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Publié le 2 Août 2012

Parsifal (Richard Wagner)
Représentation du 29 juillet 2012
Festival de Bayreuth

Amfortas        Detlef Roth
Titurel             Diógenes Randes
Gurnemanz     Kwangchul Youn
Parsifal           Burkhard Fritz
Klingsor         Thomas Jesatko
Kundry           Susan Maclean

Mise en scène Stefan Herheim
Décors            Heike Scheele
Lumières         Ulrich Niepel
Vidéo              Momme Hinrichs

Direction musicale    Philippe Jordan

Susan Maclean (Kundry) et trois étapes de la jeunesse allemande (hitlérienne, d'avant guerre et d'après guerre sous les traits d'Edmund)

Quatre ans après sa création, la conception historique et psychanalytique de Parsifal par le norvégien Stefan Herheim reste une des plus intelligentes productions du festival, accordée à une scénographie d’une très grande force visuelle.
Il faut être particulièrement attentif pour pouvoir saisir et traduire tous les symboles au premier coup d‘œil, d’autant plus que le premier acte est conçu comme le rêve d’un jeune aventurier décidé à quitter sa mère, Herzeleide, vu sous l’angle du lien qui attache les Allemands à leur mère patrie et à la religion, depuis le moyen âge jusqu’à l’Empire.

 La villa Wahnfried (Acte I) - Photo: Enrico Nawrath/Bayreuther Festspiele

La villa Wahnfried (Acte I) - Photo: Enrico Nawrath/Bayreuther Festspiele

Un impressionnant décor reconstitue la villa Wahnfried, la maison où vécut Richard Wagner, à l’intérieur de laquelle Winifried Wagner accueillit plus tard Adolf Hitler.
En surplomb sur la cheminée, à gauche, un grand portrait de Germania - allégorie féminine et frondeuse de la nation allemande - domine la pièce et oriente le regard sur l’identité des protagonistes lorsqu’ils prennent la même allure d’une femme blessée au flanc, vision christique vêtue tout de blanc, qu’il s’agisse de Kundry, Amfortas, ou Parsifal au dernier acte.
La relation à cette femme est montrée sous un aspect douloureux et pénible.

Herheim fait à la fois plaisir à l’audience en représentant la procession du Graal selon un ancien rite orthodoxe lumineux et grandiose, mais ironise tout autant en teintant la coupe d’une couleur violacée factice.

Dans ce monde en apparence innocent et marqué par le symbole bienveillant du cygne, mais qui s’est emmuré, Parsifal apparaît comme un élément perturbateur, joueur, mais encore inconscient du mal sous-jacent qui s’est instillé dans la jeunesse allemande du début XXème.

Le second acte est axé sur la perversion de Klingsor et sur la puissance sexuelle tentatrice de Kundry, identifiée à Marlène Dietrich dans l’Ange Bleu selon le film de Josef von Sternberg.
Il s’agit de montrer ici comment le National Socialisme a instrumentalisé la sexualité des Allemands de manière à les rendre plus combattifs dans les années 30 et 40 (scène avec les infirmières).
Après avoir échoué à séduire Parsifal, Kundry réapparaît en mère nationale, dernière dispute qui atteint le point culminant de l’œuvre avec l’envahissement de la villa par les Nazis, jeunesse hitlérienne, drapeaux et croix gammées recouvrant tout l’espace dans une vision dramatique saisissante.
La destruction de ce monde par la lance du héros d’un blanc étincelant en préserve la pureté, quitte à donner un caractère kitch à cet objet autant symbolique que le Graal.

Kwangchul Youn (Gurnemanz) (Acte I) - Photo: Enrico Nawrath/Bayreuther Festspiele

Kwangchul Youn (Gurnemanz) (Acte I) - Photo: Enrico Nawrath/Bayreuther Festspiele

Le troisième acte ressemble beaucoup à ce que fit pour Paris Krzysztof Warlikowski en 2008.
L’ouverture sur l’ombre des ruines de la villa recoupe les images du film de Rossellini « Allemagne année zéro », les derniers symboles religieux combattants s’abattent (fin de l’ordre des templiers), et, après une spectaculaire désagrégation vidéographique du visage de Wagner dans un brouillard noir intensifiée par la marche menaçante et sinueuse qui précède l’arrivée du chœur installé dans un amphithéâtre, l’avènement d’une république démocratique devient l’issue politique durable d’une nouvelle nation basée sur les valeurs d’une famille recomposée. La nouvelle jeunesse allemande apparaît sous les traits d’Edmund (toujours « Allemagne année zéro » ), et Kundry reste en vie.

 La force de ce discours dramaturgique est de rester constamment lié à la musique, et de s’appuyer autant sur une exigeante direction d’acteurs que sur une occupation totale de l’espace scénique, dans toute sa profondeur de champ, et sur une utilisation des éclairages qui peuvent créer une lumière naturelle, ou bien des ambiances surnaturelles.

 Face à un tel engagement et à la prégnance du visuel, amplifiée par le noir total dans lequel est plongée la salle de par la disposition même de l‘orchestre totalement dissimulé sous la scène, on ne fait même plus attention aux limites d’une distribution convaincante, mais sans être exceptionnelle.
Burkhard Fritz incarne un Parsifal humble et très humain aux couleurs vocales plutôt sombres, Susan Maclean atteint très vite ses limites dans les aigus mais se rattrape par son expressivité dans la tessiture grave, et Kwangchul Youn commence sérieusement à fossiliser sa voix, ce qui augmente sa stature autoritaire d’homme du passé.

