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Publié le 3 Septembre 2023

Berliner Philharmoniker – Kirill Petrenko
Concert du 02 septembre 2023
Philharmonie de Paris – Grande Salle Pierre Boulez

Max Reger 
Variations et Fugue sur un thème de Mozart op.132 (08 janvier 1915, Wiesbaden)

Richard Strauss
Ein Heldenleben [Une vie de héros] op.40 (03 mars 1899, Frankfurt am Main)

 

Direction musicale Kirill Petrenko
Berliner Philharmoniker

Programme Reger / Strauss : Philharmonie de Berlin (25 août 2023), Großes Festspielhaus de Salzburg (27 août 2023), Palais de la Culture et des congrès de Lucerne (30 août 2023)
Programme Brahms / Schoenberg / Beethoven : Großes Festspielhaus de Salzburg (28 août 2023), Palais de la Culture et des congrès de Lucerne (31 août 2023), Philharmonie de Luxembourg (03 septembre 2023)

Directeur du Berliner Philharmoniker depuis 4 ans, Kirill Petrenko est connu des Parisiens pour ses interprétations des œuvres lyriques de Richard Strauss jouées au Théâtre des Champs-Élysées lorsqu’il dirigeait l’orchestre du Bayerische Staatsoper, ‘Der Rosenkavalier’ (2014), ‘Ariane à Naxos’ (2015), ‘Vier letzte Lieder’ (2016), ‘Arabella’ (2019), mais il a aussi beaucoup marqué Munich par sa lecture implacable de ‘Die Frau ohne Schatten’ (2013 et 2017) dans la mise en scène de Krzyzstof Warlikowski, ainsi que le Festival de Bayreuth pour ses inoubliables cycles du ‘Ring’ de Richard Wagner donnés dans la production de Frank Castorf (2013, 2014 et 2015).

Le retrouver en ouverture de saison 2023/2024 à la Philharmonie de Paris, à l’occasion de sa tournée de Festival, promet d’emblée une immersion sensitive somptueuse, ce que ne dément pas le concert de ce soir joué devant une salle bien remplie et fréquentée par un public en partie très jeune.

Kirill Petrenko

Kirill Petrenko

Il s'agit d'abord d'un hommage rendu aux 150 ans de la naissance de Max Reger, compositeur bavarois dont les ouvrages furent diversement appréciés mais auquel Richard Strauss proposa de collaborer avec sa maison d’édition. Il sera notamment chargé d’arranger pour le piano nombre de lieder de jeunesse de son confrère munichois.

Extraites de l’’Andante grazioso’ de la Sonate pour piano n°11 de Mozart, dont le Rondo ‘alla Turca’ est le passage le plus célèbre, les Variations et Fugue invitent l’auditeur à voyager à travers le temps en transformant la délicatesse d’un mouvement de l’époque classique en un complexe foisonnement sonore caractéristique du grand romantisme allemand de la fin du XIXe siècle.

Sous la baguette de Kirill Petrenko, les vents du Berliner Philharmoniker virevoltent avec une légèreté dansante et une liberté riante, et les mélismes orchestraux acquièrent une chaleur lumineuse qui coule avec naturel tout en prodiguant une extension sonore qui se diffuse idéalement dans l’enceinte de l’auditorium. 

On se berce ainsi d’une clarté d’ensemble et de superbes ornements qui, quelque part, semblent transformer l’âme de Mozart afin de nous emmener vers le raffinement et l’opulence de Richard Strauss.

Kirill Petrenko - Berliner Philharmoniker (Max Reger – Richard Strauss) Philharmonie

En seconde partie, ‘Ein Heldenleben [Une vie de héros]’, véritable métaphore de l’esprit du compositeur que pourrait tout aussi bien s’approprier le chef d’orchestre interprète, permet d’admirer comment Kirill Petrenko se saisit de l’effectif orchestral pour créer un univers tenu par ses propres forces internes qui s’anime sous l’effet de leur propre puissance avec un sens du mouvement ample et fuyant, un contrôle de l’équilibre instable fascinant, et une joie tout intérieure et fort méditative.

Kirill Petrenko

Kirill Petrenko

Et on peut même avoir l’impression que l’énergie de tel ou tel motif qui s’envole dans une direction est liée aux mouvements de musiciens qui n’en sont pas à l’origine, et qu’il y a une cohérence interne qui relie cet ensemble. Et même dans la grande marche tonitruante et épique du héros, la progression en intensité sonore préserve la plasticité de l’enveloppe symphonique avec un excellent fondu des cuivres au tissu orchestral. 

Le soyeux profond et dense des cordes se module sans rupture pour se prolonger en charmante atmosphère bucolique, et des courbes se croisent dans un mouvement perpétuel très harmonieux.

Et la souplesse avec laquelle le coup de percussion final jaillit fait penser à la naissance soudaine d'une étoile.

Vineta Sareika-Völkner

Vineta Sareika-Völkner

Magnifique moment de grâce également que le solo de Vineta Sareika-Völkner, première femme premier violon solo du Berliner Philharmoniker depuis sa création en 1882, qui ouvre un large champ à l’artiste lettone pour exprimer des sentiments passionnés avec un entrelacement de textures parfaitement maitrisé, et une finesse de précision qui vise à faire ressentir avec éclat l’infini du temps.

