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Publié le 3 Juin 2025

Il Trittico (Giacomo Puccini – New-York, Metropolitan Opera, le 14 décembre 1918)
Répétition générale du 23 avril 2025 et représentation du 25 mai 2025
Opéra Bastille

Gianni Schicchi
Gianni Schicchi Misha Kiria
Lauretta Asmik Grigorian
Zita Enkelejda Shkoza
Rinuccio Alexey Neklyudov
Gherardo Dean Power
Betto Manel Esteve Madrid
Simone Scott Wilde
La Ciesca Theresa Kronthaler
Amantio di Nicolao Alejandro Balinas Vieites

Il Tabarro
Michele Roman Burdenko
Luigi Joshua Guerrero
Giorgetta Asmik Grigorian
Il Tinca Andrea Giovannini
La Frugola Enkelejda Shkoza
Il Talpa Scott Wilde

Suor Angelica
Suor Angelica Asmik Grigorian
La Zia Principessa Karita Mattila
La Badessa Hanna Schwarz
La Maestra delle Novize Theresa Kronthaler
La Suora Zelatrice Enkelejda Shkoza
Suor Genovieffa Margarita Polonskaya
Suor Osmina Ilanah Lobel-Torres
La Suor Infirmiera Maria Warenberg

Mise en scène Christof Loy (2022)
Direction musicale Carlo Rizzi
Coproduction avec le Festival de Salzburg

Retransmission en direct sur Paris Opera Play, la plateforme numérique de l’Opéra national de Paris, le 16 mai 2025 à 19h, puis en différé sur OperaVision à partir du 18 juillet 2025, et diffusion sur France Musique le 14 juin 2025 à 20h dans l’émission ‘Samedi à l’Opéra’ présentée par Judith Chaine.

Les amateurs lyriques restés à Paris au cours du mois de mai 2025 auront vécu des soirées inoubliables avec la reprise de la production salzbourgeoise d’’Il Trittico’ présentée sur la scène Bastille pour les débuts scéniques d’Asmik Grigorian sur les planches de la capitale française.

La soprano lituanienne aurait du cependant faire ses débuts au Palais Garnier quatre ans plus tôt dans la nouvelle production de ‘La Dame de Pique’ mise en scène par Dmitri Tcherniakov, si la situation sanitaire n’avait balayé ce projet qui aura peut-être une chance de se concrétiser ultérieurement.

Asmik Grigorian (Suor Angelica)

Asmik Grigorian (Suor Angelica)

Depuis une première version donnée en français en 1967, puis une seconde donnée en langue originale en 1987, toutes deux à la salle Favart, ‘Le Triptyque’ n’est réapparu sur la scène Bastille qu'en 2010 dans la production de Luca Ronconi (Scala de Milan).

Moins connu que les autres ouvrages phares de Giacomo Puccini, on pouvait s’attendre à une moindre curiosité de la part du public pour ces trois histoires, si l’onde de choc de ce spectacle intense ne s’était propagée dès la répétition générale qui laissa tout le monde saisi, d’autant plus qu’Asmik Grigorian avait demandé pour cette reprise parisienne à placer la comédie ‘Gianni Schicchi’ en premier pour conclure sur ‘Suor Angelica’, une progressivité vers le drame dont l’effet s’avérera implacable.

Gianni Schicchi (ms Christof Loy)

Gianni Schicchi (ms Christof Loy)

Le travail de Christof Loy est connu partout en Europe où ses productions redonnent de la force théâtrale aux œuvres lyriques depuis 25 ans sur la base de scénographies taillées au juste nécessaire, mais avec un soin certain accordé aux lumières. Il fait ainsi ses débuts tardifs à l’Opéra de Paris, et le fait que les principaux chanteurs présents lors de la création de sa production soient invités lors de la reprise parisienne va contribuer à renforcer les qualités de cette dernière.

Alexey Neklyudov (Rinuccio), Misha Kiria (Gianni Schicchi) et Asmik Grigorian (Lauretta)

Alexey Neklyudov (Rinuccio), Misha Kiria (Gianni Schicchi) et Asmik Grigorian (Lauretta)

‘Gianni Schicchi’, seule œuvre du ‘Triptyque’ inspirée de la ‘Divine Comédie’ de Dante, se déroule autour d’un grand lit bourgeois adossé à un mur orné, côté jardin, d’une grande porte laissant entrevoir un bout de la pièce arrière (un dispositif récurrent chez Loy).

Les talents d’acteurs de tous les protagonistes sont développés afin de créer une image de chaos, une forme de dislocation sociale des héritiers lorsqu’ils réalisent que quasiment rien ne leur a été laissé par le défunt. Leur folie rappelle beaucoup celle de ‘The Exterminating Angel’ dirigée par Calixto Bieito l’an passé, où l’on retrouvait cette même forme de désordre humain en vase clos.

Alexey Neklyudov, Asmik Grigorian, Misha Kiria et Enkelejda Shkoza

Alexey Neklyudov, Asmik Grigorian, Misha Kiria et Enkelejda Shkoza

A cette occasion, le public parisien a le plaisir de découvrir l’immense interprétation de Misha Kiria, baryton géorgien d’une verve et d’une splendide sonorité bonhomme qui impose un Gianni Schicchi au burlesque sarcastique éclatant. Asmik Grigorian est déjà franche et rayonnante, mais encore maintenue dans un rôle modeste illuminé par le fameux ‘Oh mio babbino caro’.

Bon acteur, le ténor Alexey Neklyudov a toutefois tendance à être couvert par l’orchestre, mais il achève son rôle de Rinuccio sur une brillante exaltation, alors que le personnage de Zita va permettre à Enkelejda Shkoza de démontrer, plus que dans les deux autres volets, son grand abattage scénique ainsi que ses vaillances vocales. Et en Simone, Scott Wilde joue sur du velours, alors qu’Alejandro Balinas Vieites rend une noble noirceur au notaire Ser Amantio di Nicolao.

Asmik Grigorian (Giorgetta) et Roman Burdenko (Michele)

Asmik Grigorian (Giorgetta) et Roman Burdenko (Michele)

En seconde partie, le décor constitué côté cour d’une péniche installée dans un espace fermé par des murs monochromes, et d’une sorte de salon d’intérieur côté jardin, donne une impression de théâtre dans le théâtre en apparence un peu décevant, mais qui a l’avantage de mettre en valeur ce qu’il y a de comédie au début d’‘Il Tabarro’. Il y a donc bien une continuité de ton avec ‘Gianni Schicchi’, mais les éclairages crus vont s’assombrir imperceptiblement jusqu’à ce que le spectateur ne réalise à quel point le piège dramatique s’est refermé sur le couple d’amants.

L’expressivité d’Asmik Grigorian est au service d’une femme qui veut séduire mais sans trop en faire, tout en gardant la conscience que quelque chose la lie toujours à Michele, une forme de compassion qu’il n’éprouve pourtant pas en retour.

Joshua Guerrero (Luigi)

Joshua Guerrero (Luigi)

En Joshua Guerrero elle trouve un partenaire qui incarne très justement un naturel sanguin aux poignantes expressions véristes, fascinant alliage de style et d’animalité latins, si bien que leur duo est un cri viscéral au chant intense qui agrège de multiples reflets vibrants.

Roman Burdengo dépeint lui aussi un personnage animé par une forte volonté mais au relief sombre, une image de la vie tourmentée par ses tristes passions et qui charrie un insondable maelstrom de ressentiments noirs et incisifs. Le meurtre de Tonio est saisissant par son apparence de froide sauvagerie, et le cri d’effroi d’Asmik Grigorian résonne d’une morbidité pleurante qui prend aux tripes.

Tous les rôles secondaires qui évoluent autour du trio damné sont très bien tenus, avec naturel et contraste.

Suor Angelica (ms Christof Loy)

Suor Angelica (ms Christof Loy)

Mais c’est bien entendu la troisième nouvelle ‘Suor Angelica’ qui constitue le clou du spectacle, car après la comédie haut en couleur et la puissance passionnelle, l’auditeur va être confronté au sentiment de révolte induit par l’écrasement du sentiment maternel d’une femme ayant été séparée de son fils.

A nouveau des murs nus et une petite porte surélevée à gauche de la scène, un petit jardin symbolique à l’avant scène, quelques chaises, une table, et trois luminaires éclairant de leurs lueurs lunaires la scène, ce décor unique évoluera sous un éclairage de plus en plus nocturne.

Karita Mattila (La Zia Principessa)

Karita Mattila (La Zia Principessa)

Asmik Grigorian est intégralement vêtue de noir et étudie alors que les autres sœurs s’animent autour d’elle, jusqu’à l’arrivée de la Zia Principessa qui va engendrer le grand moment de confrontation entre deux grandes artistes de la scène lyrique. Karita Mattila, l’air hautain, d’une grande classe froide avec ses cheveux blanc-blond impeccablement lissés, vient mentalement torturer Suor Angelica, une scène d’une glaçante noirceur musicale. La soprano finlandaise use d’un art déclamatoire insidieux, une noirceur crème ensorcelante qui tranche avec le lyrisme écorché de sa victime, Asmik Grigorian disposant d’une palette de couleurs aux intonations noires et slaves, et prenant une force rugissante émaillée d’une brillance fantastique dans les aigus.

Karita Mattila (La Zia Principessa) et Asmik Grigorian (Suor Angelica)

Karita Mattila (La Zia Principessa) et Asmik Grigorian (Suor Angelica)

Face à une telle outrance, la Zia Principessa semble en état de panique, et à la révélation de la mort de son fils, Asmik Grigorian libère Suor Angelica du poids de sa culpabilité pour se retrouver en femme libre de son destin une fois départie de son habillement religieux. Magnifique dans sa manière de retrouver un semblant de respiration et de revenir à la vie, Christof Loy choisit pourtant de la faire s’atrophier les yeux, alors que ce n’est pas forcément nécessaire, mais se rattrape en faisant réapparaitre l’enfant sur scène au moment où Suor Angelica le rejoint au ciel. Cette scène, jouée de façon poignante par Asmik Grigorian, laisse l’ensemble du public touché au cœur, ce qui déclenchera, chaque soir, une ovation d’une rare puissance émotionnelle.