Susan Maclean (Kundry) et Philippe Jordan

Susan Maclean (Kundry) et Philippe Jordan

Bien que Klingsor soit très bien défendu par Thomas Jesatko, Detlef Roth devient le chanteur le plus marquant, car il imprime de sa voix claire une humanité complexe et tourmentée, et pourtant énergique, qui donne une vitalité nouvelle à Amfortas.

 Cette première représentation de Parsifal au Festival de Bayreuth 2012 est aussi une première pour le directeur musical de l’Opéra National de Paris, Philippe Jordan.
Son grand sens symphonique évanescent, qui donne des frissons dès l’ouverture, s’accomplit totalement au troisième acte, et même si l’on reconnait toujours cette forme de timidité face au sens théâtral, perceptible au premier acte, on l’oublie vite dans les grandes montées lumineuses, et aussi par la connaissance que l’on a du cœur sincère de cet homme exceptionnel.

Il y a bien sûr l’acoustique magnifique du Festspielhaus, mais également les qualités d’un chœur capable de donner une force et une unicité à son chant vocal qui nous touchent au plus profond de l’âme.

Pour revoir et réentendre ce spectacle, Arte diffusera en léger différé la troisième représentation prévue le 11 août 2012.

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Publié le 24 Juillet 2012

Ainadamar, fuente de lagrimas (Osvaldo Golijov)
Représentation du 22 juillet 2012
Teatro Real de Madrid

Margarita Xirgu Nuria Espert

                         Jessica Rivera
Federico Garcia Lorca Kelley O’Connor
Nuria Nuria Rial
Ruiz Alonso Jesus Montota
José Tripaldi Miguel Angel Zapater

Mise en scène Peter Sellars
Direction musicale Alejo Pérez

                                                               Kelley O'Connor (Lorca) et Nuria Espert (Margarita Xirgu)

Provenant de l’Opéra de Santa Fe où elle fut créée en 2005, la production de Peter Sellars est reprise et modifiée par lui-même pour le Teatro Real de Madrid, illustrant ainsi les derniers jours de la vie du poète espagnol exécuté par les antirépublicains sous les murs de Grenade en 1936.

Toute la scénographie repose sur les expressions du visage et les gestes qui disent la beauté et la souffrance dans laquelle vécut la relation entre Lorca et l’actrice Margarita Xirgu. Comme pour Iolanta, le metteur en scène américain utilise des éclairages disposés au sol et tournés vers l’intérieur de la scène afin de mettre en valeur l’humaine profondeur de ces acteurs et chanteurs magnifiques.

Nuria Espert (Margarita Xirgu), Kelley O'Connor (Lorca) et Nuria (Nuria Rial)

Nuria Espert (Margarita Xirgu), Kelley O'Connor (Lorca) et Nuria (Nuria Rial)

L’actrice Nuria Espert - reconnue aujourd’hui comme une grande interprète de Federico Garcia Lorca - entretient un rapport d'échange à coeur ouvert avec l’audience, car elle engage chacun à conserver et partager le meilleur de son humanité même dans des circonstances aussi graves que le joug de la barbarie fasciste.

Il en résulte un climat dépressif, et la musique d’Osvaldo Golijov lui apporte une certaine légèreté vitale et hispanisante faite de rythmes des congas, ou bien de larges passages symphoniques quasi debussystes.

Les voix sont certes amplifiées, mais l’équilibre sonore est superbement entretenu, si bien qu’elles y gagnent en pureté, faisant prendre à celle de Nuria Rial des couleurs de contreténor frappantes et déroutantes à la fois.

Nuria Espert (Margarita Xirgu), Kelley O'Connor (Lorca) et Miguel Angel Zapater (José Tripaldi)

Nuria Espert (Margarita Xirgu), Kelley O'Connor (Lorca) et Miguel Angel Zapater (José Tripaldi)

L’ensemble est entouré par des toiles abstraites de l’artiste peintre Gronk, des formes complexes en teinte de terre rouge, auxquelles chacun réagit à sa manière et selon son état psychique du moment.

Face à ce spectacle fort, mais qui n’a pas totalement rempli la salle, on ne peut s’empêcher de se demander pourquoi ne voit-on pas plus de monde éprouver le besoin de découvrir ces œuvres artistiques qui alimentent un questionnement fondamental sur notre rapport aux autres?

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Publié le 10 Juillet 2012

Les Troyens (Hector Berlioz)
Représentation du 08 juillet 2012
Royal Opera House - Covent Garden

Cassandre Anna Caterina Antonacci
Chorèbe Fabio Capitanucci
Panthée Ashley Holland
Hélénus Jy Hyun Kim
Ascagne Barbara Senator
Hécube Pamela Helen Stephen
Priam Robert Lloyd
Polyxène Jenna Sloan
Andromaque Sophia McGregor
Astyanax Sebastian Wright
Enée Bryan Hymel
Fantôme d’Hector Jihoon Kim
Capitaine grec Lukas Jakobski
Didon Eva Maria Westbroek
Anna Hanna Hipp
Iopas Ji-Min Park
Narbal Brindley Sherratt
Mercure Daniel Grice
Hylas Ed Lyon
Soldats Adrian Clarke
            Jeremy White

Mise en scène David McVicar                                    Scène finale des Troyens (Colosse destructeur)
Direction musicale Antonio Pappano

Très attendue, la nouvelle production des Troyens montée par le Royal Opera House a visiblement ravi une grande partie du public impressionnée par le monumental décor de mille et une nuits et la maquette magnifiquement détaillée d’une Carthage imaginaire, la machinerie complexe du cheval de Troie, et la vitalité naïve des figurants.

