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Publié le 7 Mars 2013

Cosi fan tutte, ossia La scuola degli amanti (Wolfgang Amadé Mozart)
Représentation du 23 février 2013
Teatro Real de Madrid

Fiordiligi Anett Fritsch
Dorabella Paola Gardina
Guglielmo Andreas Wolf
Ferrando Juan Francisco Gatell
Despina Kerstin Avemo
Don Alfonso William Shimell

Direction musicale Sylvain Cambreling
Mise en scène Michael Haneke
Coproduction Théâtre de la Monnaie de Bruxelles            Juan Francisco Gatell (Ferrando) et Andreas Wolf (Guglielmo)

Lorsque Gerard Mortier proposa à Michael Haneke de mettre en scène un opéra de Mozart à Paris, lors de son précédent mandat, le cinéaste autrichien avança, dans un premier temps, Cosi fan Tutte. Mais, comme la production de Patrice Chéreau devait être présentée sur la scène du Palais Garnier, il lui fut confié Don Giovanni, et sa transposition du mythe, dans l’univers d’une entreprise installée en haut des étages d’une tour du quartier de la Défense, reçue un accueil unanime de la part de la critique internationale.

La création de Cosi, au Teatro Real de Madrid, est donc un évènement annoncé depuis quatre ans, et cette première représentation prend une allure mondaine telle qu’on pourrait se croire au Festival de Cannes, avec des dizaines de journalistes, et le brouhaha de la haute société madrilène qui vient se montrer, et se retrouver. L’entrée dans le théâtre est un véritable choc après la traversée des rues du cœur de la ville, et de son effervescence à laquelle se mêlent ceux laissés sur le carreau.
 

Juan Francisco Gatell (Ferrando) et Paola Gardina (Dorabella)

Juan Francisco Gatell (Ferrando) et Paola Gardina (Dorabella)

Mais ce qui frappe, à l’ouverture du rideau, est de voir que Michael Haneke projette sur scène cet univers de femmes et d'hommes aisés qui aiment s‘habiller avec, parfois, un glamour plastique étincelant, qui nous fait penser un peu au monde que Woody Hallen a décrit dans ces derniers films, comme, par exemple, Match Point.

Le décor, qui n’est pourtant pas l’essentiel d’une mise en scène, a une architecture étendue très étirée en largeur, et une profondeur divisée en trois espaces bien distincts. En arrière plan, un escalier mène des jardins extérieurs à l’entrée d’un vestibule où se tient une réception, puis, se poursuit en avant scène dans un salon où s‘étend, côté jardin, une toile inachevée, justement de jeunes couples en costumes d’époques déambulant au milieu de jeux d’eaux, et une armoire glacée remplie de bouteilles et de verres d’alcool.
Une baie vitrée coulissante sépare l’avant scène de l’arrière scène, ce qui permet à la fois de laisser visible toutes les dimensions de l’espace, mais aussi de soutenir la projection des voix.

Les protagonistes apparaissent ainsi en costumes contemporains, mais avec un étrange mélange de références au XVIIIème siècle.

Kerstin Avemo (Despine)

Kerstin Avemo (Despine)

Fiordiligi et Dorabella portent des habits d’aujourd’hui, en cohérence avec leurs rôles respectifs dans le jeu de la séduction, la première en robe rouge légère et attrayante, la seconde en pantalon noir qui signe une allure maîtrisée plus masculine. L’accord vocal des deux chanteuses avec leur sens musical est également très intelligemment réalisé, car en confiant le rôle de Fiordiligi à Anett Fritsch, ample en couleurs et prodigue en graves sombres et sanguins, son personnage devient sensuellement dominant, suivant les lignes de la partition. Elle est la grande découverte de la soirée.

 Elle brille donc plus que Dorabella, car Paola Gardina l’incarne avec un timbre charmant mais moins opulent que d’autres cantatrices telle Elina Garanca. Son interprétation théâtrale et réaliste révèle tout d’une femme sûre d’elle-même au tempérament viscéral, et, comme pour tous les autres artistes, la finesse humaine du jeu renouvelle constamment le plaisir visuel.

 Des deux amants, Guglielmo est le plus séducteur, vocalement et physiquement, et le jeune baryton Andreas Wolf en donne une image un peu innocente et mystérieuse, avec son allure musclée et sa blondeur léonine. A cela s’ajoute un timbre de crooner auquel Dorabella ne peut résister, poussée dans ses retranchements au second acte, quand la chaleur de la cheminée se confond avec le fondant boisé des ondes orchestrales, l’un des meilleurs moments de Sylvain Cambreling.