Asmik Grigorian (Suor Angelica)

Asmik Grigorian (Suor Angelica)

A la tête de l’Orchestre de l’Opéra national de Paris qui se délecte du mélisme puccinien et de son savoir faire dramatique, Carlo Rizzi réussit à passer d’un bouillonnement impétueux et lumineux, à la limite de la perte de contrôle dans ‘Gianni Schicchi’, à un flamboiement à la fois sombre et irisé qui va par la suite unifier les trois ouvrages à travers une peinture au lyrisme souverain et raffiné dans ses moindres variations de couleurs. Cette grande sophistication du son sert une magnificence qui évite l'effet théâtral par trop facile. 

Asmik Grigorian (Suor Angelica) et l'enfant

Asmik Grigorian (Suor Angelica) et l'enfant

Après de telles soirées où l’on a pu voir des spectateurs, surpris par un tel choc, chercher à revenir bien qu'habitant assez loin de Bastille, le retour d’Asmik Grigorian sur la scène lyrique parisienne s’impose avec évidence. Mais elle est très demandée.

Karita Mattila, l'enfant et Asmik Grigorian

Karita Mattila, l'enfant et Asmik Grigorian

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Publié le 8 Octobre 2024

Turandot (Giacomo Puccini – 25 avril 1926, Scala de Milan)
Représentation du 06 octobre 2024
Bayerische Staatsoper München

La principessa Turandot Saioa Hernández
L'imperatore Altoum Kevin Conners
Timur, Re tartaro spodestato Vitalij Kowaljow
Il principe ignoto (Calaf) Yonghoon Lee
Liù Selene Zanetti
Ping Thomas Mole
Pang Tansel Akzeybek
Pong Andrés Agudelo
Un mandarino Bálint Szabó
Il principe di Persia Andrés Agudelo

Direction musicale Antonino Fogliani
Mise en scène Carlus Padrissa - La Fura dels Baus (2011)

En pleine ascension tardive au répertoire du Bayerische Staatsoper où l’ultime opéra de Giacomo Puccini a dorénavant rejoint les 30 premiers titres les plus joués des 25 dernières années grâce à la production de Carlus Padrissa - l’un des six directeurs artistiques de ‘La Fura dels Baus’ – créée sur les planches munichoises le 03 décembre 2011, ‘Turandot’ trouve dans cette réalisation une lecture d’une grande force expressive qui axe toutefois son propos sur la nature tortionnaire du régime chinois.

Saioa Hernández (La principessa Turandot)

Saioa Hernández (La principessa Turandot)

Ainsi, rarement Ping, Pang et Pong n’apparaîtront de façon aussi sordide comme les rouages majeurs de la machine répressive de Turandot, entreprenant au second acte une danse macabre devant un immense amas de crânes auxquels des vidéographies numériques stylisées ajouteront un vrai sentiment de malaise.

Cette machine répressive se manifeste sur scène à travers un discret service d’ordre se mélangeant à des mouvements de foules parfois exotiques, que ce soit par la présence de danseurs de hip-hop ou de patineuses qui se révèlent, elles, naturellement plus évocatrices de la nature ondoyante de la musique.

La plus troublante image du chœur proviendra pourtant d’un groupe d’enfants habillés en tenues blanches illuminées, trainant le char du Prince de Perse sacrifié comme si l’inconscience de l’enfance se laissait d’emblée pervertir pour devenir complice du système.

Turandot (Hernández Lee Zanetti Fogliani Padrissa) Munich

 

Des vidéographies se superposent à la scénographie pour renvoyer des images en lien avec les ressorts dramatiques et violents en jeu, ou bien pour représenter la glace intérieure de Turandot qui s’effondre sous forme d’immenses icebergs se dégradant au fur et à mesure que Calaf résout les énigmes.

A cela s'ajoutent des lunettes 3D prêtées au public qui permettent de visualiser les effets psychédéliques qui s’animent autour d’un large anneau descendant des cintres pour envelopper Turandot, sans que celles-ci soient pour autant l’attraction majeure de cette lecture flamboyante.

Selene Zanetti (Liù)

Selene Zanetti (Liù)

La version choisie étant celle inachevée par Puccini, l’opéra se termine sur la mort de Liù qui est mise en scène de façon très cruelle, car la jeune femme subit l’horrible supplice du bambou, pousse dure à croissance rapide pouvant transpercer la chair en quelques jours.

Si cette vision de la Chine est effrayante mais aussi haut-en-couleur au moment de l’entrée de celle-ci dans la société de consommation et de la drogue, le spectacle regorge de références symboliques et calligraphiques, mais a pour paradoxe de peu mettre en valeur les liens sentimentaux entre les personnages simples, Calaf, Liù et Timur, pour, au contraire, humaniser Turandot en la faisant descendre de son piédestal et la montrer en relation directe avec les personnages principaux.

Il est même rendu compte de son drame intérieur à travers une vidéo sombre montrant une jeune femme fuyant à travers la forêt mais ne pouvant échapper à un viol.

Saioa Hernández (La principessa Turandot)

Saioa Hernández (La principessa Turandot)

Pour cette reprise qui en est à sa 42e représentation en 13 ans, la soprano espagnole Saioa Hernández investit à nouveau le personnage de Turandot, un an après sa prise de rôle au Teatro Real de Madrid en juillet 2023, et son superbe aplomb s’impose sans faille d’autant plus qu’elle maîtrise une tessiture absolument inaltérable même dans les aigus les plus hauts et puissants.

Elle domine ainsi constamment l’orchestre, y compris dans les passages les plus éruptifs, en nourrissant et enrichissant le son d’une manière dynamique qui préserve l’unité de la texture vocale.

Il y a donc beaucoup d’assurance dans cette Turandot inflexible mais moins distante que d’autres interprétations, douée d’une humanité austère et sophistiquée à la fois.

Yonghoon Lee (Calaf)

Yonghoon Lee (Calaf)

Son partenaire, Yonghoon Lee, qui a abordé le rôle de Calaf pour la première fois il y a 12 ans au Teatro Comunale de Bologne, affiche une solide endurance avec une détermination et une expressivité de geste et de visage d’une sincérité très directe, sans jamais détimbrer.

Toutefois, s’il s’impose facilement quand l’orchestre est en retrait, sa puissance ne domine pas autant celle de Saioa Hernández, sa tessiture manquant un peu de corps. Par ailleurs, l’élocution est également moins bien définie, le métal de sa voix restant de toute façon très homogène avec une coloration uniformément mate.

Reste que son incarnation doloriste est pleinement convaincante, et qu’il fait preuve d’allègement et de nuance dans le célébrissime ‘Nessun dorma’.

Selene Zanetti (Liù) et Saioa Hernández (La principessa Turandot)

Selene Zanetti (Liù) et Saioa Hernández (La principessa Turandot)

Elle était déjà Liù auprès de Saioa Hernández à la Fenice de Venise début septembre, Selene Zanetti ne joue clairement pas le mélodrame en privilégiant une grande intériorité.

Elle peut compter sur un timbre somptueux gorgé de couleurs profondes, ce qui lui permet d’imposer une pure présence vocale à chacune de ses interventions, et ce d’autant plus qu’accompagnée du chœur murmurant c’est elle qui achève l’opéra dans une posture sacrificielle d’une grande dureté.

Turandot (Hernández Lee Zanetti Fogliani Padrissa) Munich

Sans la moindre drôlerie, bien au contraire, les trois ministres Ping, Pang et Pong trouvent en Thomas Mole, Tansel Akzeybek et Andrés Agudelo trois chanteurs consistants et homogènes.

Quant à Vitalij Kowaljow, il impose facilement ses résonances graves en Timur, mais sans affect sensible avec Liù, alors que l’Empereur Altoum de Kevin Conners s’inscrit dans la même tonalité sévère d’ensemble.

Selene Zanetti

Selene Zanetti

Aux commandes d’un Orchestre d’État de Bavière ronflant et chaleureux, Antonino Fogliani joue le grand spectacle à fond, n’hésitant pas à faire trembler les piliers du théâtre avec un vrai sens de l’influx dramatique. Il s’appuie sur des tempi modérés, découvre un ensemble de colorations foisonnantes, et fait même entendre des textures spatio-temporelles surnaturelles – air de Liù au premier acte - qui s’accordent fort bien avec la scénographie imaginative et visuelle de la production.

Selene Zanetti, Antonino Fogliani, Saioa Hernández et Yonghoon Lee

Selene Zanetti, Antonino Fogliani, Saioa Hernández et Yonghoon Lee

Les chœurs ont l’unité et le pouvoir inspirant que nous leur connaissons bien, et quand vous y ajoutez les effets acoustiques particuliers de ce théâtre, selon votre emplacement, ce spectacle offre dans toutes ses dimensions une énergie stimulante et une saturation de codes et de symboles d’une pénétrance fort connectée à l’univers impérial et sanguinaire de cette Chine fantasmée et inquiétante.

