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Publié le 14 Décembre 2024

L’Oiseau de Feu (Igor Stravinsky
25 juin 1910, Opéra de Paris)
Daphnis et Chloé, suite n°2 (Maurice Ravel

08 juin 1912, Théâtre du Châtelet)
Valse (Maurice Ravel

12 décembre 1920, Concerts Lamoureux, Paris)
Bis : Boléro (Maurice Ravel

22 novembre 1928, Opéra de Paris)

Concert du 09 décembre 2024
Grande salle Pierre Boulez
Philharmonie de Paris

Direction musicale Teodor Currentzis
Orchestre de l’Opéra national de Paris

Chef d’orchestre énormément apprécié par Gerard Mortier qui le fit découvrir au public parisien à travers les lectures verdiennes de 'Don Carlo' et ‘Macbeth’ représentées à l’opéra Bastille respectivement en juillet 2008 et mai 2009, Teodor Currentzis célèbre cette année ses 20 ans de trajectoire artistique extraordinaire depuis la fondation de son premier ensemble, Musica Aeterna, en 2004 au même moment où il devint le chef d’orchestre principal de l’opéra de Novossibirsk.

Cette même année, il dirigea ‘Aida’ dans une mise en scène de Dmitri Tcherniakov qui sera récompensée d’un ‘Masque d’Or’.

Teodor Currentzis

Teodor Currentzis

Depuis, les collaborations se sont poursuivies avec ce génial metteur en scène (‘Macbeth’ – Paris 2009, ’Wozzeck’ – Bolshoi 2009), puis, quelques années plus tard, avec Peter Sellars (‘Iolanta/Perséphone’ – Madrid 2012,  ‘The Indian Queen’ – Madrid 2013, ‘La Clémence de Titus’ – Salzbourg 2017, ‘Idomeneo’ – Salzbourg 2019) et Romeo Castellucci (‘Le Sacre du Printemps’ – Ruhrtriennale 2014, ‘Jeanne au Bûcher’ – Perm 2018, ‘Don Giovanni’ – Salzbourg 2021, ‘Le Château de Barbe-Bleue/De Temporum fine comœdia’ – Salzbourg 2022).

Teodor Currentzis est ainsi un artiste qui a à dire dans tous les répertoires, du Baroque au contemporain, en passant par les grands compositeurs du XIXe siècle ('Das Rheingold' - Ruhrtriennale 2015), faisant entendre des couleurs, des ornementations et des rythmes souvent inhabituels dans ces ouvrages. Il a dorénavant créé un nouvel ensemble, Utopia, qui  regroupe depuis 2022 des musiciens du monde entier dont certains sont Russes et Ukrainiens.

Musiciens de l'orchestre de l'Opéra national de Paris

Musiciens de l'orchestre de l'Opéra national de Paris

Pour ses retrouvailles avec l’orchestre de l’Opéra national de Paris, 15 ans après ‘Macbeth’, le chef d’orchestre greco-russe a choisi un programme classique et couramment enregistré qui regroupe deux œuvres de commande de Serge Diaghilev pour les scènes parisiennes, ‘L’Oiseau de Feu’ de Stravinsky et un extrait de ‘Daphnis et Chloé’, la suite n°2, de Maurice Ravel, complété par une apothéose, ‘La Valse’, née également sous l’impulsion du fondateur des Ballets russes.

La souplesse avec laquelle il dirigera ce soir la phalange parisienne sera un enchantement de bout en bout. Dans ‘L’Oiseau de Feu’, il obtient un son d’un velouté somptueux, les motifs sombres serpentent sous une tension éclatante, et il entraîne les bois dans des jeux de courbes orientalistes qu’il dessine lui même avec son corps comme s’il cherchait à communiquer au subconscient des musiciens une manière de faire vivre la musique. Il peut ainsi passer d’une lascivité hypnotique à une sauvagerie rythmique parfaitement précise qui donne à l’ensemble du ressort et un allant très élancés.

Teodor Currentzis

Teodor Currentzis

Dans ‘Daphnis et Chloé’, puis la ‘Valse’, on retrouve cette même volupté et finesse d’ornementation avec un contrôle des volumes caressant et une frénésie diabolique d’où jaillit un hédonisme sonore fait de chatoiements mirifiques et de peintures chaleureuses au sensualisme véritablement klimtien.

Cette rigueur enrobée d’une tonalité ludique fait ainsi ressentir une volonté d’imprégner l’auditeur en profondeur de ces musiques enivrantes, et de lui offrir une plénitude obsédante.

Le choix du 'Boléro' en bis découle naturellement du thème de l’exposition Ravel Boléro inaugurée six jours plus tôt à la Philharmonie, mais est aussi une manière d’exposer à nouveau cette science de l’envoûtement qu’aime tant arborer Teodor Currentzis.

Teodor Currentzis

Teodor Currentzis

Standing ovation spontanée de la part des musiciens et du public aux sourires béats, et, pour un instant, le rêve d’une rencontre de cœur entre un chef et des musiciens qui puisse se nouer en une grande aventure artistique.

Quoi qu’il en soit, nous retrouverons Teodor Currentzis au Palais Garnier à partir du 20 janvier auprès de son complice Peter Sellars pour interpréter une version de ‘Castor et Pollux’ avec l’Orchestre et les Chœurs Utopia qui pourrait bien être encore source d’innovations musicales inspirantes.

Teodor Currentzis

Teodor Currentzis

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Publié le 28 Octobre 2024

Donnerstag aus Licht - Acte III (Karlheinz Stockhausen - 03 avril 1981, La Scala de Milan)
Concert du 26 octobre 2024
Philharmonie de Paris
Grande salle Pierre Boulez

Michaël Safir Behloul (ténor), Henri Deléger (trompette), Emmanuelle Grach (danse)
Eve Elise Chauvin (soprano), Iris Zerdoud (cor de basset), Suzanne Meyer (danse)
Lucifer Damien Pass (basse), Mathieu Adam (trombone), Frank Gizycki (danse)
Une vieille dame Bernadette Le Saché
Michael adolescent Ilion Thierrée

Direction musicale Maxime Pascal
Mise en scène Benjamin Lazar

Ensemble Le Balcon
Étudiants du Conservatoire de Paris
Étudiants du Pôle Sup'93
Le Jeune Chœur de Paris - Département supérieur pour jeunes chanteurs, CRR de Paris
Orchestre Impromptu

Quatre ans, jour pour jour, après avoir dirigé 'Dienstag aus Licht' dans la grande salle de la Philharmonie, probablement le plus spectaculaire des sept volets du cycle 'Licht', Maxime Pascal revient avec son ensemble Le Balcon, renforcé par les cordes de l'Orchestre Impromptu, pour interpréter le 3e acte de 'Donnerstag aus Licht' dans une scénographie spatio-temporelle qui inspire pleinement à un mysticisme subtil en s'appuyant sur la puissance et les possibilités qu'offre la grande salle de la Philharmonie. 

