La salle modulable et les ateliers de l'opéra Bastille - Historique et projet d'achèvement (1982 - 2023)
Publié le 27 Octobre 2018
Dans son rapport d'activité 2017 / 2018, l'Opéra National de Paris consacre un chapitre au projet de salle modulable et des ateliers Bastille relancé par François Hollande en 2016. Afin de mesurer l'enjeu de ces deux équipements laissés en friche, l'article ci-dessous résume les principales étapes qui marquent leur développement depuis plus de trente ans.
La salle modulable était conçue originalement pour accueillir 1500 spectateurs et offrir un espace expérimental et de création chaleureux, mais elle reste toujours en 2018 construite à l'état brut.
Historique de la salle modulable de 1982 à 1989
8 mars 1982 François Mitterrand annonce la construction d’un nouvel opéra moderne et populaire sur la Place de la Bastille.
27 juillet 1982 François Mitterrand adresse à son ministre de la Culture, Jack Lang, une lettre de mission pour l'aboutissement de ce grand projet, un opéra comprenant une grande salle de 2 500 à 3 200 places, une salle à vocation expérimentale et divers espaces composant une « maison de l’Opéra »
6 septembre 1983 Par décret, Massimo Bogianckino est nommé administrateur général du Théâtre national de l’Opéra de Paris.
17 novembre 1983 François Mitterrand choisit le projet de l’architecte canadien Carlos Ott.
14-15 avril 1984 La décision d’ouvrir la salle modulable dès 1987 est prise, mais cette anticipation est abandonnée quatre mois plus tard.
Un symposium présidé par Pierre Boulez et Massimo Bogianckino tente de définir la vocation et la programmation artistique de la salle. Pour Gerard Mortier, la salle modulable ne peut avoir qu’une vocation expérimentale
06 septembre 1985 Gerard Mortier est nommé directeur artistique du projet Opéra-Bastille.
Il réclame la suppression de la cage de scène, jugée rétrograde, et des gradins fixes en fond de salle.
L’intervention de Pierre Boulez et la résistance des techniciens sauvent la cage de scène et la moitié des places fixes en gradins.
01 et 02 février 1986 Au Théâtre des Amandiers, chez Patrice Chéreau, les prévisions de programmation envisagées par Gerard Mortier, 200 à 250 spectacles dans la grande salle et 120 dans la salle modulable, sont entérinées. Mais Gerard Mortier se décourage et démissionne suite aux luttes politiques. En effet, Jacques Chirac, nommé Premier ministre le 20 mars 1986, souhaite abandonner ce projet et remplacer l'Opéra par un auditorium, mais François Léotard s’engage cependant à le sauver.
12 août 1986 François Léotard annonce l’abandon des ateliers et de la salle modulable.
Septembre 1986 Un dossier avec de nouvelles orientations afin de dissocier les fonctions acoustiques et scénographiques est rédigé et les fondations sont coulées malgré le souhait du Gouvernement d’arrêter.
Début 1987 François Mitterrand visite le chantier Bastille et juge absurdes les mesures d’économie décidées par le Gouvernement, s’agissant notamment de la salle modulable.
Août 1987 Daniel Barenboim est nommé directeur artistique et musical.
10 décembre 1987 Matignon entérine la construction d’une version réduite des ateliers Bastille.
Février 1988 Incertitude sur le sort de la salle modulable, alors que la carcasse de béton et les façades sont déjà réalisées.
Carlos Ott, Jack Lang, François Mitterrand, Gerard Mortier, Robert Lion - Présentation du projet Bastille en septembre 1985
31 août 1988 Le nouveau gouvernement de Michel Rocard nomme Pierre Bergé président de l’Association des Théâtres de l’Opéra de Paris, qui réunit pour quelques temps les trois salles de Garnier, Favart et Bastille. Le projet initial englobant les ateliers et la salle modulable redémarre. La salle doit ouvrir ses portes au public en 1991.
Janvier 1989 Les dissensions entre Pierre Berger et Daniel Barenboim concernant la politique artistique, le premier étant aligné sur une vision symbolique et populaire de son ouverture alors que le second privilégie la qualité contemporaine de la scène destinée à accueillir les œuvres du XXe siècle, entraînent la démission d’Alain Pichon, le directeur général, qui est remplacé par Dominique Meyer.