Turandot (Hernández Lee Zanetti Fogliani Padrissa) Munich

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Publié le 14 Septembre 2024

Madame Butterfly (Giacomo Puccini – 17 février 1904, Milan)
Répétition générale du 11 septembre et représentations du 17 septembre et 01 octobre 2024
Opéra Bastille

Cio-Cio-San Eleonora Buratto
Suzuki Aude Extrémo
B.F. Pinkerton Stefan Pop
Sharpless Christopher Maltman
Goro Carlo Bosi
Il Principe Yamadori Andres Cascante
Lo Zio bonzo Vartan Gabrielian
Kate Pinkerton Sofia Anisimova
Yakuside Young-Woo  Kim
Il Commissario Imperiale Bernard Arrieta
L'Ufficiale del registro Hyunsik Zee
La Madre di Cio-Cio-San Marianne Chandeliern
La Zia Liliana Faraon
La Cugina Stéphanie Loris

Direction musicale Speranza Scappucci
Mise en scène Robert Wilson (1993)

Retransmission en direct sur France TV le 01 octobre 2024 à 19h30, et ultérieurement sur une chaîne de France Télévisions et sur Paris Opera Play, la plateforme de l’Opéra national de Paris

Le 11 juin 1971, le Théâtre de la Musique, devenu aujourd’hui La Gaité Lyrique, accueillit un spectacle parti en tournée depuis l’Iowa et New-York, ‘Deafman Glance’, une histoire mise en scène par un réalisateur trentenaire, Robert Wilson, inspirée par son amitié avec un enfant sourd qu’il avait adopté.

Dans la salle, Pierre Bergé était l’un des spectateurs, et lorsqu’il devint le directeur de l’Opéra national de Paris à la fin des années 80, il devint à ce moment là le principal soutien de la fondation de Robert Wilson, The Watermill Center.

Il lui proposa de mettre en scène ‘Madame Butterfly’ à l’opéra Bastille, spectacle qui vit le jour le 19 novembre 1993 et qui est dorénavant la production la plus ancienne de l’institution avec 31 ans d’existence.

Eleonora Buratto (Cio-Cio-San)

Eleonora Buratto (Cio-Cio-San)

Son intemporalité ne cesse d’émouvoir par la justesse avec laquelle les gestes et les variations de postures sont totalement liés à la dramaturgie de la musique, par la géométrie simple et précise des espaces au sol qui délimitent le plancher en bois de la maison de Butterfly – espace relié à un chemin sinueux en galets noirs savamment éclairé, ainsi qu’au ponton du port légèrement surélevé -, et par les nuances des lumières bleu éclipse qui évoluent en fond de scène pour traduire les états d’âme en jeu.

Ces états d’âme peuvent aussi bien être la colère de l’oncle Bonze qui embrase le ciel d’une tonalité rouge orangée laissant transparaître le symbole solaire du Japon, que la joie à la vue de l’enfant qui illumine toute la scène, ou bien des tonalités plus froides, virant au vert, quand Butterfly perd tout espoir et se tourne vers la mort.

Eleonora Buratto (Cio-Cio-San) et Stefan Pop (B.F. Pinkerton)

Eleonora Buratto (Cio-Cio-San) et Stefan Pop (B.F. Pinkerton)

Robert Wilson joue beaucoup avec les facultés des ambiances lumineuses à envoûter l’auditeur vers des horizons qui dissolvent le temps avec une sensibilité musicale à fleur de peau, et l'une des raisons pour lesquelles sa mise en scène est aussi réussie est que son esprit correspond à ce que vit Butterfly, c’est à dire une attente infinie qui semble invincible et dont le spectateur peut éprouver la lenteur en ayant l’impression d’être connecté à l’intériorité de l’héroïne.

Et de cette nouvelle reprise se ressent d’emblée une grande concentration de la part des artistes et une grande cohésion entre orchestre, chant des solistes et pureté de l’expressivité, qui créent une véritable tension comme si chacun des protagonistes évoluait sur une corde solide et fragile à la fois.

Carlo Bosi (Goro), Vartan Gabrielian (Lo Zio bonzo), Stefan Pop (B.F. Pinkerton) et Eleonora Buratto (Cio-Cio-San)

Carlo Bosi (Goro), Vartan Gabrielian (Lo Zio bonzo), Stefan Pop (B.F. Pinkerton) et Eleonora Buratto (Cio-Cio-San)

Eleonora Buratto fait ses débuts sur la scène Bastille après une première apparition 15 ans plus tôt sur la scène du Palais Garnier où elle avait interprété une lumineuse Creusa dans le ‘Demofoonte’ de Jommelli dirigé par Riccardo Muti.

Elle offre ce soir un portrait de Cio-Cio-San d’une impressionnante maîtrise qui s’entend dans l’émission assurée de sa voix, vibrante juste ce qu’il faut pour lui donner du soyeux, et se gorgeant d’intensité de façon poignante dans les moments les plus affectés. Elle cherche l’impact, mais sans verser dans le mélodrame pour autant.  C’est donc bien une femme de caractère qu’elle dépeint avec une délicate mélancolie, et elle entretient un rapport très soigné à la gestuelle de Robert Wilson.

Eleonora Buratto (Cio-Cio-San)

Eleonora Buratto (Cio-Cio-San)

Sa partenaire, la servante Suzuki, possède une noirceur rare qui évoque la nuit et les prémonitions funestes, et Aude Extrémo use de cette profondeur fascinante avec la même inspiration que Eleonora Buratto, ce qui leur permet à toutes deux d’entremêler leurs timbres sur un souffle continu.

De la même manière, cette artiste française que l’Opéra de Paris avait déjà accueilli en 2017 et 2019 pour interpréter Berlioz à l’occasion de ‘Béatrice et Bénédict’ et ‘Les Troyens’se plie à la symbolique théâtrale avec ductilité.

Aude Extrémo (Suzuki), Eleonora Buratto (Cio-Cio-San) et l'enfant

Aude Extrémo (Suzuki), Eleonora Buratto (Cio-Cio-San) et l'enfant

Il interprétait il y a tout juste un mois Rodolfo dans ‘La Bohème’ de Puccini sur la scène du théâtre romain du Festival de Sanxay, près de Poitiers, Stefan Pop est lui aussi de retour sur la scène Bastille après dix ans d’absence, et du haut de son impressionnante carrure il incarne un Pinkerton avec une belle homogénéité d’assise et une forme d’humilité qui fait qu’il devient difficile de l’identifier à une personnalité désinvolte, malgré les mises en garde de Sharpless. 

Il forme par ailleurs un duo puissant et équilibré avec Eleonora Buratto, et les qualités légèrement ombrées de son chant ajoutent de la profondeur à son personnage, ses aigus bien menés et sans esbroufe traduisant aussi une forme de stoïcisme très bien contrôlé.

Andres Cascante (Il Principe Yamadori), Christopher Maltman (Sharpless) et Eleonora Buratto (Cio-Cio-San)

Andres Cascante (Il Principe Yamadori), Christopher Maltman (Sharpless) et Eleonora Buratto (Cio-Cio-San)

Et c’est un Sharpless grand luxe que dépeint Christopher Maltman, avec cette solidité bienveillante alliée à une douce autorité qui dégagent une très grande impression d’humanisme et d’expérience.

On retrouve également Carlo Bosi en Goro, ténor de caractère à la tonalité sarcastique qui arpente la scène Bastille depuis 15 ans sans discontinuité, et tous les petits rôles épisodiques, dont six assurés par des membres du chœur, sont bien tenus, particulièrement celui du Prince Yamadori auquel le baryton costaricien Andres Cascante, membre de l’Académie de l’Opéra jusqu'au printemps dernier, apporte une suavité qui aurait du séduire Cio-Cio-San.

Christopher Maltman (Sharpless)

Christopher Maltman (Sharpless)

Et pour parfaire cette saisissante unité artistique d'ensemble conduite avec une grande rigueur, Speranza Scappucci réalise un superbe travail de mise en valeur des timbres et des couleurs des instrumentistes, y compris, le métal sombre des cordes, au point de réussir à faire émerger un intimisme inhabituel dans une salle aussi vaste. 

Sa direction soigne les coloris, la cohérence dramaturgique avec la scène et les chanteurs, et se montre implacable dans les moments dramatiques en évitant les épanchements trop appuyés, afin de rendre la pleine violence tragique et impitoyable que subit Butterfly.

Eleonora Buratto (Cio-Cio-San)

Eleonora Buratto (Cio-Cio-San)

Malgré la dureté de cette histoire, l’épure de ce spectacle magnifique n’a rien perdu de son pouvoir d’imprégnation, et la présence de l'enfant ajoute une poésie à couper le souffle par la finesse de sa manière d’être, un des éléments essentiels de cette mise en scène retravaillée avec une sensibilité extrême.

Stefan Pop, Speranza Scappucci et Eleonora Buratto - Répétition du 11 septembre

Stefan Pop, Speranza Scappucci et Eleonora Buratto - Répétition du 11 septembre

Fait rare pour un mois de septembre, le spectacle affiche quasiment complet avant le début des représentations, comme si les spectateurs avaient anticipé qu’il ne fallait pas manquer cette reprise.
Ils ont vu juste.

Stefan Pop, Speranza Scappucci, Eleonora Buratto, l'enfant et Aude Extrémo - Représentation du 17 septembre

Stefan Pop, Speranza Scappucci, Eleonora Buratto, l'enfant et Aude Extrémo - Représentation du 17 septembre

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Publié le 19 Novembre 2023

Turandot (Giacomo Puccini – La Scala de Milan, le 25 avril 1926)
Représentations du 08 et 15 novembre 2023
Opéra Bastille

Turandot Tamara Wilson
Liu Adriana González
Calaf Gregory Kunde
Timur Mika Kares
L’Empereur Altoum Carlo Bossi
Ping Florent Mbia
Pang Maciej Kwaśnikowski
Pong Nicholas Jones
Un Mandarin Guilhem Worms
Il Principe di Persia Hyun-Jong Roh
Due Ancelle Pranvera Lehnert Ciko, Izabella Wnorowska-Pluchart

Direction musicale Marco Armiliato                                    Marco Armiliato
Mise en scène Robert Wilson (2018)
Coproduction Canadian Opera Company de Toronto, Théâtre National de Lituanie, Houston Grand Opera, Teatro Real de Madrid

Diffusion en direct sur Paris Opera Play le 13 novembre 2023

Initialement présentée au Teatro Real de Madrid en décembre 2018, avec Gregory Kunde en Calaf certains soirs, la production de ‘Turandot’ de Robert Wilson est désormais bien ancrée au répertoire de l’Opéra National de Paris, ce qui lui permet, avec cette nouvelle reprise, de replacer l'ultime opéra de Puccini parmi les 35 titres les plus joués ces 50 dernières années sur la scène de l'institution.

