Publié le 25 Octobre 2021

L’Elixir d’Amour (Gaetano Donizetti - 1832)
Représentations du 24 et 27 octobre 2021
Opéra Bastille

Adina Pretty Yende (le 24)
           Aleksandra Kurzak (le 27)
Nemorino Pene Pati
Belcore Simone Del Savio
Il Dottor Dulcamara Ambrogio Maestri
Giannetta Lucrezia Drei

Direction musicale Giampaolo Bisanti
Mise en scène Laurent Pelly (2006)

Coproduction Royal Opera House, Covent Garden, Londres

 

                                                            Pretty Yende (Adina)

 

 

Depuis son arrivée sur la scène de l’opéra Bastille le 30 mai 2006 à l'initiative de Gerard Mortier, la production de L’Élixir d’Amour par Laurent Pelly s’est hissée parmi les 10 opéras les plus représentés à l’Opéra de Paris depuis les 15 dernières années avec plus de 60 soirées programmées sur cette période. 

Il est difficile de prédire si elle conservera le même rythme à l’avenir car elle a sans doute profité de l’absence de production des Noces de Figaro de Mozart pendant tout ce temps là, lacune qui sera heureusement comblée cette saison par la production de Netia Jones.

Pene Pati (Nemorino)

Pene Pati (Nemorino)

Cette reprise comporte plusieurs distributions, et la seconde série permet de découvrir pour la première fois le ténor Pene Pati originaire des Îles Samoa de Polynésie. Et la qualité de timbre qu’il révèle dans l’immensité de Bastille est impressionnante. 

Dans cette production relocalisée dans l’Italie des années 50, il incarne un Nemorino habillé de manière très simple comme s’il n’avait aucun sou, et il se glisse dans la peau de ce jeune homme maladroit avec une aisance qui paraît sans limite. Gesticulations mécaniques mais avec une très agréable souplesse de corps, mimiques expressives même quand il ne chante pas, il joue la carte du grand benêt bondissant en manque affectif avec une facilité qui lui vaut un répondant enchanté de la part du public, mais aussi parce que sa voix est d’une suavité savoureuse, une italianité aux clartés chantantes mêlée à une tessiture de crème ambrée profondément enjôleuse.

Sa complainte «Una furtiva lagrima» devient inévitablement le point culminant du spectacle car il déploie à ce moment là une amplitude poétique hypnotique et merveilleuse.

Pretty Yende (Adina) - le 24 octobre

Pretty Yende (Adina) - le 24 octobre

Pour un soir, c’est Pretty Yende qui incarne Adina auprès de lui. La soprano sud-africaine prend beaucoup de plaisir à jouer la comédie de cette jeune femme sûre d’elle-même avec nombre de petits rires moqueurs de ci de là, et se permet parfois des variations coloratures qui démontrent son agilité vocale et le tempérament coquet de son personnage.

Son chant médium se fond un peu trop dans les sonorités de l’orchestre et de l’ouverture de la salle, mais ses aigus s’épanouissent dans un souffle vainqueur qu’elle aime fièrement brandir.

Aleksandra Kurzak (Adina) - le 27 octobre

Aleksandra Kurzak (Adina) - le 27 octobre

Et pour un autre soir, le mercredi 27 octobre, c’est Aleksandra Kurzak qui fait vivre Adina auprès de Pene Pati, et la personnalité qu'elle découvre se révèle bien plus charnelle. Elle joue en effet sur une très belle association entre son timbre riche dans le médium, joliment chaloupé, qui la sensualise énormément, et son corps dont elle assume le pouvoir charmeur.

La projection de la voix est très homogène - alors que cette artiste sur-dynamitée bouge dans tous les sens - sans aller toutefois aussi loin que Pretty Yende dans le plaisir ornemental démonstratif, mais il en résulte un fort tempérament vivant et instinctivement très humain qui lui donne l'impression d'être encore plus spontanée et naturellement vraie.

Aleksandra Kurzak (Adina) - le 27 octobre

Aleksandra Kurzak (Adina) - le 27 octobre

Lui aussi bon comédien, mais sans verser dans l’exagération clownesque, Simone Del Savio offre à Belcore une très belle tenue vocale, légère et homogène mais avec de l’impact, et son personnage gagne en ambiguïté avec des parts d’ombre qui font qu’il peut être pris au sérieux, alors qu’à l’opposé, Ambrogio Maestri impose une présence vocale écrasante en faisant du Dottor Dulcamara un charlatan d’une très grande sagesse.

Il a en effet dans son comportement une attitude en apparence loufoque qui le rend tout à fait crédible par cette sorte de clairvoyance masquée qu’il a sur les illusions du monde qui l’entoure. Cet aspect là est remarquablement bien joué!  

Simone Del Savio (Belcore)

Simone Del Savio (Belcore)

Son rôle est discret, mais Lucrezia Drei fait ressortir tout le naturel pétillant de Giannetta dans la seconde partie où les bottes de foin se sont ouvertes pour créer un espace plus intime autour de la fête de mariage.

