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Publié le 13 Février 2024

‘Sein oder Nichtsein’
Récital du 12 février 2024
Théâtre de l’Athénée Louis-Jouvet

Johannes Brahms      Fünf Lieder der Ophelia WoO 22 (1873)
                                  Sech Lieder op.97/1 Nachtigall (1885)
Felix Mendelssohn    Sech Lieder op.71/4 Schilflied (1842)
Hugo Wolf                Mörike Lieder No. 42 Erstes Liebeslied eines Mädchens (1888)
Arthur Honegger      Trois chansons extraites de La Petite Sirène de Hans Christian Andersen (1926)
Franz Schubert         Rosamunde D 797 - Romanze ‘Der Vollmond strahlt auf Bergeshöh'n’ (1823)
Richard Strauss        Drei Lieder der Ophelia op. 67 (1918)
Kurt Weill                Das Berliner Requiem - Die Ballade vom ertrunkenen Mädchen (1928)
Robert Schumann    Sechs Gesänge op.107/1 Herzeleid (1851)
Hector Berlioz         Tristia op.18/2 La mort d'Ophélie (1842)
Franz Schubert        Der Tod und das Mädchen, opus 7 no 3, D.531 (1817)
John Dowland         Sorrow, Stay (1600)
Lecture de textes de William Shakespeare, Georg Heym, Heiner Müller & Georg Trakl

Bis       Kurt Weill    L'Opéra de Quat'sous, Liebeslied (1928)

Soprano Anna Prohaska
Voix Lars Eidinger
Piano Eric Schneider

A l’occasion des 400 ans de la mort de William Shakespeare, la soprano Anna Prohaska, l’acteur berlinois Lars Eidinger et le pianiste Eric Schneider ont donné à la salle Mozart de l’'Alte Oper’ de Frankfurt, le 01 décembre 2016, un concert en hommage au dramaturge anglais, élaboré à partir d’un programme regroupant des mélodies de différents compositeurs dédiées à la figure féminine d’Ophélie.

Eric Schneider, Lars Eidinger et Anna Prohaska

Eric Schneider, Lars Eidinger et Anna Prohaska

Depuis, ce récital a été repris dans plusieurs villes allemandes telles Potsdam et Dresde, et c’est le Théâtre de l’Athénée qui offre l’opportunité de l’entendre à Paris, quasiment à l’identique, moyennant un léger arrangement : ‘Mädchenlied’, le 6e des ‘Sieben Lieder’ op. 95 de Brahms, et ‘Am See’ D746 de Schubert ne sont pas repris, mais une ballade de Kurt Weill ‘Die Ballade vom ertrunkenen Mädchen’, extraite de son 'Requiem Berlinois', un texte sur la guerre, est ajoutée et chantée par Lars Eidinger qui alterne voix basse et voix de tête détimbrée pour en exprimer sa sensibilité.

Eric Schneider et Anna Prohaska

Eric Schneider et Anna Prohaska

Au total, dix compositeurs de John Dowland, contemporain de Shakespeare, à Kurt Weill, en passant par Brahms, Schubert, Mendelssohn, Wolf ou Strauss, sont réunis pour faire vivre la folie de l'âme doucereusement mélancolique de celle qui ne put épouser le Prince Hamlet

Les textes évoquent la quiétude d’eaux sombres dans une atmosphère nocturne, et Anna Prohaska les chante en ne sollicitant que sa tessiture aiguë, souple à la clarté âpre, évoquant ainsi une forme de plénitude à la recherche du visage de la mort, son corps semblant onduler à la faveur des ondes d’un lac imaginaire.

Anna Prohaska et Lars Eidinger

Anna Prohaska et Lars Eidinger

Dans les chansons extraites de ‘La Petite Sirène’ d’Arthur Honegger, sa prosodie est impeccablement nette, et cette forme de joie funèbre se trouve confortée par la charge qu’imprime Eric Schneider au toucher de son piano, tout le long du récital, un son dense, vibrant profondément, le poids de chaque note semblant méticuleusement calculé et appuyé en résonance avec les mots.

Au creux de l’atmosphère de ce lundi soir, pratiquement dénuée de la moindre toux, seuls quelques craquements de sièges signalent la présence des auditeurs, et le regard intériorisé de Lars Eidinger, lui qui peut être des plus exubérants, est ici au service de textes de Shakespeare, un de ses auteurs de prédilection, qu’il incarne dans un esprit totalement recueilli.

Lars Eidinger, Anna Prohaska et Eric Schneider

Lars Eidinger, Anna Prohaska et Eric Schneider

Et en bis, Anna Prohaska et Lars Eidinger entonnent le 'Liebeslied' de l''Opéra de Quat'sous' de Kurt Weill, pour offrir une image finale plus heureuse.

En à pleine plus d’une heure, on se serait cru à une soirée musicale à Berlin ou Munich, se laissant aller avec joie à la sérénité de sentiments noirs, poétisés magnifiquement par trois artistes d’une sincère humilité.

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Publié le 11 Septembre 2023

Festival SenLiszt par les Solistes de l’Opéra national de Paris
Concert du 10 septembre 2023
Chapelle Royale Saint-Frambourg de Senlis
Fondation Cziffra

Wolfgang Amadé Mozart
Divertimento en fa majeur KV 138 (1772, Salzburg)
Quatuor pour Hautbois KV 370 (1781, Munich)

Richard Strauss
Les Métamorphoses (25 janvier 1946, Tonhalle Zürich)
Astor Piazzolla
Tristango et Libertango (1974, Milan)

Solistes de l’Orchestre de l’Opéra national de Paris
Sylvie Sentenac, Alan Bourré (Violons)
François Bodin, Laurence Carpentier (Altos)
Matthieu Rogué, Jérémy Bourré (Violoncelles)
Daniel Marillier (Contrebasse)
Philippe Giorgi (Hautbois)

                                                                                         Jérémy Bourré (Violoncelle)

Au lendemain de l’avant-première jeunes de ‘Don Giovanni’ donnée à l’opéra Bastille en prémices de l’ouverture de saison de l’Opéra national de Paris, quelques-uns des musiciens, pour la plupart présents sur scène la veille au soir, se sont retrouvés à la Chapelle Royale Saint-Frambourg de Senlis pour y interpréter des œuvres de Wolfgang Amadé Mozart, Richard Strauss et Astor Piazzolla.

Sylvie Sentenac, Laurence Carpentier, Jérémy Bourré et Philippe Giorgi (Quatuor pour Hautbois)

Sylvie Sentenac, Laurence Carpentier, Jérémy Bourré et Philippe Giorgi (Quatuor pour Hautbois)

Cet édifice religieux, érigé sous Louis VII au XIIe siècle sur les vestiges de l’ancienne chapelle où Hugues Capet fut élu roi des Francs, fut sauvé par le pianiste Georges Cziffra et est devenu depuis 1977 l’auditorium Franz Liszt.

Il est coloré par les seuls vitraux existant signés Joan Miró aux teintes bleu-ciel qui ouvrent sur l’étendue de l’univers, mais la chapelle bénéficie également d’une excellente luminosité et d’une acoustique très favorable à la musique classique, sans réverbération excessive, ni sécheresse qui discriminerait trop les moindres détails.

Malgré la chaleur accablante dans laquelle est plongée ce lieu hautement musical, plus de 150 spectateurs, dont des enfants très jeunes, sont présents cet après-midi pour apprécier, en première partie, deux œuvres de Mozart écrites pour quatuors.

Sylvie Sentenac et Alan Bourré (Divertimento en fa majeur)

Sylvie Sentenac et Alan Bourré (Divertimento en fa majeur)

Empreint d’un charme raffiné et entêtant, le 'Divertimento en fa majeur' prend aussi une sensualité douce et chaleureuse où les vibrations pleines et étirées avec classe par la violoniste Sylvie Sentenac soulignent une âme bien affirmée et très expressive.

Le 'Quatuor pour Hautbois' permet de découvrir la virtuosité des lignes que Philippe Giorgi prodigue de manière alerte mais avec une finesse et une pureté d’une grande légèreté qui se mêlent magnifiquement à la noirceur riche et vibrante des cordes.

Les ondes mélodiques du bois d’ébène changent de tonalité en passant d’inflexions subtilement tristes à la clarté joyeuse selon un courant d’une fluidité très harmonieuse, ce qui laisse l’impression fugitive d’un être cherchant à rester insaisissable.

Philippe Giorgi (Quatuor pour Hautbois)

Philippe Giorgi (Quatuor pour Hautbois)

La pièce centrale du concert permet alors de réunir l’ensemble des sept musiciens à cordes pour livrer une interprétation des ‘Métamorphoses’ de Richard Strauss d’une noirceur impressionnante – cette version pour sextuor à cordes et contrebasse ne fut découverte en Suisse qu’en 1990, la version originelle ayant été écrite pour un orchestre de 23 instruments -.

L’œuvre fut engendrée par effroi suite aux bombardements des villes allemandes lors de la Seconde Guerre mondiale, et entendre résonner en un tel lieu cet entrelacement de mélismes à la fois sombres et foisonnant d’éclats métalliques, tout en distinguant les effets de contrastes entre altistes et violonistes, plonge inévitablement l’auditeur dans un état réflexif accentué par l’intensité de son fantastique de l’orchestre.