Ce spectacle avait été donné à l’Opéra Comique en novembre 2018, puis repris à la Philharmonie en novembre 2021 mais sans le 3e acte, les contraintes de la pandémie ne le permettant pas.

Donnerstag aus Licht - Acte III

Donnerstag aus Licht - Acte III

Ce dernier acte repris ce soir se décompose en deux parties, la première, 'Festival', dont le climax est le combat entre Michaël et Lucifer, et la seconde, 'Vision', qui est une réflexion sur ce qu'est l'être humain et comment Lucifer cherche à l'empêcher dans sa quête d'absolu.

Les musiciens sont disposés en arrière scène sur une large estrade sur laquelle repose un grand gong.

Des faisceaux lumineux pointent au dessus de lui pour y projeter quelques mots, et cet ensemble va de plus en plus évoquer la vision du centre d'un système solaire où l'humanité se retrouverait pour y régler ses comptes. Cette impression s’accroît avec la distance à la scène que permet la salle.

Damien Pass (Lucifer)

Damien Pass (Lucifer)

Au début, des chœurs descendent des escaliers vers la scène en frontal, avant de se disperser, et l'on entendra pas la suite ces voix invisibles venir de toutes parts y compris des moindres interstices du fond de parterre. Les cordes instillent une atmosphère évanescente, un fond omniprésent, et les cuivres agissent comme des stimuli qui commentent l’action de façon vive et haut-en-couleur avec un sens du burlesque qui se manifeste lors du combat entre Michaël et Lucifer, rendu ici de façon assez ludique.

Lucifer perd et s'en va à travers les hauteurs de la Philharmonie en scandant de façon répétitive à Michaël ‘Du bist ein Narr!' (‘Tu es un imbécile!’). A priori, on peut y voir une simple réaction à une déception humaine, mais ceci se déroule à travers un espace si vaste que l’on ne peut s’empêcher de voir, mais de manière très personnelle, comme une métaphore de la manifestation du chaos dans la formation de la vie de notre système solaire. 

En effet, on a au centre de la scène un couple qui s’aime et qui se retrouve devant un gong en forme de Soleil, des musiciens qui pourraient symboliser une force environnante hors du temps et impalpable, et un Lucifer venu de l’extérieur de ce système et qui perturbe la vie qu'il abrite mais sans réussir à la détruire, et qui finalement repart dans le cosmos - en y associant la texture étrange de la musique, un rapprochement naturel s'opère entre le personnage de Lucifer, incapable de participer à la société, et le 'Wozzeck' d'Alban Berg -.

En seconde partie, Michaël le présentera comme un ange noble qui s’est révolté à la création de l’homme, une force qui vise à empêcher chaque individu d'avancer dans sa propre construction humaine.

Ilion Thierrée (Michael adolescent) et Bernadette Le Saché (Une vieille dame)

Ilion Thierrée (Michael adolescent) et Bernadette Le Saché (Une vieille dame)

L’ésotérisme de la musique et les symboles qui apparaissent dans ce spectacle augmentent ainsi l’espace de jeu, tel ce chiffre ‘9’ qui surgit indirectement à travers 3 groupes de 3 faisceaux lumineux verticaux qui résonnent avec les trois formes que chacun des trois êtres, Michaël, Eve et Lucifer, prend sous les traits d’un chanteur, d’un danseur et un d’instrumentiste, comme en écho aux ‘9’ planètes qui gravitent autour de notre étoile (dans les année 80, Pluton était encore considérée comme une planète).

Cette évocation montre ainsi comment cette mise en scène, magnifiquement insérée dans la salle Boulez, et les éléments hypnotiques contenus dans la musique de Stockhausen ont la capacité à ouvrir les limites du temps tout en nous maintenant connectés à l’essence de la vie qui s'anime devant nos yeux.

L’utilisation des lumières, notamment sur le plafond de la Philharmonie qui se pare de mille reflets orangés, renforce le sentiment d’unité individuelle et collective de ce spectacle grandiose qui, quelque part, peut aussi donner l'impression de vivre une grande cérémonie panthéiste.

Maxime Pascal, Benjamin Lazar, Damien Pass et Richard Wilberforce (Chef de chœur)

Maxime Pascal, Benjamin Lazar, Damien Pass et Richard Wilberforce (Chef de chœur)

Tous ces artistes sont évidemment épatants, que ce soit Elise Gauvin qui surpasse en puissance l’orchestre et les chœurs, Damien Pass, ancien élève de l’Atelier Lyrique de l’Opéra de Paris, en Lucifer, excellent comédien d’une très grande présence, y compris dans l’utilisation inventive de ses inflexions de voix, Safir Behloul, qui rend une pureté humaniste à Michaël, ou bien Maxime Pascal qui porte à bout de bras vifs et majestueux les grands mouvements orchestraux pour galvaniser tous les musiciens.

Par ailleurs, les instrumentistes solistes Henri Deléger (trompette), Iris Zerdoud (cor de basset) et Mathieu Adam (trombone) soignent couleurs et précision sonore qui se magnifient naturellement dans l'acoustique immersive de la grande salle.

Enfin, les fascinants effets polyphoniques des chœurs participent de façon déterminante à la formidable sensation d'irréalité qui innerve cette œuvre atypique.

 Donnerstag aus Licht Acte 3 (Maxime Pascal Le Balcon Lazar) Philharmonie

Ensemble, ils réussissent ainsi à dépasser la complexité d’agencement de cette production pour induire chez le spectateur non seulement le merveilleux sentiment de mystère qu'il vient éprouver, mais aussi un grand sentiment d'admiration pour avoir su rendre l'intemporalité de cet acte foisonnant.