Rideau de scène à la fin de l'acte I de l'Elixir d'amour

Rideau de scène à la fin de l'acte I de l'Elixir d'amour

Pour animer tout ce petit monde d’un instant, Giampaolo Bisanti joue la carte des couleurs orchestrales gorgées d’un son dense, tenues par un bon rythme sans qu'il ne cherche la vivacité à tout prix, sans doute pour préserver une ambiance chaleureuse qui mette à l’aise l’ensemble des artistes.

Et le chœur, personnage à part entière, est d’un excellent relief où l’harmonie et l’expressivité sont parties prenantes de cette histoire.

Pene Pati (Nemorino), Pretty Yende (Adina) et Simone Del Savio (Belcore)

Pene Pati (Nemorino), Pretty Yende (Adina) et Simone Del Savio (Belcore)

Les gags - comme la tant attendue course réjouissante du petit chien qui traverse de part en part à plusieurs reprises le plateau - et le jeu de scène sont toujours aussi bien réglés, ce qui en fait une des productions phares de la scène Bastille pour faire aimer l’opéra au plus grand nombre.

Pretty Yende (Adina) et Ambrogio Maestri (Il Dottor Dulcamara)

Pretty Yende (Adina) et Ambrogio Maestri (Il Dottor Dulcamara)

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Publié le 24 Octobre 2021

Il Pirata (Vincenzo Bellini - 1827)
Représentation du 19 octobre 2021
Teatro Massimo di Palermo

Ernesto Francesco Vultaggio
Imogène Marta Torbidoni
Gualtiero Giorgio Misseri
Iltulbo Motoharu Takei
Goffredo Giovanni Battista Parodi
Adele Natalia Gavrilan

Direction musicale Francesco Lanzillotta
Mise en scène Luigi Di Gangi et Ugo Giacomazzi (2021)
Chœur et Orchestre du Teatro Massimo di Palermo

Adapté de la pièce "Bertram ou le Pirate" créée le 26 novembre 1822 au Panorama-Dramatique – un théâtre parisien du boulevard du Temple qui ne vécut que deux ans -, "Il Pirata" est le point de départ d'une relation exclusive entre un poète, Felice Romani, et un compositeur, Vincenzo Bellini, qui lui confiera tous ses livrets d'opéras hormis le dernier, "I Puritani".

Marta Torbidoni (Imogène)

Marta Torbidoni (Imogène)

Il s'agit également du premier opéra belcantiste italien qui introduise une scène de folie afin d'éprouver les qualités techniques de la cantatrice principale. La recherche de réalisme et de vérité théâtrale dans la création lyrique ne supplantera qu'ultérieurement ce genre qui disparut quasiment avant la fin du XIXe siècle.

Et si, la Scala de Milan mise à part, les maisons d'opéras italiennes sont connues pour accorder à leur répertoire national plus des trois quarts de leur programmation, le fait d'assister à Palerme même à la représentation d'une œuvre qui se déroule en Sicile - Caldera est une province située à l'ouest de Messine -, pays d’origine du compositeur, engendre inévitablement le sentiment d'être au cœur de la source émotionnelle de l'ouvrage.

Salle du Teatro Massimo di Palermo

Salle du Teatro Massimo di Palermo

Et cela commence dès l'entrée dans le Théâtre Massimo de Palerme et son monumental foyer aux teintes boisées où se tient fièrement un buste de Bellini et où s'admire, un peu plus loin, une splendide maquette de l'édifice au charme ancien.

C'est un orchestre jeune et expansif que l'on retrouve ensuite dans la fosse, s'accordant avec beaucoup d'intensité. La musicalité qu'il exprime dès l'ouverture contient tout ce qui fait le charme des ensembles italiens, des coloris boisés aux teintes chaudes et pastorales, une énergie alerte et une magnifique limpidité qui fait ressortir la clameur des cuivres et le délié poétique des bois sans surexposer les percussions pour autant.

Buste de Bellini à l'entrée du Teatro Massimo di Palermo

Buste de Bellini à l'entrée du Teatro Massimo di Palermo

Quelques imprécisions de justesse s'entendent pendant la première demi heure sans que cela ne gêne l'effet immersif d'ensemble, et Francesco Lanzillotta fédère ses musiciens de façon très soutenue tout en servant aussi bien le relief vivant et ornemental de la musique qu'une excellente attention au rythme des solistes. Les plus beaux effets orchestraux drainés par une ferveur saisissante se manifestent même en seconde partie, comme si les musiciens étaient eux-mêmes emportés par le haut niveau interprétatif de la représentation.

Disposant personnellement d'un point de vue proche de la scène avec une large vision sur l'orchestre, il devient en effet fort réjouissant de voir comment des musiciens sont sensibles à ce qui se joue sur scène, surtout que les chanteurs doivent affronter une écriture vocale redoutable où de grandes stars se sont parfois difficilement heurtés par le passé - le douloureux "Pirata" au Théâtre du Châtelet avec Renée Fleming, il y a près de 20 ans, en est un exemple -.