Sylvie Sentenac, François Bodin, Laurence Carpentier (Les Métamorphoses)

Sylvie Sentenac, François Bodin, Laurence Carpentier (Les Métamorphoses)

Ces mêmes musiciens reprendront ce chef-d’œuvre au Palais Garnier en plein hiver, le dimanche 18 février 2024 à midi, précédé par la 'quintette en ut majeur KV 535' de Mozart.

Sylvie Sentenac, Alan Bourré, François Bodin, Laurence Carpentier, Daniel Marillier, Jérémy Bourré et Matthieu Rogué (Les Métamorphoses)

Sylvie Sentenac, Alan Bourré, François Bodin, Laurence Carpentier, Daniel Marillier, Jérémy Bourré et Matthieu Rogué (Les Métamorphoses)

Puis, toujours avec cette même densité de son qui prend au corps, deux adaptations de 'Tristango' et 'Libertango' extraits de l’album éponyme ‘Libertango’ composé par Astor Piazzolla à Milan en 1974 transportent les auditeurs dans un champ nostalgique et dansant, le second passage étant le plus célèbre puisqu’il fut repris par de grands artistes tels Grace Jones ou bien, plus récemment, Yo-Yo Ma

Philippe Giorgi, Sylvie Sentenac, Alan Bourré, François Bodin, Laurence Carpentier, Daniel Marillier, Jérémy Bourré et Matthieu Rogué

Philippe Giorgi, Sylvie Sentenac, Alan Bourré, François Bodin, Laurence Carpentier, Daniel Marillier, Jérémy Bourré et Matthieu Rogué

C’est tout autant la rythmique que les mélanges de couleurs des cordes – et les sons grattés du violon d’Alan Bourré en début d’air – qui font le charme et la joie de cette conclusion si vivante, si bien que l’on arrive en fin de concert en ayant le sentiment d’avoir traversé des époques, de styles et des évènements avec un grand luxe dans la réalisation.

Le plaisir s’exprime alors dans l’ovation chaleureuse rendue au bout d’une heure vingt de musique, et le regard curieux des plus jeunes est peut-être celui qui est le plus important car il annonce l’avenir.

La Chapelle Royale Saint-Frambourg de Senlis

La Chapelle Royale Saint-Frambourg de Senlis

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Publié le 3 Septembre 2023

Berliner Philharmoniker – Kirill Petrenko
Concert du 02 septembre 2023
Philharmonie de Paris – Grande Salle Pierre Boulez

Max Reger 
Variations et Fugue sur un thème de Mozart op.132 (08 janvier 1915, Wiesbaden)

Richard Strauss
Ein Heldenleben [Une vie de héros] op.40 (03 mars 1899, Frankfurt am Main)

 

Direction musicale Kirill Petrenko
Berliner Philharmoniker

Programme Reger / Strauss : Philharmonie de Berlin (25 août 2023), Großes Festspielhaus de Salzburg (27 août 2023), Palais de la Culture et des congrès de Lucerne (30 août 2023)
Programme Brahms / Schoenberg / Beethoven : Großes Festspielhaus de Salzburg (28 août 2023), Palais de la Culture et des congrès de Lucerne (31 août 2023), Philharmonie de Luxembourg (03 septembre 2023)

Directeur du Berliner Philharmoniker depuis 4 ans, Kirill Petrenko est connu des Parisiens pour ses interprétations des œuvres lyriques de Richard Strauss jouées au Théâtre des Champs-Élysées lorsqu’il dirigeait l’orchestre du Bayerische Staatsoper, ‘Der Rosenkavalier’ (2014), ‘Ariane à Naxos’ (2015), ‘Vier letzte Lieder’ (2016), ‘Arabella’ (2019), mais il a aussi beaucoup marqué Munich par sa lecture implacable de ‘Die Frau ohne Schatten’ (2013 et 2017) dans la mise en scène de Krzyzstof Warlikowski, ainsi que le Festival de Bayreuth pour ses inoubliables cycles du ‘Ring’ de Richard Wagner donnés dans la production de Frank Castorf (2013, 2014 et 2015).

Le retrouver en ouverture de saison 2023/2024 à la Philharmonie de Paris, à l’occasion de sa tournée de Festival, promet d’emblée une immersion sensitive somptueuse, ce que ne dément pas le concert de ce soir joué devant une salle bien remplie et fréquentée par un public en partie très jeune.

Kirill Petrenko

Kirill Petrenko

Il s'agit d'abord d'un hommage rendu aux 150 ans de la naissance de Max Reger, compositeur bavarois dont les ouvrages furent diversement appréciés mais auquel Richard Strauss proposa de collaborer avec sa maison d’édition. Il sera notamment chargé d’arranger pour le piano nombre de lieder de jeunesse de son confrère munichois.

Extraites de l’’Andante grazioso’ de la Sonate pour piano n°11 de Mozart, dont le Rondo ‘alla Turca’ est le passage le plus célèbre, les Variations et Fugue invitent l’auditeur à voyager à travers le temps en transformant la délicatesse d’un mouvement de l’époque classique en un complexe foisonnement sonore caractéristique du grand romantisme allemand de la fin du XIXe siècle.

Sous la baguette de Kirill Petrenko, les vents du Berliner Philharmoniker virevoltent avec une légèreté dansante et une liberté riante, et les mélismes orchestraux acquièrent une chaleur lumineuse qui coule avec naturel tout en prodiguant une extension sonore qui se diffuse idéalement dans l’enceinte de l’auditorium. 

On se berce ainsi d’une clarté d’ensemble et de superbes ornements qui, quelque part, semblent transformer l’âme de Mozart afin de nous emmener vers le raffinement et l’opulence de Richard Strauss.

Kirill Petrenko - Berliner Philharmoniker (Max Reger – Richard Strauss) Philharmonie

En seconde partie, ‘Ein Heldenleben [Une vie de héros]’, véritable métaphore de l’esprit du compositeur que pourrait tout aussi bien s’approprier le chef d’orchestre interprète, permet d’admirer comment Kirill Petrenko se saisit de l’effectif orchestral pour créer un univers tenu par ses propres forces internes qui s’anime sous l’effet de leur propre puissance avec un sens du mouvement ample et fuyant, un contrôle de l’équilibre instable fascinant, et une joie tout intérieure et fort méditative.

Kirill Petrenko

Kirill Petrenko

Et on peut même avoir l’impression que l’énergie de tel ou tel motif qui s’envole dans une direction est liée aux mouvements de musiciens qui n’en sont pas à l’origine, et qu’il y a une cohérence interne qui relie cet ensemble. Et même dans la grande marche tonitruante et épique du héros, la progression en intensité sonore préserve la plasticité de l’enveloppe symphonique avec un excellent fondu des cuivres au tissu orchestral. 

Le soyeux profond et dense des cordes se module sans rupture pour se prolonger en charmante atmosphère bucolique, et des courbes se croisent dans un mouvement perpétuel très harmonieux.

Et la souplesse avec laquelle le coup de percussion final jaillit fait penser à la naissance soudaine d'une étoile.

Vineta Sareika-Völkner

Vineta Sareika-Völkner

Magnifique moment de grâce également que le solo de Vineta Sareika-Völkner, première femme premier violon solo du Berliner Philharmoniker depuis sa création en 1882, qui ouvre un large champ à l’artiste lettone pour exprimer des sentiments passionnés avec un entrelacement de textures parfaitement maitrisé, et une finesse de précision qui vise à faire ressentir avec éclat l’infini du temps.

Paraissant maître de ce monde qu’il laisse vivre tout en l’influençant, Kirill Petrenko se laisse aussi aller à l’évocation complice de l’être aimé, ou d'un idéal, par des pensées célestes, le regard tourné vers les airs, comme s’il s’autorisait, lui aussi, le rêve et le désir d’évasion, offrant de lui une image absolument tendre, alors qu’au moment de saluer le public, il affichera une certaine réserve et modestie, comme s’il ne voulait pas passer au premier plan de l’ouvrage et des musiciens.

Kirill Petrenko et le Berliner Philharmoniker

Kirill Petrenko et le Berliner Philharmoniker

Soirée profondément inspirante qui participe aux raisons pour lesquelles la beauté et les mystères de l’art valent d’être vécus.

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Publié le 16 Octobre 2022

Salomé (Richard Strauss – 1905)
Prégénérale du 10 octobre et représentations du 15, 27 octobre et 05 novembre 2022
Opéra Bastille

Salomé Elza van den Heever
Herodes John Daszak
Herodias Karita Mattila
Jochanaan Iain Paterson
Narraboth Tansel Akzeybek
Page der Herodias Katharina Magiera
Erster Jude Matthäus Schmidlechner
Zweiter Jude Éric Huchet
Dritter Jude Maciej Kwaśnikowski
Vierter Jude Mathias Vidal
Fünfter Jude Sava Vemić
Erster Nazarener Luke Stoker
Zweiter Nazarener Yiorgo Ioannou
Erster Soldat Dominic Barberi
Zweiter Soldat Bastian Thomas Kohl
Cappadocier Alejandro Baliñas Vieites
Ein Sklave Marion Grange

Direction musicale Simone Young
Mise en scène Lydia Steier (2022)
Nouvelle production

Diffusion en direct sur L’Opéra chez soi et medici.tv le jeudi 27 octobre 2022
Diffusion sur France Musique le samedi 19 novembre 2022 à 20h

Bien qu’écrite en 1891, en langue originale française, la pièce ‘Salomé’ d’Oscar Wilde dut affronter la censure lors des premières répétitions londoniennes, si bien qu’elle ne fut créée que cinq ans plus tard au Théâtre de la Comédie-Parisienne, l’actuel Théâtre de l’Athénée, le 11 février 1896.