L’intense et expressionniste direction musicale d’Antonio Pappano fait entendre une importante richesse de coloris, de vives pulsations et les accélérations de cadences d’un cœur battant, des accents fauves et tranchants, mais elle cède de son souffle épique aux passages qui devraient en être soulevés, comme la scène de chasse royale et d’orage, malheureusement plombée par une chorégraphie dont une image - les cerbères en tablier des forges - rappelle l’Orphée et Eurydice de Pina Bausch, et se révèle d’un non sens absolu qui tue l’accès à l’élan romantique de la musique.

On retrouve ces danseurs dans les musiques de ballets, mais faut-il à tout prix conserver ces passages musicaux s’ils sont associés à des danses anecdotiques sans le moindre intérêt artistique et sans valeur dramaturgique?

Eva-Maria Westbroek (Didon)

Eva-Maria Westbroek (Didon)

Malgré une scénographie lourde, David McVicar inscrit Les Troyens dans une vision de film d’aventure qui souffre la comparaison avec le travail si stylisé, unifié et épuré d’Herbert Wernicke à Salzbourg et Paris, ou bien plus conventionnelle, certes, mais de meilleur goût de Yannis Kokkos à Paris également.

L’engagement certain de tous les chanteurs ne compense pas non plus le dense brouillard dans lequel se noie le chant français, si l’on excepte l’articulation impeccable d’Anna Caterina Antonacci trop impliquée dans l’hystérie de Cassandre, et si loin de la Vénus drapée et tragique que l’on découvrit au Châtelet, neuf ans depuis, une vision anthologique.

Eva-Maria Westbroek domine le rôle de Didon, une endurance dont on ne doute point, mais à aborder tant de rôles différents -elle fut elle-même Cassandre à Amsterdam- ses incarnations se ressemblent toutes, plus démonstratives que profondes.

Alors, de cette importante distribution, on peut remarquer le fragile et touchant Hylas d’Ed Lyon, et saluer Bryan Hymel qui, s’il ne peut se départir d’un timbre ingrat, assure une vaillance et une volonté expansive qui en attire la sympathie de tous au dernier acte.

On serait tenté de penser que Paris a bien eu de la chance de connaître deux interprétations majeures des Troyens, au Châtelet et à Bastille, et d’y voir les deux plus convaincantes de ce début de millénaire.

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Publié le 5 Juillet 2012

Arabella (Richard Strauss)
Représentation du 30 juin 2012
Opéra Bastille

Graf Waldner Kurt Rydl
Adelaide Doris Soffel
Arabella Renée Fleming
Zdenka Genia Kühmeier
Mandryka Michael Volle
Matteo Joseph Kaiser

Mise en scène Marco Arturo Marelli (Graz 2008)
Direction musicale Philippe Jordan

 

                                                                                   Renée Fleming (Arabella) et Doris Soffel (Adelaide)

Si l’on ne devait s’en tenir qu’au texte, on trouverait le personnage d’Arabella bien ennuyeux, car le questionnement sans fin sur ses prétendants tourne à vide, jusqu’au tout dernier instant où elle évoque enfin un sentiment soudain qui la fait s’éprendre de Mandryka, riche provincial qui est surtout amoureux d’une image (le portrait). Comment ne pas plutôt croire à la réalité du poids de la condition sociale ?

Mais il y a aussi l’amour de Zdenka pour Matteo, moteur inconscient qui la fait agir dans l’espoir d'atteindre Arabella, avant qu’elle ne comprenne la réalité de ses propres sentiments pour le jeune officier, motivation la plus touchante de l’œuvre que la musique ne magnifie pourtant pas.

En réalité, la musique dit autre chose. Elle enrobe de sentiments le personnage d'Arabella, ce qui engendre une sensation d'artificialité gênante.

Renée Fleming (Arabella)

Renée Fleming (Arabella)

Alors on en oublie l'histoire et l'on prend la musique telle qu'elle est, avec par moment une magnifique évocation de méandres limpides et évanescents qui vivent et s'élèvent sous l'ample direction de Philippe Jordan. Il y a également cette souplesse de son de cuivres fondus à l'ensemble orchestral, quelques noirceurs, et un effet d'enchantement qui laisse rêveur.

Parmi les petites merveilles vocales, le duo d'Arabella et Zdenka fait entendre le superbe alliage de deux timbres, fin et cristallin pour Genia Kühmeier, agréablement charmeur pour Renée Fleming, mais la découverte est le splendide Mandryka de Michael Volle, impressionnant ours au grand cœur dénué de tout ennoblissement précieux, et d’une grande franchisse de geste.

D‘autre part, Genia Kühmeier dessine un portrait extrêmement sensible de la jeune sœur d’Arabella, avec une manière très naturelle de faire ressortir les troubles intérieurs et de le faire ressentir loin dans la salle.

A côté d’eux, Kurt Rydl et Doris Soffel paraissent bien secondaires, malgré leur carrure artistique, et Joseph Kaiser, très beau Lenski il y a quelques temps sur la même scène,  ne trouve pas en Matteo un rôle qui le valorise.

Michael Volle (Mandryka) et Renée Fleming (Arabella)

Michael Volle (Mandryka) et Renée Fleming (Arabella)

Avec son décor imposant de moulures débordant jusque sur l’avant scène, le dispositif lourd et couteux de Marco Arturo Marelli ne masque pas l’absence d’originalité de sa scénographie, mais il y a au moins un beau moment qui se révèle lors de la conclusion, quand les éclairages s’assombrissent pour accueillir Renée Fleming, inimitable dans les apparitions mystérieusement glamours, laissant un grand frisson nous parcourir sur un ralentissement du temps crépusculaire.