Tamara Wilson (Turandot)

Tamara Wilson (Turandot)

Son univers bleu nuit délimité horizontalement et verticalement par des néons d’une blancheur luminescente fortement impressive, la symbolique du cœur cruel de la princesse, lune bleue glacée qui se cache sous sa robe impériale rouge sang, et qui finira par être transpercée à la toute fin, la stylisation des vêtements de tous les personnages, gardes, Prince de Perse, Empereur, cour impériale, et les maquillages des trois ministres, forment un ensemble au pouvoir hypnotique qui fonctionne très bien car l’action est rigoureusement contrôlée. De plus, cela évite les grands mouvements d’agitation inutiles que l’on retrouve dans les mises en scène plus traditionnelles à la Zeffirelli.

Hyun-Jong Roh (Le Prince de Perse)

Hyun-Jong Roh (Le Prince de Perse)

Contrairement à Gustavo Dudamel qui, il y a deux ans, avait poussé très loin l’expressionnisme musical en donnant une dimension presque straussienne à la musique de Puccini, Marco Armiliato revient à une interprétation, certes plus classique, mais avec autant d’éclat et une grande richesse d’ornementation et de raffinement dans les tissures les plus diaphanes possibles.

Il a un sens du spectaculaire et de la progressivité qui soutient solidement les chanteurs, et il surprend par la splendeur des effets théâtraux qu'il arrive à obtenir. 

Adriana González (Liu)

Adriana González (Liu)

Ce grand style n’évacue cependant aucune convention, comme celle d’interrompre le discours musical après les interventions de Liu ou de Calaf au troisième acte, ce qui pose toujours un dilemme, car si l’on sait que pour les artistes ces moments de pause sont importants, ils interrompent aussi un déroulement que des spectateurs estiment inadéquats d’un point de vue dramatique.

Tamara Wilson (Turandot)

Tamara Wilson (Turandot)

Mais comment ne pas applaudir à ces artistes qui placent le niveau interprétatif à un point aussi élevé ?

Après s’être fait connaître à Toulouse dans des opéras verdiens, ‘Il Trovatore’ en 2012, ‘I due Foscari’ en 2014 et ‘Ernani’ en 2017, Tamara Wilson fait enfin ses débuts à l’Opéra national de Paris, et ce qu’elle réalise sur la scène Bastille est sidérant de perfection, tenant ses lignes de chant avec une pureté de cristal, une incisivité sans faille, et une stabilité inébranlable. 

Certes, elle accroît la dimension glaciale de Turandot, mais de petits sourires de-ci de-là humanisent un peu ce portrait inflexible, et l’on reste également très impressionné par sa technique de gradation de l’ampleur vocale d’une parfaite progressivité, perfection qui s’aligne avec le sens du détail et la clarté architecturale de la mise en scène de Robert Wilson.

Gregory Kunde (Calaf) - Fin de l'air 'Nessum Dorma!'

Gregory Kunde (Calaf) - Fin de l'air 'Nessum Dorma!'

Gregory Kunde n’en est pas moins fabuleux, lui qui célébrera ses 70 ans le 24 février prochain.

Pouvant compter sur un timbre qui a du corps et dont il laisse parfois s’échapper des clartés séductrices quand il cherche à faire ressortir une certaine douceur de velours, il dégage une impression de puissance et de grand style qui s’épanouissent à travers un souffle long d’une ampleur irrésistible qu’il soutient avec une autorité bien affermie.

Par ailleurs, la vibration de sa ligne de chant est très agréable à l’écoute, et rien ne semble forcé.

On reste ainsi admiratif du début à la fin par tant d’éloquence, car la beauté de cette longévité, qui ne peut qu’être le fruit d’une grande intelligence de vie, inspire aussi l’auditeur par l’âme qu’elle suggère.

Adriana González (Liu) et Mika Kares (Timur)

Adriana González (Liu) et Mika Kares (Timur)

Et aux côtés de ces deux immenses statures, Adriana González affecte Liu d’une maturité de timbre qui s’appuie sur des noirceurs expressives, une plénitude dans la tessiture aiguë qui vibre avec aisance et file en suraigu pour s’évaporer en fines vibrations dans les airs.

Pour cette sensibilité très maîtrisée dont elle pare son personnage avec beaucoup de présence, le public lui réservera un accueil très chaleureux qu’elle partagera avec Mika Kares, dont la stature impressionnante se double d’une fascinante voix brumeuse qui accentue la tonalité pathétique de Timur.

Nicholas Jones (Pong) et Florent Mbia (Ping)

Nicholas Jones (Pong) et Florent Mbia (Ping)

A nouveau Empereur Altoum d’un art oratoire bien caractérisé, Carlo Bossi semble trouver l’équilibre parfait entre la nécessité de paraître sévère et l’expression d’une subtile affectation quand Turandot l’implore de ne pas la livrer à Calaf.

Et beaucoup d’aplomb émane également de Guilhem Worms qui offre un Mandarin dont la droite noirceur permet de bien faire ressentir l’atmosphère de terreur qui règne à la cour de Turandot.

Guilhem Worms (Un Mandarin)

Guilhem Worms (Un Mandarin)

Et afin de donner une dimension clownesque aux trois ministres, Ping, Pang et Pong, Robert Wilson leur a dessiné de superbes maquillages qui surlignent et modifient leurs regards en leur associant une mobilité chorégraphique qui les fait ressembler à des automates délirants, mais dont la gestuelle est directement inspirée par la mélodie virevoltante de la musique.

Florent Mbia (Ping), Gregory Kunde (Calaf), Maciej Kwaśnikowski (Pang) et Nicholas Jones (Pong)

Florent Mbia (Ping), Gregory Kunde (Calaf), Maciej Kwaśnikowski (Pang) et Nicholas Jones (Pong)

Les trois solistes réunis pour cette série de représentations font partie de la toute nouvelle troupe de l’Opéra de Paris.

Ainsi, Florent Mbia se distingue par la noirceur fumée bienveillante de son chant, Nicholas Jones par la clarté adoucie et un peu crémeuse du timbre de voix, et aussi par sa nette décontraction à dansoter, alors que Maciej Kwaśnikowski se montre d’un brillant plus piqué.

Impertinents, mais moins sarcastiques que dans d’autres interprétations, il se dégage d’eux une poésie amusante assez attachante.

Ching-Lien Wu et les Chœurs de l'Opéra de Paris

Ching-Lien Wu et les Chœurs de l'Opéra de Paris

Les qualités fortement impactantes des chœurs sont en outre bien équilibrées avec l’envergure orchestrale, ce qui contribue à l'excellence qui embrasse la totalité de ce spectacle, dont on sort galvanisé et émerveillé par un tel engagement de la part de tous les artistes.

Faire mieux lors d’une prochaine reprise sera un grand challenge!

Gregory Kunde (Calaf)

Gregory Kunde (Calaf)

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Publié le 6 Mai 2023

La Bohème (Giacomo Puccini - 1896)
Représentation du 02 mai 2023
Opéra Bastille

Mimì Ailyn Pérez
Musetta Slávka Zámečníková
Rodolfo Joshua Guerrero
Marcello Andrzej Filończyk
Schaunard Simone Del Savio
Colline / Benoît Gianluca Buratto
Alcindoro Franck Leguérinel
Parpignol Luca Sannai*
Sergente dei doganari Bernard Arrieta*
Un doganiere Pierpaolo Palloni*
Un venditore ambulante Paolo Bondi*
Le maître de cérémonie Virgile Chorlet (mime)
* Artistes des Chœurs de l’Opéra de Paris

Direction musicale Michele Mariotti    
Mise en scène Claus Guth (2017)

Il est courant à l’opéra qu’une mise en scène qui propose une lecture contemporaine d’une œuvre lyrique composée des décennies, voir des siècles, auparavant rencontre une forte résistance à sa création, puis trouve son chemin et devienne un classique. Ce fut le cas pour le ‘Ring’ dirigé par Patrice Chéreau à Bayreuth en 1976, ou bien, plus récemment, pour ‘Don Giovanni’ et ‘Iphigénie en Tauride’ respectivement mis en scène par Michael Haneke et Krzysztof Warlikowski au Palais Garnier en 2006.

Joshua Guerrero (Rodolfo) et Ailyn Pérez (Mimì)

Joshua Guerrero (Rodolfo) et Ailyn Pérez (Mimì)

C’est donc avec grand intérêt que la première soirée de reprise de ‘La Bohème’ imaginée par Claus Guth en décembre 2017, à l’occasion de laquelle l’orchestre de l’Opéra de Paris et Gustavo Dudamel collaboraient pour la première fois, était attendue afin de voir comment le public allait réagir.

La grande force de cette production est de déplacer le centre émotionnel sur la condition de Rodolfo et ses amis qui vivent leurs dernières heures à bord d’un vaisseau spatial qui dérive dans le vide sidéral, alors que l’oxygène vient à manquer, ce qui est une autre façon de représenter le sort de ces quatre artistes qui n’ont plus de quoi se nourrir.

Mimi devient ainsi une figure du souvenir nostalgique du bonheur terrestre qui survient quand le cerveau se met à fabriquer des images mentales colorées à l’approche du moment où la vie s'en va.