Musiciens de l'orchestre du Teatro Massimo di Palermo

Musiciens de l'orchestre du Teatro Massimo di Palermo

La production de Luigi Di Gangi et Ugo Giacomazzi utilise peu d'éléments scéniques, le principal étant une proue de navire usée qui pivote sur un plateau tournant. Le chœur, malheureusement masqué - ce qui atténue fortement le dramatisme de la tempête initiale -, représente un peuple d'aujourd'hui vêtu d'habits de pêcheurs. Il est utilisé de façon sobre et réactive - il a du cœur et est animé par un sentiment de révolte -, et aucun jeu outré ou trop caricatural ne vient altérer la crédibilité de sa présence. Les éclairages renforcent enfin l'atmosphère naturaliste du spectacle, un contre champ intéressant pour une œuvre qui ne devrait pas s'y prêter.

Giorgio Misseri (Gualtiero)

Giorgio Misseri (Gualtiero)

Et sans en avoir l'apparence, maquillé de tatouages et habillé sans fioritures, Giorgio Misseri fait entendre un Gualtiero de toute beauté, pas très puissant, mais d'une très agréable clarté chantante, de la chair et une couleur légèrement ombrée dans le médium, et des suraigus très bien tenus sans la moindre stridence. Il induit également beaucoup de profondeur et détaille minutieusement les nuances qui modèlent les expressions de son visage.

Il est un chanteur passionnant à vivre à chaque instant, d'autant plus qu'il donne parfois l'impression de chercher du regard le lien avec le public. On verrait presque de la nonchalance dans l'appréhension d'un tel rôle, ce qui donne de la densité à son personnage superbement posé.

Giorgio Misseri (Gualtiero) et Marta Torbidoni (Imogène)

Giorgio Misseri (Gualtiero) et Marta Torbidoni (Imogène)

Auprès de lui, celle qui incarne son amour de jeunesse dorénavant mariée, Marta Torbidoni, lui adjoint exactement la même présence à la fois grave et irradiée d’une sensible fraîcheur. Timbre vibrant aux belles couleurs à peine corsées portées par une souplesse de ligne magnifiquement mélodieuse, elle a autant de réussite spectaculaire quand l’écriture devient soudainement inflexible, qu’une habile douceur au moment où les sentiments deviennent subtilement éthérés. 

Elle apparaît au début dans un costume noble et sombre pour finalement achever la représentation par une scène de folie où la femme passionnée s’extériorise une dernière fois, mais elle maintient une parfaite unité entre les différentes facettes de sa personnalité, qui est à la fois un mélange de dignité maîtrisée et de vaillance séductrice.

Marta Torbidoni (Imogène)

Marta Torbidoni (Imogène)

Giorgio Misseri et Marta Torbidoni forment ainsi ce soir un couple merveilleux non seulement pour leur brillante virtuosité mais aussi pour leur justesse d'expression qui ne verse ni dans le pathos ni le tragique surligné. Il faut bien mesurer la difficulté à maintenir à la fois un sens de la vérité par une excellente intuition théâtrale tout un chantant sur une telle écriture qui n’est absolument pas naturelle.

Francesco Vultaggio (Ernesto) et Marta Torbidoni (Imogène)

Francesco Vultaggio (Ernesto) et Marta Torbidoni (Imogène)

Chaleureuse Adele de Natalia Gavrilan dont la sensualité charnelle du galbe vocal, riche en sonorités généreuses, s’inscrit dans la même coloration harmonieuse que celle des deux chanteurs principaux, mais homogénéité grisaillante du chant véloce de Francesco Vultaggio qui rend un peu trop monotone les interventions du Duc de Caldora sans faire ressortir de traits véritablement saillants, qu’ils soient mélancoliques ou haineux. Ernesto paraît plutôt constamment ironique et manque de contradictions qui pourraient le rendre plus intéressant.

Enfin, Giovanni Battista Parodi impose surtout un Goffredo bienveillant, très chrétien dans l’âme et d’une impressionnante carrure, et Motoharu Takei défend bien Iltulbo avec des teintes un peu ternes.

Natalia Gavrilan (Adele)

Natalia Gavrilan (Adele)

Et si le chœur est effectivement masqué, le cours du spectacle n’en révèle pas moins la beauté des ensembles, que ce soit la qualité lumineuse des timbres des ténors ou la belle fluidité des voix de femmes.

Accueil généreux des spectateurs dans une salle bien remplie malgré les circonstances et soirée d’un très grand plaisir par tant de poésie humaine sur scène comme dans la fosse des musiciens.

Marta Torbidoni (Imogène)

Marta Torbidoni (Imogène)

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Publié le 11 Octobre 2021

Quatuor Van Kuijk & Adrien et Christian Pierre La Marca
Concert du 10 octobre 2021
Journées Ravel de Montfort l’Amaury – Orangerie du Château de Breteuil

Ravel Quatuor à cordes en fa majeur M. 35 (1904)
Tchaïkovski Sextuor à cordes opus 70 « Souvenir de Florence » (1892)

Quatuor Van Kuijk
Violon Nicolas Van Kuijk
Violon Sylvain Favre-Bulle
Alto Emmanuel François
Violoncelle Anthony Kondo

Alto Adrien La Marca
Violoncelle Christian-Pierre La Marca

Pour la 25e édition des Journées Ravel de Montfort l’Amaury, et les 100 ans de l’acquisition par Maurice Ravel de la maison dite « du Belvédère » où le compositeur habitera jusqu’à sa mort en 1937, le Festival qui lui est dédié propose de retrouver le Quatuor Van Kuijk et les frères La Marca (Adrien et Christian-Pierre) à 35 km de Paris, à l’Orangerie du Château de Breteuil, propriété d’une grande famille aristocrate depuis 1712 située au coeur de la vallée de Chevreuse.