Elza van den Heever (Salomé)

Elza van den Heever (Salomé)

Fasciné par ‘Salomé’, Richard Strauss composa parallèlement deux versions lyriques musicalement très différentes, l’une authentiquement française dans le style debussyste qu’il acheva le 13 septembre 1905 et qui sera créée à Bruxelles le 25 mars 1907, avant d’être oubliée jusqu’à ce que l’Institut Richard Strauss de Munich ne reconstitue la partition en 1990, et l’une en allemand qui connaîtra sa première à Dresde le 09 décembre 1905.

Par la suite, la création française aura lieu au Théâtre du Châtelet le 08 mai 1907, en langue originale allemande sous la direction de Richard Strauss, et la création à l’Opéra de Paris se déroulera trois ans plus tard, le 06 mai 1910, dans une adaptation française de Jean de Marliave, sous la direction d’André Messager.

Bastian Thomas Kohl (2d soldat), Tansel Akzeybek (Narraboth), Katharina Magiera (Le page) et Dominic Barberi (1er soldat)

Bastian Thomas Kohl (2d soldat), Tansel Akzeybek (Narraboth), Katharina Magiera (Le page) et Dominic Barberi (1er soldat)

Il faudra finalement attendre le 26 octobre 1951 pour que ‘Salomé’ connaisse sa première au Palais Garnier en langue originale allemande. Et depuis l’ouverture de l’Opéra Bastille, tous les directeurs de l’Opéra de Paris ont programmé les deux premiers chefs-d’œuvre de Richard Strauss, ‘Salomé’ et ‘Elektra’, au cours de leur mandat, à l’exception notable de Stéphane Lissner.

Ainsi, après ‘Elektra’ repris au printemps dernier, Alexander Neef offre à ‘Salomé’ la première nouvelle production de sa seconde saison qu’il confie à Lydia Steier, metteuse en scène américaine qui travaille principalement en Allemagne et en Autriche depuis 20 ans, et qui fait ses débuts au sein de l’institution parisienne.

L’enjeu de cette réalisation est important, car le niveau de violence qui est montré est supérieur à ce qui est généralement accepté sur une scène connue pour être habituellement très consensuelle. 

Iain Paterson (Jochanaan) et Elza van den Heever (Salomé)

Iain Paterson (Jochanaan) et Elza van den Heever (Salomé)

La cour d’Hérode Antipas est ainsi dépeinte dans tout ce qu’elle pouvait avoir de sordide et de dépravé au sein d’un imposant décor, unique, qui représente une cour de palais profonde dominée par une large baie laissant entrevoir une salle où le tétrarque et son épouse, Hérodias, se livrent avec leur cour à des scènes de débauche d’un malsain extrême. 

Un simple escalier latéral permet de passer de la cour extérieure à cette salle, et Jokanaan se trouve enfermé dans une cage enfoncée dans le sous-sol de cette cour, seule convention en apparence respectée.

Le spectacle du défilé des corps des jeunes hommes et jeunes femmes violés et assassinés au sein du palais, pour ensuite être jetés dans une fosse commune, se développe de manière répétitive. Et au fur et à mesure que le temps s'écoule, ce qui se déroule en hauteur se trouve relégué au second plan, l’attention se recentrant dorénavant sur l’action menée à l’avant-scène.

Il faut dire que ce décor massif d’apparence minérale, illuminé par des éclairages bleu-vert, est fort beau.

Elza van den Heever (Salomé) et Iain Paterson (Jochanaan)

Elza van den Heever (Salomé) et Iain Paterson (Jochanaan)

Dans cet univers qui reconstitue une époque romaine décadente, mais dans des costumes tout à fait fantaisistes et délirants, et avec une maitrise des éclairages qui peuvent tout autant suggérer la présence de la lune glaciale que cerner les personnages dans leur solitude, on pense beaucoup à la cruauté de l’Empereur Caligula, même s’il on reste bien loin de l’horreur du célèbre film baroque et sulfureux de Tinto Brass.

Cheveux longs et noirs, habits blancs, allure terne, Salomé ressemble beaucoup plus à Elektra. Il s’agit d’une jeune femme vierge qui ne s’est pas compromise. Parfaitement représenté comme le livret le décrit, sale et souillé - les soldats carapacés en noir lui infligent des coups de décharges électriques blessants -, Jokanaan est effrayant et plus menaçant que moralisateur.

John Daszak (Hérode) et Katharina Magiera (Le page)

John Daszak (Hérode) et Katharina Magiera (Le page)

Ensuite, Salomé découvre le pouvoir de la sexualité, non comme une fin mais comme un moyen, d’abord à travers une scène masturbatoire jouée au moment où le prophète retourne dans les entrailles souterraines – le rapport à la musique est assez convaincant et fait écho aux allusions érotiques que Chostakovitch décrira plus tard avec force dans ‘Lady Macbeth de Mzensk’ -, puis lors de la danse des sept voiles où elle offre délibérément son corps d’abord à Hérode puis à toute sa cour, non par plaisir – elle n’y accorde aucune importance en soi -, mais parce qu’elle a compris que c’est par le sexe qu’elle pourra obtenir ce qu’elle souhaite de la part de ceux qui en dépendent.

John Daszak (Hérode) et la cour décadente du Palais

John Daszak (Hérode) et la cour décadente du Palais

Mais quel magnifique coup de théâtre lors de la scène finale où émerge d'abord la crainte, lorsque le bourreau se présente en contrejour dans l’interstice d’une porte, qu’elle soit jouée classiquement !

Pourtant, dans un effet de surprise saisissant, Salomé disparaît subitement avec lui et réapparaît en un double qui se dissocie entre une actrice rampant au sol tout en protégeant progressivement la tête de Jokanaan, alors qu’Elza van den Heever reste dans l’ombre avant de rejoindre le prophète dans la cage et s’élever dans une étreinte amoureuse splendide.

Karita Mattila (Hérodias)

Karita Mattila (Hérodias)

La force théâtrale de ce moment est de distinguer d’un côté l’acte écœurant, et de l’autre l’illusion que vit Salomé qui souffrait tant de ne pouvoir embrasser cette figure emblématique, ce qui permet d’avoir accès à l’âme de l’héroïne.

Aller au-delà des apparences est l’une des forces de l’opéra en tant que forme artistique, et la luxuriance finale de la musique trouve dans cette représentation d’une élévation, une concordance, voir une justification, qui n’était pas évidente à priori.

Hérode, horrifié par le massacre d’un homme qu’il sait adulé par un peuple qu’il craint, comprend que pour lui-même tout est fini.

Elza van den Heever (Salomé)

Elza van den Heever (Salomé)

On aperçoit ainsi, au début de cette scène, le page se précipiter vers les marches du palais, armé pour détruire la cour royale et Hérode en personne. Ce page, incarné avec force par le timbre puissamment noir de Katharina Magiera, est omniprésent et très bien mis en valeur, d’autant plus que cela permet de donner aux femmes, dans ce monde masculin cruel et finissant, une fonction déterminante, même si elles n’évitent pas la catastrophe finale.

Elza van den Heever (Salomé) et Iain Paterson (Jochanaan)

Elza van den Heever (Salomé) et Iain Paterson (Jochanaan)

Face à une telle dramaturgie, Simone Young tire de l’orchestre de l’Opéra de Paris une interprétation tout aussi abrupte et alignée sur la direction de la mise en scène. Déluge sonore exacerbé, cuivres agressifs et éclatants, la musique de Richard Strauss est entraînée dans une outrance démonstrative comme s’il s’agissait de suggérer une situation de guerre. Ce choix tranché est à apprécier par chaque auditeur, mais quand un parti pris choisit une voix radicale, il semble opportun de l’assumer totalement - ce qui est le cas ici - et de ne pas l’affadir par un esprit de contre-pied ou de compris. 

La sensualité orientalisante de la musique n’est donc pas l’élément fondamental qui est développé, et il règne un esprit de décision, voir de prise de liberté sans état d’âme qui a de quoi impressionner. L’orchestre est somptueux, mais peu invité à la nuance, et sans discours instrumental sous-jacent (Harmut Haenchen, en 2006, avait mieux dessiné des ondes insidieuses incrustées dans la luxuriance orchestrale).

Et rarement aura-t-on ressenti à quel point cette représentation, dans son ensemble, symbolise à tous les niveaux la prise en main par les femmes d’une histoire dont elles entendent maîtriser le langage.

