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Publié le 29 Mai 2022

Bluthaus (Georg Friedrich Haas - 2011 / 2014)
Il Ballo delle ingrate / Lamento della Ninfa - Madrigali Guerrieri ed Amorosi (Claudio Monteverdi - 1608 / 1638)
Représentation du 25 mai 2022
Cuvilliés Theater

Nadja Albrecht, Tochter Vera-Lotte Boecker
Natascha Albrecht, Ihre Mutter Nicola Beller Carbone
Axel Freund, Makler Hagen Matzeit
Werner Albrecht, Vater Bo Skovhus
Meinhard, Jeremias und Lukas Maleta Solist(en) des Tölzer Knabenchors
Frau Reinisch von der Bank Michaela Steiger
Irene, in Ausbildung Irina Kurbanova
Frau Schwarzer, Nachbarin Michaela Steiger
Herr Schwarzer, Nachbar Silvester von Hößlin
Frau Beikirch / Frau Dr. Rahmani Evelyne Gugolz
Herr Fuchs / Herr Dr. Rahmani Bijan Zamani
Frau Hallosch / Frau Stachl Cathrin Störmer
Herr Hubacher Steffen Höld
Herr Maleta Thomas Reisinger
Herr Stachl Christian Erdt                                                  
  Bo Skovhus
Herr Dr. Strickner Thomas Huber
Monteverdi Madrigale Vera-Lotte Boecker, Lukas Siebert, Hagen Matzeit, Solist(en) des Tölzer Knabenchors, Bo Skovhus

Directeur musical Titus Engel
Mise en scène Claus Guth (2022)
Bayerisches Staatsorchester et Monteverdi-Continuo-Ensemble

Production Bayerische Staatsoper et Residenztheaters en coproduction avec l’Opéra national de Lyon

Point culminant de la première année du Festival Ja. Mai du Bayerische Staatsoper, une nouvelle manifestation initiée par Serge Dorny et destinée à rapprocher musiques anciennes et musiques contemporaines, 'Bluthaus' de Georg Friedrich Haas fut créé le 29 avril 2011 au Rokoko Theater de Schwetzingen et remanié en 2014 à Hambourg.

Vera-Lotte Boecker (Nadja Albrecht)

Vera-Lotte Boecker (Nadja Albrecht)

L’œuvre aborde un sujet très dur à travers un fait divers familial sordide où un père ayant abusé pendant des années de sa fille finit égorgé par sa femme avant qu'elle même ne se suicide.

La jeune femme est cependant dans l'incapacité de retrouver une vie normale et de se détacher de telles souffrances, si bien qu'elle décide de vendre la maison dont les murs conservent la mémoire de son malheur.

La nouvelle production de cette pièce conçue dans le magnifique Théâtre rococo Cuvilliés, où furent créés au XVIIIe siècle 'Catone in Utica' de Giovanni Battista Ferrandini et 'Idomeneo, re di Creta' de Wolfgang Amadé Mozart, trouve à nouveau un superbe écrin d'autant plus que la teinte rouge grenat de son intérieur résonne assez bien avec l'ambiance du drame.

Sont ajoutées en prologue et en épilogue deux compositions musicales de Monteverdi, 'Il Ballo delle ingrate' et  'Lamento della Ninfa' tirés des 'Madrigali Guerrieri ed Amorosi', qui plongent d'emblée l'auditeur dans les plaintes intérieures de Nadja, et l'y ramènent au final, une fois son histoire révélée.

Le Cuvilliés Theater

Le Cuvilliés Theater

La mise en scène de Claus Guth est un impressionnant concentré de lisibilité théâtrale, de froide contemporanéité, de saisissante imprégnation musicale avec la vidéographie et d'effervescence scénique, sans que le moindre temps mort ne puisse s'y immiscer.

Et comme la musique de Georg Friedrich Haas est suffisamment riche en complexité de matériaux et variété de rythmes, les univers du librettiste, Händl Klaus, du compositeur et du metteur en scène se percutent pour créer des moments de surréalisme cinématographique d'une très forte intensité.

