Publié le 14 Février 2022
Bros (Romeo Castellucci & Societas)
Représentation du 13 février 2022
MC93 Maison de la culture de Seine-Saint-Denis
Salle Oleg Efremov – Bobigny
Conception et mise en scène Romeo Castellucci
Collaboration à la dramaturgie Piersandra Di Matteo
Assistants à la mise en scène Silvano Voltolina et Filippo Ferraresi
Écriture des étendards Claudia Castellucci
Musique Scott Gibbons
Avec Valer Dellakeza, les Agents Luca Nava, Sergio Scarlatella
Avec des hommes de rue Kourosh Alaj, Abdeljalil Benamara, Luca Besse, Jules Bisson, Karim Bouzra, Baptiste Brisseault, Guillaume Caubel, Diego Colin, Ashille Constantin, Romain Dat, Vincent Debost, Jonas Gomar, David Jeanne-Comello, Antoine Kobi, Hugo Lecuit, Denis Mathieu, Adil Mekki, Yamen Mohamad, Gérard Muller, Thomas Pasquelin, Luis Penaherrera, Arnaud Richard, Maxime Richir Storoge, Valentin Riot-Sarcey, Andrea Romano, Alberto Scozzesi, Clément Seclin, Hypo Soclet, Seny Sylla, Pascal Venturini, Nicolas Zaaboub-charrier
Maîtres-chiens Cyril Ducellier et Hamid Zermani
Production Societas
Coproduction avec Kunsten Festival des Arts Brussels, Printemps des Comédiens Montpellier 2021, LAC LuganoArte Cultura, Maillon Théâtre de Strasbourg - Scène Européenne, Temporada Alta 2021, Manège-Maubeuge Scène nationale, Le Phénix Scène nationale Pôle européen de création Valenciennes, ERT Emilia Romagna Teatro Italy, Ruhrfestspiele Recklinghausen, Holland Festival Amsterdam, V-A-C Fondation, Triennale Milano Teatro, National Taichung Theater, Taiwan.
C’est dans une salle sombre et nimbée de brume que le spectateur pénètre après qu’il lui soit remis un dépliant noir qui pourrait l’aider à comprendre ce qu’il va se jouer sous ses yeux.
Face à lui, sur la scène déserte, deux machines automatiques et télécommandées se mettent en mouvement rotatif sur fond de martellement sonore agressif. L’une, en forme de vis de serrage géante, agit comme un moyen de contrainte puissant, l’autre, une sorte de canon d’aéronef, vise le public dans toutes les directions.
Un vieil homme au bâton, vêtu d’un linge blanc, s’avance faiblement éclairé par un projecteur qui évoque un astre noir apocalyptique au moment d’une éclipse. Même si l’on ne comprend pas la langue du prophète, deux mots s’entendent aisément, ’Jérémie’ et ‘Babylone’. Le pressentiment de la fin d’un monde s’installe et des policiers en uniformes noirs prennent possession de la scène.
Le corps nu d’un jeune homme, couché dos au public, que l’on avait entraperçu se faufiler dans une ombre irréelle au dessus du vieillard mourant, va devenir leur jouet sous une débauche de coups, simulés mais aux gestes incroyablement violents et réalistes. Tout dans les torsions du corps et les spasmes de l’acteur relève de l’inconcevable et d’une fascinante esthétique. Petit à petit un rituel s’installe. L’incongru se mêle à des tableaux énigmatiques qui suggèrent une liturgie mortuaire – une photographie d’un des deux colosses de Memmon suffit à soulever l’imaginaire des cérémonies de l’ancienne Égypte -, ou induisent un jeu d’identification symboliquement politique à travers le portrait d’un singe. Un policier naît d’un sac difforme noir, comme une chrysalide issue de son cocon, et rejoint ses congénères.
Les forces sacrales en jeu atteignent leur paroxysme quand les policiers se retrouvent à adorer une statue animée et à singer ses moindres gestes. A ce moment précis, on peut aussi bien avoir l’impression d’assister à une mise en scène extrêmement noire de la secte du premier acte de ‘Parsifal’ de Richard Wagner qu’à une scène du ‘Metropolis’ de Fritz Lang. Le rapprochement avec ce dernier chef-d’œuvre est d’autant plus troublant que la ville éponyme est associée à la chute de Babylone, qu’un moine y lit un passage de l’Apocalypse de Saint-Jean, que Romeo Castellucci fait intervenir sur scène un orgue étrange qui rejette des jets de vapeurs, comme dans le film, et que le thème de l’aliénation de masse dans un monde froidement technologique se loge au cœur de la réflexion. Mais qui en est le créateur?
Et le plasticien réussit un coup de force en faisant simplement monter les policiers dans les gradins des spectateurs, juste pour faire éprouver un sentiment de culpabilité devant les silhouettes qui se dessinent à contre-jour. Il est manifestement habile à jouer avec les symboles bibliques, les scènes de déshumanisation fascistes et les mécanismes cycliques. Un rideau noir descend puis se dresse pour annoncer la naissance d’un nouvel être, en blanc, à qui l’on remet une matraque. Cette dernière image de la perversion de l’innocence n’est pas nouvelle, mais là, c’est l’impassibilité du regard de l’enfant qui fait toute la puissance de ce dernier plan.
On apprendra, un peu plus tard, que les policiers étaient des acteurs recrutés dans la rue qui n’avaient pas répété et qui avaient seulement accepté de faire sur scène tout ce qu’il leur serait ordonné au moyen d'écouteurs insérés aux creux de l’oreille, et de ne rien faire, quoi qu’il arrive, qui ne provienne pas d’un ordre donné, le plus absurde qu’il soit. Un spectacle qui met à cran, surtout lorsque l’on cherche à en parler à chaud.