Daniel Barenboim rompt alors la négociation sur les conditions d’exercice de sa fonction et est licencié ce qui provoque le départ de Patrice Chéreau puis Pierre Boulez resté jusqu’à présent solidaire du projet Bastille.
Le projet de salle modulable est cette fois condamné pour de bon. Georges François Hirsch (l'administrateur) s'exclame qu'elle seule justifie l’existence de l'opéra Bastille.
13 Juillet 1989 Concert inaugural d’ouverture de l’opéra Bastille, dirigé par Georges Prêtre.
17 mars 1990 L'opéra Bastille réussit brillamment son ouverture au public avec Les Troyens d'Hector Berlioz, pour la première fois en version intégrale.
Le projet de salle pour la Comédie Française de 2011 à 2012
Septembre 2011 Le projet d’ouverture d’une nouvelle salle de la Comédie-Française dans les espaces libres destinés initialement à la salle modulable de l'Opéra Bastille est annoncé par Frédéric Mitterrand, ministre de la Culture et de la Communication.
Fin 2012 Pour cause de rigueur budgétaire, ce projet est cependant suspendu par la ministre de la Culture Aurélie Filippetti.
Le projet de Cité du théâtre, de la salle modulable et des ateliers de décors de l’opéra Bastille.
24 octobre 2016 Le président de la République François Hollande, accompagné d’Audrey Azoulay, la ministre de la Culture, annonce sa volonté de créer à horizon 2023 une Cité du théâtre, à l’image de la Cité de la musique du parc de la Villette, sur l’emplacement des ateliers Berthier. L’Odéon bénéficierait d’une salle totalement modernisée (800 places), la Comédie-Française y trouverait sa salle modulable tant rêvée (650 places) et le conservatoire supérieur d’art dramatique, des locaux adaptés aux nouvelles exigences pédagogiques (salles de répétitions, bibliothèque).
A cette occasion, Stéphane Lissner, directeur de l’Opéra National de Paris, annonce que la salle modulable Bastille sera finalement construite dans les années à venir.
Le projet de transformation des ateliers Berthier consiste en effet à rapatrier les décors de l’Opéra qui y sont stockés vers une zone laissée en jachère entre l’arrière de Bastille et la Coulée verte.
Les objectifs de la nouvelle salle modulable de l’Opéra
Dans son rapport de saison 2017 /2018, l’Opéra National de Paris précise les objectifs de la salle modulable (capacité de 800 places, surface de 1200 m2 et hauteur de 41 m) :
- Accueil de certains spectacles, par exemple de danse ou de musique des XXe et XXIe siècles, avec une jauge plus adaptée à la spécificité de ces propositions artistiques ;
- Ouverture d’un nouvel espace d’expression aux jeunes artistes (artistes lyriques, chorégraphes, musiciens, metteurs en scène…) préparés au sein de l’Académie de l’Opéra
- Accueil du jeune public et des actions conduites dans les programmes « Dix Mois d’École et d’Opéra », « Les Petits Violons » et « Opéra-Université » ;
- Disponibilité à la location de nouveaux espaces pour des évènements variés (cocktails, défilés de mode, conférences d’entreprise) ;
- Accueil de répétitions de spectacles destinés à la scène Garnier.
Ces deux derniers points permettront ainsi de dégager de nouvelles ressources propres et d’augmenter, par exemple, le nombre de représentations à Garnier.
Budget et calendrier de la salle modulable et des ateliers de décors de l’opéra Bastille
Le montant de l’opération s’élève à 59 millions d’euros, financée en partie par le mécénat.
Le cabinet d'architecture Henning Larsen est retenu depuis fin janvier 2019 - il est notamment le concepteur du Royal Danish Opera et de l'Harpa Concert Hall de Reykjavik. Il associera à la réflexion les représentants des salariés et des artistes, et les travaux démarreront au printemps 2020 pour une mise en service prévue initialement en janvier 2023, mais repoussée à début 2024 suite à la crise sanitaire de 2020.
Par ailleurs, de nouveaux espaces publics seront aménagés, avec l'ajout d'un nouveau hall d'accueil et d'un restaurant.