Ainsi, au centre d’une pièce totalement grise, le double de Najda broie du noir tel un être défait et renfermé qui reste replié sur lui-même et sa catastrophe personnelle, alors que survient une autre Najda en apparence dynamique et sûre d'elle même au moment de procéder à la visite de sa maison.

Le tableau est tragique, puisqu'il superpose l'image d'une volonté qui veut s'imposer à la société et celle d'une régression intérieure qui se protège des regards d'autrui.

Bluthaus - photo Monika Rittershaus

Bluthaus - photo Monika Rittershaus

Mais malgré la présence de l'agent immobilier - Hagen Matzeit fait ressortir avec son timbre de contre-ténor une innocence ambiguë et railleuse -, puis des visiteurs qui apparaîtront successivement, les fantômes du père - Bo Skovhus d'emblée terrible - et de la mère -  Nicola Beller Carbone digne et ressignée - surgissent lentement des murs, et la maison devient la métaphore de l'âme de Nadja.

Le long des changements de tonalités sombres de la musique, comme un lent continuo d'eau noire qui s'écoule en variant subtilement de flux, l'intérieur de la maison et ses vues vers l'extérieur défilent en circulaire, et le piège obsessionnel se referme.

Bluthaus - photo Monika Rittershaus

Bluthaus - photo Monika Rittershaus

Les différents couples où familles de visiteurs, tous incarnés par des acteurs et actrices du Residenztheaters, sont identifiés avec des costumes de couleurs bien marquées, la famille du sud africain Franz Maleta en violet avec ses trois enfants qui en sont une réplique fidèle – ils apportent vocalement une touche de fraîcheur comme les trois génies de ‘La Flûte enchantée’ de Mozart -, Madame Stachl et son fils Johannes en jaune, fils pour lequel elle manifeste une attirance un peu trop tactile, jusqu’au couple Schwarzers en rouge pour signifier l’esprit de méchanceté qui les anime.

Claus Guth prend soin à maintenir une très grande clarté sur les travers sociaux que représentent ces portraits d’aujourd’hui, si bien que sans comprendre le texte d’une même phrase haché et disséminé dans la bouche des différents protagonistes, le spectateur comprend la satire sociale qui se cristallise autour de Nadja.

Le plafond de la maison s'abaisse finalement afin d'accroitre le sentiment d'oppression.

En réponse à ce découpage où les intervenants ne prononcent pas plus de cinq mots d’affilée, la musique de Haas se dissémine en multiples papillotements de percussions et vents, véritable moteur d’une cacophonie théâtrale remarquable de vie et de musicalité.

Serge Dorny, Bo Skovhus, Vera-Lotte Boecker, Cathrin Störmer, Evelyne Gugolz et Titus Engel

Serge Dorny, Bo Skovhus, Vera-Lotte Boecker, Cathrin Störmer, Evelyne Gugolz et Titus Engel

Dans la dernière partie, le retour à la tonalité et à une liquidité dense et majestueusement étirée intervient pourtant en contrepoint de la scène la plus dramatiquement forte, celle où Bo Skovhus et Vera-Lotte Boecker font revivre un épisode du viol du père sur sa fille. L’animalité torturée et les sentiments contradictoires qu’exprime le chanteur danois sont hors du commun, et quand il revient avec un couteau en sang et que la soprano allemande pousse à l’extrême des manifestations de souffrance insoutenables, c’est tout une douleur interne qui est rendue déchirante.

En 2018, pour ceux qui s’en souviennent,  Bo Skovhus et Barbara Hannigan faisaient vivre à l’Opéra de Paris la dernière création de Michael Jarrell, ‘Bérénice’, dans une mise en scène de Claus Guth

On retrouve ici cette même énergie théâtrale outrancière, et si le foisonnement expressif de Vera-Lotte Boecker fait énormément penser à celui de Barbara Hannigan, elle dispose aussi d’un timbre plus charnu ce qui l’inscrit dans la même lignée d’artistes de théâtre musical que la soprano canadienne, et devrait donc lui permettre d’accéder à une reconnaissance internationale qui dépasse les frontières des pays germaniques.