Elza van den Heever (Salomé)

Elza van den Heever (Salomé)

On ne peut ainsi qu’admirer d’avantage les solistes qui sont fatalement repoussés dans leur absolus retranchements. Elza van den Heever, pour qui il s’agit d’une prise de rôle ardue, s’en tire remarquablement. De ses moirures fantomatiques, elle laisse surgir une vaillance expressive sensationnelle qui atteint son paroxysme à la scène finale vécue comme un grand réveil qui va tout bouleverser.

John Daszak s’affiche également dans une forme éblouissante. Sous ses traits, Hérode ne déroge pas à l’esprit d’abus exubérant qui parcoure la représentation, son style de déclamation retentissant lui donnant une présence implacable. Karita Mattila, elle qui fut Salomé sur cette même scène 19 ans plus tôt, se régale à jouer dans une mise en scène qui la maintient présente en permanence. Elle en fait des tonnes sans limites pour montrer l’esprit de jouissance d’Hérodias, et sa voix est un univers de chaleur feutrée inimitable.

Simone Young

Simone Young

S’il est physiquement fort marquant, le Jochanaan de Iain Paterson affiche un mordant et une rudesse expressive engagés qui, toutefois, pourraient être portés par une plus grande ampleur afin de surpasser la galvanisation orchestrale.

Le très bon Narraboth de Tansel Akzeybek, entendu dans ‘Wozzeck’ la saison dernière, excelle par sa viscéralité dramatique, et l’on ne peut que rappeler à quel point Katharina Magiera fait forte impression dans le rôle du page, de par sa noirceur et son appropriation de l’espace sonore.

Lydia Steier et son équipe artistique

Lydia Steier et son équipe artistique

Il ne faut pas s’y tromper, l’approche de cette production, que Lydia Steier a fortement enrichi d'une foule d'acteurs aux costumes bigarrés, est de s’élever contre la violence du monde sans lui chercher la moindre indulgence. Mais il y a un fatalisme très clair : cette violence ne peut être annihilée que par la violence.

Maciej Kwaśnikowski, Mathias Vidal, Sava Vemić, John Daszak, Elza van den Heever, Iain Paterson, Karita Mattila et Tansel Akzeybek

Maciej Kwaśnikowski, Mathias Vidal, Sava Vemić, John Daszak, Elza van den Heever, Iain Paterson, Karita Mattila et Tansel Akzeybek

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Publié le 8 Octobre 2022

Concerto pour violon et Suite du Chevalier à la Rose – Orchestre National de France

Concert du 06 octobre 2022
Auditorium de Radio France

Johannes Brahms
Concerto pour violon et orchestre (1er janvier 1879 – Leipzig)

Jean Sébastien Bach
Fugue extraite de la Sonate n°1 en sol mineur (1720) 'bis'

Richard Strauss
Le Chevalier à la rose, nouvelle suite de Philippe Jordan et Tomáš Ille (05 octobre 1944 – New York / 06 octobre 2022 - Paris)

Direction musicale Philippe Jordan
Violon Antonio Stradivari ‘Lady Inchiquin’ 1711 Franz Peter Zimmermann
Orchestre National de France

Depuis le concert d’adieu joué le 02 juillet 2021 à l’Opéra Bastille, Philippe Jordan est totalement investi à ses projets avec l’Opéra de Vienne. Son retour à Paris est donc un évènement qui marque ses débuts avec l’Orchestre National de France.

Et dès son arrivée, sa joie de retrouver l’auditorium de Radio France où il avait enregistré ‘Siegfried’ en pleine période de confinement, le 06 décembre 2020, est évidente, tout autant que sont palpables la fébrilité et l’attention des auditeurs venus ce soir, parmi lesquels peuvent même être aperçues des personnalités liées à l’Opéra de Paris et son histoire.

Philippe Jordan - Suite du Chevalier à la Rose

Philippe Jordan - Suite du Chevalier à la Rose

En première partie de ce concert, le 'Concerto pour violon et orchestre', fruit de l’amitié entre Johannes Brahms et le violoniste Joseph Joachim, permet immédiatement de mettre en valeur la plénitude des bois et l’agilité homogène du geste orchestral toujours très caressante sous la baquette de Philippe Jordan.

Franz Peter Zimmermann ne tarde pas à devenir le point focal de l’œuvre par un jeu d’une vivacité acérée qui évoque, par la plasticité de ses traits d’ivoire effilés, un caractère chantant et bucolique très accrocheur. Il esquisse ainsi de véritables dessins d’art sonores avec une recherche d’authenticité et une dextérité inouïe, ce qui fait la force de ce grand artiste.

Et pour le plaisir, on retrouve ce mélange de finesse lumineuse et de rudesse mélancolique dans la fugue extraite de la 'Sonate pour violon n°1' de Jean-Sébastien Bach offerte en bis.

Franz Peter Zimmermann et Philippe Jordan - Concerto pour violon de Brahms

Franz Peter Zimmermann et Philippe Jordan - Concerto pour violon de Brahms

En seconde partie, c’est une nouvelle version de la 'Suite du Chevalier à la Rose’ que dirige Philippe Jordan, version qu’il a mis au point avec le musicologue tchèque Tomáš Ille pour augmenter sa dimension symphonique. Ainsi, de 25 minutes pour la version originale exécutée la toute première fois par Artur Rodziński à New-York en 1944, cette nouvelle version passe désormais à 40 minutes de luxuriance exacerbée.

Le résultat est que les spectateurs de l’auditorium de Radio de France vont vivre un moment absolument éblouissant avec l’Orchestre National de France, à travers une interprétation d’une ampleur prodigieuse, enlevée par un déferlement sonore d’une vitalité souriante empreinte de jaillissements de couleurs et d’éclats fulgurants. Les passages les plus intimes, comme à l’arrivée de Sophie, sont transcrits avec une clarté et une douceur irrésistibles, et point également une ébullition tout en retenue – très belle finesse qu’il obtient du premier violon - qui magnifie la délicatesse des instrumentistes.

Philippe Jordan - Suite du Chevalier à la Rose

Philippe Jordan - Suite du Chevalier à la Rose

Puis, Philippe Jordan laisse extérioriser l’enthousiasme qui l’anime intrinsèquement, et il le transmet au public avec énormément de générosité, d’autant plus que ‘Der Rosenkavalier’ est un opéra qui s’associe avec beaucoup d’évidence à sa personnalité, ce qui est d’autant plus sensible dans cette symphonie issue de sa propre conception.

Philippe Jordan et les musiciens de l'Orchestre National de France

Philippe Jordan et les musiciens de l'Orchestre National de France

L’échange fait de joie et d’admiration entre lui et les musiciens, lisible au moment des saluts, n’en est que plus réjouissant à admirer.

Ce concert, diffusé en direct sur France Musique, peut être réécouté sous le lien suivant et permet également d'écouter les inteviews des artistes:
Brahms et Strauss par Frank Peter Zimmermann et l'Orchestre National de France dirigé par Philippe Jordan

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Publié le 9 Septembre 2022

Concert d’ouverture de l’Orchestre de Paris
Représentation du 08 septembre 2022
Philharmonie de Paris

Kaija Saariaho
Asteroid 4179
: Toutatis (Commande 2005 de l’Orchestre philharmonique de Berlin créée à Berlin, le 16 mars 2006, sous la direction de Simon Rattle)
Richard Strauss
Ainsi parlait Zarathoustra
(Créé à Francfort-sur-le-Main, le 27 novembre 1896)
Jimmy López Bellido
Aino
(Création mondiale sur une commande de l’Orchestre de Paris, de l’Orchestre royal du Concertgebouw d’Amsterdam et de l’Orchestre symphonique de Chicago)
Pascal Dusapin
A Linea  
(Création mondiale sur une commande de l’Orchestre de Paris)
Alexandre Scriabine
Poème de l'extase
(Créé à New-York, le 10 décembre 1908)

Orchestre de Paris
Direction musicale Klaus Mäkelä
Violon solo Zsolt-Tihamér Visontay

Concert dédié à la mémoire du pianiste et chef d’orchestre allemand Lars Vogt, disparu le 05 septembre 2022 à l’âge de 51 ans.

C’est avec un fantastique concert comprenant pas moins de 3 œuvres symphoniques du XXIe siècle, dont deux créations mondiales in loco, que l’Orchestre de Paris a fait sa rentrée à la Philharmonie de Paris sous la direction de Klaus Mäkelä, tous dans une forme éblouissante.

Klaus Mäkelä

Klaus Mäkelä

Et quelle magnifique idée que de débuter la soirée en interprétant la pièce de 5 mn que la compatriote du chef d’orchestre finlandais, Kaija Saariaho, composa pour le Philharmonique de Berlin en 2005 pour rendre hommage à l’astéroïde Toutatis découvert le 04 janvier 1989 par un astronome français, astéroïde qui a comme particularité de croiser la trajectoire de la Terre tous les 4 ans et donc de représenter une menace à long terme pour la vie sur notre planète!

Il s’agit d’une musique stellaire où cordes et bois créent un espace temporel vibrant et ouvert parcellé de chatoiements lumineux, alors que les contrebasses rythment une avancée inéluctable dans l’espace. Une soudaine vague orchestrale semble même précipiter l’auditeur dans une plongée dramatique à travers les reliefs de l’objet sidéral.

Et à nouveau, d’amples respirations soutenues par la tension des cors et les frémissements des violons dépeignent un mouvement majestueux et impressionnant.