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Publié le 29 Septembre 2024

Œuvres d’ Aram Khatchatourian (de 1942 à 1964 – Moscou, Perm, Leningrad)
Concert du 29 septembre 2024
Cité de la Musique
Salle des Concerts

Mascarade - suite orchestrale ( 8 novembre 1944,  All-Union Radio Symphony Orchestra)
Valse, Nocturne, Mazurka, Romance, Galop

Concerto-Rhapsodie pour violoncelle et orchestre en ré majeur ( 4 janvier 1964 – dédicacé à Mstislav Rostropovitch)

Gayaneh – extraits (9 décembre 1942, Théâtre Kirov de Perm)
Berceuse, Danse des jeunes filles , Danse d’Aïcha , Danse du sabre

Spartacus – extraits des suites orchestrales (27 décembre 1956, Théâtre Kirov de Leningrad)
Danse des nymphes, Scène et danse avec les crotales, Variation d’Égine et bacchanale, Adagio de Spartacus et Phrygia, Danse des filles de Gadès et victoire de Spartacus

Violoncelle Astrig Siranossian
Direction musicale Sergey Smbatyan
Orchestre symphonique d’État d’Arménie

Peuple ayant éprouvé la domination perse, l’influence macédonienne, la résistance aux Parthes et aux Romains, les expansions successives sassanide, omeyyade, abbasside, byzantine, seldjoukide, mongole, turque, ottomane et soviétique, les Arméniens affichent avec grande fierté d’être la première nation chrétienne de l’histoire depuis que le roi Tiridate IV accepta de se convertir au christianisme en 301.

Aujourd’hui, en conflit avec l’Azerbaïdjan qui vient de contraindre à l’exode les Arméniens du Haut-Karabagh (80% de la population), l’Arménie renforce ses relations avec la France.

Sergey Smbatyan et l'Orchestre symphonique d’État d’Arménie

Sergey Smbatyan et l'Orchestre symphonique d’État d’Arménie

Le week-end du 28 et 29 septembre 2024 à la Philharmonie de Paris vise ainsi à célébrer la culture arménienne riche de ses traditions.

Le concert programmé en ce dimanche après-midi est dédié à Aram Khatchatourian (1903-1978), musicien emblématique qui a su faire renaître la musique traditionnelle arménienne à travers ses compositions modernes, et notamment ses musiques de ballets dont trois de ces œuvres sont interprétées en partie à cette occasion.

Bien que créé sous forme de musique de scène en 1941, puis transformé en suite orchestrale en 1944, ‘Mascarade’ ne deviendra un ballet qu’en 1982 sur la scène du Théâtre d’opéra et de ballet d’Odessa grâce au montage réalisé par Edgar Oganesyan

Sa valse introductive est bien connue, mais son galop final, lui, vaut surtout pour son énergie facétieuse et endiablée qui annonce ‘La danse du sabre’. Cette première pièce permet de découvrir l’excellente cohésion du jeune Orchestre symphonique d’État d’Arménie et la souplesse explosive de la direction de Sergey Smbatyan qui laisse toutefois les percussions éclater avec un lâcher prise à la limite du hors contrôle.

Mascarade Gayaneh Spartacus (Aram Khatchatourian) Cité de la musique

Puis, la violoncelliste française Astrig Siranossian rejoint les musiciens en place centrale pour interpréter le 'Concerto-Rhapsodie', une pièce qui commence par des réminiscences orchestrales orientalisantes, et qui laisse place ensuite à la verve de la soliste.

Elle laisse couler une douce mélancolie, mais imprime aussi un mordant de fer avec les cordes qui traduit le très grand volontarisme du tempérament arménien.

Et pour faire plaisir au public, elle fait découvrir un air arménien ‘Sareri Hovin Mernem’ - Je mourrai au vent des sommets de tes montagnes - qui nous connecte instantanément à la haute spiritualité arménienne qu’elle chante avec profondeur tout en jouant du violoncelle, une correspondance entre voix et instrument absolument somptueuse qui nous emmène loin sur des lieux anciens de haute altitude.

Astrig Siranossian

Astrig Siranossian

La seconde partie du concert rend encore plus hommage à l’inventivité de Khatchatourian à travers deux célèbres ballets, ‘Gayaneh et ‘Spartacus’.

De ‘Gayaneh’, personne n’ignore ‘ La danse du sabre’ et sa folie pétaradante, mais ‘La danse d’Aicha’ permet aussi d’entendre le velours des cordes graves de l’orchestre.

Cependant, quel dommage que nous n’ayons pas entendu de ce ballet  l’’Adagio’ que tout amateur de ‘2001 L’Odyssée de l’espace’ de Stanley Kubrick connaît bien, puisque ce passage qui exprime une solitude nostalgique poignante y est utilisé dans la scène où Dave s’entraîne seul sur le pont du vaisseau spatial. 

L'Orchestre symphonique d’État d’Arménie

L'Orchestre symphonique d’État d’Arménie

Il est vrai que les musiques que l’on découvre, ou redécouvre, en seconde partie montrent à quel point Aram Khatchaturian a su développer un style qui allait inspirer nombre de musiques de films du XXe siècle.

C’est particulièrement évident dans ‘Spartacus’, ballet créé en 1956 à Leningrad, dont l’'Adagio de Spactacus et Phrygia' évoque le romantisme hollywoodien et notamment l’ouverture de ‘Mayerling’ de Terence Young, avec Omar Sharif et Catherine Deneuve, dont le thème est directement empreint de ce si beau passage.

Sergey Smbatyan

Sergey Smbatyan

En rendant hommage à Aram Khatchatourian, ce concert d’une essence véritablement populaire, fait ainsi sentir comment le compositeur arménien a su intégrer la tradition arménienne au cœur des grands élans musicaux contemporains, et le petit bijou chanté par Astrig Siranossian permet aussi d’atteindre le cœur éternel de cette culture dont les musiciens vus et entendus cet après-midi ont su si bien défendre la force et la très haute tenue.

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Publié le 1 Mai 2024

Anton Bruckner
Symphonie n°8 (Vienne, 18 décembre 1892)
Concert du 24 avril 2024
Philharmonie de Paris, Grande salle Pierre Boulez

 

Anton Bruckner (1824-1896)
Symphonie n°8 en ut mineur, A.117
Version révisée du 10 mars 1890

 

Direction musicale Herbert Blomstedt
Orchestre de Paris
Violon solo (invité) Igor Yuzefovich

Diffusion sur France Musique, le 06 mai 2024 à 20h

Ultérieure à la symphonie n°4 de Johannes Brahms (1885), mais antérieure à la symphonie n°2 de Gustav Mahler (1894), la symphonie n°8 d’Anton Bruckner doit son haut niveau d’inspiration à l’influence d’Hermann Levi, le chef d’orchestre de confession juive à qui Richard Wagner avait confié la direction musicale de la première de ‘Parsifal’ au Festival de Bayreuth, le 26 juillet 1882.