Quant à Titus Engel, il fait entendre la même splendeur sonore avec ses musiciens que ce soit dans Monteverdi ou Haas, et se met au service d’une théâtralité avec laquelle il fait corps tout en donnant énormément de vie et de respiration à l’orchestre, et surtout façonne un modelé des formes et des couleurs qui font ressortir toutes les beautés d’une musique traversée d’ombres subconscientes.

Bo Skovhus, ‘Bayerischer Kammersänger’

Bo Skovhus, ‘Bayerischer Kammersänger’

Et à l’issue de cette représentation, Serge Dorny apparait sur scène pour rendre hommage à Bo Skovhus, qui a fêté ses 60 ans trois jours auparavant, afin de lui remettre le titre de ‘Bayerischer Kammersänger’ au nom du Ministre Bavarois des Arts. 

Le directeur de l’Opéra de Munich a salué son parcours mais aussi la particularité de Bo Skovhus dans le milieu de l’opéra qui est d’être un chanteur de ‘caractère’ qui met le chant au service du portrait et de la caractérisation et non l’inverse.

Ce spectacle haut en couleur sera repris au Théâtre national populaire de Lyon en mars 2023, pour un prix modique, ce qui est une occasion complète d'appréhender la musique baroque, la musique contemporaine, un chant virtuose et la théâtralité d'un sujet social fort, tout cela dans une même soirée.

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Publié le 7 Juin 2014

Le Couronnement de Poppée (Claudio Monteverdi)

Répétition générale du 05 juin 2014
Palais Garnier

Poppée    Karine Deshayes
Octavie    Monica Bacelli
Drusilla/La Fortune Gaëlle Arquez
Néron    Jeremy Ovenden
Othon    Varduhi Abrahamyan
Sénèque     Andrea Concetti
La Nourrice  Giuseppe de Vittorio
Arnalta    Manuel Nuñez Camelino
La Vertue  Jaël Azzaretti
L’Amour Amel Brahim-Djelloul
Valletto Marie-Adeline Henry
Mercure Nahuel Di Pierro                                      Lucain Valerio Contaldo

Mise en scène Robert Wilson
Direction Rinaldo Alessandrini
Concerto Italiano

Coproduction avec le Teatro alla Scala, Milan                                                                                                                                                                                                                        Jeremy Ovenden (Néron)

Avec la nouvelle production de La Traviata, l’Opéra National de Paris annonçait le grand évènement lyrique de la fin de saison, mais, comme l’on s’y attendait un peu, c’est bien au Palais Garnier, et de loin, que l’institution parisienne réussit une de ses plus belles réalisations artistiques de l’année.

Car, si Robert Wilson et Rinaldo Alessandrini ont dès à présent créé L’Orfeo et Il Riturno d’Ulisse in Patria à la Scala de Milan, c’est Paris qui a l’honneur de découvrir la nouvelle production de L’Incoronazione di Poppea.

Varduhi Abrahamyan (Othon)

Varduhi Abrahamyan (Othon)

Entièrement baignée dans des nuances de bleu azur et égyptien, la mise en scène du réalisateur texan évoque un théâtre hors du temps, à la croisée du théâtre élisabéthain et du théâtre médiéval extrême-oriental. Et cette référence au théâtre de Shakespeare se retrouve dans l'enchevêtrement des interventions loufoques à la trame dramatique, sur une musique à peine postérieure de quelques décennies.

Quand apparaissent Poppée et Néron, elle évoquant Elisabeth Ier, lui, protégé par une cuirasse dorée, Philippe II d’Espagne, on ne peut s’empêcher de penser à une histoire d’amour imaginaire entre les deux grands ennemis du XVIème siècle. Mais, plus loin, quelques symboles de la ville de Rome suggèrent simplement la mégalomanie de Néron, un obélisque, ou les restes d’une cité détruite, un énorme débris de chapiteau composite.