Orchestre de Paris – Klaus Mäkelä (Saariaho Strauss López Dusapin Scriabine) Philharmonie

Puis, des vibrations sombres et familières réapparaissent avant que l’on ne réalise que l’enchaînement avec le poème de Richard Strauss ‘Ainsi parlait Zarathoustra’ s’est fait sans rupture nette.

Se retrouver ainsi face à l’orchestre, et surtout face à l’orgue de la Philharmonie baignant en hauteur dans une lueur orange étincelante, est un choc émotionnel à couper le souffle tant l’évocation de la planète Jupiter de ‘2001, l’Odyssée de l’espace’ , juste après 'Toutatis', est d’une intelligence inouïe. Et tout le déroulé symphonique est une ode à la lumière et à l’harmonie où s’exhalent les foisonnantes textures orchestrales et le charme poétique de passages chantants et plus légers.

Les musiciens de l'Orchestre de Paris

Les musiciens de l'Orchestre de Paris

Klaus Mäkelä, d’une audace bien affirmée, déploie son art du geste d’ensemble qui unit les musiciens dans des formes d’ondes éthérées somptueuses mais qui ont également du corps sans la moindre lourdeur. Il faut entendre le niveau de précision et de délicatesse avec lequels les bois, cordes, cuivres et percussions se transmettent les lignes musicales et les font vivre avec un sens ornemental qui engendrent un splendide enivrement sonore chatoyant avec toujours de la chaleur dans l’éclat.

Jimmy López Bellido

Jimmy López Bellido

Avec ‘Aino’ du compositeur péruvien Jimmy López Bellido, la magnificence sonore de Strauss se prolonge dans un univers marin plus profond et plus grandiloquent avec des miroitements qui ne sont pas sans rappeler l’univers de ‘La Femme sans ombre’. Pleins de signaux vibrionnants s’immiscent dans cette musique immersive dont le rythme de progression du dernier mouvement est d’une grande efficacité théâtrale.

Pascal Dusapin

Pascal Dusapin

A cette première partie si enthousiasmante, suit une seconde partie innervée d’un mystère plus austère.

A Linea’ de Pascal Dusapin donne beaucoup plus de prévalence aux cuivres et joue, avec un grand sens de la fluidité, sur les déformations dépressives des lignes instrumentales. 

Une atmosphère mythologique mêlant irréalité et monumentalité se dégage inévitablement de cette œuvre prégnante.

Il s’agit d’un retour du compositeur français à l’écriture symphonique, lui qui se consacre surtout à la création lyrique et dont ‘Il Viaggio, Dante’, créé au Festival d’Aix-en-Provence 2022, sera repris dans les années qui viennent à l’Opéra de Paris.

Klaus Mäkelä et les musiciens de l'Orchestre de Paris

Klaus Mäkelä et les musiciens de l'Orchestre de Paris

Enfin, le ‘Poème de l'extase’ d’Alexandre Scriabine fait écho à la verve marine du dernier mouvement d' Aino’ mais avec un développement qui s'étend sur un temps bien plus long. Klaus Mäkelä communique une merveilleuse élégance de geste, toujours dansante, ingénieux modeleur d’une masse incandescente qui s’élance avec un optimisme épique vers un sommet glorieux et qui parachève un assemblage d’œuvres qui ont toutes des liens esthétiques et spirituels entre elles.

Kaija Saariaho, Jimmy López Bellido et Pascal Dusapin étaient naturellement présents ce soir, un supplément d’âme qui fait le charme et la valeur de ce grand moment de partage.

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Publié le 2 Août 2022

Die Frau ohne Schatten (Richard Strauss - 1919)
Représentation du 31 juillet 2022
Bayerische Staatsoper 

Der Kaiser Eric Cutler
Die Kaiserin Camilla Nylund
Die Amme Michaela Schuster
Der Geisterbote Bogdan Baciu
Hüter der Schwelle des Tempels Eliza Boom
Erscheinung eines Jünglings Evan LeRoy Johnson
Die Stimme des Falken Mirjam Mesak
Eine Stimme von oben Lindsay Ammann
Barak, der Färber Michael Volle
Färberin Miina-Liisa Värelä (voix) / Theresa Schlichtherle (scène)
Der Einäugige Tim Kuypers
Der Einarmige Christian Rieger
Der Bucklige Evan LeRoy Johnson
Keikobad Magdalena Padrosa Celada

Direction musicale Sebastian Weigle
Mise en scène Krzysztof Warlikowski (2013)

 

Après 'Capriccio', dernier opéra créé au Bayerische Staatsoper avant sa destruction le 02 novembre 1943 sous les bombardements alliés, et pour lequel le Prinzeregententheater vient d'accueillir la mise en scène de David Marton, 'Die Frau ohne Schatten', premier opéra joué à sa réouverture le 21 novembre 1963, conclut le festival 2022 d'opéras de Munich dans l'immense production imaginée en 2013 par Krzysztof Warlikowski et dirigée, à l'époque, par Kirill Petrenko pour célébrer les 50 ans de l'inauguration du nouvel édifice.

Die Frau ohne Schatten (Nylund Värelä Cutler Volle Weigle Warlikowski) Munich

La Force de cette production se mesure à nouveau à la scène munichoise en juillet 2017, toujours sous la direction de Kirill Petrenko, et l'évènement est suffisamment exceptionnel pour justifier d'y revenir à chaque réapparition.

Cinq ans auparavant, en mars 2008, Krzysztof Warlikowski mis en scène 'Parsifal' à l'Opéra Bastille où se mêlaient prise de conscience de la destinée humaine, pouvoir de la sexualité et de ses liens avec la violence, responsabilité vis à vis de l'enfance, et nécessité de la reconstruction après la catastrophe de la Seconde Guerre mondiale.

On retrouve ainsi tous ces thèmes dans 'Die Frau ohne Schatten', y compris l'épée de Barak qui a le même effet cataclysmique que la lance de Klingsor dans 'Parsifal', et le metteur en scène les aborde avec un onirisme beaucoup plus étendu qui s'appuie sur les splendides vidéos de Denis Guéguin et Kamil Polak, et sur des changements d'univers fluides et prégnants grâce aux lumières de Felice Ross qui peuvent être tout autant glaciales dans les situations de manipulation et de risque déshumanisant, que colorées de pourpre ou de vert dans les mondes fantasmagoriques de l'Empereur et l'Impératrice, ou bien plus naturelles chez les humains.

Michaela Schuster (Die Amme) et Camilla Nylund (Die Kaiserin)

Michaela Schuster (Die Amme) et Camilla Nylund (Die Kaiserin)

La sensibilité à ces ambiances de confusion entre rêve et réalité s'immisce en ouverture par une plongée dans le film d'Alain Resnais 'L'Année dernière à Marienbad' qui relie ainsi 'Die Frau ohne Schatten' à Nymphenburg et à une relation étrange entre une femme et un homme. La musique mystérieuse de l'extrait du film choisi permet de mieux capter l'attention du spectateur que dans le film de Roberto Rosselini, 'Allemagne année zéro', utilisé à Paris pour 'Parsifal' dans le silence total.

La symbolique des animaux, gazelle fuyante pour l'Impératrice, faucon chasseur pour l'Empereur, poissons pêchés par les humains, sont très habilement utilisés dans la scénographie à travers les masques des enfants, la biche empaillée, la tête de gazelle ornementale, l'aquarium et les ombres des poissons qui nagent au milieu des corps des soldats morts après la catastrophe de la fin du second acte.

Theresa Schlichtherle (Färberin) et le jeune homme

Theresa Schlichtherle (Färberin) et le jeune homme

Par ailleurs, le décor monumental de Małgorzata Szczęśniak permet par d'impressionnants systèmes de dépliements ou repliements de passer d'un monde à l'autre, le bois aristocratique de la chambre de l'Impératrice, la froideur du monde clinique de Keikobad, ou la trivialité de la maison de la Teinturière.

Et Krzysztof Warlikowski donne énormément de signifiance aux caractères, la dureté fascisante de Keikobad et ses sbires, les tiraillements entre les frustrations de la Teinturière et sa résistance aux attirances du jeune homme, le mal-être de l'Impératrice et ses obsessions freudiennes d'enfance égarée, la détermination calculatrice de la Nourrice qui, pourtant, n'est pas aussi maléfique que son employeur.

La résolution des conflits intérieurs passe par la considération pour la place des enfants dans l'univers adulte autant que par le refus de l'égoïsme - la Teinturière repousse la sensualité du jeune homme de la même façon que l'Impératrice renonce à l'ombre de celle-ci -, mais aussi par la confrontation aux anciens quand l'Impératrice se retrouve autour d'une table face à Keikobad afin d'affronter ses attentes et pouvoir s'en détacher.

Michael Volle (Barak) et Theresa Schlichtherle (Färberin)

Michael Volle (Barak) et Theresa Schlichtherle (Färberin)

Pour rendre toute la mesure à l'orchestration de cet opéra où le symbolisme spirituel croise les désirs les plus humains, un chef et un orchestre traversés d'influx effrénés sont indispensables, et Sebastian Weigle, directeur musical de l'Opéra de Frankfort, réalise une fantastique symbiose avec le Bayerisches Staatsorchester en exaltant une théâtralité de geste implacable associée à un sens de l'influx musical bouillonnant.