Le Quatuor Van Kuijk, Adrien et Christian-Pierre La Marca

Le Quatuor Van Kuijk, Adrien et Christian-Pierre La Marca

L’arrivée par l’allée couverte du Jardin des Princes magnifiquement illuminée par le Soleil sorti des brumes de ce dimanche matin aboutit à un amusant labyrinthe en buis dont le pavillon central abrite un personnage, la Mère l’Oye, en hommage à Charles Perrault, qui se trouve aussi être une œuvre de Maurice Ravel.

L’Orangerie résonne des accords des musiciens qui répètent leur concert, ce qui ajoute un charme irrésistible à ce lieu si verdoyant sous un ciel bleu clair.

Allée couverte du Jardin des Princes du Château de Breteuil

Allée couverte du Jardin des Princes du Château de Breteuil

Et en choisissant deux œuvres empreintes de joie et de gaîté, on ne peut trouver plus belle adéquation avec les états d’âmes inspirés par une telle ambiance matinale.

D’autant plus que l’acoustique de la grande salle est d’une remarquable qualité pour faire ressentir à l’auditeur l’authenticité du corps vibrant de chaque instrument, sans réverbération ni sécheresse, si ce n’est une légère tendance à amplifier la partie basse de leur tessiture.

Nicolas Van Kuijk et Sylvain Favre-Bulle

Nicolas Van Kuijk et Sylvain Favre-Bulle

Le son du Quatuor est gorgé d’une chaleur généreuse, et entendre vibrionner les premières mesures du quatuor à cordes de Ravel, comme pour accompagner d’une extrême délicatesse un charmant réveil dans cette enceinte éclairée d’une lumière vive qui traverse une large rangée de fenêtres tournées vers l’astre solaire aveuglant, donne l’impression de vivre un rêve éveillé.

L'Orangerie du Château de Breteuil

L'Orangerie du Château de Breteuil

La fraîcheur directe du jeu, les balancements ludiques avec des effets de densité et une coloration clair-obscur parfaitement homogène, même dans l’affinement des nuances, donnent un Ravel juvénile, voir taquin, et on retrouve avec plaisir les abandons malicieux d’Anthony Kondo qui, au violoncelle, se trouve aussi en situation d’avoir à équilibrer un trio pour lequel l’écriture musicale permet d’apprécier la virtuosité de chacun des musiciens.

On comprend que ce quatuor soit l’un des tout premiers que les Van Kuijk ait enregistré chez Alpha il y a 5 ans, tant il parait si immédiat, présente un excellent équilibre, et est empreint de traits romantiques dont les effusions s’épanchent ardemment dans les moments les plus langoureux.

Nicolas Van Kuijk, Sylvain Favre-Bulle, Emmanuel François et Anthony Kondo

Nicolas Van Kuijk, Sylvain Favre-Bulle, Emmanuel François et Anthony Kondo

A l'opposé du quatuor à cordes de Gabriel Fauré que les quatre musiciens venaient d’interpréter 3 semaines auparavant à l’Orangerie de Sceaux, une œuvre véritablement crépusculaire, le quatuor à cordes de Maurice Ravel apparaît avec plus évidence comme l’expression d’une admiration pleine d’espérance pour le compositeur de 30 ans son aîné auquel il est dédié.

Et lorsqu’Adrien et Christian-Pierre se joignent au quatuor, la disposition de l’ensemble avec en partie centrale les deux altistes flanqués respectivement, côté cour et côté jardin, des deux violoncellistes et des deux violonistes se faisant face, donne l’impression que l’on va assister à un véritable débat musical.

Emmanuel François et Adrien La Marca

Emmanuel François et Adrien La Marca

« Souvenir de Florence » est une dédicace à Nadejda von Meck, une femme fortunée qui fut mécène de Piotr Ilitch Tchaikovski, mais aussi de Claude Debussy, avec pour seule condition qu’ils ne se rencontrent pas.

Créé dans un cadre privé en décembre 1890, le sextuor à cordes est remanié et exécuté en public le 06 décembre 1892 à Saint-Pétersbourg, 12 jours seulement avant la création de Iolanta et Casse-Noisette au Théâtre Mariinsky.

La joie de cette composition se lit dans les regards des musiciens, elle qui met à l’épreuve leur engagement vigoureux et leur art de l’harmonisation brillamment manié ce matin au point de créer des instants d’intenses frémissements.

Il y a aussi ce passage au début du premier mouvement où les six musiciens se jettent dans un courant d’une épaisseur rougeoyante envoutante comme si la formation était décuplée pour faire ressentir la passion des grands élans slaves.