Karine Deshayes (Poppée)

Karine Deshayes (Poppée)

Et, en grand maître de l’illusion, Robert Wilson imagine des atmosphères magnifiques et saisissantes, les drapés de brouillard qui apparaissent à la mort de Sénèque, ou un clair de lune étoilé se dissipant lentement dans les lueurs du jour au moment où Poppée se réjouit de la mort de son ennemi.

Pour ce théâtre de gestes et d'alternances entre immobilité et fluidité du mouvement, chaque chanteur, sans exception, est mis en valeur physiquement, mais aussi par la délicatesse de l’écriture vocale qui lui est offerte.

Marie-Adeline Henry (Valletto)

Marie-Adeline Henry (Valletto)

Ainsi, Karine Deshayes et Varduhi Abrahamyan, deux chanteuses déjà bien connues, sont une révélation dans les rôles respectifs de Poppée et Othon.
On entend, chez la première, des variations de tonalités inédites, une excellente maîtrise de ses impulsions vocales, un plaisir évident à incarner l’excès d’assurance de la future impératrice. Quant à la seconde, elle est tout autant méconnaissable avec ce magnifique timbre sombre et polissé.

Et on peut tous les citer, Jeremy Ovenden, en Néron clair et viril, le très beau Lucain de Valerio Contaldo, le Valletto juvénil de Marie-Adeline Henry, l’Octavie de Monica Bacelli, le Sénèque désabusé d’Andrea Concetti – traité à la façon d’une Cassandre -, ou bien l’Amour lumineux d’Amel Brahim-Djelloul, tous fondus dans une même texture vocale aussi unie et subtilement nuancée que l’atmosphère visuelle et orchestrale de l'ouvrage.

Jeremy Ovenden (Néron) et Karine Deshayes (Poppée)

Jeremy Ovenden (Néron) et Karine Deshayes (Poppée)

Les sonorités du Concerto Italiano sont pourtant austères, on y entend peu d’ornementations et de frisures gracieuses, et peu de cette vitalité festive que contient intrinséquement la musique de Monteverdi. Cependant, Rinaldo Alessandrini cherche une homogénéité liée à l’ensemble scénique, coulée dans le sens de la profondeur poétique vers laquelle nous attire ce spectacle, qui parle des heurts entre ambitions et sentiments humains, et de la façon dont chaque personnage les vit intérieurement.

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Publié le 20 Juin 2012

Le Couronnement de Poppée (Claudio Monteverdi)

Représentation du 16 juin 2012
Teatro Real de Madrid

Poppea Nadja Michael
Nerone Charles Castronovo
Ottavia Maria Riccarda Wesseling
Ottone William Towers
Seneca Willard White
Drusilla Ekaterina Siurina
Virtud, Palas Lyubov Petrova
Fortuna, Dama Elena Tsallagova
Amor Serge Kakudji
Page Hanna Esther Minutillo
Nourrice d' Ottavia Jadwiga Rappé
Arnalta José Manuel Zapata
Lucano, Liberto Juan Francisco Gatell

Mise en scène Krzysztof Warlikowski
Direction musicale Sylvain Cambreling
Klangforum Wien
Instrumentation de Philippe Boesmans                            Nadja Michael (Poppée)
 

La nouvelle production du Couronnement de Poppée présentée au Teatro Real est une rare occasion d'entendre l'œuvre de Monteverdi dans l'orchestration de Philippe Boesmans. Cette version fut en effet commandée par Gerard Mortier pour le Théâtre de la Monnaie en 1989, et jouée par un grand orchestre sous la direction de Sylvain Cambreling.

William Towers (Ottone)

William Towers (Ottone)

Mais pour Madrid, le compositeur belge a revu et adapté l’orchestration aux instruments et à l'effectif réduit du Klangforum Wien, un ensemble musical contemporain autrichien comprenant de 20 à 30 pupitres.