La beauté des grands motifs mélodiques des bois et des vents se déploie magnifiquement, les textures froidement irréelles innervent l'ample respiration orchestrale, et les cuivres rougis développent leur puissance dramatique fusionnée à de grandioses effets de percussions. Les lueurs stellaires du Glassharmonica, lové dans une loge de côté, sont également utilisées dans la scène fantasmagorique de l'Empereur.

Et il faut au moins un tel chef pour galvaniser une distribution engagée à donner le meilleur d'elle même comme rarement il est offert de l'entendre.

Eric Cutler (Der Kaiser)

Eric Cutler (Der Kaiser)

Camilla Nylund est ainsi absolument ahurissante dans le rôle de l'Impératrice qu'elle pare d'un épanouissement vocal éblouissant et d'une ampleur phénoménale alliée à des traits de véhémence fulgurants. Depuis la Salomé petite fille qu'elle incarnait à l'opéra Bastille en 2010, que n'a t'elle pas muri et développé une personnalité d'une toute autre dimension!

Souveraine dans de vibrants aigus dont elle semble prendre grand plaisir et fierté à les faire vivre royalement, et douée d'une luminosité au médium richement charnel, elle est à l'apothéose de son expressivité vocale, et ce rayonnement se lit intensément sur son visage au dernier acte et aux saluts finaux dithyrambiques qu'elle recueille si chaleureusement.

Michaela Schuster ne se départit pas toujours de brusques étrangetés quand ses aigus s'enflamment, mais elle compose un personnage aux reflets d'une très grande vitalité, changeant de teintes constamment, et investit avec beaucoup de présence le personnage de la Nourrice en lui laissant toujours un aspect sympathique malgré son caractère manœuvrant.

Magdalena Padrosa Celada (Keikobad) et Camilla Nylund (Die Kaiserin)

Magdalena Padrosa Celada (Keikobad) et Camilla Nylund (Die Kaiserin)

Et quel plaisir de retrouver Eric Cutler dans le rôle de l'Empereur, lui que Paris découvrit en 2009 à l'Opéra Bastille dans l'inoubliable production du 'Roi Roger' mis en scène par Krzysztof Warlikowski! Il soutient sans problème la tension extrêmement aiguë qu'exige l'écriture de son grand monologue du second acte, possède de belles couleurs vocales ombrées et un charme naturel de par sa grande taille élancée, et se révèle finalement un des plus intéressants et attachants Empereur entendu sur une scène lyrique.

Sans surprise, Michael Volle fait vivre le Teinturier avec un mordant vocal généreux tout aussi noblement doux et une précision déclamatoire qui font tout le charisme de son incarnation exubérante, et Bogdan Baciu gratifie le Messager des esprits d'un sang froid et d'un aplomb sans état d'âme qui le mettent en avant de façon convaincante.

Miina-Liisa Värelä (Färberin)

Miina-Liisa Värelä (Färberin)

Mais cette soirée vaut aussi pour ses turbulences qui débutèrent à 17h, à l'heure prévue de la représentation, lorsque le public en attente dans les couloirs de l'opéra apprit que Nina Stemme, souffrante au dernier moment, ne pourrait assurer le rôle de la Teinturière, et qu'une remplaçante, Miina-Liisa Värelä, était en route depuis Helsinki avec un atterrissage prévu à Munich à 18h10. 

Le spectacle en était d'autant repoussé à 19h, et une actrice, Theresa Schlichtherle, jouerait son personnage sur scène alors que la chanteuse finlandaise chanterait en bord de scène.

Miina-Liisa Värelä, qui avait interprété la Teinturière à l'opéra de Frankfort trois mois auparavant auprès de Camilla Nylund sous la direction de Sebastian Weigle, a ainsi relevé le défi sans faille, malgré les conditions incroyables de remplacement in extremis. 

Aigus d'une très grande vivacité, noirceur d'âme bien dessinée, forte assurance dans les changements de tessiture, cette soirée doit beaucoup à cette artiste qui a fait également preuve d'une modestie émouvante lors des saluts.

Eric Cutler, Camilla Nylund, Michaela Schuster

Eric Cutler, Camilla Nylund, Michaela Schuster

La production a cependant subi quelques aménagements avec la dissociation entre l'actrice muette et la chanteuse lyrique restée sur le côté, mais aussi à cause de l'horaire tardif qui n'a pas permis de conserver la présence des enfants lors de la scène finale.

Ces enfants qui symbolisent l'humanité que la Teinturière a bien failli ne plus être capable de mettre au monde en lâchant son ombre, devaient tous revenir sur scène pour donner l'image d'une famille résolue, et leurs ombres devaient se projeter sur les murs avant de révéler la projection de leurs âmes inspirées par les traits de personnages de Comics, de célébrités spirituelles, Freud et Gandhi, ou cinématographiques, telle Marilyn Monroe.

C'est donc de façon purement admirative que les deux couples impériaux et humains se sont levés au final pour admirer ces dessins géants nés des désirs de leurs enfants.

Camilla Nylund

Camilla Nylund

Et dans la salle, venu en spectateur, Tobias Kratzer, dont le New-York Times révélait le 06 juillet 2022 qu'il serait le metteur en scène du prochain 'Ring' du Bayerische Staatoper dès 2024, a du être fasciné de retrouver au début du dernier acte une évocation vidéographique d'un monde englouti par les eaux, technique qu'il venait aussi d'utiliser au Festival d'Aix-en-Provence pour illustrer les eaux meurtrières de la Mer Rouge dans 'Moise et Pharaon'.

Miina-Liisa Värelä et Sebastian Weigle

Miina-Liisa Värelä et Sebastian Weigle

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Publié le 30 Juillet 2022

Capriccio (Richard Strauss - 1942)
Représentation du 27 juillet 2022
Bayerische Staatsoper - Prinzregententheater

Die Gräfin Diana Damrau
Der Graf Michael Nagy
Flamand Pavol Breslik
Olivier Vito Priante
La Roche Kristinn Sigmundsson
Die Schauspielerin Clairon Tanja Ariane Baumgartner
Monsieur Taupe Toby Spence
Eine italienische Sängerin Deanna Breiwick
Ein italienischer Tenor  Galeano Salas
Der Haushofmeister Christian Oldenburg
Diener Christian Wilms, Dimitrios Karolidis, Paul Kmetsch, Leonhard Geiger, Hans Porten, Robin Neck, Leopold Bier, Gabriel Klitzing
Drei Tänzerinnen Anna Henseler, Zuzana Zahradníková, Ute Vermehr

Direction musicale Leo Hussain
Mise en scène David Marton (2013)

Découvrir ou revoir la production de 'Capriccio' imaginée par David Marton pour l'opéra de Lyon en 2013 n'est sûrement pas une perte de temps, surtout lorsqu'elle est montée dans la ville où l'œuvre est née.

L'ultime opéra de Richard Strauss - 'Die Liebe der Danae' était achevé deux ans avant ' Capriccio' - est en effet le tout dernier qui sera créé au Bayerische Staatsoper de Munich, le 28 octobre 1942, avant que l'édifice ne soit détruit par les bombardements alliés en 1943.

Il connut de nombreuses représentations au Théâtre Cuvilliés de 1970 à 1988, théâtre d'un magnifique style rococo mais qui ne peut proposer que 509 places, puis disparut de la programmation de l'Opéra d'Etat bavarois jusqu'à aujourd'hui, même s'il y eut à partir du 11 octobre 1998 quelques représentations au Prinzregententheater interprétées par la compagnie du Gärntnerplatztheater.

Vito Priante (Olivier), Diana Damrau (Madeleine), Pavol Breslik (Flamand) et Kristinn Sigmundsson (La Roche)

Vito Priante (Olivier), Diana Damrau (Madeleine), Pavol Breslik (Flamand) et Kristinn Sigmundsson (La Roche)

C'est donc au Prinzregententheater que 'Capriccio' revient au répertoire du Bayerische Staatsoper et non dans la salle principale, et c'est un peu dommage car le très complexe décor de ce spectacle représente une coupe longitudinale d'un opéra néo-classique - on reconnait les colonnes corinthiennes qui encadrent les loges près de la scène - qui est probablement une évocation de l'Opéra de Munich au moment des répétitions en 1942.

Les différents espaces de vie sont bien définis, la scène surélevée, la fosse d'orchestre très profonde, les premiers rangs du parterre, les loges de côté, et même les dessous de scènes camouflés dans l'ombre sont ainsi bien visibles. 

Nous assistons ainsi à la création de 'Capriccio' en pleine Seconde Guerre mondiale comme si nous y étions, ce qui permet à David Marton de montrer en filigrane des conversations ce qu'il se passe dans le théâtre et notamment la participation du personnel administratif à l'épuration des artistes juifs.

Et Monsieur Taupe, joué par le bien zélé Toby Spence, détient un rôle dans ce travail de filtration, lui qui étudie les visages des danseuses ou des chanteurs pour en déduire leurs origines, et dont on en verra certains partir avec leurs valises vers les camps.

