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Publié le 14 Septembre 2024

Madame Butterfly (Giacomo Puccini – 17 février 1904, Milan)
Répétition générale du 11 septembre et représentations du 17 septembre et 01 octobre 2024
Opéra Bastille

Cio-Cio-San Eleonora Buratto
Suzuki Aude Extrémo
B.F. Pinkerton Stefan Pop
Sharpless Christopher Maltman
Goro Carlo Bosi
Il Principe Yamadori Andres Cascante
Lo Zio bonzo Vartan Gabrielian
Kate Pinkerton Sofia Anisimova
Yakuside Young-Woo  Kim
Il Commissario Imperiale Bernard Arrieta
L'Ufficiale del registro Hyunsik Zee
La Madre di Cio-Cio-San Marianne Chandeliern
La Zia Liliana Faraon
La Cugina Stéphanie Loris

Direction musicale Speranza Scappucci
Mise en scène Robert Wilson (1993)

Retransmission en direct sur France TV le 01 octobre 2024 à 19h30, et ultérieurement sur une chaîne de France Télévisions et sur Paris Opera Play, la plateforme de l’Opéra national de Paris

Le 11 juin 1971, le Théâtre de la Musique, devenu aujourd’hui La Gaité Lyrique, accueillit un spectacle parti en tournée depuis l’Iowa et New-York, ‘Deafman Glance’, une histoire mise en scène par un réalisateur trentenaire, Robert Wilson, inspirée par son amitié avec un enfant sourd qu’il avait adopté.

Dans la salle, Pierre Bergé était l’un des spectateurs, et lorsqu’il devint le directeur de l’Opéra national de Paris à la fin des années 80, il devint à ce moment là le principal soutien de la fondation de Robert Wilson, The Watermill Center.

Il lui proposa de mettre en scène ‘Madame Butterfly’ à l’opéra Bastille, spectacle qui vit le jour le 19 novembre 1993 et qui est dorénavant la production la plus ancienne de l’institution avec 31 ans d’existence.

Eleonora Buratto (Cio-Cio-San)

Eleonora Buratto (Cio-Cio-San)

Son intemporalité ne cesse d’émouvoir par la justesse avec laquelle les gestes et les variations de postures sont totalement liés à la dramaturgie de la musique, par la géométrie simple et précise des espaces au sol qui délimitent le plancher en bois de la maison de Butterfly – espace relié à un chemin sinueux en galets noirs savamment éclairé, ainsi qu’au ponton du port légèrement surélevé -, et par les nuances des lumières bleu éclipse qui évoluent en fond de scène pour traduire les états d’âme en jeu.

Ces états d’âme peuvent aussi bien être la colère de l’oncle Bonze qui embrase le ciel d’une tonalité rouge orangée laissant transparaître le symbole solaire du Japon, que la joie à la vue de l’enfant qui illumine toute la scène, ou bien des tonalités plus froides, virant au vert, quand Butterfly perd tout espoir et se tourne vers la mort.

Eleonora Buratto (Cio-Cio-San) et Stefan Pop (B.F. Pinkerton)

Eleonora Buratto (Cio-Cio-San) et Stefan Pop (B.F. Pinkerton)

Robert Wilson joue beaucoup avec les facultés des ambiances lumineuses à envoûter l’auditeur vers des horizons qui dissolvent le temps avec une sensibilité musicale à fleur de peau, et l'une des raisons pour lesquelles sa mise en scène est aussi réussie est que son esprit correspond à ce que vit Butterfly, c’est à dire une attente infinie qui semble invincible et dont le spectateur peut éprouver la lenteur en ayant l’impression d’être connecté à l’intériorité de l’héroïne.

Et de cette nouvelle reprise se ressent d’emblée une grande concentration de la part des artistes et une grande cohésion entre orchestre, chant des solistes et pureté de l’expressivité, qui créent une véritable tension comme si chacun des protagonistes évoluait sur une corde solide et fragile à la fois.

Carlo Bosi (Goro), Vartan Gabrielian (Lo Zio bonzo), Stefan Pop (B.F. Pinkerton) et Eleonora Buratto (Cio-Cio-San)

Carlo Bosi (Goro), Vartan Gabrielian (Lo Zio bonzo), Stefan Pop (B.F. Pinkerton) et Eleonora Buratto (Cio-Cio-San)

Eleonora Buratto fait ses débuts sur la scène Bastille après une première apparition 15 ans plus tôt sur la scène du Palais Garnier où elle avait interprété une lumineuse Creusa dans le ‘Demofoonte’ de Jommelli dirigé par Riccardo Muti.