Ainsi, si l'enveloppe mélodique est préservée, le climat musical se teint désormais d'une atmosphère voluptueuse qui se substitue à la légèreté champêtre de l‘écriture originelle, et se pare de sonorités chaleureuses et liquides - déferlant de scintillements parfois - d'un synthétiseur, d'un harmonium, d'un piano et d'un célesta.

Nadja Michael (Poppea) et Charles Castronovo (Nerone)

Nadja Michael (Poppea) et Charles Castronovo (Nerone)

Cet univers stylisé et mystérieux devient un support adéquat au théâtre sophistiqué de Krzysztof Warlikowski, et il y a un véritable plaisir à revoir Sylvain Cambreling heureux de diriger un ouvrage que peu auront l’occasion de reprendre, avec un soin amoureux des contrastes incessants et inhérents à cette musique.

Bien que familier des metteurs en scène chers à Mortier - Christoph Marthaler, Johan Simons, Michael Haneke, U. et K-E. Herrmann …-, il s’agit de sa première collaboration avec le directeur polonais, dans une pièce où nombres de personnages sulfureux ne peuvent que toucher ce dernier.

L'idée force de Warlikowski est de suivre une dramaturgie articulée autour d'un événement clé, le suicide de Sénèque, événement qui précipite la décadence d'un monde, la libération des peurs et des désirs, et le triomphe d'une dictature violente.

Willard White (Seneca)

Willard White (Seneca)

L'opéra débute par un cours de philosophie interactif, marqué de la prestance impressionnante et l’élocution mordante de Willard White, et destiné à une classe d'étudiants qui ne sont autres que les futurs acteurs du drame.

L'ambiance est à la détente, et l'on se doute que Warlikowski fait référence à ses propres influences littéraires.

Les textes abordent des thèmes comme les limites de la connaissance de l'autre, ou bien le risque de manipulation politicien par la peur, toutes sortes de peurs.

Maria Riccarda Wesseling (Ottavia) et Jadwiga Rappé (La Nourrice)

Maria Riccarda Wesseling (Ottavia) et Jadwiga Rappé (La Nourrice)

Mais lorsque la musique commence, l'histoire se déroule six ans plus tard, sous le règne de Néron, puis, sur les accords graves et sombres de cuivres dramatiques, défilent des images en clair-obscur de Leni Riefenstahl, artiste connue pour son implication dans le processus d'esthétisation de la politique d'Hitler.

On en retrouve d'autres plus loin, à la gloire de la force masculine allemande, mêlées à la force de l'architecture et de la sculpture antique grecque, civilisation qui fascina et façonna également l'impérialisme romain. 
 

Tout se passe dans un grand gymnase soutenu par quelques piliers latéraux, surplombé en arrière scène par un grand écran pour mettre en valeur les visages et expressions des protagonistes.
Malgré la grande ouverture de la scène, jusqu’au plafond, les voix s’en trouvent valorisées, sans se disperser.

Comme on pouvait s'y attendre, le jeu d'acteur est en mouvement constant, et pousse l'expressivité corporelle dans l'extrémité de ses désirs.

Ottone est présenté comme une figure christique, du moins en apparence, pour laquelle William Towers offre un timbre et des inflexions qui pleurent d'incessantes plaintes.

 

Ekaterina Siurina (Drusilla)

Néron et Poppée surviennent en rampant sur le dos, dans une scène érotique qui place très nettement la future impératrice en position de séductrice, alors que son amant tente de préserver une certaine distance.

Avec un regard aussi perçant que celui de Warlikowski, Nadja Michael est non seulement une artiste très animale, mais également une incarnation vocalement forte et languissante, et le choix d'un ténor comme Charles Castronovo donne à l'Empereur une autorité nerveuse, mais supprime aussi la tendresse ambiguë qu'un contre-ténor aurait normalement exprimée.