Kristinn Sigmundsson (La Roche)

Kristinn Sigmundsson (La Roche)

L'autre effet de la mise en abyme est de détacher totalement l'intérêt de l'auditeur pour l'enjeu amoureux entre Olivier, Flamand et la Comtesse, puisque celui ci se confond avec le jeu théâtral qui se déroule sur la scène du décor. Par ailleurs, le lieu et le temps originels de l'action, les alentours de Paris en 1775 au moment de la réforme de l'opéra initiée par Christoph Willibald Gluck, sont distanciés, mais les Munichois n'oublieront pas ce que la capitale française doit à un musicien né dans une petite commune du sud de Nuremberg.

Bien sûr, il y a toujours plaisir à réentendre les amusantes réflexions sur un certain type de public d'opéra qui émanent aussi bien du directeur lorsqu'il raille ceux qui ne goûtent que les décors et le registre aigu de leur ténor préféré - même s'il y voit également une opportunité financière -, que d'Olivier, le poète, qui regrette la stupidité de la plupart des livrets et leur faible niveau d'intelligence, ou bien de Flamand, le musicien, qui constate que la musique n'est pas suffisamment prise en considération, ce qui montre que les problématiques du temps de Strauss n'ont pas tant évolué que cela, 80 ans plus tard.

Diana Damrau (Madeleine) et Tanja Ariane Baumgartner (Clairon)

Diana Damrau (Madeleine) et Tanja Ariane Baumgartner (Clairon)

Toutefois, c'est l'action sur la scène du théâtre qui intrigue beaucoup plus que les discussions dans la salle ou en coulisse, même si les interactions entre les protagonistes sont réalistes et vivantes mais pas forcément des plus signifiantes.

Il en résulte que si peu d'empathie est engendrée directement par ce petit monde, le spectacle fonctionne de par les questions qu'il pose pendant et après la soirée.

L'un des personnages les mieux dessinés est celui du directeur, La Roche, incarné par Kristinn Sigmundsson, la basse de référence des années Hugues Gall à l'Opéra de Paris de 1995 à 2004, inoubliable en Commandeur et Grand inquisiteur.

A 71 ans, le chanteur islandais impose une véritable dimension avec des clartés inattendues et des couleurs encore riches qui donnent beaucoup de crédibilité à son personnage et une humanité profonde.

Lorsqu'éclate son ras-le-bol de voir qu'il n'est pas suffisamment considéré pour son importance dans la mise en valeur des artistes, David Marton le fait chanter dans l'ombre de la fosse d'orchestre, au pied de la scène, pour accentuer la puissance de ce moment mais aussi ses ambiguïtés. Kristinn Sigmundsson fait ressortir aussi bien les influx sanguins du directeur, que ses angoisses aux commandes du théâtre dans un tel contexte politique.

Galeano Salas et Deanna Breiwick (Les chanteurs italiens)

Galeano Salas et Deanna Breiwick (Les chanteurs italiens)

Autre personnage sous très forte tension, le Flamand de Pavol Breslik est interprété de manière impulsive et écorchée. La voix est dramatique avec des teintes ombrées, et c'est la souffrance des sentiments non reconnus qu'il exprime par dessus tout. Vito Priante est moins expansif dans ses revendications. Sous ses traits, Olivier est plus humble et intériorisé, la tessiture vocale est très homogène et mate, mais on ne le sent pas parti pour gagner, alors que le Comte de Michael Nagy a, lui, beaucoup de brillant pour séduire Clairon dont le rôle paraît sous-dimensionné pour Tanja Ariane Baumgartner, elle qui incarnait Clytemnestre avec une très grande force ces deux dernières années à Salzbourg.

Dans les rôles des chanteurs italiens, Deanna Breiwick et Galeano Salas fonctionnent à merveille en affichant une très belle connivence. Par ailleurs, le ténor américano-mexicain devient une des valeurs enthousiastes et rayonnantes de la troupe de l'opéra de Munich très plaisante à suivre de par son goût pour le travail approfondi de comédien et sa belle assise vocale.

Excellents sont aussi les serviteurs qui portent haut en couleur la voix de ceux qui n'œuvrent qu'en coulisses.

Diana Damrau (Madeleine)

Diana Damrau (Madeleine)

Et pour sa nouvelle prise de rôle, Diana Damrau fait vivre Madeleine sous une nature joueuse, adolescente et affectueuse qui refuse toute dramatisation. Timbre lumineux et fruité voué à la netteté du chant, il y a bien peu de place pour d'amples tourments, mais la grande scène finale - chantée non sur les planches mais dans la fosse d'orchestre du décor - lui permet d'assoir une sensibilité irradiante et, enfin, les premiers doutes lorsqu'elle réalise face à son double vieilli qu'en ne faisant aucun choix elle a laissé filer le temps et sa vie.

Enfin, si la réalisation orchestrale ne manque pas d'ampleur et de sensualité harmonique, Leo Hussain, remplaçant au pied levé de Lothar Koenig, ne met pas suffisamment en valeur le raffinement des textures et privilégie le grand son sans caractère. Il y a pourtant tant de subtiles vibrations à faire vivre dans cette musique.

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Publié le 28 Juillet 2022

Strauss, Brahms, Liszt, Wolf... Fauré, Duparc, Hahn, Mahler - Lieder allemands et français
Récital du 26 juillet 2022
Bayerische Staatsoper - Prinzregententheater

Karl Weigl Seele 

Nacht und Träume
Richard Strauss Die Nacht 
Johannes Brahms Nachtwandler
Hugo Wolf Die Nacht
Hans Sommer Seliges Vergessen

Bewegung im Innern
Max Reger Schmied Schmerz
Richard Strauss Ruhe, meine Seele
Johannes Brahms Der Tod, Nachtigall, Verzagen 
Franz Liszt Laßt mich ruhen

Mouvement intérieur
Gabriel Fauré Après un rêve
Reynaldo Hahn À Chloris, L'Énamourée
Henri Duparc Chanson triste
Gabriel Fauré Notre amour

Erlösung und Heimkehr
Max Reger Abend
Hugo Wolf Gebet
Richard Rössler Läuterung
Gustav Mahler Urlicht

Soprano Marlis Petersen
Piano Stephan Matthias Lademann

Issu du troisième CD de la série 'Dimensionen' intitulé 'Innen Welt' et édité en septembre 2019 chez Solo Musica, le florilège de lieder allemands et français présenté ce soir par Marlis Petersen et Stephan Matthias Lademann au Prinzregententheater de Munich a d'abord été diffusé sur le site internet de l'Opéra de Franfort le 28 mai 2021, avant que les deux artistes n'entâment une tournée allemande déjà passée par Nuremberg et Cologne.

Ces mélodies sont regroupées par thèmes, 'Nacht und Träume', 'Bewegung im Innern', 'Mouvement intérieur' et 'Erlösung und Heimkehr', et Marlis Petersen révèle un magnifiquement talent de conteuse lorsqu'elle présente au public chacun d'entre eux par un art du phrasé qui vous enveloppe le cœur avec une attention presque maternelle.

Marlis Petersen

Marlis Petersen

La première série dédiée à la nuit et aux rêves relie Richard Strauss, Johanne Brahms, Hugo Wolf et Hans Sommer par une même clarté et une présence humaine de timbre qui racontent des pensées, ou bien une vision inquiète du monde, avec une lucidité poétique d'une très grande expressivité qui ne verse cependant pas dans l'affect mélancolique.

Suivre le texte tout en écoutant cette grande artiste sculpter et développer les syllabes sous nos yeux et au creux de l'oreille fait naitre une fascination qui est le véritable moteur du plaisir ressenti.

Puis, à partir de 'Ruhe, meine seele' de Richard Strauss, Marlis Petersen fait ressortir des graves plus sombres et des exultations plus tendues qui élargissent l'univers de ses sentiments non exempts de colère. Elle dépeint ainsi une personnalité plus complexe ce qui accroit la prégnance de son incarnation toute éphémère qu'elle soit.

Marlis Petersen

Marlis Petersen

Mais la surprise de la soirée survient au cours du troisième thème 'Mouvement intérieur' où les mélodies 'Après un rêve' de Fauré et 'A Cloris' de Reynaldo Hahn, en particulier, sont d'une telle beauté interprétative que la délicatesse des teintes et des nuances qui s'épanouissent engendre une émotion profonde irrésistible.

A l'entendre défendre avec un tel soin un répertoire aussi difficile et dans une langue qui n'est pas la sienne, on se prend à rêver de la découvrir dans le répertoire baroque français le plus raffiné tant son phrasé est magnifiquement orné.

Marlis Petersen et Stephan Matthias Lademann

Marlis Petersen et Stephan Matthias Lademann

Le rythme reste ensuite plus lent qu'au début, tout en réunissant Reger, Wolf et Rössler autour de leurs expressions les plus méditatives, et Marlis Petersen achève ce voyage plus bucolique que noir par le seul lied qui n'apparait pas sur son enregistrement, 'Urlicht' de Gustav Mahler, portée par le désir de revenir à une lumière qui lui est bien naturelle avec toujours cet art ample du déploiement des mots aux couleurs ambrées.

