Publié le 2 Août 2012
Parsifal (Richard Wagner)
Représentation du 29 juillet 2012
Festival de Bayreuth
Amfortas Detlef Roth
Titurel Diógenes Randes
Gurnemanz Kwangchul Youn
Parsifal Burkhard Fritz
Klingsor Thomas Jesatko
Kundry Susan Maclean
Mise en scène Stefan Herheim
Décors Heike Scheele
Lumières Ulrich Niepel
Vidéo Momme Hinrichs
Direction musicale Philippe Jordan
Susan Maclean (Kundry) et trois étapes de la jeunesse allemande (hitlérienne, d'avant guerre et d'après guerre sous les traits d'Edmund)
Quatre ans après sa création, la conception historique et psychanalytique de Parsifal par le norvégien Stefan Herheim reste une des plus intelligentes productions du festival, accordée à une scénographie d’une très grande force visuelle.
Il faut être particulièrement attentif pour pouvoir saisir et traduire tous les symboles au premier coup d‘œil, d’autant plus que le premier acte est conçu comme le rêve d’un jeune aventurier décidé à quitter sa mère, Herzeleide, vu sous l’angle du lien qui attache les Allemands à leur mère patrie et à la religion, depuis le moyen âge jusqu’à l’Empire.
Un impressionnant décor reconstitue la villa Wahnfried, la maison où vécut Richard Wagner, à l’intérieur de laquelle Winifried Wagner accueillit plus tard Adolf Hitler.
En surplomb sur la cheminée, à gauche, un grand portrait de Germania - allégorie féminine et frondeuse de la nation allemande - domine la pièce et oriente le regard sur l’identité des protagonistes lorsqu’ils prennent la même allure d’une femme blessée au flanc, vision christique vêtue tout de blanc, qu’il s’agisse de Kundry, Amfortas, ou Parsifal au dernier acte.
La relation à cette femme est montrée sous un aspect douloureux et pénible.
Herheim fait à la fois plaisir à l’audience en représentant la procession du Graal selon un ancien rite orthodoxe lumineux et grandiose, mais ironise tout autant en teintant la coupe d’une couleur violacée factice.
Dans ce monde en apparence innocent et marqué par le symbole bienveillant du cygne, mais qui s’est emmuré, Parsifal apparaît comme un élément perturbateur, joueur, mais encore inconscient du mal sous-jacent qui s’est instillé dans la jeunesse allemande du début XXème.
Le second acte est axé sur la perversion de Klingsor et sur la puissance sexuelle tentatrice de Kundry, identifiée à Marlène Dietrich dans l’Ange Bleu selon le film de Josef von Sternberg.
Il s’agit de montrer ici comment le National Socialisme a instrumentalisé la sexualité des Allemands de manière à les rendre plus combattifs dans les années 30 et 40 (scène avec les infirmières).
Après avoir échoué à séduire Parsifal, Kundry réapparaît en mère nationale, dernière dispute qui atteint le point culminant de l’œuvre avec l’envahissement de la villa par les Nazis, jeunesse hitlérienne, drapeaux et croix gammées recouvrant tout l’espace dans une vision dramatique saisissante.
La destruction de ce monde par la lance du héros d’un blanc étincelant en préserve la pureté, quitte à donner un caractère kitch à cet objet autant symbolique que le Graal.
Le troisième acte ressemble beaucoup à ce que fit pour Paris Krzysztof Warlikowski en 2008.
L’ouverture sur l’ombre des ruines de la villa recoupe les images du film de Rossellini « Allemagne année zéro », les derniers symboles religieux combattants s’abattent (fin de l’ordre des templiers), et, après une spectaculaire désagrégation vidéographique du visage de Wagner dans un brouillard noir intensifiée par la marche menaçante et sinueuse qui précède l’arrivée du chœur installé dans un amphithéâtre, l’avènement d’une république démocratique devient l’issue politique durable d’une nouvelle nation basée sur les valeurs d’une famille recomposée. La nouvelle jeunesse allemande apparaît sous les traits d’Edmund (toujours « Allemagne année zéro » ), et Kundry reste en vie.
La force de ce discours dramaturgique est de rester constamment lié à la musique, et de s’appuyer autant sur une exigeante direction d’acteurs que sur une occupation totale de l’espace scénique, dans toute sa profondeur de champ, et sur une utilisation des éclairages qui peuvent créer une lumière naturelle, ou bien des ambiances surnaturelles.
Face à un tel engagement et à la prégnance du visuel, amplifiée par le noir total dans lequel est plongée la salle de par la disposition même de l‘orchestre totalement dissimulé sous la scène, on ne fait même plus attention aux limites d’une distribution convaincante, mais sans être exceptionnelle.
Burkhard Fritz incarne un Parsifal humble et très humain aux couleurs vocales plutôt sombres, Susan Maclean atteint très vite ses limites dans les aigus mais se rattrape par son expressivité dans la tessiture grave, et Kwangchul Youn commence sérieusement à fossiliser sa voix, ce qui augmente sa stature autoritaire d’homme du passé.
Bien que Klingsor soit très bien défendu par Thomas Jesatko, Detlef Roth devient le chanteur le plus marquant, car il imprime de sa voix claire une humanité complexe et tourmentée, et pourtant énergique, qui donne une vitalité nouvelle à Amfortas.
Cette première représentation de Parsifal au Festival de Bayreuth 2012 est aussi une première pour le directeur musical de l’Opéra National de Paris, Philippe Jordan.
Son grand sens symphonique évanescent, qui donne des frissons dès l’ouverture, s’accomplit totalement au troisième acte, et même si l’on reconnait toujours cette forme de timidité face au sens théâtral, perceptible au premier acte, on l’oublie vite dans les grandes montées lumineuses, et aussi par la connaissance que l’on a du cœur sincère de cet homme exceptionnel.
Il y a bien sûr l’acoustique magnifique du Festspielhaus, mais également les qualités d’un chœur capable de donner une force et une unicité à son chant vocal qui nous touchent au plus profond de l’âme.
Pour revoir et réentendre ce spectacle, Arte diffusera en léger différé la troisième représentation prévue le 11 août 2012.