Juan Francisco Gatell (Ferrando), Andreas Wolf (Guglielmo) et Kerstin Avemo (Despine)

Juan Francisco Gatell (Ferrando), Andreas Wolf (Guglielmo) et Kerstin Avemo (Despine)

Juan Francisco Gatell, très authentique dans sa déclamation, fait entendre un accent qui ôte un peu de l’italianité du chant de Ferrando, mais il compose un personnage en apparence doux et nerveux à la fois, l’impression que laisse transparaître son legato.
Et, à l’inverse du couple Dorabella-Guglielmo, c’est lui qui, sur scène, subit le désir irrépressible suscité par Fiordiligi, lui échappant tout en le repoussant en rampant su sol les jambes nues pour mieux l’attirer.

Cette mise en scène du scénario de la séduction réciproque est d’une emprise presque suffocante, car Michael Haneke montre Don Alfonso et Despina sous des angles très sombres. Le vieil homme est interprété par un William Shimell d’une très belle tenue vocale, dans ses habits d’époque qui évoquent Valmont, et Kerstin Avemo, peu virtuose et éloignée du cliché de la soubrette habituelle, devient un personnage manipulateur machiavélique et glaçant caché derrière son visage de clown.

Tous les mécanismes des pièges du désir sont ainsi déclenchés l'un après l’autre, la façon dont Despine découvre, en déchirant leurs chemises, les torses nus flamboyants des deux hommes, éclairés par la lumière glacée de l’armoire à alcool, jusqu’à la chaleur du salon qui contraste avec la froideur du jardin extérieur illuminé par les lueurs bleu-argent d’une pleine Lune. Corps et alcool sont inévitablement les deux facteurs qui vont dominer l'être humain fait de chair et de sang. Les poses, sur les moments clés, sont alors comme un arrêt sur image qui captent plus fortement la conscience du spectateur.

Anett Fritsch (Fiordiligi)

Anett Fritsch (Fiordiligi)

C’est tout un enchainement théâtral bouleversant par la force inexorable qui s’en dégage, et l’orchestre, sous la baguette de Sylvain Cambreling, a un peu de mal à se synchroniser au premier acte, mais, par la suite, les moments les plus sensuels, soulignés par un foisonnement sonore des cordes, qui laisse sans doute moins de champ expressif aux motifs solo, font entendre un Mozart dans la vie, et pas seulement enclin à l‘expression du raffinement.

On pouvait entendre certains décalages entre chanteurs et orchestre, mais ils sont restés bien minimes au regard du jeu théâtral exigeant qui ne facilite pas l’emprise visuelle avec le chef.

Haneke nous a montré comment la vie peut chercher instinctivement à détruire les relations existantes ou en phase de construction entre les personnes.  C’est ici d’un cynisme incroyable, mais plus mesquin dans la réalité.

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Publié le 20 Juin 2012

Le Couronnement de Poppée (Claudio Monteverdi)

Représentation du 16 juin 2012
Teatro Real de Madrid

Poppea Nadja Michael
Nerone Charles Castronovo
Ottavia Maria Riccarda Wesseling
Ottone William Towers
Seneca Willard White
Drusilla Ekaterina Siurina
Virtud, Palas Lyubov Petrova
Fortuna, Dama Elena Tsallagova
Amor Serge Kakudji
Page Hanna Esther Minutillo
Nourrice d' Ottavia Jadwiga Rappé
Arnalta José Manuel Zapata
Lucano, Liberto Juan Francisco Gatell

Mise en scène Krzysztof Warlikowski
Direction musicale Sylvain Cambreling
Klangforum Wien
Instrumentation de Philippe Boesmans                            Nadja Michael (Poppée)
 

La nouvelle production du Couronnement de Poppée présentée au Teatro Real est une rare occasion d'entendre l'œuvre de Monteverdi dans l'orchestration de Philippe Boesmans. Cette version fut en effet commandée par Gerard Mortier pour le Théâtre de la Monnaie en 1989, et jouée par un grand orchestre sous la direction de Sylvain Cambreling.

William Towers (Ottone)

William Towers (Ottone)

Mais pour Madrid, le compositeur belge a revu et adapté l’orchestration aux instruments et à l'effectif réduit du Klangforum Wien, un ensemble musical contemporain autrichien comprenant de 20 à 30 pupitres.