Elle offre ce soir un portrait de Cio-Cio-San d’une impressionnante maîtrise qui s’entend dans l’émission assurée de sa voix, vibrante juste ce qu’il faut pour lui donner du soyeux, et se gorgeant d’intensité de façon poignante dans les moments les plus affectés. Elle cherche l’impact, mais sans verser dans le mélodrame pour autant.  C’est donc bien une femme de caractère qu’elle dépeint avec une délicate mélancolie, et elle entretient un rapport très soigné à la gestuelle de Robert Wilson.

Eleonora Buratto (Cio-Cio-San)

Eleonora Buratto (Cio-Cio-San)

Sa partenaire, la servante Suzuki, possède une noirceur rare qui évoque la nuit et les prémonitions funestes, et Aude Extrémo use de cette profondeur fascinante avec la même inspiration que Eleonora Buratto, ce qui leur permet à toutes deux d’entremêler leurs timbres sur un souffle continu.

De la même manière, cette artiste française que l’Opéra de Paris avait déjà accueilli en 2017 et 2019 pour interpréter Berlioz à l’occasion de ‘Béatrice et Bénédict’ et ‘Les Troyens’se plie à la symbolique théâtrale avec ductilité.

Aude Extrémo (Suzuki), Eleonora Buratto (Cio-Cio-San) et l'enfant

Aude Extrémo (Suzuki), Eleonora Buratto (Cio-Cio-San) et l'enfant

Il interprétait il y a tout juste un mois Rodolfo dans ‘La Bohème’ de Puccini sur la scène du théâtre romain du Festival de Sanxay, près de Poitiers, Stefan Pop est lui aussi de retour sur la scène Bastille après dix ans d’absence, et du haut de son impressionnante carrure il incarne un Pinkerton avec une belle homogénéité d’assise et une forme d’humilité qui fait qu’il devient difficile de l’identifier à une personnalité désinvolte, malgré les mises en garde de Sharpless. 

Il forme par ailleurs un duo puissant et équilibré avec Eleonora Buratto, et les qualités légèrement ombrées de son chant ajoutent de la profondeur à son personnage, ses aigus bien menés et sans esbroufe traduisant aussi une forme de stoïcisme très bien contrôlé.

Andres Cascante (Il Principe Yamadori), Christopher Maltman (Sharpless) et Eleonora Buratto (Cio-Cio-San)

Andres Cascante (Il Principe Yamadori), Christopher Maltman (Sharpless) et Eleonora Buratto (Cio-Cio-San)

Et c’est un Sharpless grand luxe que dépeint Christopher Maltman, avec cette solidité bienveillante alliée à une douce autorité qui dégagent une très grande impression d’humanisme et d’expérience.

On retrouve également Carlo Bosi en Goro, ténor de caractère à la tonalité sarcastique qui arpente la scène Bastille depuis 15 ans sans discontinuité, et tous les petits rôles épisodiques, dont six assurés par des membres du chœur, sont bien tenus, particulièrement celui du Prince Yamadori auquel le baryton costaricien Andres Cascante, membre de l’Académie de l’Opéra jusqu'au printemps dernier, apporte une suavité qui aurait du séduire Cio-Cio-San.

Christopher Maltman (Sharpless)

Christopher Maltman (Sharpless)

Et pour parfaire cette saisissante unité artistique d'ensemble conduite avec une grande rigueur, Speranza Scappucci réalise un superbe travail de mise en valeur des timbres et des couleurs des instrumentistes, y compris, le métal sombre des cordes, au point de réussir à faire émerger un intimisme inhabituel dans une salle aussi vaste. 

Sa direction soigne les coloris, la cohérence dramaturgique avec la scène et les chanteurs, et se montre implacable dans les moments dramatiques en évitant les épanchements trop appuyés, afin de rendre la pleine violence tragique et impitoyable que subit Butterfly.

Eleonora Buratto (Cio-Cio-San)

Eleonora Buratto (Cio-Cio-San)

Malgré la dureté de cette histoire, l’épure de ce spectacle magnifique n’a rien perdu de son pouvoir d’imprégnation, et la présence de l'enfant ajoute une poésie à couper le souffle par la finesse de sa manière d’être, un des éléments essentiels de cette mise en scène retravaillée avec une sensibilité extrême.

Stefan Pop, Speranza Scappucci et Eleonora Buratto - Répétition du 11 septembre

Stefan Pop, Speranza Scappucci et Eleonora Buratto - Répétition du 11 septembre

Fait rare pour un mois de septembre, le spectacle affiche quasiment complet avant le début des représentations, comme si les spectateurs avaient anticipé qu’il ne fallait pas manquer cette reprise.
Ils ont vu juste.