Joshua Guerrero (Rodolfo)

Joshua Guerrero (Rodolfo)

Comparé aux versions traditionnelles qui inlassablement reproduisent une vision cliché du Paris bohème fin XIXe siècle et de l’animation de ses bars qui convoque des dizaines de figurants sur scène, ce puissant spectacle gagne en épure poétique et ne fait intervenir qu’un nombre très limité de participants avec des coloris signifiants : le blanc pour les tenues des astronautes sur le point de perdre la vie, le rouge pour la robe de Mimi et l’élan vital qu’elle représente, le noir pour tous les personnages parisiens issus de l’imagination de Rodolfo.

Joshua Guerrero (Rodolfo) et Ailyn Pérez (Mimì)

Joshua Guerrero (Rodolfo) et Ailyn Pérez (Mimì)

Le troisième acte réussit une parfaite synthèse entre le concept spatial de Claus Guth et la désolation de la barrière d’Enfer sur cette surface lunaire balayée par les chutes de neige, et le quatrième acte brille par l’humour de la scène étincelante de cabaret qui constitue le dernier baroud de folie pour fuir la réalité avant que la mort n’achève d’entraîner Rodolfo après ses amis.

Mimi, cette lueur de vie qui était apparue afin de surmonter pour un temps le désespoir de la situation, et qui dorénavant s’éteint au dernier souffle du poète, disparaît dans le paysage lunaire.

Slávka Zámečníková (Musetta)

Slávka Zámečníková (Musetta)

Ailyn Pérez, jeune interprète américaine du répertoire français et italien fin XIXe siècle régulièrement invitée au New-York Metropolitan Opera depuis 8 ans, inspire dans les deux premiers actes une félicité épanouie dénuée de toute mélancolie. Ce rayonnement s’accompagne d’une clarté et d’un moelleux de timbre d’une très agréable suavité, ce qui donnerait envie de l’entendre prolonger plus longuement ce souffle passionné qu’elle écourte parfois un peu tôt promptement. 

Andrzej Filończyk (Marcello) et Ailyn Pérez (Mimì)

Andrzej Filończyk (Marcello) et Ailyn Pérez (Mimì)

Son compatriote, Joshua Guerrero, qui devait être son partenaire dans la reprise de ‘Manon’ la saison dernière à l’opéra Bastille, avant qu'il ne se retire pour raison de santé, fait des débuts très appréciés sur la scène parisienne grâce à un charme vocal vaillant d’une très belle unité, même dans la tessiture aiguë, et une impulsivité théâtrale ombreuse qui laisse émaner beaucoup de profondeur de la part de Rodolfo. 

Il donne d’ailleurs l’impression de porter en lui une fougue rebelle qui donne un véritable sens au sentiment de rébellion de son personnage.

La Bohème (Pérez Guerrero Zámečníková Mariotti Guth) Opéra de Paris

Les trois autres artistes/astronautes sont vocalement très bien caractérisés et de façons très distinctes, que ce soit Gianluca Buratto, en Colline, qui dispose d’une forte résonance grave bien timbrée, ou bien Simone Del Savio qui insuffle une douce débonnaireté à Schaunard, ainsi que Andrzej Filończyk qui offre à Marcello jeunesse et modernité, mais peu de noirceur. On pourrait presque le sentir en concurrence avec Rodolfo.

Mais quel envoûtement à entendre la Musetta de Slávka Zámečníková! Glamour et plénitude du timbre, pureté du galbe vocal, sensualité et sophistication de la gestuelle corporelle, elle réussit à devenir un point focal d’une très grande intensité lorsqu’elle interprète ‘Quando me’n vo’ au cœur de l’alcôve dorée qu’a conçue Claus Guth, si bien qu’elle donne immédiatement envie de la découvrir dans des rôles de tout premier plan. 

Ailyn Pérez (Mimì)

Ailyn Pérez (Mimì)

Tous les autres rôles associés, dont quatre sont confiés à des artistes du chœur de l’Opéra de Paris, s’insèrent naturellement à la vitalité scénique, et Michele Mariotti, fervent défenseur d’une lecture à la théâtralité bien marquée, infuse l’amplitude orchestrale à l’action scénique de manière très harmonieuse avec des timbres orchestraux efficacement déployés.

Claus Guth, Michele Mariotti et Ailyn Pérez

Claus Guth, Michele Mariotti et Ailyn Pérez

Et l’un des grands plaisirs est d’avoir redécouvert comment cette version, qui dépouille le drame de toute agitation excessive, recrée un lien très intime entre l’auditeur et la musique de Puccini, d'autant plus que ce retour à la sincérité et à la simplicité se double d’une énergie extrêmement positive renvoyée toute la soirée par les spectateurs présents dans la salle, du moins dans l’entourage proche.

Car dorénavant délivré du public trop traditionnel, bruyant lors des premières et souvent ennuyeux par ses commentaires prévisibles, l’opéra Bastille semble accueillir des personnes plus jeunes et moins formatées qui manifestent beaucoup de joie à cette lecture qui les surprend souvent, ce qui permet de profiter de la soirée avec une fraîcheur tout à fait inattendue.

Et la plus belle surprise est de constater que Claus Guth, revenu pour cette reprise, reçoit au rideau final de chaleureux applaudissements, que les pourvoyeurs de huées se sont évanouis, que les mécontents se retirent en silence, ce qui confirme que ce type de proposition est clairement justifié et conforté.

 

Pour aller plus loin : Présentation de la nouvelle production de La Bohème par Claus Guth pour l'Opéra Bastille

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Publié le 4 Septembre 2022

Tosca (Giacomo Puccini – 1900)
Répétition générale du 31 août 2022 et représentation du 03 septembre 2022
Opéra Bastille

Floria Tosca Saioa Hernández
Mario Cavaradossi Joseph Calleja
Il Barone Scarpia Bryn Terfel
Cesare Angelotti Sava Vemić
Spoletta Michael Colvin
Il Sagrestano Renato Girolami
Sciarrone Philippe Rouillon
Un carceriere Christian Rodrigue Moungoungou

Direction musicale Gustavo Dudamel
Mise en scène Pierre Audi (2014)

Pour la première fois depuis le début de l’ère Rolf Liebermann en 1973, les cinq titres les plus joués de l’Opéra de Paris (plus de 200 fois chacun depuis les 50 dernières années) vont être repris au cours de la même saison.

Ainsi, avant de retrouver ‘La Flûte enchantée’, ‘Carmen’, ‘Les Noces de Figaro’ et ‘La Bohème’, ‘Tosca’ fait l’ouverture de la saison 2022/2023 selon la vision de Pierre Audi bien connue depuis 2014, dont l’originalité principale réside dans la représentation du basculement soudain de Tosca dans un autre monde lors de son suicide final.

Saioa Hernández (Tosca) et Joseph Calleja (Cavaradossi)

Saioa Hernández (Tosca) et Joseph Calleja (Cavaradossi)

Et après ‘La Bohème’ en 2017 et ‘Turandot’ en 2021, Gustavo Dudamel aborde son troisième opéra de Puccini sur la scène Bastille où, dès les premières notes, le ton est donné : une théâtralité implacable, une opulence sonore généreuse et une cohésion instrumentale accomplie qui créent une tension d’une grande efficacité. 

A la fluidité cristalline qui se dégage du mélange souple et savant des ombres des cordes et de la lumière des bois, se combine un élan sans état d’âme d’une incomparable rigueur dont l’esprit est moins d’enrober l’auditeur par un mélo-dramatisme chaleureux que de magnifier les nuances d’une musique tout en l’engageant sur une ligne dramatique d’une intense tonicité.

Les timbres des cuivres, par exemple, prennent ainsi, au second acte, d’inhabituelles teintes acérées menaçantes, des pulsations subliminales émergent également de toute part, ce qui montre à quel point la musique du compositeur toscan peut devenir un splendide objet vivant minutieusement ciselé à l’or fin. 

Bryn Terfel (Scarpia)

Bryn Terfel (Scarpia)

Une seule réserve toutefois, cette conception d’ensemble entretient des moments d’une très forte densité mais ne libère pas suffisamment l’onirisme de la scène d’ouverture du dernier acte où l’on pourrait s’attendre à un envahissement et une plénitude sonore envoûtants, d’autant plus que les lumières restent assez prosaïques au lever du soleil sur le champ de bataille qui est représenté sur scène.

Joseph Calleja (Cavaradossi) et Christian Rodrigue Moungoungou (Le geôlier)

Joseph Calleja (Cavaradossi) et Christian Rodrigue Moungoungou (Le geôlier)

La distribution réunie ce soir signe les débuts sur la scène de l’Opéra Bastille de Saioa Hernández, soprano bien connue des scènes allemandes, italiennes et espagnoles. Il s’agit d’une Tosca très fière au galbe vocal souple et d’une solide unité de timbre dont elle obtient de soyeuses vibrations dans les longs aigus projetés, mais également des fulgurances toujours très bien canalisées dans une tonalité plus fauve et austère. Son 'Vissi d'Arte' est un modèle d'expression épuré dont le public reconnaitra sans retenue la valeur artistique.

Elle dote ainsi son personnage d’une esthétique néoclassique qui s’allie plutôt bien à la rigueur d’ensemble tenue par Gustavo Dudamel.

Saioa Hernández (Tosca)

Saioa Hernández (Tosca)

Loin d’être un Mario Cavaradossi exubérant au sang révolutionnaire bouillonnant, Joseph Calleja incarne beaucoup plus une forme de force tranquille et bienveillante qui ne néglige pas pour autant la relation affective à sa cantatrice préférée. Le charme crépusculaire de sa voix ample évoque un rayonnement sombre, mais aussi un certain renoncement qui ne fait que rendre la tâche de Scarpia plus facile. Le point culminant de la soirée est bien entendu ‘E Lucevan le stelle’ chanté avec une magnifique retenue au point que l’engouement qu’il engendre dans la salle oblige le chef d’orchestre à interrompre brièvement le fil musical couvert par les applaudissements, alors que selon sa vision il serait préférable de maintenir l’enchaînement dramatique. 