Ainsi, si l'enveloppe mélodique est préservée, le climat musical se teint désormais d'une atmosphère voluptueuse qui se substitue à la légèreté champêtre de l‘écriture originelle, et se pare de sonorités chaleureuses et liquides - déferlant de scintillements parfois - d'un synthétiseur, d'un harmonium, d'un piano et d'un célesta.

Nadja Michael (Poppea) et Charles Castronovo (Nerone)

Nadja Michael (Poppea) et Charles Castronovo (Nerone)

Cet univers stylisé et mystérieux devient un support adéquat au théâtre sophistiqué de Krzysztof Warlikowski, et il y a un véritable plaisir à revoir Sylvain Cambreling heureux de diriger un ouvrage que peu auront l’occasion de reprendre, avec un soin amoureux des contrastes incessants et inhérents à cette musique.

Bien que familier des metteurs en scène chers à Mortier - Christoph Marthaler, Johan Simons, Michael Haneke, U. et K-E. Herrmann …-, il s’agit de sa première collaboration avec le directeur polonais, dans une pièce où nombres de personnages sulfureux ne peuvent que toucher ce dernier.

L'idée force de Warlikowski est de suivre une dramaturgie articulée autour d'un événement clé, le suicide de Sénèque, événement qui précipite la décadence d'un monde, la libération des peurs et des désirs, et le triomphe d'une dictature violente.

Willard White (Seneca)

Willard White (Seneca)

L'opéra débute par un cours de philosophie interactif, marqué de la prestance impressionnante et l’élocution mordante de Willard White, et destiné à une classe d'étudiants qui ne sont autres que les futurs acteurs du drame.

L'ambiance est à la détente, et l'on se doute que Warlikowski fait référence à ses propres influences littéraires.

Les textes abordent des thèmes comme les limites de la connaissance de l'autre, ou bien le risque de manipulation politicien par la peur, toutes sortes de peurs.

Maria Riccarda Wesseling (Ottavia) et Jadwiga Rappé (La Nourrice)

Maria Riccarda Wesseling (Ottavia) et Jadwiga Rappé (La Nourrice)

Mais lorsque la musique commence, l'histoire se déroule six ans plus tard, sous le règne de Néron, puis, sur les accords graves et sombres de cuivres dramatiques, défilent des images en clair-obscur de Leni Riefenstahl, artiste connue pour son implication dans le processus d'esthétisation de la politique d'Hitler.

On en retrouve d'autres plus loin, à la gloire de la force masculine allemande, mêlées à la force de l'architecture et de la sculpture antique grecque, civilisation qui fascina et façonna également l'impérialisme romain. 
 

Tout se passe dans un grand gymnase soutenu par quelques piliers latéraux, surplombé en arrière scène par un grand écran pour mettre en valeur les visages et expressions des protagonistes.
Malgré la grande ouverture de la scène, jusqu’au plafond, les voix s’en trouvent valorisées, sans se disperser.

Comme on pouvait s'y attendre, le jeu d'acteur est en mouvement constant, et pousse l'expressivité corporelle dans l'extrémité de ses désirs.

Ottone est présenté comme une figure christique, du moins en apparence, pour laquelle William Towers offre un timbre et des inflexions qui pleurent d'incessantes plaintes.

 

Ekaterina Siurina (Drusilla)

Néron et Poppée surviennent en rampant sur le dos, dans une scène érotique qui place très nettement la future impératrice en position de séductrice, alors que son amant tente de préserver une certaine distance.

Avec un regard aussi perçant que celui de Warlikowski, Nadja Michael est non seulement une artiste très animale, mais également une incarnation vocalement forte et languissante, et le choix d'un ténor comme Charles Castronovo donne à l'Empereur une autorité nerveuse, mais supprime aussi la tendresse ambiguë qu'un contre-ténor aurait normalement exprimée.

Un garde et William Towers (Ottone)

Un garde et William Towers (Ottone)

La belle surprise de la soirée est l'interprétation d'Ottavia par Maria Riccarda Wesseling, elle qui fut découverte dans la première mise en scène de Krzysztof Warlikowski à l'Opéra de Paris, Iphigénie en Tauride.
Tout est superbement rendu, la douleur, la détresse physique, le regard qui cherche en elle-même la vérité des sentiments, et tout cela en évitant absolument le mélodrame.