Adrien La Marca

Adrien La Marca

C’est également un véritable travail d’équipe qui s’expose de manière très inspirée, et l’attention d’Adrien La Marca au rythme de ses partenaires s’extériorise avec beaucoup d’expressivité. 

Entendre et aussi voir un sextuor en mouvement avec un tel sens de la pulsation permet enfin d’apprécier du regard le jeu des corps et de donner une matérialité à la puissance d’une musique restituée ici dans toute sa fougue qui s’échappe dans une plénitude abrupte et surprenante lors du dénouement final.

Nicolas Van Kuijk et Sylvain Favre-Bulle

Nicolas Van Kuijk et Sylvain Favre-Bulle

Et en bis, l’habituel arrangement de la fort nostalgique mélodie pour voix et piano composée par Francis Poulenc, « Les Chemins de l’amour », est cette fois ci joué à six instruments avec une richesse harmonique plus ombreuse.

Anthony Kondo et Sylvain Favre-Bulle

Anthony Kondo et Sylvain Favre-Bulle

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Publié le 10 Octobre 2021

Pelléas et Mélisande (Claude Debussy - 1902)
Représentation du 09 octobre 2021
Théâtre des Champs-Élysées

Mélisande Vannina Santoni
Mélisande (rôle muet) Patricia Petibon
Pelléas Stanislas de Barbeyrac
Golaud Simon Keenlyside
Arkel Jean Teitgen
Geneviève Lucile Richardot
Yniold Chloé Briot 
Le médecin, Le berger Thibault de Damas

Direction musicale François-Xavier Roth
Mise en scène Eric Ruf (2017)
Ensemble Les Siècles

Coproduction Opéra de Dijon, Stadttheater Klagenfurt, Théâtre du Capitole de Toulouse, Opéra de Rouen Normandie
                                                                                                   Simon Keenlyside (Golaud)

La reprise de Pelléas et Mélisande dans la mise en scène d’Eric Ruf qui avait été révélée au public en mai 2017 sur la même scène permet à nouveau de la découvrir, ou de la redécouvrir, avec une coloration musicale très différente.

Stanislas de Barbeyrac (Pelléas) et Patricia Petibon (Mélisande)

Stanislas de Barbeyrac (Pelléas) et Patricia Petibon (Mélisande)

François-Xavier Roth est en effet invité avec son ensemble sur instruments d’époque, Les Siècles, pour réaliser une lecture qui se situe à l’opposé de ces grands fleuves sombres et wagnériens que l’on a pu entendre sous la baguette de Sylvain Cambreling ou Philippe Jordan à l’ opéra Bastille. Confiée à une telle formation, la musique de Debussy crée autrement une forme picturale d’une très grande clarté où vibrations des cordes et souffles des vents se développent selon des contours nettement dessinés et des teintes relativement proches.

Le rapport à l’œuvre perd en mystère ce que qu’il gagne en immédiateté et simplicité poétique quand émerge à tout moment un ornement de basson ou de hautbois. Pour autant, il ne s’agit pas d’un déroulement linéaire, et le directeur musical entraîne les musiciens dans des mouvements qui peuvent aussi bien se métamorphoser en magnifique nappe liquide et épurée que se soulever en lame exubérante, mais qui peuvent aussi se révéler d’une saisissante sécheresse dans les fins d’actes, et particulièrement au moment du meurtre de Pelléas ce qui a tendance à réduire l’effet poignant du drame.

Simon Keenlyside (Golaud) et Patricia Petibon (Mélisande)

Simon Keenlyside (Golaud) et Patricia Petibon (Mélisande)

L’atmosphère pittoresque qui s’en dégage s’allie avec évidence au décor unique du spectacle qui se déroule dans une zone sombre d’un port, au bord d’une eau croupissante, entourée par ce qui pourrait être la coupe d’une embase de phare délabré. 

Eric Ruf ne propose pas de lecture à proprement dite du poème de Maeterlinck, mais une illustration du monde intérieur décrépit et inquiétant dans lequel sont plongées les âmes des protagonistes de l’histoire. Son travail de direction d’acteurs est parfaitement bien réglé mais reste dans l’ensemble assez conformiste hormis pour deux personnages clés, Mélisande et Golaud.

Patricia Petibon (Mélisande)

Patricia Petibon (Mélisande)

Rendue aphone par une allergie, Patricia Petibon est uniquement actrice, ce soir, et est doublée côté jardin par Vannina Santoni venue au pied levé lui apporter le secours de la fraîcheur de sa voix, agréablement subtile et lumineuse, et qui se fond magnifiquement à l’incarnation de sa consœur sans que cela n’altère l’intégrité de la représentation.

C’est un véritable exploit que réalisent ces deux artistes, l’une pour son adaptation rapide à une situation imprévue, la seconde pour la précision du jeu un peu hors du temps qu’elle synchronise parfaitement sur la direction orchestrale et le chant de Vannina.