Cela traduit une des lignes de tension qui parcoure cette soirée prise entre la volonté théâtrale de Gustavo Dudamel et l’attente spontanée et chaleureusement latine d’une partie de l’audience.

Joseph Calleja, Saioa Hernández et Bryn Terfel (répétition générale)

Joseph Calleja, Saioa Hernández et Bryn Terfel (répétition générale)

Quant à Bryn Terfel, lui qui fut déjà Scarpia en 2016 sur cette même scène, son impact vocal paraît sensiblement atténué, ou en tout cas plus irrégulier, mais il compense cela par sa connaissance fine du caractère qu’il rend compte de manière très vivante au moyen d’un langage corporel très clair et direct. 

Tous les rôles secondaires sont très bien tenus, en premier lieu le noble Angelotti de Sava Vemić dont la peinture vocale semble inspirée des grands tableaux de Moussorgsky, le Sacristain sévère de Renato Girolami, ou bien le Spoletta ferme et présent de Michael Colvin.

Enfin, le chœur est d’une vigueur éclatante au premier acte, y compris celui des enfants, en parfaite cohésion avec la plastique orchestrale.

Joseph Calleja, Gustavo Dudamel et Saioa Hernández (ouverture de saison)

Joseph Calleja, Gustavo Dudamel et Saioa Hernández (ouverture de saison)

Mais cette ouverture de saison comportait un évènement inattendu en la venue du couple présidentiel, Brigitte et Emmanuel Macron, accompagné par le directeur, Alexander Neef, et la ministre de la culture, Rima Abdul Malak, qui a pu prendre plaisir à la plénitude orchestrale déployée par Gustavo Dudamel devant une salle pleine, pas toujours disciplinée, ce qui n’a rendu que plus de valeur à l’expérience théâtrale de ce soir. Un moment qui compte, d'autant plus qu'à l'issue de la représentation, Emmanuel Macron a remis les insignes d'officier des arts et des lettres au directeur musical !

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Publié le 5 Décembre 2021

Turandot (Giacomo Puccini - 1926)
Pré-générale du 29 novembre et représentations du 04 et 19 décembre 2021
Opéra Bastille

Turandot Elena Pankratova
Liu Guanqun Yu
Calaf Gwyn Hughes Jones
Timur Vitalij Kowaljow
L’Empereur Altoum Carlo Bossi
Ping Alessio Arduini
Pang Jinxu Xiahou
Pong Matthew Newlin
Un Mandarin Bogdan Talos

Direction musicale Gustavo Dudamel
Mise en scène Robert Wilson (2018)

Coproduction Canadian Opera Company de Toronto, Théâtre National de Lituanie, Houston Grand Opera, Teatro Real de Madrid

Dernier opéra de Giacomo Puccini, Turandot connut 36 représentations à l’opéra Bastille entre le 22 septembre 1997 et le 30 décembre 2002, puis disparut durablement pendant près de 20 ans.

L’œuvre est un pilier du répertoire des plusieurs grandes institutions internationales, le MET de New-York, le Royal Opera House Covent-Garden de Londres, La Scala de Milan, où elle fait partie des 10 titres les plus joués au point d’être considérée comme un symbole de l’opéra traditionnel pour grandes stars, tout en constituant une transition vers la musique du XXe siècle.

Turandot (Pankratova - Yu - Jones - Kowaljow - Dudamel - Wilson) Opéra de Paris

Avec la reprise de la production que Robert Wilson présenta au Teatro Real de Madrid en décembre 2018, puis à Vilnius et à la Canadian Opera Company de Toronto en 2019, Turandot revient au répertoire de l’Opéra de Paris parmi les 50 ouvrages les plus représentés depuis l’ère Liebermann, et trouve sur la scène Bastille un vaste espace et une qualité de profondeur des effets lumineux, un élément si important du travail du metteur en scène américain, qui renforcent la beauté de l’alliage de la scénographie aux lumières de l’orchestre.

Bogdan Talos (Un Mandarin)

Bogdan Talos (Un Mandarin)

Très peu d’éléments de décors interviennent, sinon quelques panneaux coulissants sombres en ouverture pour imager les remparts de la cité et le tumulte intérieur et extérieur de la foule, quelques arbres stylisés un peu plus loin, et un promontoire où apparaît Turandot sous un éclairage intensifiant les teintes rougeoyantes de son costume au moment du sacrifice d’un de ses prétendants. Tout est dans la valeur impressive de l’univers visuel bleu, de ses changements de contrastes, du sentiment de lire dans une forme lumineuse centrale qui s’élargit ou s’atténue les contractions du cœur des protagonistes. La vidéo est utilisée au second acte pour faire disparaître l’horizon et resserrer l’ambiance sur la toile venimeuse qui risque de s’abattre sur Calaf s’il ne résout pas les énigmes.

Guanqun Yu (Liu) et Vitalij Kowaljow (Timur)

Guanqun Yu (Liu) et Vitalij Kowaljow (Timur)

Il y a une beauté glacée magnifique dans ce spectacle qui s’appuie sur des postures statiques et qui expriment en même temps une grande force. Robert Wilson montre ainsi comment on peut transmettre de l’énergie par des poses expressives très bien calculées. A cela s’ajoutent des costumes noir et blanc aux coupes saillantes – les gardes accompagnant le prince condamné profilés par leurs arcs sont absolument splendides -, des maquillages élaborés, et le refus de tout orientalisme surchargé de mauvais goût comme dans les productions inutilement lourdes du MET ou des Arènes de Vérone. 

Hyun-Jong Roh (Le Prince de Perse)

Hyun-Jong Roh (Le Prince de Perse)

Par ailleurs, tout mélo-dramatisme larmoyant facile est évité, et la dignité de l’ensemble des personnages, principaux ou secondaires, est ainsi magnifiée.

Une véritable mise en valeur de la musique de Puccini s’opère d’emblée, et la rencontre avec la direction de Gustavo Dudamel est fascinante à entendre. Le nouveau directeur musical de l’Opéra de Paris crée une tension inflexible striée d’un tranchant incisif qui ne cherche pas à amortir doucereusement le caractère minéral de la partition, et en même temps dépeint des étendues irrésistiblement célestes avec un déploiement d’illuminations intenses qui évoquent un infini inaccessible (à l'image de ce trait de flûte sidéral qu'il fait entendre si mystérieusement).

Il nous fait ainsi voyager dans un univers sonore qui tisse par moment des liens avec les grandes orchestrations de Richard Strauss (impossible de ne pas songer à la La femme sans ombre) ou de Richard Wagner et son Ring

Elena Pankratova (Turandot)

Elena Pankratova (Turandot)

Ce travail sur l’exacerbation du métal des cordes, la dynamique serrée des percussions et la fusion des timbres d’où émane une grande clarté avec une précision d’orfèvre, pousse très loin un travail esthétisant doué d’une implacable subtilité dans le geste théâtral. Et la modernité de cette lecture réserve aussi des images tellement fortes par la célérité des défilements de couleurs que l’on pourrait se croire porté dans un film d’anticipation.

La variété des ensembles de chœurs est un autre élément important de l’ouvrage, et cette production fait vivre des résonances très différentes, chœur d’enfants invisible qui s’exprime de manière feutrée en marge de la scène, chœur adulte impactant en ligne frontale, chœur relégué en coulisse pour créer un effet spatialisant éthéré et diffus, tout en respectant l’équilibre avec le tissu orchestral.

Alessio Arduini (Ping), Jinxu Xiahou (Pang), Matthew Newlin (Pong) et Gwyn Hughes Jones (Calaf)

Alessio Arduini (Ping), Jinxu Xiahou (Pang), Matthew Newlin (Pong) et Gwyn Hughes Jones (Calaf)

Pour interpréter ce drame, les solistes réunis forment des portraits incarnés qui servent une histoire très bien racontée car elle montre intérieurement ce qui se produit entre eux.

Gwyn Hughes Jones n’est pas un inconnu à l’opéra Bastille, car il y interprétait en mai 1997 le rôle d’Ismaël dans Nabucco, un autre grand standard italien absent de cette scène depuis 20 ans.

Il n’a pas du tout la massivité d’un Eyvazov, Berti ou Alvarez, mais il a une excellente tenue de souffle, une projection très focalisée, un timbre coloré dans le médium mais qui s’affine sensiblement dans les aigus, qui dépeignent un Calaf anti-héros, humble, humain et serein à la fois, qui vient résoudre avec son intelligence les énigmes de Turandot. Et une fois ces épreuves résolues et un « Nessun dorma » chanté très naturellement, il peut alors se retirer en ayant fendu l’armure de la princesse que symbolise cette incision de lumière dans un ciel rouge sang, de cœur et de violence, à la toute fin.

L’histoire racontée ainsi s’achève sur l’image d’une Turandot vaincue de l’intérieur et pétrifiée.

Guanqun Yu (Liu)

Guanqun Yu (Liu)

Elena Pankratova, une habituée des scènes berlinoise, munichoise et de Bayreuth, fait enfin ses débuts à l’Opéra de Paris. Parfaitement de glace, les traits de sa Turandot sévère ont des qualités de souplesse et des couleurs de crème plutôt claires, et si certains aigus peuvent tressaillir, d’autres se libèrent avec éclat. Le portrait reste tout de même assez anguleux mais bien vaillant.