 Dans les rôles plus secondaires, la Drusilla d’Ekaterina Siurina brille par son charme et sa fraîcheur, Jadwiga Rappé incarne une nourrice chaleureuse, et Hanna Esther Minutillo compose un petit page espiègle et très vivant, un engagement scénique qui dépasse la sensible âpreté de ses couleurs vocales.

Enfin, des trois déesses, la Fortune, la Vertu et l’Amour, Elena Tsallagova est la plus lumineuse, en harmonie avec les sonorités rondes de la musique, tout le contraire de Serge Kakudji qui semble être distribué afin de donner à l’Amour un visage noir.

Warlikowski construit ainsi un cheminement jusqu’à ce que Néron en ait assez de Sénèque, et le pousse au suicide.

Dans ce dernier instant, on voit le philosophe caressant à distance, d’une ombre de la main, une femme qu’il aurait voulu aimer, puis l’arrivée sur scène d’exécuteurs nazis, tous indifférenciés.
La disparition de celui qui imposait une puissance morale, entraîne alors une libération des pulsions les plus retenues, Poppée révélant toute la force dominatrice qui l’anime, et, sans doute plus discutable, le trouble de genre apparaissant chez Néron qui se féminise, sous l'influence de Lucano devenu mauvais garçon.

 

                                                                                              Maria Riccarda Wesseling (Ottavia)

La scène devient de plus en plus envahie des symboles humains nazis et fascistes, les exécuteurs mussoliniens, les Dieux du Stade avec lesquels fuit Ottavia - avec toujours une justification par le texte-, jusqu’à la grande scène finale qui inverse les rôles. Poppée accède à une grandeur dictatoriale absolue.

Tout n’est évidemment pas clair chez Warlikowski, le travestissement d’Arnalta par exemple, mais il signe à nouveau un spectacle très fort et interrogatif, dans l’ensemble plus lisible que certaines de ses pièces de théâtre où l’action peut être parallélisée et plus difficile à suivre.

Nadja Michael (Poppea) et Charles Castronovo (Nerone)

Nadja Michael (Poppea) et Charles Castronovo (Nerone)

Cette version de L'incoronazione di Poppea sera reprise à l’Opéra de Montpellier en mai 2013.

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Publié le 12 Novembre 2011

Les Capulet et les Montaigu (Bellini)
Version de concert du 11 novembre 2011
Théâtre des Champs Elysées

Roméo Anna Caterina Antonacci
Juliette Olga Peretyatko
Thibault Juan Francisco Gatell
Frère Laurent Carlo Cigni
Capello Giovanni Battista Parodi
Orchestre et Chœur de l’Opéra de Lyon

Direction Musicale Evelino Pìdo

 

 

 

                                                                                                  Anna Caterina Antonacci (Roméo)

Un an après, jour pour jour, la version de concert de l’Otello de Rossini qui ouvrit brillamment la saison 2010/2011, le Théâtre des Champs Elysées recommence avec un autre opéra du répertoire romantique italien du XIXème siècle, Les Capulet et les Montaigu.

Ce soir, Evelino Pìdo est sans réserve le point focal d’une admiration personnelle, tant ce chef a non seulement dirigé l’orchestre avec une dynamique éblouissante de sonorités virevoltantes, comme des feux follets, et de somptueuses ondoyances, mais également tenu une attention constante au plus proche des solistes, ce qui rend une image magnifiquement belle de la vie veillant sur la moindre fragilité de chacun afin que l’harmonie ne souffre d’aucune rupture.

Olga Peretyatko (Juliette)

Olga Peretyatko (Juliette)

Carlo Cigni et Giovanni Battista Parodi sont notablement neutres dans l’interprétation de Frère Laurent et Capello, ce qui met très en valeur Juan Francisco Gatell dans le rôle de Thibault. Tout est dans le style superbement lié, subtil, affirmé sans exagération, et une fraicheur qui pallie une envergure vocale plutôt modeste.

Anna Caterina Antonacci débute également avec la sensualité des couleurs ambrées de son timbre inimitable, mais les passages plus accélérés diluent nettement la profondeur de ses expressions. Son charisme scénique lui est en fait un allié indéfectible.

On découvre alors Olga Peretyatko, une voix idéalement conduite dans les dynamiques les plus élevées, des notes filées sublimes, trop de joliesse alors que l’émotion devrait aussi provenir des effrois du cœur et du corps.

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