Herbert Blomstedt

Herbert Blomstedt

En effet, ayant rejeté, à l’automne 1887, la partition de la version originale que lui avait envoyé Bruckner et qu’il n’avait pas su comprendre, la santé nerveuse du compositeur en fut fortement affectée.

Mais débuta à ce moment là une période de révision qui concerna la 3e et la 4e symphonie, suivie de la 8e symphonie, qui sera achevée le 10 mars 1890, et enfin la 1er symphonie.

Pour cette raison, la version définitive de la symphonie n°8, totalement réorchestrée, est débarrassée des aspects conventionnels de la première version. Elle évoque dans son premier mouvement l’arrivée grandiose de la Mort, autant que la douceur des souvenirs des êtres aimés dans le troisième, un long adagio d’une demi-heure de temps.

Herbert Blomstedt et l'Orchestre de Paris

Herbert Blomstedt et l'Orchestre de Paris

C’est donc avec une grande émotion que nous retrouvons, à l’approche de ses 97 ans, Herbert Blomstedt à la direction de l’Orchestre de Paris, qu'il engage dans une symphonie que le chef suédois affectionne énormément.

Affaibli, arrivant au bras du 1er violon solo invité, Igor Yuzefovich, il prend pourtant les commandes de l’orchestre avec un esprit réconfortant mêlant rigueur et bienveillance, et développe une lecture qui montre de quelle manière il arrive en permanence à insuffler une respiration d'une grande profondeur au jeu des musiciens. Tout au long de la soirée, de grandes pages d'une plénitude absolue alternent ainsi avec des démonstrations de puissance chevaleresque ardentes.

Herbert Blomstedt

Herbert Blomstedt

Les cuivres, et les trompettes en particulier, sont fondus aux sections de bois et de cordes de façon à suggérer une force sous-jacente explosive sans effets trop clinquants, une très belle clarté se dégage des mouvements lents, détaillés avec un délié caressant d’une irrésistible sensibilité, et l’efficacité théâtrale se double d’une brillante netteté, sans aucun appesantissement. 

Et dans l’acoustique de la Philharmonie, le rendu des nappes de violons dépeint de magnifiques impressions d’irréalité diffuse.

Par sa façon de diriger, se ressent également un grand sens du dialogue avec l’orchestre, une compréhension mutuelle qui préserve sa part de mystère, et qui contribue à rendre ce moment inouï, tant il happe l’auditeur dans un rapport au temps qui le dépasse. 

Herbert Blomstedt et l'Orchestre de Paris

Herbert Blomstedt et l'Orchestre de Paris

Il s’agit véritablement d’une invitation à goûter et à chérir notre présence à la vie, et la joie d’Herbert Blomstedt reste une force d’inspiration toujours aussi peu commune qui fait la valeur de chacune de ses apparitions, car elles ont le pouvoir de recentrer notre rapport au monde.

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Publié le 5 Novembre 2023

John Zorn / 70e anniversaire - Stephen Gosling - JACK Quartet - Sae Hashimoto - Ches Smith - Jorge Roeder
Concert du 01 novembre 2023
Philharmonie de Paris - Grande salle Pierre Boulez

Jumalattaret (2012)
Piano  Stephen Gosling

Ab Eo, Quod (2021)
Sae Hashimoto (Vibraphone), Jay Campbell (Violoncelle), Ches Smith (Batterie)

Pandora’s Box (2013)
JACK Quartet - Christopher Otto (violon), Austin Wulliman (violon), John Pickford Richards (alto), Jay Campbell (violoncelle)

Star Catcher (2022)
Stephen Gosling (Piano), Jorge Roeder (Basse), Ches Smith (Batterie)

Voix Barbara Hannigan

Le passage à Paris de John Zorn, qui a célébré ses 70 ans le 02 septembre dernier, est l’occasion de retrouver un saxophoniste de jazz des années 80, compositeur d’un nombre considérable d’œuvres dans des genres très variés qui peuvent aller de la ballade chantée pour soliste jusqu'au métal violent, en passant par des ambiances chaleureuses ou sensiblement mélancoliques, surtout lorsqu'elles reposent sur l’emploi de violoncelles et de basses.

Barbara Hannigan - 'Jumalattaret'

Barbara Hannigan - 'Jumalattaret'

Son talent d’improvisation et d’adaptation est ce soir mis au service de la voix de Barbara Hannigan, et c’est un immense plaisir de retrouver la chanteuse canadienne douée de ce splendide sens de la mise en scène de soi tourné vers une intériorité librement imaginaire qui ne s’interdit aucune excentricité musicale.

Stephen Gosling et Barbara Hannigan - 'Jumalattaret'

Stephen Gosling et Barbara Hannigan - 'Jumalattaret'

La première des quatre pièces, ‘Jumalattaret’, est inspirée d'une épopée finnoise, ‘Le Kalevala’.

Pour Barbara Hannigan, accompagnée uniquement au piano par Stephen Gosling, il s’agit de faire vibrer dans l’acoustique sidérale de la Philharmonie la cristallinité de son timbre, et donc d’exprimer une pureté parfaite. L’écriture, tout aussi mélodique qu’elle soit, recèle également des dissonances ludiques qui se répondent entre clavier et voix.

On pense alors beaucoup à une autre pièce que le compositeur danois Hans Abrahamsem écrivit pour elle à la même époque dans le même esprit de scintillement, ‘Let me tell you’.

Jay Campbell, Barbara Hannigan, Sae Hashimoto et Ches Smith - ‘Ab Eo, Quod’

Jay Campbell, Barbara Hannigan, Sae Hashimoto et Ches Smith - ‘Ab Eo, Quod’

Puis, avec ‘Ab Eo, Quod’, cet esprit de virtuosité très libre se prolonge selon une couleur vocale un peu plus pleine, avant que la batterie de Ches Smith, mêlée à la rondeur sonore du vibraphone rigoureusement rythmée par Sae Hashimoto et aux traits de violoncelle impertinents de Jay Campbell, n'entame une ballade flegmatique sous forme d'un road movie sans autre objectif que le mouvement.