Mélisande est l’allégorie d’une femme fantasmée, et Eric Ruf éclaire ce symbole lors de la scène de la fenêtre de la tour en nouant une longue chevelure rousse autour du corps de Patricia Petibon, dont l’apparition devant un arrière-fond de reflets cuivrés rappelle la stylisation ornementale de Gustav Klimt, contemporain de la création de Pelléas et Mélisande.

On voit à cette occasion les limites d’une littéralité trop stricte car le surréalisme de cette scène et cette chevelure qui n’en finit pas de tomber ne font que distraire la concentration d’une partie du public.

Stanislas de Barbeyrac (Pelléas)

Stanislas de Barbeyrac (Pelléas)

Dans le rôle de Golaud, et 17 ans après avoir incarné Pelléas sur la scène Bastille, Simon Keenlyside fait de son personnage le rôle central de l’ouvrage grâce à sa maîtrise exceptionnelle des états d’âmes du demi-frère de Pelléas. Il le fait vivre comme il le ferait avec Wozzeck, lui aussi devenu un meurtrier sous l’emprise de sa passion amoureuse, et attire du coup la compassion de l’assistance sur lui même.

Les coups de sang, les déchaînements de pensées, la perte de raison et le dérèglement du corps sont animés d’une façon tellement réaliste et sensible qu’il crée une accroche sans distance, d’autant plus que son français est remarquable de précision, alors qu’il ne parle pas cette langue habituellement.

Son chant vibre avec ce qu’il faut d’ondulations pour émouvoir, et le grain vocal a quelque chose de vécu en soi et des éclats d’âme parfois étonnamment clairs. Un être est là, entier et exposé à cœur ouvert, presque comme si Simon Keenlyside offrait à la vue de tous la complexité de l’être humain.

Lucile Richardot (Geneviève) et Jean Teitgen (Arkel)

Lucile Richardot (Geneviève) et Jean Teitgen (Arkel)

Et comme il s’agit de la version pour ténor, Stanislas de Barbeyrac trouve en Pelléas un caractère auquel il apporte non pas de la naïveté, mais plutôt une maturité qui se retrouve dans son timbre massif et ombré qui draine un sentiment d’urgence et la puissance d’une carrure solide et sérieuse. 

Plus conventionnel dans son jeu, il est aussi plus intériorisé si bien que l’on ne sent pas chez lui le même affect pour Mélisande que celui qu’éprouve Golaud au point d’en être ravagé. Il s’en tient donc à une attitude intègre, mais bien nerveuse, comme s’il avait déjà beaucoup vécu, si bien que le meurtre de Pelléas n’a pas la même force que si nous avions assisté à l’élimination d’un être innocent n’ayant pas conscience du danger de l’être humain.

Vannina Santoni et Patricia Petibon (Mélisande)

Vannina Santoni et Patricia Petibon (Mélisande)

Ces trois grands protagonistes sont entourés de trois excellents second rôles. Lucile Richardot est d’une douceur onctueuse inhabituelle pour le rôle de Geneviève, comme si elle cherchait à la styliser et comme si elle avait su préserver sa candeur, Jean Teitgen fait résonner en Arkel des graves profondément paternalistes avec un jeu bienveillant à l’ancienne, et Chloé Briot fait frémir beaucoup d’espièglerie piquante dans le chant d’Yniold.

Un spectacle qui ne révolutionne pas le mythe de Pelléas et Mélisande, mais qui a suffisamment de caractère musical et théâtral pour parler des passions humaines et du rapport entre les âges.

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Publié le 9 Octobre 2021

Richard Wagner (Les Maîtres Chanteurs de Nuremberg, Tristan und Isolde, Die Walküre)
Concert du 07 octobre 2021
Grande salle Pierre Boulez, Philharmonie de Paris

Richard Wagner
Maîtres Chanteurs de Nuremberg, Ouverture  (Bayerische Staatsoper - 1868)
Tristan et Isolde, Prélude et Mort d'Isolde (Bayerische Staatsoper - 1865)
La Walkyrie, acte 1 (Bayerische Staatsoper - 1870)

Sieglinde Jennifer Holloway
Siegmund Stuart Skelton
Hunding Mika Kares

Direction musicale Jaap van Zweden
Orchestre de Paris

                                                                Jaap van Zweden

 

Les wagnériens sont visiblement gâtés en cette rentrée lyrique parisienne, car après l’orchestre du Festival de Bayreuth venu pour la première fois à la Philharmonie de Paris début septembre, voilà que l’Orchestre de Paris dédie deux soirées au compositeur allemand quand le Vaisseau Fantôme débute au même moment une série de représentations sur la scène Bastille.

Jennifer Holloway (Sieglinde) et Stuart Skelton (Siegmund)

Jennifer Holloway (Sieglinde) et Stuart Skelton (Siegmund)

L’évènement de ces deux concerts réside aussi en la venue de Jaap van Zweden qui, mi septembre, a annoncé dans le New-York Times qu’il quitterait la direction du New-York Philharmonic à la fin de la saison 2023-2024 par désir de liberté. L’épidémie de covid, qui l’a obligé à rester aux Pays-Bas pendant 18 mois loin de son orchestre, l’a en effet incité à réviser ses directions de vie et notamment à se réinvestir dans sa fondation qui s’emploie à utiliser la musique pour aider les familles d’enfants autistes.