Comme très souvent, c’est le personnage attachant de Liu qui emporte les cœurs, et Guanqun Yu lui offre un chant d’un très beau rayonnement, soutenu avec une finesse extrême, parfaitement à l’aise avec la gestuelle de Robert Wilson.

Une joie évidente émane de son visage ce qui change des Liu trop affligées, ce qui sera parfaitement reconnu au rideau final, de la même manière que l’humaine stature et l’harmonie solide et autoritaire de Vitalij Kowaljow valent à Timur et son allure mortifère une dimension d’une impressionnante profondeur.

Gustavo Dudamel, Gwyn Hughes Jones, Guanqun Yu et Vitalij Kowaljow

Gustavo Dudamel, Gwyn Hughes Jones, Guanqun Yu et Vitalij Kowaljow

Le Mandarin de Bogdan Talos ne manque pas, lui aussi, de noblesse et de droiture, et Carlo Bossi a toujours le don de donner beaucoup d’impact impartial à ses incarnations, et à l’empereur en particulier ce soir.

Enfin, le trio Ping, Pang et Pong a été révisé par rapport aux représentations de Madrid, car leurs costumes exotiques ont été troqués avec des complets sombres qui les transforment en croque-morts fervents adeptes de l’humour noir. Alessio Arduini, Jinxu Xiahou, Matthew Newlin se sortent remarquablement bien du jeu loufoque et bondissant que leur imposent nombre de dodelinements comiques, le premier ayant un volume vocal un peu plus confidentiel mais un timbre fumé très agréable, le second se révélant le plus percutant, et le troisième doué de la meilleure agilité physique.

Elena Pankratova, Robert Wilson et Ching-Lien Wu

Elena Pankratova, Robert Wilson et Ching-Lien Wu

A peine les lumières finales éteintes, une clameur suivie d’une standing ovation au parterre s’élève, ce qui traduit la force de la prégnance musicale et visuelle de ce spectacle, d'un niveau très supérieur aux productions kitsch toujours en vigueur à travers le monde, qui repose sur un socle orchestral et scénique fort, auxquelles les voix lyriques apportent une crédibilité dramaturgique attachante.

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Publié le 5 Juin 2021

Tosca (Giacomo Puccini – 1900)
Représentation du 04 juin 2021
Opéra Bastille

Floria Tosca Maria Agresta
Mario Cavaradossi Michael Fabiano
Il Barone Scarpia Ludovic Tézier
Cesare Angelotti Guilhem Worms
Spoletta Carlo Bosi
Sciarrone Philippe Rouillon
Un Carceriere Florent Mbia

Direction musicale Carlo Montanaro
Mise en scène Pierre Audi (2014)

                                Maria Agresta (Tosca)

 

Vendredi 04 juin 2021, à 16h15, avait lieu la réouverture de la grande scène Bastille au public après 450 jours de fermeture, et Alexander Neef est apparu face à l’enthousiasme chaleureux des spectateurs pour présenter formellement ce jour si signifiant pour la vie de l’institution. Moins d’un tiers des places étaient occupées du fait des contraintes sanitaires, mais cela n’a pas empêché qu’une partie du public soit relativement jeune.

Entré au répertoire de l’Opéra de Paris le 10 juin 1960, Tosca fait dorénavant partie des cinq ouvrages lyriques les plus joués de la maison, et, ce soir, en est à sa 340e représentation et à sa troisième reprise dans la mise en scène de Pierre Audi.

Michael Fabiano (Mario) et Maria Agresta (Tosca)

Michael Fabiano (Mario) et Maria Agresta (Tosca)

Dans la première partie, la direction orchestrale de Carlo Montanaro maintient une grande clarté et accompagne les respirations et sentiments des artistes par des déploiements forts poétiques et nuancés des instruments en solo, ce qui est toujours remarquable pour un auditeur qui a si souvent entendu cette musique.

Néanmoins, la théâtralité semble volontairement bridée, les percussions étant utilisées de façon assez discrète, et le son ne recèle aucune noirceur.

Michael Fabiano campe un Mario d’une grande authenticité avec un jeu qui est toujours tourné vers ses partenaires, et son timbre de voix, solide et puissant, est traversé d’une petite vibration qui imprègne son personnage d’une fragilité humaine.

Quand Tosca le rejoint dans l’église, c’est une femme légère, plus joueuse qu’inquiète, qui se présente à lui sous les traits de Maria Agresta, et la soprano napolitaine l’incarne avec des couleurs en phase avec l’orchestre, c’est à dire claires avec des inflexions typiques de la chanteuse qui semble traduire les accents de sa région d’origine.

Ludovic Tézier (Scarpia)

Ludovic Tézier (Scarpia)

L’arrivée que l’on pourrait qualifier de « majestueuse » de Ludovic Tézier fait alors entrer en scène un Scarpia d’une très grande résonance, stylisé, se gardant de toute expression vériste pour se centrer sur un portrait sévère mais pas sordide, comme pour tenter de faire passer un charme malgré la nature du chef de la police. La voix est d’une belle ampleur, d’une totale homogénéité qui se déploie au second acte alors que la direction musicale modère toujours la violence de son discours.

Jusqu’à ce que ne survienne le grand air tant attendu « Vissi d’arte ! ». A ce moment là, se passe quelque chose d’inouï. L’orchestre se diffuse dans l’espace, se pare d’un tissu d’une finesse immatérielle, et Maria Agresta maîtrise cet élan du cœur avec une douceur, une intériorité et une unité dans la voix merveilleuses, et lie parfaitement les passages forte et leurs retours aux nuances toute en retenue de façon saisissante.

Maria Agresta (Tosca) et Ludovic Tézier (Scarpia)

Maria Agresta (Tosca) et Ludovic Tézier (Scarpia)

Le sens musical que révèle également Carlo Montanaro suggère que la suite dans le dernier acte sera une magnifique peinture orchestrale, ce qui se confirme lors de l’ouverture pastorale qui décrit la fin de la nuit sur la campagne romaine. Le son est à nouveau coloré d’immatérialité, avec toujours une retenue dans les effets de volumes qui privilégie les teintes boisées aux effets métalliques, le jeune berger est à la fois poétique et assuré, et Michael Fabiano joue son personnage avec un réalisme dans le moindre détail qui le rend profondément touchant.

Après un « E Lucevan le stelle » où il joue d’une extrême nuance pour ensuite dégager une puissance animale à partir d’une couleur de voix plutôt sombre et franche, le duo qui le réunit à Maria Agresta se dépouille de tout l’artifice de la première partie à l’église qui était un jeu entre protagonistes, et il ne s’agit plus que de tendresse, d’attention, de communion de chant comme de timbre, et cette attention réciproque est si crédible qu’elle en rend tout cette dernière partie confondante.

Michael Fabiano (Mario) et Maria Agresta (Tosca)

Michael Fabiano (Mario) et Maria Agresta (Tosca)

L’effet de ce rideau noir qui tombe après l'élan crânement vaillant de Maria Agresta, pour révéler les ténèbres éclairées par un soleil d’argent au moment où Tosca se donne la mort, conserve toute sa force expressive.

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Publié le 15 Mars 2020

Tosca (Giacomo Puccini – 1900)
Représentation du 08 mars 2020
Opéra de Rouen Normandie

Floria Tosca Latonia Moore
Mario Cavaradossi Andrea Carè
Le Baron Scarpia Kostas Smoriginas
Cesare Angelotti Jean-Fernand Setti
Spoletta Camille Tresmontant
Sciarrone Antoine Foulon
Le sacristain Laurent Kubla

Direction musicale Eivind Gullberg-Jensen
Mise en scène et scénographie David Bobée

Chœur accentus / Opéra de Rouen Normandie                             Latonia Moore (Tosca)
Orchestre de l’Opéra de Rouen Normandie / Orchestre Régional de Normandie
Coproduction Opéra de Rouen Normandie, Théâtre de Caen, Opéra de Dijon

Au vu de la difficulté à obtenir plusieurs mois à l’avance ne serait-ce une place pour assister à la nouvelle production de Tosca, jouée pour cinq soirs à l’Opéra de Rouen Normandie, on savait que l’attente et l’ébullition seraient à leur comble au cours de la dernière heure qui précédait le début de la représentation.

Certes, Tosca fait partie des cinq opéras les plus représentés dans le monde de par la puissance de sa musique, mais aussi de par la charge théâtrale inhérente à une partition qui atteint son paroxysme au moment de la grande scène de confrontation entre la cantatrice et le chef de la police de Rome. Et le fait que ce soit un enfant du pays qui dirige la mise en scène renforce naturellement le pouvoir d’attraction de ce spectacle, que l’on n’imaginait pas exempt de toute radicalité.

Latonia Moore (Tosca)

Latonia Moore (Tosca)

David Bobée est surtout connu à travers l’univers du théâtre qu’il investit depuis vingt ans, et pour les liens qu’il a su nouer avec le théâtre russe qui ont donné naissance à des spectacles forts tel  Hamlet mis en scène au Théâtre des Gémeaux en 2014 avec des acteurs survoltés par leur énergie à fleur de peau, tous issus du Studio 7 du Théâtre d’Art de Moscou dirigé par Kirill Serebrennikov.

Ce sentiment de révolte prégnant avec lequel il aime jouer se projette d’emblée dans cette nouvelle Tosca où, au milieu d'un décor de ruelles antiques recouvertes d'arches en briques si évocatrices du charme de nombre de villes italiennes, le personnage de Mario apparaît comme un artiste de rue dont la peinture ne recherche pas la beauté esthétique à tout prix, mais plutôt à donner un sens abstrait à la façon dont il représente les visages féminins.