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Publié le 2 Juillet 2012

L'Amour des trois oranges (Sergueï Prokofiev)
Représentation du 23 juin 2012
Opéra Bastille

Le Roi de Trèfle Alain Vernhes
Le Prince Charles Workman
La Princesse Clarice Patricia Fernandez
Léandre Nicolas Cavallier
Trouffaldino Eric Huchet
Pantalon Ignor Gnidii
Tchélio Vincent Le Texier
Fata Morgana Marie-Ange Todorovitch
Linette Carol Garcia
Nicolette Alisa Kolosova
Ninette Amel Brahim-Djelloul
 La Cuisinière Hans-Peter Scheidegger
Sméraldine Lucia Cirillo
Farfarello Antoine Garcin

Direction musicale Alain Altinoglu
Mise en scène Gilbert Deflo (2005)                            Marie-Ange Todorovitch (Fata Morgana)

L'Amour des trois oranges est l'œuvre lyrique la plus accessible au très jeune public de par la série de péripéties loufoques, l'adaptation en français du livret d'origine, et l'inventivité ironique de la musique.

On se souvient encore des rires des enfants invités par Gerard Mortier à la répétition générale précédant la création de ce spectacle, ils rendaient aussi vivants le parterre et les balcons que ne l'étaient la scène et la fosse d'orchestre.
Et lorsque l’on y assiste en compagnie d’un enfant, on en adopte alors le regard rajeuni et insouciant qui rénove notre

Eric Huchet (Trouffaldino)

Eric Huchet (Trouffaldino)

De fait, la mise en scène conçue par Gilbert Deflo est sans nul doute la meilleure dont dispose l'Opéra de Paris de sa part, et pour cause, ce régisseur a tendance à se laisser guider uniquement par la musique, singulièrement stimulante par ses contrastes rythmiques et ses changements de couleurs dans cet opéra.
Sa connaissance de la Commedia dell'Arte italienne y rencontre également un univers où s'accomplir, avec numéros de cirque, déguisements multicolores, et effets pyrotechniques.

Le Prince prend ainsi un regard de Pierrot, pour lequel Charles Workman aura marqué le rôle jusqu'à aujourd'hui avec sa gestuelle légère et ample, son timbre blessé mâtiné de blanc, et quelques fissures vocales qui n'en réduisent en rien l'authenticité.

Charles Workman (Le Prince) et Amel Brahim-Djelloul (Ninette)

Charles Workman (Le Prince) et Amel Brahim-Djelloul (Ninette)

Comme tout le monde y retrouve - des spectateurs aux chanteurs - la légèreté de l‘enfance, l'ensemble de la distribution interagit avec naturel et amusement.
Elle est variée en couleurs depuis le Tchélio sonore de Vincent Le Texier - avec bien peu d'efforts d'élocution – à la toute fragile Amel Brahim-Djelloul, et se distingue un chanteur, Eric Huchet, jusqu'à présent limité à des rôles mineurs, qui aura montré sa capacité à imposer une présence physique et vocale très assurée.

Sous la direction transparente et bien équilibrée, mais un peu trop sage, d'Alain Altinoglu, l'opéra s'achève sur le grand éclat de la célèbre Marche, reprise volontairement pour voir défiler une dernière fois chanteurs et comédiens, et finir sur une note festive et énergique bienvenue.

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Publié le 20 Juin 2012

Le Couronnement de Poppée (Claudio Monteverdi)

Représentation du 16 juin 2012
Teatro Real de Madrid

Poppea Nadja Michael
Nerone Charles Castronovo
Ottavia Maria Riccarda Wesseling
Ottone William Towers
Seneca Willard White
Drusilla Ekaterina Siurina
Virtud, Palas Lyubov Petrova
Fortuna, Dama Elena Tsallagova
Amor Serge Kakudji
Page Hanna Esther Minutillo
Nourrice d' Ottavia Jadwiga Rappé
Arnalta José Manuel Zapata
Lucano, Liberto Juan Francisco Gatell

Mise en scène Krzysztof Warlikowski
Direction musicale Sylvain Cambreling
Klangforum Wien
Instrumentation de Philippe Boesmans                            Nadja Michael (Poppée)
 

La nouvelle production du Couronnement de Poppée présentée au Teatro Real est une rare occasion d'entendre l'œuvre de Monteverdi dans l'orchestration de Philippe Boesmans. Cette version fut en effet commandée par Gerard Mortier pour le Théâtre de la Monnaie en 1989, et jouée par un grand orchestre sous la direction de Sylvain Cambreling.

William Towers (Ottone)

William Towers (Ottone)

Mais pour Madrid, le compositeur belge a revu et adapté l’orchestration aux instruments et à l'effectif réduit du Klangforum Wien, un ensemble musical contemporain autrichien comprenant de 20 à 30 pupitres.

Ainsi, si l'enveloppe mélodique est préservée, le climat musical se teint désormais d'une atmosphère voluptueuse qui se substitue à la légèreté champêtre de l‘écriture originelle, et se pare de sonorités chaleureuses et liquides - déferlant de scintillements parfois - d'un synthétiseur, d'un harmonium, d'un piano et d'un célesta.

Nadja Michael (Poppea) et Charles Castronovo (Nerone)

Nadja Michael (Poppea) et Charles Castronovo (Nerone)

Cet univers stylisé et mystérieux devient un support adéquat au théâtre sophistiqué de Krzysztof Warlikowski, et il y a un véritable plaisir à revoir Sylvain Cambreling heureux de diriger un ouvrage que peu auront l’occasion de reprendre, avec un soin amoureux des contrastes incessants et inhérents à cette musique.