Un garde et William Towers (Ottone)

Un garde et William Towers (Ottone)

La belle surprise de la soirée est l'interprétation d'Ottavia par Maria Riccarda Wesseling, elle qui fut découverte dans la première mise en scène de Krzysztof Warlikowski à l'Opéra de Paris, Iphigénie en Tauride.
Tout est superbement rendu, la douleur, la détresse physique, le regard qui cherche en elle-même la vérité des sentiments, et tout cela en évitant absolument le mélodrame.

 Dans les rôles plus secondaires, la Drusilla d’Ekaterina Siurina brille par son charme et sa fraîcheur, Jadwiga Rappé incarne une nourrice chaleureuse, et Hanna Esther Minutillo compose un petit page espiègle et très vivant, un engagement scénique qui dépasse la sensible âpreté de ses couleurs vocales.

Enfin, des trois déesses, la Fortune, la Vertu et l’Amour, Elena Tsallagova est la plus lumineuse, en harmonie avec les sonorités rondes de la musique, tout le contraire de Serge Kakudji qui semble être distribué afin de donner à l’Amour un visage noir.

Warlikowski construit ainsi un cheminement jusqu’à ce que Néron en ait assez de Sénèque, et le pousse au suicide.

Dans ce dernier instant, on voit le philosophe caressant à distance, d’une ombre de la main, une femme qu’il aurait voulu aimer, puis l’arrivée sur scène d’exécuteurs nazis, tous indifférenciés.
La disparition de celui qui imposait une puissance morale, entraîne alors une libération des pulsions les plus retenues, Poppée révélant toute la force dominatrice qui l’anime, et, sans doute plus discutable, le trouble de genre apparaissant chez Néron qui se féminise, sous l'influence de Lucano devenu mauvais garçon.

 

                                                                                              Maria Riccarda Wesseling (Ottavia)

La scène devient de plus en plus envahie des symboles humains nazis et fascistes, les exécuteurs mussoliniens, les Dieux du Stade avec lesquels fuit Ottavia - avec toujours une justification par le texte-, jusqu’à la grande scène finale qui inverse les rôles. Poppée accède à une grandeur dictatoriale absolue.

Tout n’est évidemment pas clair chez Warlikowski, le travestissement d’Arnalta par exemple, mais il signe à nouveau un spectacle très fort et interrogatif, dans l’ensemble plus lisible que certaines de ses pièces de théâtre où l’action peut être parallélisée et plus difficile à suivre.

Nadja Michael (Poppea) et Charles Castronovo (Nerone)

Nadja Michael (Poppea) et Charles Castronovo (Nerone)

Cette version de L'incoronazione di Poppea sera reprise à l’Opéra de Montpellier en mai 2013.

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Publié le 21 Mars 2012

Le Couronnement de Poppée

(Claudio Monteverdi)
Représentation du 18 mars 2012
Opéra de Lille

Poppée    Sonya Yoncheva
Octavie    Ann Hallenberg
Drusilla   Amel Brahim-Djelloul
Néron    Max-Emanuel Cencic
Othon    Tim Mead
Sénèque     Paul Whelan
La Nourrice  Rachid ben Abdeslam
Arnalta    Emiliano Gonzalez Toro
La Fortune   Anna Wall
La Vertue       Khatouna Gadelia
L’Amour / Damigella   Camille Poul

Lucain Mathias Vidal


Mise en scène Jean-François Sivadier
Direction Emmanuelle Haïm
Le Concert d'Astrée                                   Amel Brahim-Djelloul (Drusilla) et Tim Mead (Othon)

On pourrait presque parler de Trilogie du Couronnement de Poppée, car au cours de la renaissante saison de printemps qui s’éveille, pas moins de trois nouvelles productions réalisées dans trois orchestrations différentes du dernier ouvrage de Monteverdi, au moins en partie, sont représentées sur trois grandes scènes lyriques.

A Lille et Dijon la version d’origine réarrangée de Venise et Naples, au Théâtre du Châtelet la version pop de Michael Torke, et enfin au Teatro Real de Madrid la version réorchestrée par Philippe Boesmans au début de l‘été prochain.

