Gurnemanz Günther Groissböck
Parsifal Andreas Schager
Klingsor Derek Welton
Kundry Elena Pankratova

Direction musicale Semyon Bychkov
Mise en scène Uwe Eric Laufenberg (2016)

 

Thomas Johannes Mayer (Amfortas) - photo E. Nawrath

La troisième série de Parsifal dans l'interprétation de Uwe Eric Laufenberg marque les débuts à Bayreuth de Semyon Bychkov, ancien directeur musical de l'Orchestre de Paris dans les années 90 et nouveau directeur du Philharmonique Tchèque à partir d'octobre 2018.

Invité à deux reprises à l'opéra Bastille sous la direction de Gerard Mortier pour conduire Un Ballo in Maschera et Tristan und Isolde, il avait séduit pas sa manière d'instiller à la musique une verve passionnée et romantique évoquant les grands tableaux orchestraux slaves.

Dans la fosse obscure du Festspielhaus, il recouvre dès l'ouverture ce sens de l'épaisseur coulante qui se nourrit de la texture des cordes, pour soulever de grands mouvements majestueux et fluides qui obscurcissent d'emblée le climat musical. L'éclat des cuivres n'en émerge que ponctuellement, dans les passages les plus spectaculaires, et l'équilibre entre imprégnation sonore, contraste des lignes des vents et attention aux chanteurs est constamment entretenu par un flux vif et brun.

Elena Pankratova (Kundry) et Andreas Schager (Parsifal)  - photo E. Nawrath

Elena Pankratova (Kundry) et Andreas Schager (Parsifal) - photo E. Nawrath

Les chœurs y mêlent superbement la pureté de leur voile mélancolique dans les grandes évocations spirituelles, mais peuvent être également, dans la stupéfiante scène de la mort de Titurel, d'une force quasi-infernale absolument terrifiante.

Elle chante Kundry ici même depuis 2016, pourtant, jamais Elena Pankratova n'aura fait autant sensation que cette année. Dès le premier acte, où sa présence vocale est pourtant restreinte, elle fait entendre une noirceur animale qui glace le moindre silence de la salle, comme si elle recherchait le pouvoir de l'expression en un minimum de mots.

Au château de Klingsor, elle apparaît à nouveau dans son animalité la plus sombre, pour dépeindre à sa rencontre avec Parsifal une femme sensuelle au timbre légèrement vibrant noir-et-or, un débordement gorgé d'harmoniques, quasi-boudeur, qu'elle embaume de sa présence charnelle tout en réussissant les effets de surprise que ses aigus lancés avec une richesse de couleurs somptueuse rendent saisissants.

Elena Pankratova (Kundry) et Andreas Schager (Parsifal) - photo E. Nawrath

Elena Pankratova (Kundry) et Andreas Schager (Parsifal) - photo E. Nawrath

Face à elle, Andreas Schager peut paraître comme quelqu'un de plus primaire tant il domine par la puissance glorieuse et éclatante de son timbre incisif et quelque peu railleur, mais son Parsifal puissant et démonstratif, comme un enfant sûr de sa force, a aussi quelque chose de touchant, car une joie de vivre en émane à chaque instant.

Il est le premier grand soliste que l'on découvre au premier acte, Günther Groissböck, qui chantait deux mois auparavant Gurnemanz à l'opéra Bastille, se révèle fortement accrocheur par la manière, qu'on ne lui connaissait pas, d'incarner le doyen des chevaliers avec une subtile tonalité menaçante fort impactante. Son long discours l'impose comme un homme qui a conscience que la vie de sa communauté arrive à un moment clé, et, loin de se complaire dans la déploration, il fait ressentir au contraire la volonté de mettre en garde face à un péril certain.

Et Thomas Johannes Mayer, qui fait entendre quelques sons engorgés uniquement dans les premières mesures, libère très rapidement un jeu phénoménal, tressaillant et à l'article de la mort. Ce chanteur est un immense acteur doué aussi d'intonations humaines magnifiquement expressives, et son Amfortas prend des attitudes de bête blessée qui évoquent un lion sauvage, cerné et implorant avec une ampleur impressionnante la fin de son supplice.

Thomas Johannes Mayer (Amfortas) - photo E. Nawrath

Thomas Johannes Mayer (Amfortas) - photo E. Nawrath

Titurel grandement sonore par la voix autoritaire de Tobias Kehrer, Klingsor bien caractérisé de Derek Welton, avec on ne sait quoi de sympathique dans le geste malgré la violence du personnage, cette reprise de Parsifal vaut véritablement pour sa grande cohérence musicale et sa force expressive.

Bien entendu, la mise en scène de Uwe Eric Laufenberg ne peut faire oublier la réussite absolue du travail de Stefan Herheim dix ans plus tôt, mais les deux premières actes, dont les éclairages sont magnifiquement travaillés, clairs-obscurs de la scène du Graal, lumières chaleureuses de la scène de séduction de Kundry, transposent le livret avec une direction d'acteur fouillée, dans le contexte moyen-oriental d'aujourd'hui.

Et l'ouverture de la scène finale, qui invite à oublier les religions pour ne voir que la salle du Festpielhaus éclairée, conserve sa force naïve et plaisante.

Lire également le compte-rendu des représentations de 2016 : Parsifal (Vogt-Pankratova-Zeppenfeld-McKinny-Haenchen-Laufenberg) Bayreuth 2016

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