Bien que familier des metteurs en scène chers à Mortier - Christoph Marthaler, Johan Simons, Michael Haneke, U. et K-E. Herrmann …-, il s’agit de sa première collaboration avec le directeur polonais, dans une pièce où nombres de personnages sulfureux ne peuvent que toucher ce dernier.

L'idée force de Warlikowski est de suivre une dramaturgie articulée autour d'un événement clé, le suicide de Sénèque, événement qui précipite la décadence d'un monde, la libération des peurs et des désirs, et le triomphe d'une dictature violente.

Willard White (Seneca)

Willard White (Seneca)

L'opéra débute par un cours de philosophie interactif, marqué de la prestance impressionnante et l’élocution mordante de Willard White, et destiné à une classe d'étudiants qui ne sont autres que les futurs acteurs du drame.

L'ambiance est à la détente, et l'on se doute que Warlikowski fait référence à ses propres influences littéraires.

Les textes abordent des thèmes comme les limites de la connaissance de l'autre, ou bien le risque de manipulation politicien par la peur, toutes sortes de peurs.

Maria Riccarda Wesseling (Ottavia) et Jadwiga Rappé (La Nourrice)

Maria Riccarda Wesseling (Ottavia) et Jadwiga Rappé (La Nourrice)

Mais lorsque la musique commence, l'histoire se déroule six ans plus tard, sous le règne de Néron, puis, sur les accords graves et sombres de cuivres dramatiques, défilent des images en clair-obscur de Leni Riefenstahl, artiste connue pour son implication dans le processus d'esthétisation de la politique d'Hitler.

On en retrouve d'autres plus loin, à la gloire de la force masculine allemande, mêlées à la force de l'architecture et de la sculpture antique grecque, civilisation qui fascina et façonna également l'impérialisme romain. 
 

Tout se passe dans un grand gymnase soutenu par quelques piliers latéraux, surplombé en arrière scène par un grand écran pour mettre en valeur les visages et expressions des protagonistes.
Malgré la grande ouverture de la scène, jusqu’au plafond, les voix s’en trouvent valorisées, sans se disperser.

Comme on pouvait s'y attendre, le jeu d'acteur est en mouvement constant, et pousse l'expressivité corporelle dans l'extrémité de ses désirs.

Ottone est présenté comme une figure christique, du moins en apparence, pour laquelle William Towers offre un timbre et des inflexions qui pleurent d'incessantes plaintes.

 

Ekaterina Siurina (Drusilla)

Néron et Poppée surviennent en rampant sur le dos, dans une scène érotique qui place très nettement la future impératrice en position de séductrice, alors que son amant tente de préserver une certaine distance.

Avec un regard aussi perçant que celui de Warlikowski, Nadja Michael est non seulement une artiste très animale, mais également une incarnation vocalement forte et languissante, et le choix d'un ténor comme Charles Castronovo donne à l'Empereur une autorité nerveuse, mais supprime aussi la tendresse ambiguë qu'un contre-ténor aurait normalement exprimée.

Un garde et William Towers (Ottone)

Un garde et William Towers (Ottone)

La belle surprise de la soirée est l'interprétation d'Ottavia par Maria Riccarda Wesseling, elle qui fut découverte dans la première mise en scène de Krzysztof Warlikowski à l'Opéra de Paris, Iphigénie en Tauride.
Tout est superbement rendu, la douleur, la détresse physique, le regard qui cherche en elle-même la vérité des sentiments, et tout cela en évitant absolument le mélodrame.

 Dans les rôles plus secondaires, la Drusilla d’Ekaterina Siurina brille par son charme et sa fraîcheur, Jadwiga Rappé incarne une nourrice chaleureuse, et Hanna Esther Minutillo compose un petit page espiègle et très vivant, un engagement scénique qui dépasse la sensible âpreté de ses couleurs vocales.

Enfin, des trois déesses, la Fortune, la Vertu et l’Amour, Elena Tsallagova est la plus lumineuse, en harmonie avec les sonorités rondes de la musique, tout le contraire de Serge Kakudji qui semble être distribué afin de donner à l’Amour un visage noir.

Warlikowski construit ainsi un cheminement jusqu’à ce que Néron en ait assez de Sénèque, et le pousse au suicide.

Dans ce dernier instant, on voit le philosophe caressant à distance, d’une ombre de la main, une femme qu’il aurait voulu aimer, puis l’arrivée sur scène d’exécuteurs nazis, tous indifférenciés.
La disparition de celui qui imposait une puissance morale, entraîne alors une libération des pulsions les plus retenues, Poppée révélant toute la force dominatrice qui l’anime, et, sans doute plus discutable, le trouble de genre apparaissant chez Néron qui se féminise, sous l'influence de Lucano devenu mauvais garçon.

 

                                                                                              Maria Riccarda Wesseling (Ottavia)

La scène devient de plus en plus envahie des symboles humains nazis et fascistes, les exécuteurs mussoliniens, les Dieux du Stade avec lesquels fuit Ottavia - avec toujours une justification par le texte-, jusqu’à la grande scène finale qui inverse les rôles. Poppée accède à une grandeur dictatoriale absolue.

Tout n’est évidemment pas clair chez Warlikowski, le travestissement d’Arnalta par exemple, mais il signe à nouveau un spectacle très fort et interrogatif, dans l’ensemble plus lisible que certaines de ses pièces de théâtre où l’action peut être parallélisée et plus difficile à suivre.