Et en bis, 'Träume' de Richard Wagner et 'Nacht und Träume' de Franz Schubert comblent une soirée où le toucher crépusculaire de Stephan Matthias Lademann aura entretenu un esprit nimbé de classicisme perlé et méticuleux.

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Publié le 26 Juillet 2022

Richard Strauss (Der Rosenkavalier - 1911)
Représentation du 24 juillet 2022
Bayerische Staatsoper - Münchner Opernfestspiele

Die Feldmarschallin Marlis Petersen
Der Baron Ochs auf Lerchenau Günther Groissböck
Octavian Samantha Hankey
Herr von Faninal Johannes Martin Kränzle
Sophie Liv Redpath
Jungfer Marianne Leitmetzerin Daniela Köhler
Valzacchi Ulrich Reß
Annina Ursula Hesse von den Steinen
Ein Polizeikommissar Martin Snell
Der Haushofmeister bei der Feldmarschallin Kevin Conners
Der Haushofmeister bei Faninal Caspar Singh
Ein Notar Christian Rieger
Ein Wirt Kevin Conners
Ein Sänger Galeano Salas

Direction musicale Vladimir Jurowski
Mise en scène Barrie Kosky (2021)

'Le Chevalier à la Rose' n'est certes pas joué à Munich avec la même intensité qu'à l'Opéra de Vienne, il n'en est pas moins vrai qu'il est une des œuvres emblématiques de l'Opéra d'Etat bavarois, et qu'il était grand temps de remplacer l'ancienne production d'Otto Schenk créée le 20 avril 1972. Elle aura connu 195 représentations au total en ce théâtre.

Samantha Hankey (Octavian)

Samantha Hankey (Octavian)

Barrie Kosky ne rompt cependant pas brutalement avec cette production historique, mais il entend conduire par l'humour le spectateur dans le monde d'après en gardant un œil sur le passé afin de lui faire sentir l'essence même de l'œuvre qui est une lutte contre le déroulement du temps.

Une pendule plantée au milieu de l'avant scène figure ainsi à elle seule l'obsession de la Maréchale qui, comme elle le révèle au moment de quitter Octavian à la fin du premier acte, se lève parfois au milieu de la nuit pour faire arrêter les horloges.

Marlis Petersen (La Maréchale)

Marlis Petersen (La Maréchale)

Les murs de son appartement abondamment ornés sont ainsi recouverts d'une fine patine gris-argent qui reflète le lustre d'une époque passée. On peut même imaginer qu'au moment de l'arrivée des musiciens, leurs déguisements en danseurs de cour de Louis XIV est une référence directe à la fascination qu'avait Louis II de Bavière pour le 'Roi Soleil', fascination qui s'est manifestée par la construction des châteaux d'Herrenchiemsee et de Linderhof.

Liv Redpath (Sophie)

Liv Redpath (Sophie)

L'histoire de l'art est à nouveau convoquée au second acte dans la chambre de Sophie qui se trouve recouverte de peintures de faunes et de nymphes, troublantes par leur sensualité, et qui entrent véritablement en résonance avec l'esprit du baron qui ne fait que répéter à la fille de Faninal qu'elle lui appartiendra quoi qu'elle fasse, alors qu'il ne lui laisse comme perspective que l'accomplissement d'une domination masculine quand ils rejoindront le lit nuptial. 

Le rêve drolatique figuré par l'arrivée du Chevalier à la Rose dans un carrosse fantasque débordant de fioritures argentées, tiré par quatre hommes déguisés en chevaux, ne durera qu'un temps, mais il confirme les allusions à l'univers de Louis II, ce que le public va beaucoup apprécier.

Ursula Hesse von den Steinen (Annina) et Günther Groissböck (Le Baron Ochs)

Ursula Hesse von den Steinen (Annina) et Günther Groissböck (Le Baron Ochs)

Le dernier acte verse finalement dans la comédie et se déroule sur la scène d'un petit théâtre comme s'il s'agissait dorénavant de ne plus rien prendre au sérieux.

La direction d'acteur de Barrie Kosky est à la fête, et son goût pour les scènes mimées par les figurants déborde de vie. Le vieux Cupidon, qui depuis le début agit pour faire émerger le sentiment d'amour parmi cette société insupportable, réalise enfin son but avec la victoire d'Octavian et Sophie qui s'élèvent dans les airs et disparaissent dans la nuit, alors que la Maréchale repart en coulisse d'un geste désabusé une fois la partie finie.

Liv Redpath (Sophie) et Samantha Hankey (Octavian)

Liv Redpath (Sophie) et Samantha Hankey (Octavian)

Fervent passionné des œuvres fortement théâtrales et caustiques, Vladimir Jurowski réalise en communion avec la mise en scène une lecture époustouflante du 'Chevalier à la Rose' au point d'arriver à happer l'attention scénique de l'auditeur afin qu'il suive ce qui se déroule dans la fosse. Son art du mouvement avec les musiciens révèle une maîtrise extraordinaire des lois mathématiques qui innervent les courants de bois et de cordes, comme si, après avoir obtenu une nappe orchestrale malléable au velouté crépusculaire, il la faisait vivre en accélérant ses emportements, en déviant ses lignes, en caressant d'un geste les groupes d'instruments dont il recherche une souplesse poétique, tout en faisant émerger les motifs réminiscents dans un fondu enchainé subtil et somptueux.

Mais dans les passages où la rythmique s'emballe, les colorations des percussions et des cuivres évoquent la modernité plastique d'œuvres de compositeurs russes du XXe siècle tels Chostakovitch et Prokofiev, plus que l'argent massif des grandes orchestrations viennoises. Son sens du théâtre s'en trouve exacerbé, et s'opère ainsi un basculement, depuis les images baroques de la première partie, vers un réalisme violent et implacable de la vie.

Günther Groissböck (Le Baron Ochs) et Samantha Hankey (Octavian-Mariandel)

Günther Groissböck (Le Baron Ochs) et Samantha Hankey (Octavian-Mariandel)

La distribution réunie est de haut-vol, à commencer par Marlis Petersen qui est idéale dans ce rôle de princesse aux allures de Lulu, dont les sous-vêtements transparaissent sous son fin voilage dans la scène initiale de la chambre, comme pour montrer qu'elle n'est pas seulement une noble personne vieillissante, mais une femme qui sait ce que la séduction charnelle signifie et qui vit dans le monde présent.

Mais quelle transformation quand elle réapparait à la scène finale! Vêtue de noir et plus mature, elle se met hors-jeu volontairement et vient tirer sa révérence, défaite par le temps, tout en s'assurant que l'avenir des deux jeunes amants pourra s'épanouir.

Sa diction très claire et le mélange de projection bien profilée et d'accents modernes dont elle aime jouer sont ainsi au service d'un portrait épuré et sensible, où finesse et félinité se mêlent pour faire vivre une personnalité au caractère lucide et éveillé.

Marlis Petersen (La Maréchale)

Marlis Petersen (La Maréchale)

Remplaçant au pied levé Christof Fischesser souffrant, Günther Groissböck s'empare du personnage du Baron Ochs avec une assurance bluffante, bombant du torse et interagissant avec son entourage de façon très vivante.

Des couleurs stylisées et assombries se libèrent au fil de la représentation, la puissance se renforce également, et son jeu de séduction avec Octavian devient plus complexe car il fait très bien ressortir les effets de confusion intérieure créés par le piège comique qui se referme sur lui.

Liv Redpath (Sophie) et Samantha Hankey (Octavian)

Liv Redpath (Sophie) et Samantha Hankey (Octavian)

Et c'est un bien beau Octavian qu'incarne Samantha Hankey au souffle vaillant et doué d'une lumière héroïque mâtinée de romantisme. Elle joue même le travestissement avec une grande aisance quand elle doit devenir Mariandel et user de tonalités plus sarcastiques.

Et Liv Redpath est idéale en Sophie, espiègle et profonde avec une très grande pureté de ligne dans les aigus stellaires, et un médium sensuel très agréable, ce qui aboutit à de magnifiques duo enjôleurs avec Samantha Hankey.

Marlis Petersen, Vladimir Jurowski et Samantha Hankey

Marlis Petersen, Vladimir Jurowski et Samantha Hankey

Parmi les rôles secondaires, Johannes Martin Kränzle, au timbre de voix bien homogène, est physiquement tout à fait méconnaissable en Faninal, alors qu'Ursula Hesse von den Steinen révèle sans complexe les facettes les plus monstrueuses d'Annina.

Et dans le rôle du jeune chanteur, Galeano Salas délivre une puissance impressionnante richement colorée et tout à fait inattendue.

Ulrich Reß et Serge Dorny

Ulrich Reß et Serge Dorny

Après un hommage rendu au début de la représentation à Stefan Soltesz, chef d'orchestre disparu soudainement 2 jours auparavant au cours d'une représentation de 'La femme silencieuse', Serge Dorny a ensuite salué Ulrich Reß (Valzacchi) à l'issue du spectacle pour ses 43 ans de carrière et ses 38 ans de présence au sein du Bayerische Staatsoper.

Le chanteur augsbourgeois, reconnu pour son engagement à défendre nombre de petits rôles, et parfois des personnages plus importants, prend sa retraite ce soir sous d'enthousiastes applaudissements, mais il continuera à se produire prochainement en tant qu'artiste invité.

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