Stefan Pop, Speranza Scappucci, Eleonora Buratto, l'enfant et Aude Extrémo - Représentation du 17 septembre

Stefan Pop, Speranza Scappucci, Eleonora Buratto, l'enfant et Aude Extrémo - Représentation du 17 septembre

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Publié le 2 Mars 2014

Madame Butterfly (Giacomo Puccini)
Représentation du 01 mars 2014
Opéra Bastille

Cio-Cio San Svetla Vassileva
Suzuki Cornelia Oncioiu
F.B Pinkerton Teodor Ilincai
Sharpless Gabriele Viviani
Goro Carlo Bosi
Il Principe Yamadori Florian Sempey
Kate Pinkerton Marianne Crebassa

Direction musicale Danielle Callegari
Mise en scène Robert Wilson (1993)

                                                                                                           Svetla Vassileva (Cio-Cio San)

Rien ne laisse soupçonner que la mise en scène de Madame Butterfly conçue par Robert Wilson pour l’Opéra National de Paris a plus de vingt ans d’âge. C’est pourtant à Pierre Bergé, le directeur au moment de la création, que nous la devons.

Et elle n’a absolument rien perdu de son intemporalité et de son expressionnisme visuel, les impressions lumineuses semblant même retravaillées. Les contrastes et variations omniprésentes de bleu marine et saphir ont toujours ce pouvoir mystérieux à empreindre notre psychisme, et à créer un état de sérénité intérieur qui nous rende encore plus perméable à la musique.
 

C’est d’autant plus sensible que Danielle Callegari mène l’orchestre à grands gestes lents et caressants comme s'il cherchait à évoquer la sensualité idéalisée des lignes féminines de Butterfly. Les violons, lorsqu’ils jouent seuls, peignent un cœur chambriste, bien isolé, puis, quand  l’ensemble des instruments se déploie, on est saisi par un tissu orchestral où toutes les couleurs se fondent jusqu’au métal scintillant des cymbales, créant cette magnificence aux accents mortels. On retrouve d’ailleurs cet anti sentimentalisme d’une froideur sublime à travers la manière inhabituelle d’illuminer la salle avant que le spectacle ne commence : le grand luminaire du plafond reste en permanence éteint.

 

                                                                                         Teodor Ilincai (Pinkerton)

Sur scène, la jeune Geisha est incarnée par Svetla Vassileva, une soprano, d’origine bulgare, douée d’une élégance de geste et d’une vérité théâtrale qui, non seulement, prolonge magnifiquement la fluidité subtile qu’en attend Robert Wilson, mais, également, donne de la chair à son personnage.
Les regards déterminés et les spasmes corporels traduisent des sentiments qui peuvent se lire malgré la distance, ce qui fait la valeur de sa manière fascinante de vivre sur scène.

Svetla Vassileva (Cio-Cio San) et Teodor Ilincai (Pinkerton)

Svetla Vassileva (Cio-Cio San) et Teodor Ilincai (Pinkerton)

Son chant, lui, n’est pas aussi pur. On ressent des inconstances et des baisses d’intonation dans les graves, mais, quand il s’agit d’extérioriser des déchirures, sa voix se projette avec une intensité violente à l’émotion contenue. C’est son sens du drame, débarrassé de l’effet facile, qui lui permet de restituer entièrement un des plus beaux portraits scéniques de Madame Butterfly depuis ces quinze dernières années. La scène finale en est inoubliablement bouleversante.

Gabriele Viviani (Sharpless)

Gabriele Viviani (Sharpless)

Teodor Ilincai, en Pinkerton, a pour lui la jeunesse, un visage charmeur, une très belle prestance qui rappelle celle des statues des grands Pharaons, mais pas seulement. L’impression de maturité et de robustesse se retrouve dans sa voix, très homogène, au timbre légèrement sombre, qu’il est capable de faire rayonner dans la salle avec une technique un peu forcée, mais qui extrait aussi son personnage de la superficialité que le texte traduit pourtant bien.
Il est jeune, et donc tente naturellement d’impressionner le public par l’ampleur de son souffle. Il affiche ainsi une présence qui s’est bien développée depuis les premières représentations.

Svetla Vassileva (Cio-Cio San)

Svetla Vassileva (Cio-Cio San)

Les deux grands rôles du Consul et de Suzuki sont également très bien incarnés. Gabriele Viviani privilégie la noblesse impeccable de sa ligne vocale à la puissance, et Cornelia Oncioiu vit son rôle avec beaucoup de naturel et d’authenticité. Elle montre directement le cœur de la servante, alors que Svetla Vassileva est beaucoup plus dans le contrôle émotionnel de Butterfly.

Enfin, les autres personnages ont tous des petites particularités qui font leur charme, la voix présente et posée de Carlo Bosi, en Goro, la fierté sensuelle bien connue de Florian Sempey, en Yamadori, et les noirceurs mystérieuses de Marianne Crebassa, en Madame Pinkerton.

Un tout qui en fait donc une très belle reprise, esthétique et attachante.

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