Nadja Michael (Poppea) et Charles Castronovo (Nerone)

Nadja Michael (Poppea) et Charles Castronovo (Nerone)

Cette version de L'incoronazione di Poppea sera reprise à l’Opéra de Montpellier en mai 2013.

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Publié le 15 Juin 2012

Elias (Felix Mendelssohn)
Concert du 12 juin 2012
Basilique Sainte-Clotilde

Avec Stéphane Degout, Sarah-Jane Brandon, Clémentine Margaine, Stanislas De Barbeyrac, Lucy Hall

Direction Raphaël Pichon
Orchestre 430
Chœur de chambre Otrente

 

                                                                                                         Basilique Sainte-Clotilde

Entre deux représentations d' Hippolyte et Aricie, Stéphane Degout a eu la générosité de venir incarner le rôle d'Elias, prophète auquel Felix Mendelssohn dédia un oratorio, au cœur de la Basilique Sainte-Clotilde.

En regard des solistes qui l‘accompagnent, deux sopranos (Sarah-Jane Brandon, Lucy Hall), une mezzo (Clémentine Margaine) et le ténor Stanislas De Barbeyrac (Atelier lyrique de l'Opéra national de Paris), le baryton rend une figure à la fois simple et profonde de cet homme, avec une fascinante impression de solidité intérieure et de maturité, bien en avance sur son jeune âge.

Stéphane Degout (Elias)

Stéphane Degout (Elias)

Inévitablement, les voix aériennes du chœur et la texture musicale se dissipent fortement dans les hauteurs de la nef, si bien que l'on se trouve plongé dans un état d'esprit un peu vague et réflexif face au magnifique orgue en bois orné de flèches d’argent gothiques.

Mais quand Elie se résigne à quitter la vie, Stéphane Degout interprète un Es ist genug! qui en éprouve irrésistiblement la gravité et la tristesse, nous ramenant à quelque chose de très humain.
Cet instant de vérité, arrivé sans s'y attendre, ne s’oubliera pas.

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Publié le 12 Juin 2012

Il Trovatore (Giuseppe Verdi)
Représentation du 10 juin 2012
Théâtre de la Monnaie de Bruxelles

Il Conte di Luna Scott Hendricks
Manrico Misha Didyk
Azucena Sylvie Brunet-Grupposo
Leonora Marina Poplavskaya
Ferrando Giovanni Furlanetto

Mise en scène Dmitri Tcherniakov
Direction musicale Marc Minkowski

 

 

                                                                                                   Scott Hendricks (Il Conte di Luna)

Chacun sait que si le Théâtre de la Monnaie a une telle renommée aujourd’hui, il la doit à Gerard Mortier. Il est donc naturel qu’une des salles lyriques majeures en Europe accueille, pour la première fois, le metteur en scène russe dont le directeur flamand fit découvrir à Paris le travail sur Eugène Onéguine en 2008, puis Macbeth en 2009.

Beaucoup, attirés de toutes parts, se sont ainsi déplacés pour cette première représentation, et l’on a même pu reconnaître, parmi le public, des membres de la direction de l’Opéra national de Paris.

L’intrigue du Trouvère est connue pour être particulièrement alambiquée, centrée sur une gitane, Azucena, qui enleva par le passé l’un des deux fils d’un vieux Comte, afin de venger sa mère condamnée au bûcher par lui. Elle éleva le jeune homme qui, au moment présent, va devenir l’opposant politique et le rival en amour de son frère, le Comte di Luna, sans en connaître pour autant les liens de parenté.

Sylvie Brunet-Grupposo (Azucena)

Sylvie Brunet-Grupposo (Azucena)

Dmitri Tcherniakov s’empare ainsi de ce sujet pour œuvrer à une des transpositions les plus risquées de sa part, car il se permet de supprimer tous les personnages secondaires en redistribuant leurs airs au chœur, à Azucena et Ferrando.

Son concept de huis clos familial - cinq personnes liées par un secret se réunissent pour le découvrir et le comprendre - se déroule dans un décor unique, l’espace intérieur d’une demeure flanqué, à gauche, des reflets miroirs d’un sombre et étroit couloir, et à droite, d’une pièce ouverte sur l’extérieur afin d’y respirer.

Quant aux voix d’outre-tombe du chœur vêtu en noir, elles ne s’élèvent plus que depuis le sous-sol, derrière l’orchestre, ou bien en arrière-scène.

L’action se resserre ainsi à l’essentiel, et c’est au spectateur, en fonction de son histoire et de sa propre sensibilité à ce type de situation familiale, d’entrer en empathie avec les états d’âme des protagonistes. Tcherniakov en montre leur mal-être, on boit et on fume souvent sur scène, les tensions grandissantes, chez le Comte particulièrement, et beaucoup de choses se racontent dans la première partie.

Cette atmosphère purement psychologique est difficile à investir, et c’est au cours de la seconde partie, quand les personnages se prennent au jeu et revivent leur passé dramatique avec séquestration et meurtres réels, que l’action devient visible et tendue.

 

Marina Poplavskaya (Leonore)

Mais peut-on croire que chacun de nous peut être amené à faire ressurgir ainsi les actes de ses ascendants? C'est sur ce point que repose toute la crédibilité de la démarche.

Comme on pouvait s'y attendre, les chanteurs sont totalement engagés dans ce climat lourd et sa promiscuité étouffante.

Trépignant et torturé, Scott Hendricks est un habitué des mises en scène exigeantes et sans fard. Il a non seulement les inflexions verdiennes rugissantes, mais aussi un très beau sens des nuances poétiques, même si, parfois, l'emballement théâtral en dépareille les couleurs. Et cette folie intérieure, qu'il fait vivre dans toute sa violence extérieure, a toujours quelque chose de très fort et viscéral.