Cette pièce est un hommage au monde étrange de la peintre Leonora Carrington.

Christopher Otto, Austin Wulliman, Barbara Hannigan, Jay Campbell et John Pickford Richards - 'Pandora’s Box'

Christopher Otto, Austin Wulliman, Barbara Hannigan, Jay Campbell et John Pickford Richards - 'Pandora’s Box'

'Pandora’s Box' met ensuite à l'honneur la forme du quatuor à cordes avec des sonorités très aiguës et une évolution vers un climat où des fils très tenus entretiennent un fort sentiment pathétique. Beaucoup de joie anime le JACK Quartet autour de la chanteuse qui prend ainsi l'allure d'une égérie.

Barbara Hannigan - 'Star Catcher'

Barbara Hannigan - 'Star Catcher'

Enfin, la pièce la plus récente du programme, 'Star Catcher', s'inspire de l'âme d'une autre peintre surréaliste, Remedios Varo, dont Barbara Hannigan chante les noms des œuvres telles 'Enchanted Knight’, ‘The Scorpions’, ‘Phenomenon’, ‘Aquarius’, selon une ligne harmonique à moitié écrite alors que l'autre reste improvisée.

Et si la partition du pianiste Stephen Gosling est intégralement composée à l'avance, celle de la batterie se trouve, elle, totalement libre.

Christopher Otto, Austin Wulliman, Barbara Hannigan, Jay Campbell et John Pickford Richards - 'Pandora’s Box'

Christopher Otto, Austin Wulliman, Barbara Hannigan, Jay Campbell et John Pickford Richards - 'Pandora’s Box'

Ce concert apparaît ainsi comme une peinture musicale qui vise à célébrer la liberté artistique intérieure, et à exprimer, par une évanescence sonore un peu fantasque, la nature de l'artiste principale dont le charme glamour et le désir d'unité à l'ensemble de l'équipe artistique rayonnent avec une chaleur évidente.

Stephen Gosling, Barbara Hannigan, Jorge Roeder, John Zorn et Ches Smith

Stephen Gosling, Barbara Hannigan, Jorge Roeder, John Zorn et Ches Smith

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Publié le 16 Septembre 2023

3e Symphonie (Gustav Mahler -  9 juin 1902, Krefeld)
Concert du 14 septembre 2023

 

Philharmonie de Paris – Grande salle Pierre Boulez

Ce que me content les Rochers.
Ce que me content les Fleurs des Prés
Ce que me content les Animaux de la Forêt
Ce que me conte l’Homme
Ce que me content les Anges
Ce que me conte l’Amour

Contralto Christa Mayer
Direction musicale Semyon Bychkov
Orchestre de Paris
Chœur de femmes et chœur d'enfants de l'Orchestre de Paris

Après ses retrouvailles avec l’Orchestre de Paris célébrées dans la Grande salle Pierre Boulez en septembre 2021 pour y diriger la 2d symphonie ‘Résurrection’ de Gustav Mahler, Semyon Bychkov renforce ce lien à nouveau renoué pour interpréter la 3e symphonie du compositeur autrichien au cours d’une ouverture de saison musicale particulièrement éblouissante au sein de la capitale.

Christa Mayer et Semyon Bychkov

Christa Mayer et Semyon Bychkov

L’art du chef russe – il est naturalisé américain depuis 1983 – est de pouvoir insuffler une profonde majesté de mouvement à l’orchestre tout en magnifiant la somptuosité des couleurs, et d’obtenir un merveilleux scintillement des cordes tout en faisant vivre de grands courants comme s’il portait un fleuve qui tourne sur lui même dans un ondoiement intensément romantique.

L'Orchestre de Paris

L'Orchestre de Paris

Les sections de cuivres situées en arrière scène, trombones côté cour et cors côté jardin, se fondent avec une chaleur noble et une précision dans les attaques qui sonnent très élancées, et les moments paroxysmiques sont d’une puissance magmatique phénoménale.

Semyon Bychkov et l'Orchestre de Paris

Semyon Bychkov et l'Orchestre de Paris

Effet de spatialisation sereinement immersif pour les solistes installés dans les hauteurs de la philharmonie, légèreté diffuse du souffle du chœur féminin, charme du chœur d’enfants, tout contribue à emmener l’auditeur dans un autre monde, même s’il peut être surpris par l’ampleur épique d’une telle fresque au regard de l’attitude attentive et humble de Semyon Bychkov.

Christa Mayer

Christa Mayer

Dans le 5e mouvement, Christa Mayer fait vivre des impressions d’une noirceur un peu froide mais avec une unité de timbre bien préservée, et tout le dernier mouvement est d’une suavité extrêmement raffinée où l’on sent progressivement des tremblements souterrains monter alors que Semyon Bychkov paraît lui même ébranlé par le tellurisme qu’il entretient avec un calme olympien.

La tension et la clarté des nombreux solistes impliqués sont naturellement splendides, comme on peut l’entendre avec la jeune hautboïste sollicitée dans le solo du dernier mouvement qui décrit un réveil et une élévation, ou bien le timbalier chargé d’impulser des vibrations grandiloquentes et d’une très grande netteté.

Chœur d'enfants de l'Orchestre de Paris

Chœur d'enfants de l'Orchestre de Paris

Ce très beau voyage onirique sera rejoué avec le Philharmonique Tchèque à Baden-Baden puis à Prague au mois de janvier prochain, et pour retrouver Semyon Bychkov dans une œuvre lyrique il faudra attendre la nouvelle production de ‘Tristan und Isolde’ prévue au Festival de Bayreuth 2024.