Paraissant maître de ce monde qu’il laisse vivre tout en l’influençant, Kirill Petrenko se laisse aussi aller à l’évocation complice de l’être aimé, ou d'un idéal, par des pensées célestes, le regard tourné vers les airs, comme s’il s’autorisait, lui aussi, le rêve et le désir d’évasion, offrant de lui une image absolument tendre, alors qu’au moment de saluer le public, il affichera une certaine réserve et modestie, comme s’il ne voulait pas passer au premier plan de l’ouvrage et des musiciens.

Kirill Petrenko et le Berliner Philharmoniker

Kirill Petrenko et le Berliner Philharmoniker

Soirée profondément inspirante qui participe aux raisons pour lesquelles la beauté et les mystères de l’art valent d’être vécus.

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Publié le 28 Juillet 2022

Strauss, Brahms, Liszt, Wolf... Fauré, Duparc, Hahn, Mahler - Lieder allemands et français
Récital du 26 juillet 2022
Bayerische Staatsoper - Prinzregententheater

Karl Weigl Seele 

Nacht und Träume
Richard Strauss Die Nacht 
Johannes Brahms Nachtwandler
Hugo Wolf Die Nacht
Hans Sommer Seliges Vergessen

Bewegung im Innern
Max Reger Schmied Schmerz
Richard Strauss Ruhe, meine Seele
Johannes Brahms Der Tod, Nachtigall, Verzagen 
Franz Liszt Laßt mich ruhen

Mouvement intérieur
Gabriel Fauré Après un rêve
Reynaldo Hahn À Chloris, L'Énamourée
Henri Duparc Chanson triste
Gabriel Fauré Notre amour

Erlösung und Heimkehr
Max Reger Abend
Hugo Wolf Gebet
Richard Rössler Läuterung
Gustav Mahler Urlicht

Soprano Marlis Petersen
Piano Stephan Matthias Lademann

Issu du troisième CD de la série 'Dimensionen' intitulé 'Innen Welt' et édité en septembre 2019 chez Solo Musica, le florilège de lieder allemands et français présenté ce soir par Marlis Petersen et Stephan Matthias Lademann au Prinzregententheater de Munich a d'abord été diffusé sur le site internet de l'Opéra de Franfort le 28 mai 2021, avant que les deux artistes n'entâment une tournée allemande déjà passée par Nuremberg et Cologne.

Ces mélodies sont regroupées par thèmes, 'Nacht und Träume', 'Bewegung im Innern', 'Mouvement intérieur' et 'Erlösung und Heimkehr', et Marlis Petersen révèle un magnifiquement talent de conteuse lorsqu'elle présente au public chacun d'entre eux par un art du phrasé qui vous enveloppe le cœur avec une attention presque maternelle.

Marlis Petersen

Marlis Petersen

La première série dédiée à la nuit et aux rêves relie Richard Strauss, Johanne Brahms, Hugo Wolf et Hans Sommer par une même clarté et une présence humaine de timbre qui racontent des pensées, ou bien une vision inquiète du monde, avec une lucidité poétique d'une très grande expressivité qui ne verse cependant pas dans l'affect mélancolique.

Suivre le texte tout en écoutant cette grande artiste sculpter et développer les syllabes sous nos yeux et au creux de l'oreille fait naitre une fascination qui est le véritable moteur du plaisir ressenti.

Puis, à partir de 'Ruhe, meine seele' de Richard Strauss, Marlis Petersen fait ressortir des graves plus sombres et des exultations plus tendues qui élargissent l'univers de ses sentiments non exempts de colère. Elle dépeint ainsi une personnalité plus complexe ce qui accroit la prégnance de son incarnation toute éphémère qu'elle soit.

Marlis Petersen

Marlis Petersen

Mais la surprise de la soirée survient au cours du troisième thème 'Mouvement intérieur' où les mélodies 'Après un rêve' de Fauré et 'A Cloris' de Reynaldo Hahn, en particulier, sont d'une telle beauté interprétative que la délicatesse des teintes et des nuances qui s'épanouissent engendre une émotion profonde irrésistible.

A l'entendre défendre avec un tel soin un répertoire aussi difficile et dans une langue qui n'est pas la sienne, on se prend à rêver de la découvrir dans le répertoire baroque français le plus raffiné tant son phrasé est magnifiquement orné.

Marlis Petersen et Stephan Matthias Lademann

Marlis Petersen et Stephan Matthias Lademann

Le rythme reste ensuite plus lent qu'au début, tout en réunissant Reger, Wolf et Rössler autour de leurs expressions les plus méditatives, et Marlis Petersen achève ce voyage plus bucolique que noir par le seul lied qui n'apparait pas sur son enregistrement, 'Urlicht' de Gustav Mahler, portée par le désir de revenir à une lumière qui lui est bien naturelle avec toujours cet art ample du déploiement des mots aux couleurs ambrées.

Et en bis, 'Träume' de Richard Wagner et 'Nacht und Träume' de Franz Schubert comblent une soirée où le toucher crépusculaire de Stephan Matthias Lademann aura entretenu un esprit nimbé de classicisme perlé et méticuleux.

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