Marina Poplavskaya a également un personnage complexe à interpréter, plutôt passive et malmenée au début, amoureuse de Manrico, puis déchirée, devant chanter "D’amor sull’ali rosee" au dernier acte face au mur et dos à la scène.

Ce que l'on entend dans le registre médium-grave est une magnifique plainte enrubannée de velours noir, suave, et des expressions plus atypiques dans les aigus, avec une tendance à privilégier la puissance aux piani subtils.

Misha Didyk (Manrico), Giovanni Furlanetto (Ferrando), Marina Poplavskaya (Leonore) et  Sylvie Brunet-Grupposo (Azucena)

Misha Didyk (Manrico), Giovanni Furlanetto (Ferrando), Marina Poplavskaya (Leonore) et Sylvie Brunet-Grupposo (Azucena)

Pas forcément attendue dans le rôle d'Azucena, Sylvie Brunet-Grupposo se révèle pourtant excellente actrice et surprenante, car elle la féminise fortement en éclaircissant et en allégeant son chant, alors que son récit du second acte manque néanmoins d'évocation hallucinée.

La déception provient en fait de Misha Didyk. Lors de son apparition, sa ritournelle dédiée à Léonore, entonnée depuis les coulisses, et l'étendue des couleurs fantomatiques de sa voix ont tout d'abord suscité une impression fantastique. Mais par la suite, l'absence d'italianité de ce ténor sombre aux accents fortement slaves retire beaucoup de séduction à son chant, et Manrico se retrouve être un homme solide, un peu rude, absolument pas pleurnichard, mais bien peu subtil.

Enfin, grâce à son rôle étendu qui lui assure une présence intégrale sur scène, Giovanni Furlanetto a surtout l'occasion de jouer le personnage de Ferrando sur la durée, dans une interprétation sans doute pas imposante mais agréable.

Très souvent, les expériences théâtrales à l'opéra impliquent un parti pris de la direction musicale pour infléchir l'harmonie et le rythme au climat de l'œuvre.

Dmitri Tcherniakov et Marc Minkowski

Dmitri Tcherniakov et Marc Minkowski

On n'attendait pas de Marc Minkowski un épanouissement stylistique dans la grande tradition italienne, avec des enchainements virevoltants dans les cabalettes et un son bien léché, sinon un sens du théâtre qu'on lui connaît bien.

La première chose qui frappe est la consistance du tissu orchestral, dense et mat comme l'ébène, l'écrasement du relief sonore, et la sagesse des cadences, assez étonnante pour un tel chef. Les couleurs de l'orchestre deviennent surtout très belles dans les mouvements amples, profonds, mais dans l'ensemble, une certaine lourdeur règne pendant toute la première partie.
Par la suite, c’est la dynamique des passages spectaculaires qui retient l'attention, souple et éclatante, et la poésie feutrée du grand air de Leonore.

La poésie, Dmitri Tcherniakov ne l’oublie pas non plus, comme cette magnifique image du Comte endormi à côté de Léonore, la chevelure ondoyante sur le sol.

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Publié le 10 Juin 2012

Hippolyte et Aricie (Jean-Philippe Rameau)
Répétition générale du 07 juin 2012
Palais Garnier

Phèdre Sarah Connolly
Aricie Anne-Catherine Gillet
Diane Andrea Hill
L’Amour Jaël Azzaretti
Oenone Salome Haller
Tisiphone Marc Mauillon
La Grande Prêtresse Aurélia Gay
Hippolyte Topi Lehtipuu
Thésée Stéphane Degout
Pluton/Jupiter François Lis
Neptune Jérôme Varnier

Mise en scène Ivan Alexandre
Direction Emmanuelle Haïm
Concert d’Astrée
Production du Théâtre du Capitole de Toulouse (2009)

                                                                                                                 Stéphane Degout (Thésée)

Librement inspiré de la tragédie de Jean Racine, Phèdre, le livret d’Hippolyte et Aricie débute par un prologue au cours duquel s’affrontent Diane et Cupidon, déités pourtant toutes deux vouées au bonheur de l’humanité.

Alors que la déesse lunaire, garante de la paix du monde, se fait forte de son invulnérabilité aux attaques de ce dernier qui pourrait lui faire perdre le contrôle sur son existence, l‘Amour, présenté ici sous sa forme directe et foudroyante, vise les cœurs et est associé au désordre, voir la guerre.

A travers Diane, on retrouve ainsi l’esprit méfiant vis-à-vis de l’Amour qui anime le personnage d’Hippolyte, particulièrement dur dans la version d’Euripide où Aricie n’existe pas.
Mais dans l’Opéra de Rameau, la déesse prend une dimension très particulière, car elle intervient elle-même pour permettre à l’amour réciproque des jeunes amants de vivre, malgré les manigances de
 Phèdre et l’erreur de jugement de Thésée.

Andrea Hill (Diane)

Andrea Hill (Diane)

Autre intérêt de la pièce, le deuxième acte se passe intégralement en enfer, là où le Roi d’Athènes, inspiré par la force affective de ses sentiments, est redescendu pour ramener son ami Pyrithoüs capturé et tué par le Cerbère.
Cette grande scène, la plus réussie de la scénographie d’Ivan Alexandre, est aussi la plus complexe musicalement. Elle s’achève sur l’avertissement des trois Parques qui prédisent à Thésée un enfer à son retour chez lui.