Le fait de s'écarter d’une forme de scénographie purement décorative interroge donc le spectateur tout en le distanciant de la relation affective entre Tosca et Mario. Tosca devient ainsi l’œil par lequel le spectateur étudie les tableaux représentés sur scène. Que peuvent signifier ces ombres peintes sur tel ou tel visage ? A qui appartient ce visage dont seuls les yeux mystérieux percent sous un voile noir ?

Kostas Smoriginas (Scarpia)

Kostas Smoriginas (Scarpia)

La seconde partie se déroule dans le bunker de Scarpia aux murs gris déprimant, sans âme et dénués de toutes couleurs, où les mouvements extérieurs perceptibles à travers une fenêtre étroite et allongée laissent à l’auditeur le soin d’imaginer ce qu’il peut s’y passer. Une guerre est en cours, l’arrivée probable d’un autre dictateur qui bombarde la ville, et tout ce tableau montre les forces que le tortionnaire actuel arrive à réunir pour contraindre Tosca.

Le fait de voir deux femmes parmi ses sbires ajoute au trouble de la scène. Le traitement du portrait du chef de la police de Rome est sans concession ni ambiguïté, ni la moindre sympathie, et une telle dureté minérale et monolithique accroît le sentiment de malaise.

Marin Guyot-Fima (Le Berger)

Marin Guyot-Fima (Le Berger)

La dernière partie fait alors énormément penser à la séquence du film de Roberto Rossellini « Allemagne, année zéro », qui avait été utilisée par Krzysztof Warlikowski dans son Parsifal (2008) pour décrire le désarroi d’une jeunesse dont tout espoir est anéanti (la séquence avec le suicide du jeune Edmund au dessus des ruines de Berlin). Afin de montrer cette rupture, David Bobee fait s’écrouler le décor au lever de rideau, et des lumières crépusculaires surgit un enfant, le berger, déambulant au milieu des pierres. Les retrouvailles entre Tosca et Mario se déroulent dans ce même décor, mais là aussi la puissance illustrative de la scénographie, et des pensées qu’elle suscite, détache le spectateur du drame individuel, jusqu’à l’assassinat du peintre et la disparition fort spectaculaire de Tosca dans un adieu vidéographique symbolique saillant.

Latonia Moore (Tosca)

Latonia Moore (Tosca)

Cette façon de construire et de suggérer un monde que l’Europe a déjà connu au siècle passé porte en soi quelque chose d’étouffant et de fortement présent, sensation qui est amplifiée par le choix interprétatif d'Eivind Gullberg-Jensen.

Le chef d’orchestre norvégien privilégie en effet une énergie sombre, une épaisseur de trait violente mais suffisamment lissée pour donner une théâtralité lyrique qui évite tout laisser-aller contemplatif. Les sonorités des vents ont beaucoup de rondeur et se détachent très facilement de la nappe orchestrale, les cuivres sonnent avec éclat et effets de jaillissement, mais c’est toujours la dimension de l’interprétation ancrée dans le réel qui est mise en avant.

Andrea Carè (Mario)

Andrea Carè (Mario)

Les chanteurs principaux sont également totalement engagés dans cette vision qui autorise une forme de vérisme par l’approche artistique, dimension présente chez Puccini, mais qui est sans doute outrée pour renforcer la violence intérieure que vit chez chaque protagoniste.

Latonia Moore, qui vient de chanter le rôle de Serena au New York Metropolitan Opera dans Porgy & Bess, possède des moyens vocaux presque trop puissants pour la salle, et un tempérament franc qui évite tout effet affriolant.  Les colorations de son timbre généreux et expressif puisent dans le dramatisme verdien, et le nuancement des lignes mélodiques est agréablement soigné, avec toutefois des relâchements un peu trop perceptibles en fin de souffle. Et à l’instar de ses partenaires masculins, le jeu théâtral manque de stylisation, et se réalise beaucoup plus dans la posture que dans l’incarnation continue du vécu intérieur de Tosca.

Kostas Smoriginas (Scarpia)

Kostas Smoriginas (Scarpia)

Andrea Carè, en Mario Cavaradossi, a surtout à jouer dans le premier acte, est plus victime dans le second, et est limité à un jeu abattu dans le dernier. Et lui aussi, avec un port vocal ombré et viril, affirme la jeunesse et la solidité de l’âme d’artiste qu’il anime. L’énergie sincère et la détresse personnelle sont les deux grandes émotions qu’il restitue le mieux, et c’est naturellement dans son grand air solitaire ‘E lucevan le stelle’ que l’on sent que toute sa personnalité se centre intégralement.

L’Orchestre de l’Opéra de Rouen Normandie et l’Orchestre Régional de Normandie

L’Orchestre de l’Opéra de Rouen Normandie et l’Orchestre Régional de Normandie

Entre eux deux, Kostas Smoriginas dessine un Scarpia fort jeune, froid et confiant, au chant d’une texture ferme et très homogène, mais son rapport à Tosca n’est dominant que grâce à sa propre garde rapprochée. Là aussi, le réalisme de la direction d’acteur, qui le représente sous les traits d'un dirigeant fasciste non dénué d’élégance, est trop sommaire pour saisir totalement la tension qui lie les trois principales personnalités dans l’espace clos du second acte.

L’empreinte de ce spectacle, perfectible dans son jusqu’au-boutisme, repose donc sur sa manière de dépasser largement le conflit personnel pour en faire un moteur émotionnel pris dans une trame politique qui mélange des références du XXième siècle et des craintes sur les nouveaux régimes autoritaires émergeant à l’est de l’Europe. C’est aussi un bel exemple de fusion entre forces artistiques régionales qui ont su convoquer l’Orchestre de l’Opéra de Rouen Normandie, l’Orchestre Régional de Normandie et le Chœur accentus, pour ne former qu'un seul corps d'ensemble.

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Publié le 28 Janvier 2020

La Bohème (Giacomo Puccini - 1896)
Représentation du 21 janvier 2020

Metropolitan Opera de New-York

Mimì Maria Agresta
Musetta Susanna Phillips
Rodolfo Roberto Alagna
Marcello Artur Ruciński
Schaunard Elliot Madore
Colline Christian Van Horn
Alcindoro Donald Maxwell
Parpignol Gregory Warren
Sergente dei doganari Joseph Turi

Direction musicale Marco Armiliato
Mise en scène Franco Zeffirelli (1981)

                                                                                   Susanna Phillips (Musetta)

Avec 1343 représentations de La Bohème depuis l'ouverture du MET en 1883, et 521 représentations dans la mise en scène de Franco Zeffirelli, c'est à New-York que l'opéra le plus populaire de Puccini est le plus joué au monde et touche le plus grand nombre de spectateurs.

Maria Agresta (Mimi) et Roberto Alagna (Rodolfo)

Maria Agresta (Mimi) et Roberto Alagna (Rodolfo)

Cette production renvoie à de vieilles images de cartes postales de la vie parisienne, une mansarde dépliée sur les toits abîmés de la ville, une immense place sur plusieurs niveaux située sur l’un des flancs de Montmartre, avec ses enseignes à l’ancienne et sa foule de badauds qui se promènent lentement en se bousculant sans trop savoir ce qu’ils cherchent, une petite allée bordée d’arbres, peut-être près d’un cimetière, s’attriste sous les couches de neige, et l’effet artificiel prend le dessus sur le sentiment de réalité.

On se rend compte alors des mérites de l'ancienne scénographie de Jonathan Miller, à Bastille, qui, certes, renvoyait à un cadre un peu plus récent, mais n’en rajoutait pas autant en termes de clichés. Le deuxième acte, par exemple, pourrait encore servir à illustrer une scène de vie actuelle à Saint-Germain.

Visages d'enfants autour de Parpignol

Visages d'enfants autour de Parpignol

A New-York, le spectacle verse complaisamment dans l’outrance des jeux d’opérettes, notamment au second acte, totalement soutenue par les rires amusés de la salle, et il devient presque obligé que le personnage de Musette atteigne le paroxysme de la fantaisie.

Dans ce rôle, Susanna Phillips se livre sans retenue à un grand numéro de comédie qui plaît à nombre de cœurs aussi bien jeunes que plus âgés, une virtuosité indéniable dont le timbre un brin perçant ne nourrit cependant pas assez la rondeur et la sensualité que devrait inspirer son être libre et séducteur.

Maria Agresta (Mimi) et Roberto Alagna (Rodolfo)

Maria Agresta (Mimi) et Roberto Alagna (Rodolfo)

On aurait imaginé Roberto Alagna trop âgé pour incarner l’humanité sensible et amoureuse de Rodolfo, pourtant, que d’âme et de poésie dans son chant aux teintes brunes, superbe texture d’écorce, qui inspire le sentiment de maturité. Il en prend même une allure un peu trop sérieuse.

Il faut dire qu’il a pour partenaire Maria Agresta, magnifique interprète puccinienne qui ennoblit considérablement la jeune voisine, Mimi, et en fait une femme plus tragique que naïve, avec une sensibilité à fleur de peau à la belle voix veloutée qui donne des frissons, ponctuée parfois de petites inflexions spontanées et subitement claires, comme de légères pulsions de vie intempestives.

Maria Agresta (Mimi) et Roberto Alagna (Rodolfo)

Maria Agresta (Mimi) et Roberto Alagna (Rodolfo)

Quant à Artur Ruciński, il interprète le Marcello qu’on lui connaît bien, un tantinet dandy mais qui se lâche irrésistiblement au dernier acte en compagnie du Schaunard d’Elliot Madore, voix de baryton ferme et homogène galvanisée par la gaîté venue distraire pour un temps du déclin final de Mimi.

Artur Ruciński (Marcello)

Artur Ruciński (Marcello)

La direction de Marco Armiliato s’équilibre ainsi très bien avec le jeu de scène et les chanteurs, fait toujours raisonner soigneusement les motifs les plus charmants, préserve une constante douceur intime, mais ne soulève pas de grande emphase pour autant.

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