L'Orchestre de Paris

L'Orchestre de Paris

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Publié le 3 Septembre 2023

Berliner Philharmoniker – Kirill Petrenko
Concert du 02 septembre 2023
Philharmonie de Paris – Grande Salle Pierre Boulez

Max Reger 
Variations et Fugue sur un thème de Mozart op.132 (08 janvier 1915, Wiesbaden)

Richard Strauss
Ein Heldenleben [Une vie de héros] op.40 (03 mars 1899, Frankfurt am Main)

 

Direction musicale Kirill Petrenko
Berliner Philharmoniker

Programme Reger / Strauss : Philharmonie de Berlin (25 août 2023), Großes Festspielhaus de Salzburg (27 août 2023), Palais de la Culture et des congrès de Lucerne (30 août 2023)
Programme Brahms / Schoenberg / Beethoven : Großes Festspielhaus de Salzburg (28 août 2023), Palais de la Culture et des congrès de Lucerne (31 août 2023), Philharmonie de Luxembourg (03 septembre 2023)

Directeur du Berliner Philharmoniker depuis 4 ans, Kirill Petrenko est connu des Parisiens pour ses interprétations des œuvres lyriques de Richard Strauss jouées au Théâtre des Champs-Élysées lorsqu’il dirigeait l’orchestre du Bayerische Staatsoper, ‘Der Rosenkavalier’ (2014), ‘Ariane à Naxos’ (2015), ‘Vier letzte Lieder’ (2016), ‘Arabella’ (2019), mais il a aussi beaucoup marqué Munich par sa lecture implacable de ‘Die Frau ohne Schatten’ (2013 et 2017) dans la mise en scène de Krzyzstof Warlikowski, ainsi que le Festival de Bayreuth pour ses inoubliables cycles du ‘Ring’ de Richard Wagner donnés dans la production de Frank Castorf (2013, 2014 et 2015).

Le retrouver en ouverture de saison 2023/2024 à la Philharmonie de Paris, à l’occasion de sa tournée de Festival, promet d’emblée une immersion sensitive somptueuse, ce que ne dément pas le concert de ce soir joué devant une salle bien remplie et fréquentée par un public en partie très jeune.

Kirill Petrenko

Kirill Petrenko

Il s'agit d'abord d'un hommage rendu aux 150 ans de la naissance de Max Reger, compositeur bavarois dont les ouvrages furent diversement appréciés mais auquel Richard Strauss proposa de collaborer avec sa maison d’édition. Il sera notamment chargé d’arranger pour le piano nombre de lieder de jeunesse de son confrère munichois.

Extraites de l’’Andante grazioso’ de la Sonate pour piano n°11 de Mozart, dont le Rondo ‘alla Turca’ est le passage le plus célèbre, les Variations et Fugue invitent l’auditeur à voyager à travers le temps en transformant la délicatesse d’un mouvement de l’époque classique en un complexe foisonnement sonore caractéristique du grand romantisme allemand de la fin du XIXe siècle.

Sous la baguette de Kirill Petrenko, les vents du Berliner Philharmoniker virevoltent avec une légèreté dansante et une liberté riante, et les mélismes orchestraux acquièrent une chaleur lumineuse qui coule avec naturel tout en prodiguant une extension sonore qui se diffuse idéalement dans l’enceinte de l’auditorium. 

On se berce ainsi d’une clarté d’ensemble et de superbes ornements qui, quelque part, semblent transformer l’âme de Mozart afin de nous emmener vers le raffinement et l’opulence de Richard Strauss.

Kirill Petrenko - Berliner Philharmoniker (Max Reger – Richard Strauss) Philharmonie

En seconde partie, ‘Ein Heldenleben [Une vie de héros]’, véritable métaphore de l’esprit du compositeur que pourrait tout aussi bien s’approprier le chef d’orchestre interprète, permet d’admirer comment Kirill Petrenko se saisit de l’effectif orchestral pour créer un univers tenu par ses propres forces internes qui s’anime sous l’effet de leur propre puissance avec un sens du mouvement ample et fuyant, un contrôle de l’équilibre instable fascinant, et une joie tout intérieure et fort méditative.

Kirill Petrenko

Kirill Petrenko

Et on peut même avoir l’impression que l’énergie de tel ou tel motif qui s’envole dans une direction est liée aux mouvements de musiciens qui n’en sont pas à l’origine, et qu’il y a une cohérence interne qui relie cet ensemble. Et même dans la grande marche tonitruante et épique du héros, la progression en intensité sonore préserve la plasticité de l’enveloppe symphonique avec un excellent fondu des cuivres au tissu orchestral. 

Le soyeux profond et dense des cordes se module sans rupture pour se prolonger en charmante atmosphère bucolique, et des courbes se croisent dans un mouvement perpétuel très harmonieux.

Et la souplesse avec laquelle le coup de percussion final jaillit fait penser à la naissance soudaine d'une étoile.

Vineta Sareika-Völkner

Vineta Sareika-Völkner

Magnifique moment de grâce également que le solo de Vineta Sareika-Völkner, première femme premier violon solo du Berliner Philharmoniker depuis sa création en 1882, qui ouvre un large champ à l’artiste lettone pour exprimer des sentiments passionnés avec un entrelacement de textures parfaitement maitrisé, et une finesse de précision qui vise à faire ressentir avec éclat l’infini du temps.

Paraissant maître de ce monde qu’il laisse vivre tout en l’influençant, Kirill Petrenko se laisse aussi aller à l’évocation complice de l’être aimé, ou d'un idéal, par des pensées célestes, le regard tourné vers les airs, comme s’il s’autorisait, lui aussi, le rêve et le désir d’évasion, offrant de lui une image absolument tendre, alors qu’au moment de saluer le public, il affichera une certaine réserve et modestie, comme s’il ne voulait pas passer au premier plan de l’ouvrage et des musiciens.

Kirill Petrenko et le Berliner Philharmoniker

Kirill Petrenko et le Berliner Philharmoniker

Soirée profondément inspirante qui participe aux raisons pour lesquelles la beauté et les mystères de l’art valent d’être vécus.

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Publié le 20 Mai 2023

Metropolis (Fritz Lang – Allemagne, 1927, nouvelle version restaurée en 2010 par Murnau Stiftung)
Ciné-concert du 19 mai 2023
Philharmonie de Paris
Grande salle Pierre Boulez

Metropolis rebooted, version orchestrale en 2021, sur une commande de la Philharmonie de Paris – Orchestre de Paris, de l’Orchestre du Gürzenich de Cologne et du Festival Ars Musica.
Créé à Cologne, le 16 février 2022, avec l’Orchestre du Gürzenich sous la direction de François-Xavier Roth
Création française
Durée 148 mn

Direction musicale Kazushi Ōno
Orchestre de Paris
Thomas Goepfer, réalisation informatique musicale Ircam
Étienne Démoulin, électronique Ircam
Lucas Bagnoli, diffusion sonore Ircam
Eiichi Chijiiwa, violon sonore

L’intemporalité de ‘Metropolis’ – l’histoire est censée se dérouler dans une ville futuriste de 2026 – se conjugue à une sidérante vidéographie visionnaire qui anticipe en 1927 des scènes que l’Allemagne connaîtra au cours des deux décennies qui suivront, la volonté de domination, la mythologie des Dieux du stade, la recherche du surhomme représenté par l’androïde d’allure féminine, les camps de travaux forcés, l'immatriculation des déportés, l’espion Fritz Rapp en véritable figure gestapiste, ou bien l’étoile de David pour identifier les juifs que l’on retrouve sur la porte du savant Rotwang. 