Il se concentre cependant sur la réouverture du Geffen Hall de New-York, pour lequel 550 millions de $ de travaux de rénovation ont été engagés, attendue à l’automne 2022 avec deux ans d’avance.

Wagner (Jennifer Holloway - Stuart Skelton - Mika Kares - Jaap van Zweden) Philharmonie de Paris

La manière avec laquelle il s’empare de l’Orchestre de Paris dit beaucoup du tempérament de ce chef d’orchestre et de sa recherche de somptuosité. La pâte sonore est d’une onctuosité très dense, les courants des cordes s’entrelacent avec une énergie haletante, et sa lecture suit un rythme cinématographique efficace sans que le son jaillissant des percussions ne sature pour autant les couleurs de l’orchestre. Cela bénéficie à l’ouverture des Meistersinger qui, petit à petit, fait monter les frissons chez l’auditeur, et l’on retrouve exactement ce même sens de la progression émotionnelle dans le Prélude de Tristan und Isolde d’une très belle luminosité. Ce sera un peu moins le cas pour la Mort d’Isolde même si la finesse orchestrale est tout aussi soyeuse.

Mais sans doute le plus beau était d’admirer tous ces jeunes présents partout, surtout dans les balcons, et qui peut-être ont pu faire des rapprochements entre la musique de Wagner et des films tels Melancholia de Lars Von Triers ou Roméo et Juliette de Baz Luhrmann qui intègrent respectivement le Prélude et la Mort d’Isolde. On aimerait qu’ils aient apprécié à cette même mesure une telle musique et y reviennent tout autant.

Mika Kares (Hunding)

Mika Kares (Hunding)

En seconde partie, le premier acte de la Walkyrie ouvre avec ce même influx tendu lors de la tempête avec un beau déploiement et un beau fondu des différentes strates de cordes, et le duo entre Jennifer Holloway et Stuart Skelton va se révéler d’une tendresse véritablement touchante.

La soprano américaine, que l’on retrouvera auprès de Véronique Gens dans Hulda de César Franck au Théâtre des Champs-Élysées, en juin prochain, offre un portrait sensible, doué d’une luminosité ombrée bien focalisée, mais avec une largeur de rayonnement appréciable. La fragilité de son personnage et la puissance de son désir d’exister se ressentent, et le ténor australien lui voue une tendresse magnifique, un aplomb vocal spectaculaire qui offre à son timbre au grain chaleureux une gangue de souffle d’une profondeur inouïe – beaucoup ont remarqué son volontarisme d’airain qui semblait concurrencer Lauritz Melchior à travers les Wälse ! -.

Il s’agit ici d’une incarnation très réfléchie dans les moindres détails de ses inflexions, d’une humanité entière beaucoup plus proche de chacun que celle d’un héros romantique inaccessible.

Mika Kares (Hunding), Stuart Skelton (Siegmund) et Jennifer Holloway (Sieglinde)

Mika Kares (Hunding), Stuart Skelton (Siegmund) et Jennifer Holloway (Sieglinde)

Et Mika Kares confirme qu’il est une des valeurs montantes dans les rôles de basses qui s’impose sur toutes les scènes du monde. Il met en avant une stature inflexible mais couverte par un timbre dont le velouté laisse transparaître des failles humaines retenues qui évitent de renvoyer une image trop monolithique. Son Hunding gagne ainsi en caractère et noblesse.

La joie de l'Orchestre de Paris

La joie de l'Orchestre de Paris

Quand s’acheva ce premier acte au final survoltant, quel regret qu’il ne fut possible d’enchaîner immédiatement sur l’ouverture du second acte et son ascension vertigineuse, car le temps ne comptait plus.

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Publié le 7 Octobre 2021

Le Hollandais volant (Richard Wagner - 1843)
Répétition générale du 06 octobre 2021 et représentations du 25 et 28 octobre 2021
Opéra national de Paris - Bastille

Daland Günther Groissböck
Senta Ricarda Merbeth
Erik Michael Weinius
Mary Agnes Zwierko
Der Steuermann Thomas Atkins
Der Holländer Tomasz Konieczny

Direction musicale Hannu Lintu
Mise en scène Willy Decker (2000)

La production du Vaisseau Fantôme que l’Opéra de Paris n’avait plus programmé depuis le 09 octobre 2010 était très attendue car il s’agit du premier drame wagnérien proprement dit. Sa simplicité et son romantisme s’adressent à tous, et les contrées qu’il décrit avec sa musique créent en chacun des impressions visuelles fort évocatrices.

Tomasz Konieczny (Der Holländer)

Tomasz Konieczny (Der Holländer)

L’œuvre n’est entrée au répertoire qu’en 1937, 40 ans après sa création parisienne au Théâtre des Nations de l’Opéra Comique - à l'actuel emplacement du Théâtre de la Ville -, mais elle fait dorénavant partie des 30 opéras les plus joués de la maison.