La seconde partie reprend le fil de la tragédie de Racine, avec toutefois un final heureux étendu dans le temps.
Phèdre y a une importance moindre, mais Sarah Connolly l’incarne avec une énergie vocale et théâtrale violente, des expressions parfois très réalistes et pathétiques, lui assurant un relief considérable

Sarah Connolly (Phèdre)

Sarah Connolly (Phèdre)

Dans une tessiture principalement sombre, Stéphane Degout donne à Thésée une épaisseur profondément intériorisée et mature, toujours portée par ce souffle long, homogène, qui exprime une gravité et un sens de l’honneur très maîtrisés.
Le geste est juste et sensible, une constante chez lui.

On pourrait dire qu’elle est la chanteuse idéale dans les rôles d’amoureuses spontanées, Anne-Catherine Gillet s’identifie tout de suite par ses fragiles vibrations et cet art de la diction qui créent un rapport affectif à la langue française. Malgré le caractère fade d’Aricie, elle en fait une figure touchante et forte, peut être même l’impression la plus marquante de la soirée.

Hormis les rôles de Jupiter et Pluton, liés à la belle présence de François Lis, les personnages, même les plus secondaires, sont confiés à des interprètes différents.
On retrouve une autre voix de basse tout aussi présente, celle de Jérôme Varnier, un Amour animé par l’impertinence espiègle, et peu angélique, de Jaël Azzaretti, une Diane sombre et mélancolique sous les traits d’Andrea Hill, un Hippolyte comme décomposé par ses sentiments, mais que Topi Lehtipuu ne peut
faire briller, le personnage étant particulièrement creux dans l‘oeuvre.

Anne-Catherine Gillet (Aricie)

Anne-Catherine Gillet (Aricie)

Artisane d’une atmosphère intime et chaleureuse, Emmanuelle Haïm est quelqu’un que l’on admire autant pour l’attention confiante qu’elle porte aux chanteurs, que pour cette apparente envie d’élévation qu’elle communique à ses musiciens.
Les couleurs du Concert d’Astrée sont séduisantes, et même d’une richesse harmonique généreuse, et, un peu à l’image de la gestique angulaire du chef, les effets de continuité restent mesurés, mais sans sécheresse de tonalité.

Il est difficile de ne pas être séduit par la scénographie d’Ivan Alexandre, un enchainement de tableaux en trompe l’œil, à l’ancienne certes, mais unis par un raffinement du détail tant dans les décors que les costumes, et une luminosité sombre et dorée qui enveloppe tout l’ensemble dans un climat hors du temps.

Les nombreux ballets sont réglés avec délicatesse, et évitent tout ridicule mais pas forcément l’ennui, lié à un procédé musical aujourd’hui inexpressif.
Le chœur des chasseresses, au quatrième acte, est cependant très bien mis en scène avec son évocation forte des flèches de Diane et de Cupidon.

Choeur des chasseresses

Choeur des chasseresses

Plutôt conventionnel et sage, le jeu théâtral pourrait mieux mettre en valeur certains passages clés, comme le retour de Thésée, mais ce grand moment de silence, quand Phèdre se retire avec ses idées noires à la fin du premier acte, et qui survient après une amplification dramatique et musicale saisissante, est d‘une force imparable.
La saison prochaine, Dmitri Tcherniakov fera son entrée à la Comédie Française pour mettre en scène Phèdre. Un immanquable bien évidemment.

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Publié le 30 Mai 2012

Philippe Jordan et Waltraud Meier
Concert du 23 mai 2012
Opéra Bastille

Claude Debussy Prélude à l'après-midi d'un faune
Hector Berlioz Les Nuits d’été
Igor Stravinsky Le Sacre du printemps

Bis Maurice Ravel Bolero

Mezzo soprano Waltraud Meier
Direction musicale Philippe Jordan
Orchestre de l’Opéra National de Paris

 

 

                                                           Waltraud Meier

Peut-être en hommage à Claude Debussy, le Prélude à l’après-midi d’un faune s'est substitué à Im Sommerwind, idylle pour grand orchestre d'Anton Webern, qui était prévu dans le programme d'origine.


Pourtant, ce poème contemplatif aurait idéalement évoqué l'osmose évidente qui lie dorénavant les musiciens de l'Opéra National de Paris et leur directeur musical, Philippe Jordan.

En effet, depuis les mouvements profondément voluptueux du Prélude, ondins, surlignés par la souplesse tout autant ondoyante et bien connue du chef, jusqu' aux éclats superbement colorés du Sacre du printemps, ce concert apparaît comme la démonstration d'une dynamique mature et prometteuse pour l'avenir, et l'on songe déjà à la prochaine reprise du Ring.

Quant à l'interprétation des Nuits d'été par Waltraud Meier, très éloignée de le finesse toute fraîche que des musiciennes comme Anne-Catherine Gillet ont récemment gravée, elle est le chant nocturne de la représentante la plus expressive de l'art théâtral wagnérien d'aujourd'hui, et c'est donc cette capacité à maîtriser de tels moyens pour en extraire le plus de délicatesse qui s'apprécie autant que les fragilités de son timbre.

Waltraud Meier

Waltraud Meier

 L'écriture de Berlioz en devient crépusculaire, et il s'agit ainsi d'admirer et de communier avec une immense artiste qui, d'un point de vue personnel, est en train de laisser une empreinte affective forte pour tout ce qu'elle apporte à l'art lyrique et à sa mise en scène.

Mené à la fois avec humour, poigne et un véritable déchainement sauvage dans les dernières minutes, le Bolero de Ravel vient avec surprise conclure cette soirée, où l’on aura finalement entendu trois musiques de ballets ancrées dans la mémoire parisienne.

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