Thea von Harbou, scénariste du film et épouse de Fritz Lang, adhérera par ailleurs au parti nazi en 1940, 7 ans après son divorce avec le cinéaste.

L'Orchestre de Paris et Kazushi Ōno devant une scène de Metropolis

L'Orchestre de Paris et Kazushi Ōno devant une scène de Metropolis

Mais ce film légendaire vaut aussi pour la référence qu’il constitue pour les films de science-fiction de la seconde partie du XXe siècle, à l’instar de l’androïde qui servira de modèle au futur C-3PO de ‘Star Wars’, ou bien des éléments architecturaux que l’on retrouvera dans ‘Blade Runner’.

Scènes de Metropolis (Fritz Lang - 1927) et Blade Runner (Ridley Scott - 1982)

Scènes de Metropolis (Fritz Lang - 1927) et Blade Runner (Ridley Scott - 1982)

L’aventure de ‘Metropolis’ avait pourtant très mal débuté. Après sa présentation le 10 janvier 1927 à Berlin, dans une version de 153 minutes, et une réception catastrophique, ‘Metropolis’ a été tronqué à plusieurs reprises au point d'être réduit à une durée de 80 minutes dans les années 1980. 

Puis, suite aux travaux de la fondation Friedrich Murnau créée en 1966 afin de préserver le patrimoine cinématographique allemand, une version de 123 minutes fut rétablie en 2001.
‘Metropolis’ devint le premier film à être classé au registre ‘Mémoire du monde’ par l’UNESCO.

L'Orchestre de Paris et Kazushi Ōno

L'Orchestre de Paris et Kazushi Ōno

Quelques années plus tard, en 2008, 25 minutes supplémentaires du film furent retrouvées au musée du cinéma de Buenos Aires à partir d’une copie fortement altérée, ainsi que la musique originale imaginée par Gottfried Huppertz – il était aussi le compositeur de la musique de ‘La Mort de Siegfried’ et ‘La vengeance de Kriemhild’, deux précédents films mythologiques de Fritz Lang -, un grand poème symphonique aux accents wagnériens, straussiens et brucknériens épiques dont la partition comprend de nombreuses informations de synchronisation avec le film.

Cette version restaurée de 148 minutes, considérée comme définitive, fut projetée sur grand écran à la Porte de Brandebourg de Berlin le 12 février 2010 et diffusée simultanément sur Arte.

Scène de Metropolis (Freder libérant Georgy)

Scène de Metropolis (Freder libérant Georgy)

La Philharmonie de Paris propose ainsi de présenter pour deux soirs cette grande version tout en lui adjoignant une nouvelle musique écrite par Martin Matalon, compositeur argentin élève d’Olivier Messiaen et Pierre Boulez, qui collabore depuis 30 ans avec l’IRCAM. Il est l’auteur d’un opéra ‘L’Ombre de Venceslao’ (2016) qui a circulé partout en France, à Rennes, Avignon, Clermont-Ferrand, Toulouse, Marseille, Montpellier, Reims, Toulon et Bordeaux, et contribué grandement à sa reconnaissance. 

Auteur également en 1995 d’une première version pour 16 musiciens et électronique de la musique de ‘Metropolis’, il en a par la suite réalisé des versions étendues pour grand orchestre en 2001, 2010 et enfin en 2021 dont la première fut jouée à Cologne le 16 février 2022 avec l’Orchestre du Gürzenich sous la direction de François-Xavier Roth

Kazushi Ōno

Kazushi Ōno

Moins lyrique que la musique de Gottfried Huppertz, cette nouvelle bande originale fait appel à tous les timbres du grand orchestre qui sont utilisés par groupes sonores afin d’apporter un relief et une coloration auxquels les images donnent sens, mais aussi une dureté très actuelle. 

Les percussions sont très présentes autant pour souligner le grandiose de situation que pour accentuer la sauvagerie de l’action, les cuivres dépeignent des stress agressifs, les cordes dessinent des reflets métalliques glaçants, mais des moments de relâchement poétiques sont aussi très présents afin de laisser le temps se faire évanescent.

Kazushi Ōno et Martin Matalon

Kazushi Ōno et Martin Matalon

Des bruitages acoustiques se fondent très naturellement à la structure orchestrale pour accroître la dimension cinématographique de la composition, et c’est avec grande confiance que l’on suit Kazushi Ōno, solide défenseur de la musique contemporaine, dans sa manière d’insuffler à l’impressionnante phalange de l’Orchestre de Paris rythmique précise et déploiement de timbres somptueux.

Un très grand moment de retrouvaille avec une œuvre fondatrice bientôt centenaire, dont la force réside en tout ce qu’elle raconte sur la place du sentiment et de la compréhension dans une société tranchée où deux classes, l’une dominante, et l’autre dominée, sont liées par un même destin hanté par l'histoire fantasmée des grandes civilisations antiques.

Metropolis (version 2010 avec la musique de Gottfried Huppertz)

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Publié le 7 Avril 2023

Symphonies 1  & 9 (Franz Schubert – 1815 & 1828)
Concert du 06 avril 2023
Philharmonie de Paris – Grande Salle Pierre Boulez

Franz Schubert
Symphonie no 1 en ré majeur, D 82
Symphonie no 9 en ut majeur, D 944

Direction musicale Herbert Blomstedt
Orchestre de Paris

Retrouver Herbert Blomstedt (96 ans le 11 juillet 2023) à la Philharmonie est d’avance l’assurance de vivre un très grand moment d’inspiration symphonique au relief bien marqué dans une absolue sérénité.

Herbert Blomstedt - Philharmonie de Paris, le 06 avril 2023

Herbert Blomstedt - Philharmonie de Paris, le 06 avril 2023

Et personne n’a probablement été déçu ce soir, lorsque, une fois arrivé au bras du premier violon sous d’immenses applaudissements, et installé face aux musiciens avec un regard acéré et bienveillant, le doyen des chefs d’orchestre s'est mis à impulser avec précision et délicatesse les premiers motifs de la 'première symphonie' de Schubert. Souplesse de la rythmique, légèreté du tissu orchestral sensiblement irisé en surface, fluidité des vents qui laissent vivre des trainées de lumières ouatées très poétiques, c’est tout un champ de félicité douce et solaire qui est dispensé à travers la grande salle pour l’émerveillement et l’apaisement de chacun.