Sonya Yoncheva (Poppée) et Tim Mead (Othon)

Sonya Yoncheva (Poppée) et Tim Mead (Othon)

Le travail unitaire de Jean François Sivadier, d’Emmanuelle Haïm, et de tous les acteurs, chanteurs et musiciens offre une image que l’on aime voir, c’est-à-dire une formidable symbiose entre tous ces artistes qui cherchent à inclure dans leur folle joie le public en le prenant à partie et en lui jetant des regards et des sourires complices.
Car l’œuvre est shakespearienne en ce sens qu’elle alterne les moments tragiques et une profusion de scénettes légères, comme le badinage amoureux du Page et de la Demoiselle.

Dès la scène d’ouverture, bien avant que la musique ne commence, les chanteurs arrivent en costumes de ville pour se retrouver avant le spectacle, à l’image du prologue d’Ariane à Naxos. Le spectateur est de fait placé dans une posture distanciée.
 

La mise en scène de Jean François Sivadier s’appuie sur une économie de moyens -ce qui permet une plus facile circulation de ce spectacle de ville en ville-, sur des costumes bigarrés, et surtout sur un jeu d’acteur riche qui, en comparaison des nouvelles productions anémiques et abêtissantes de Nicolas Joel à l’Opéra de Paris, nous emmène loin vers le paradis de la vie.
Le mélange entre pseudo-costumes antiques et tenues actuelles (Othon) ne se comprend pas très bien, mais c’est sans doute sa manière de décrire la variété des formes du désir amoureux, depuis les postures suggestives aux rêves idylliques devant de blanches idoles humaines érotiques, qui touche le plus par sa sincérité. Seul défaut, une tendance à l'agitation qui rappelle un peu trop celle de l'épuisant Laurent Pelly.
Mathias Vidal (Lucain) et Max-Emanuel Cencic (Néron)

La partie vocale est également bien plus qu’agréable. Elle débute avec la douce et caressante Anna Wall, les brillantes Khatouna Gadelia et Camille Poul, et laisse par la suite la place à un couple pas tout à fait en accord.

Sonya Yoncheva n’a pas que le physique du rôle principal, elle en a également la chair, la clarté et l’assurance séductrice. Face à elle, Max-Emanuel Cencic se retrouve poussé dans une tessiture très élevée qui enlaidit son timbre, bien que cette laideur fasse sens dramatiquement en hystérisant Néron.
Mais, lorsqu’il se réapproprie son beau médium sombre et pathétique, et qu’il le fond avec les sonorités profondément religieuse de l‘orgue, l’alliage se transforme en un émouvant moment de grâce.

Son duo final avec Sonya en est absolument vertigineux de beauté.

Max-Emanuel Cencic (Néron) et Sonya Yoncheva (Poppée)

Max-Emanuel Cencic (Néron) et Sonya Yoncheva (Poppée)

Cette profondeur on la trouve aussi en Tim Mead, contre-ténor humble et immédiatement touchant, alors qu’Ann Hallenberg se montre un peu trop attirée par les états larmoyants d’Octavie. Sivadier ne la met pas en valeur, il est vrai, et il la cantonne même dans un rôle de bourgeoise narcissique très superficielle.

Haute stature un peu rude, Paul Whelan investit un Sénèque très sérieux, et Amel Brahim-Djelloul est entièrement la fraicheur de vivre et la fidélité de sentiments incarnée.
Enfin, Rachid ben Abdeslam (travesti en Nourrice) et Emiliano Gonzalez Toro (Arnalata) sont, dans leur rôles respectifs, de joyeux lurons parfaitement à l’aise pour alléger le ton de la matinée.

Emmanuelle Haïm

Emmanuelle Haïm

Mais le plus beau est la chaleureuse tonalité du Concert d’Astrée, composé d’un vingtaine d’instruments anciens, violes de gambes, luths, guitares et dulciane, en totale fusion avec l’action théâtrale, et dirigée par la très belle Emmanuelle Haïm sereine et attentive de tout son cœur. Et cela se ressent.

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