Publié le 26 Octobre 2014
Les Nègres (Jean Genet)
Représentations du 18 et 25 octobre 2014
Odéon Théâtre de l’Europe
Avec Armelle Abibou, Astrid Bayiha, Daphné Biiga Nwanak, Bass Dhem, Lamine Diarra, Nicole Dogué, William Edimo, Jean-Christophe Folly, Kayije Kagame, Gaël Kamilindi, Babacar M’Baye Fall, Logan Corea Richardson, Xavier Thiam, Charles Wattara
Mise en scène Robert Wilson
Musique Dickie Landry / Ornette Coleman
Coproduction Festival d'Automne, TNP-Villeurbanne, deSingels campus arts international - Anvers, Festival Automne en Normandie, La Comédie de Clermont-Ferrand
Armelle Abibou (La Reine)
Si 55 ans se sont exactement écoulés depuis la création des Nègres au Théâtre de Lutèce, force est de constater que le texte de Jean Genet a perdu de son impact, même si la mise en scène de Robert Wilson au Théâtre de l’Odéon n’en souligne que quelques facettes - la caricature diabolisée et déjantée du noir, et les sentiments dans ce qu’ils ont de plus sensiblement et universellement humains.
Très souvent, le texte est couvert pas la musique, et ce qui fait le prix de ce spectacle est avant tout l’euphorisante énergie de la troupe d’acteurs noirs, tous expansifs et fascinants.
Et alors que les spectateurs entrent dans la salle pendant le quart-d’heure qui précède le début de l’œuvre, une musique jazzy les accueille, sous le regard impassible et mystérieux de Babacar M’Baye Fall, Ville de Saint-Nazaire.
Ensuite, l’arrivée de la troupe est merveilleusement mise en scène. Elle les fait surgir un à un devant la façade d’une maison africaine, sous une rafale de mitraillette qui les fige. Derrière le silence, une musique stellaire et onirique dont l’auteur n’est pas mentionné - musique qui semble inspirée de The Glade (Randy Edelman et Trevor Jones) – idéalise leur passage vers un autre monde, alors que s’humanisent imperceptiblement leurs traits du visage émus.
Wilson ne fait que suggérer la violence et la haine dont souffraient les noirs dans les années 50-60 en Amérique.
Puis, une fois passé le seuil de l’habitation traversée de nuages, le show commence en habits de couleurs vert, rouge, violet, jaune, comme dans La Flûte Enchantée que le metteur en scène avait monté à l’Opéra Bastille.
Evidemment, la joie de vivre et la facilité avec lesquelles les femmes dansent, chacune selon son style, l’ondoyante Kayije Kagame (Vertu), la drôle et attachante Daphné Biiga Nwanak (Neige) au regard roulant, sont un enchantement réconfortant, et la pièce se déroule dans un lieu unique jonché féériquement de serpentins lumineux.
En surplomb, cinq noirs déguisés en blancs jugent les acteurs et déclament avec ironie. En arrière-plan, dans l’ombre, le saxophoniste joue du Dickie Landry, à mi-hauteur, Nicole Dogué (Félicité) s’efforce d’assurer sa puissance dominatrice, et tout ce jeu s'exalte sur un fond bleu hypnotique, éclairé d’un fin croissant de lune serti d’étoiles, qui réveille notre conscience d’enfant.
Rien n’est montré du simulacre du cadavre blanc, sinon une simple fleur pâle, ni du meurtre des cinq blancs transfiguré en un rite vaudou satirique.
Tout est faux, mais l’humain se reflète dans tous les visages, et si cette pièce est une comédie sur les images préconçues des noirs qui semble dépassée, c’est qu’aujourd’hui les images fausses concernent de façon plus virulente d’autres stéréotypes à propos des juifs, des homosexuels et des musulmans. Mais il ne manque qu’un nouveau Jean Genet pour les mettre en abîme.