Les premières orientations données par Alexander Neef après sa prise de fonction en septembre 2020
Suite à sa prise de fonction le 01 septembre 2020, le nouveau directeur de l'Opéra de Paris a confirmé que le projet de la salle modulable se poursuivait, la dernière tranche de 20 millions d'euros étant budgétée par le Ministère de la Culture :
D'abord nous ne voulions pas une troisième salle à l'italienne puisque nous en avons déjà deux, mais un grand volume beaucoup plus flexible, des configurations différentes pour produire ce que nous ne pouvons pas faire dans les grandes salles en termes de répertoire d'opéra et de créations. Ce qui m'intéresse beaucoup également, ce sont les formes de théâtre musical non-européennes qui répondent à la diversité de la société française aujourd'hui. Le travail que Bernard Foccroulle a fait par exemple au Festival d'Aix-en-Provence autour de la Méditerranée m'a beaucoup impressionné. C'est aussi le lieu et le moyen d'ouvrir l'opéra à ceux qui ne sont pas nos publics traditionnels. Nous avons surtout l'idée d'inviter des compagnies jeunes, lyriques et chorégraphiques (et pas uniquement parisiennes). Nous ferons ce travail avec les forces de la maison et la rencontre d'artistes invités.
Ce projet m'intéresse car il est complémentaire de celui de nos grandes salles, pour ouvrir plus largement l'éventail au public et pour créer une trajectoire d'accessibilité beaucoup plus décontractée, depuis cette salle modulable jusque vers les grandes salles.”
Le projet de salle modulable à nouveau mis en pause avant l'été 2021
Le 28 septembre 2021, un article dans Les Echos révèle que le projet de salle modulable est à nouveau à l'arrêt depuis la fin du printemps 2021, la direction de l'Opéra de Paris partageant avec l'Etat que ce n'est pas le moment de le faire après plus d'un an de pandémie.
La décision émane du ministère de la Culture – tutelle de l’institution –, qui estime plus urgent de « redresser la situation financière de la maison et le renouvellement de son modèle économique reposant sur l’excellence artistique ». « C’est compréhensible d’un point de vue économique, reconnaît Martin Ajdari, directeur général adjoint de l’Opéra. Le besoin auquel cette salle devait répondre demeure, mais il faut savoir choisir ses priorités. »
Il y restera une salle de répétition de l'orchestre et un espace brut pour y faire des défilés de mode.
Contraint de fermer ses portes au public entre mars 2020 et mai 2021, l’Opéra – dont les ressources propres telles la billetterie, la location d’espaces, les boutiques ou le mécénat, comptaient pour 59 % de son budget en 2020 – enregistrait fin novembre dernier 45 millions de pertes liées à la pandémie (contre 4 millions à cause des grèves). Et prévoit des pertes jusqu’en 2022.
À deux reprises depuis le début de la crise sanitaire, le ministère de la Culture a donc volé au secours de l'Opéra de Paris : 106 millions (incluant 25 millions prévu dans le second projet de loi de finances rectificative de 2021), dont 20 millions issus du plan de relance devaient solder le financement de la salle modulable. « Nous avons obtenu la garantie que cette somme restera acquise pour financer l’accueil des activités de Berthier et couvrir des investissements et travaux de rénovation auxquels ce bâtiment de trente-cinq ans doit faire face », explique Martin Ajdari.
Le vendredi 19 novembre 2021 matin, sur France Musique, Christian Merlin revient sur l'annonce de la suspension du projet de salle modulable, choix qu'il trouve bien dommage car il y a beaucoup de réflexions stimulantes des jeunes compositeurs, librettistes, metteurs en scène, sur les nouvelles formes à donner à l'opéra, qui est vraiment un genre très ancré dans le passé, et le musicologue rappelle qu'un certain Richard Wagner a toujours dit qu'il fallait repenser l'architecture du théâtre pour faire évoluer l'art.
Un nouvel emploi pour la salle modulable
Si le projet de salle modulable est à nouveau repoussé, l'espace laissé existe toujours, si bien qu'il devient possible de l'aménager et de lui trouver une finalité temporaire.
Ainsi, le 20 septembre 2022, a lieu le vernissage de l'exposition du Grand Palais immersif 'Venise révélée' qui sera déployée dans les volumes de la salle modulable jusqu'au 19 février 2023, une présentation numérique de l'histoire de Venise et de ses trésors cachés.