Herbert Blomstedt - Philharmonie de Paris, le 06 avril 2023

Herbert Blomstedt - Philharmonie de Paris, le 06 avril 2023

A cet esprit mélodiste très mozartien qui imprègne la première partie de ce concert, ne manquait donc plus que les grandes emphases.

On retrouve dans la 'neuvième symphonie' de Schubert cette façon subtile, d’un simple souffle de la main, de donner de l’élan, de la respiration, et de faire ressentir les frémissements de la vie à travers une vision d’ensemble ample et très lumineuse.

Herbert Blomstedt et l'Orchestre de Paris- Philharmonie de Paris, le 06 avril 2023

Herbert Blomstedt et l'Orchestre de Paris- Philharmonie de Paris, le 06 avril 2023

Mais le plus phénoménal est d'avoir vu tous les instrumentistes de l’Orchestre de Paris s’unir et s’engager de tout leur corps avec vivacité, et parfois même véhémence, comme s’ils ne jouaient que pour le plaisir extatique de leur chef, et toujours avec ces superbes mouvements d’une patine splendide, et un excellent alliage des cuivres aux cordes et aux vents.

Une inoubliable réflexion sur la jeunesse d’esprit de la vie et sur le bonheur de l’existence qui nous a emporté très haut vers un univers intemporel !

Herbert Blomstedt - Philharmonie de Paris, le 06 avril 2023

Herbert Blomstedt - Philharmonie de Paris, le 06 avril 2023

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Publié le 17 Septembre 2022

Gustav Mahler (Symphonie n°9 – Vienne 1909)
Concert du 16 septembre 2022
Philharmonie de Paris

Direction musicale Gustavo Dudamel
Orchestre de l’Opéra national de Paris


Concert diffusé sur France Musique le 26 septembre 2022
Concert de Barcelone diffusé en direct sur Medici TV le 20 septembre 2022

 

10 ans après son premier enregistrement live de la 9e symphonie de Gustav Mahler (Deutsche Grammophon) au Walt Disney Concert Hall et avec le Los Angeles Philharmonic, Gustavo Dudamel entame à la Philharmonie de Paris une tournée dédiée à cette œuvre crépusculaire avec l’Orchestre de l’Opéra national de Paris, tournée qui va se poursuivre à Barcelone et Genève, respectivement les 20 et 22 septembre prochains.

Et en mai 2023, c’est à la tête du New-York Philharmonic qu’il aura l’occasion de la diriger à nouveau dans la salle rénovée du David Geffen Hall.

Gustavo Dudamel - 9e symphonie de Mahler (Philharmonie de Paris)

Gustavo Dudamel - 9e symphonie de Mahler (Philharmonie de Paris)

Indice inhabituel de la portée de cet évènement, on pouvait croiser sur le parvis de la Cité de la Musique, illuminé par les lumières argentées de fin de journée, aussi bien des amateurs cherchant des places que des revendeurs, si bien que la salle Pierre Boulez offrit bien peu de places vacantes en début du concert.

Et, situés au premier rang du premier balcon, la direction générale de l’Opéra de Paris, représentée en personne par Alexander Neef et Martin Ajdari, et le président de l’AROP, Jean-Laurent Bonnafé, assuraient leur présence auprès d’Olivier Mantei, nouveau directeur général de la Cité de la Musique-Philharmonie de Paris.

L'Orchestre de l'Opéra national de Paris

L'Orchestre de l'Opéra national de Paris

Tout dans les prémices de cette soirée suggère la chaleur, la lumière tamisée de la salle, l’accueil de l’orchestre et de Gustavo Dudamel, l’énergie des auditeurs tout autour de soi, et cette chaleur va se ressentir dès le premier mouvement.

Depuis les premiers balancements lancinants de l’ouverture, la montée en intensité de l’orchestre se veut conquérante, parée de mille éclats et d’une complexité de plans sonores très denses où se mélangent profondeur de sombres courants orchestraux, évanescence subliminale des tissures de cordes qui s’évanouissent dans les réflexions acoustiques de la salle, cuivres saillants et percussions impressionnantes, tous emportés dans un souffle fluide et fervent qui ne vire pas pour autant à la fureur noire. La mise en valeur de la pureté des timbres et de leur plénitude crée un état de quiétude captivant.

Cécile Tête (Premier chef d'attaque)

Cécile Tête (Premier chef d'attaque)

Le second mouvement, avec ses danses pastorales pittoresques, couplé au troisième mouvement qui renforce l’impression d’un divertissement de haute précision, est mené avec une rythmique entrainante où se conjuguent pesanteur et souplesse magnifiquement enveloppés par la frénésie heureuse de Gustavo Dudamel qui s’en donne à cœur joie, à donner le tournis, dans sa manière d’attiser les différents groupes de musiciens. C’est une sensation de folie qui se dégage de cette vivacité de traits aux couleurs et contrastes parfaitement maitrisés.

Mahler Symphonie n°9 (Opéra de Paris - Gustavo Dudamel) Philharmonie

Enfin, l’adagio final permet un déploiement en toute beauté de la clarté orchestrale de ce grand ensemble de musiciens où le grandiose et la poésie se côtoient dans une aura teintée d’optimisme sans que le moindre sentiment funeste n’émerge. Gustavo Dudamel voit en ce chef-d’œuvre une source d’espérance et des motifs de désespoirs, mais pourtant, c’est clairement l’espérance qui l’emporte ce soir, et non les tourments, comme s’il s’agissait de dépasser la mort.

Mahler Symphonie n°9 (Opéra de Paris - Gustavo Dudamel) Philharmonie

Et si l'on sort de la Philharmonie le sourire aux lèvres, c’est peut-être que la qualité de l’interprétation a su répondre à une attente à un moment où l’on peint des horizons ombreux, alors que nous avons tous besoin d’une énergie qui nous permette d'aller au-delà de ce qui brouille notre vision.

Un long silence de recueillement tenu au final, un chef d’orchestre qui va se fondre parmi ses musiciens pour les féliciter, ces moments inspirants ne s’oublient pas.

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