Et la reprise de cette année atteint un niveau musical bien plus équilibré et très supérieur à celui de la dernière reprise où le couple d’ Erik et Senta formé par Klaus Florian Vogt et Adrianne Pieczoncka semblait être le cœur palpitant de la représentation.

Ricarda Merbeth (Senta)

Ricarda Merbeth (Senta)

Ce soir, la réalisation orchestrale repose sur un orchestre en pleine forme dirigé par un maître des grands espaces nordiques, Hannu Lintu, un chef finlandais qui fait des débuts fracassants à l’Opéra de Paris.

Musclée et flamboyante dans sa manière élancée et virile de faire résonner le corps des cuivres, mais avec de l’allant et une attention à faire ressortir les chaudes pulsations humaines dans les différents duos, cette direction empreint le spectacle d’une narration qui emporte les solistes dans un souffle subjuguant de vitalité.

L’entrée du marin de Thomas Atkins révèle un personnage plus tourmenté que contemplatif, et le chœur masculin, en partie non masqué, impose d’emblée un chant puissant qui a l’impact de l’argent massif.

Tomasz Konieczny (Der Holländer)

Tomasz Konieczny (Der Holländer)

Puis, l’apparition de Tomasz Konieczny s’inscrit splendidement dans le prolongement de cette introduction. Ce chanteur formidable dépeint non seulement le Hollandais errant avec un sens de l’éloquence incisive fantastique, mais il pare également son timbre d’une intense patine sombre aux reflets métalliques qui lui donnent une séduction et une prestance animale absolument souveraine.

L’acteur fait ainsi vivre son personnage avec énormément de justesse ce qui se lit dans sa manière d'interpénétrer sentiments ombrés et tourments intérieurs.

Günther Groissböck (Daland)

Günther Groissböck (Daland)

Günther Groissböck paraît du coup plus simplement humain face à lui, et rend même Daland sympathique. Sa gestuelle a quelque chose d’inclusif, de directement accessible, la variété des couleurs est sensible, mais son chant n’a pas encore retrouvé tout l’impact qu’on lui connaît.

Ricarda Merbeth (Senta)

Ricarda Merbeth (Senta)

Et Ricarda Merbeth, dont on ne compte plus les incarnations survoltées de Senta à Bayreuth, a certes aussi perdu un peu de puissance et de couleurs dans les aigus, mais force est de constater qu’elle est toujours une wagnérienne qui compte aujourd’hui. Le souffle et la vaillance d'une tessiture ouatée sont bien là, l’imprégnation romantique de cette femme si intérieure est rendue avec une crédibilité et une fierté qui accrochent au cœur, et son magnétisme rivalise en caractère avec celui de Tomasz Konieczny.

Michael Weinius (Erik)

Michael Weinius (Erik)

Erik n’est certes pas un être gagnant dans cette histoire qui le confronte à la violence des sentiments extrêmes de deux figures majeures du romantisme allemand, mais Michael Weinius lui rend un tempérament solide et de caractère, avec une voix mordante, qui a du brillant, et des accents un peu complexes qui donnent de l’épaisseur à un personnage qu’il n’est pas facile à imposer.

Quant aux noirceurs abyssales d'Agnes Zwierko, une fois entendues, elles ne vous quittent plus de la soirée.

Ricarda Merbeth (Senta)

Ricarda Merbeth (Senta)

Après avoir connu la réalisation d’une extrême finesse et la dramaturgie prenante élaborée par Dmitri Tcherniakov pour le Festival de Bayreuth cet été avec la nouvelle production du Fliegende Holländer, revenir au travail épuré de Willy Decker fait inévitablement ressortir certains statismes du jeu théâtral, mais cette épure et la qualité de ses lumières conservent un pouvoir psychique intact sur les spectateurs. 

Comment ne pas être sensible à ce tableau de paysage marin pris en pleine tempête où apparaît en surimpression le vaisseau hallucinatoire de Senta, ou à cette pièce aux dimensions surréalistes qui semble pointer, à la manière d'une proue de navire, au dessus d’une mer agitée ? 

Tomasz Konieczny (Der Holländer)

Tomasz Konieczny (Der Holländer)

Un décor unique, certes, mais plongé dans un univers aux éclairages d’une grande mobilité – hors le duo entre Senta et Le Hollandais qui est volontairement distancié - sans la moindre incongruité, une psychologie centrée sur Senta, où il est véritablement montré à quel point elle est sujette à une maladie qui induit au final un rejet de tous, et qu’elle va transmettre avant de mettre fin à ses jours à une jeune fille de compagnie qui se laissera prendre par l’imaginaire du portrait du Hollandais, c’est bien parce qu’il y a un chef expressif à la barre de l’orchestre et une solide distribution pour prendre émotionnellement l’auditeur, que ce retour a toutes les forces pour lui.

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Publié le 4 Octobre 2021

La Caverne de Platon (Rés(O)nances - 2021)
Représentation du 02 octobre 2021
Centre culturel tchèque de Paris – 18, rue Bonaparte, Paris 6e

Artiste lyrique Marie Verhoeven
Compositeur et musicien Jan Krejčík
Vidéo Dominique Defontaines

C’est au sous-sol du Centre culturel tchèque de Paris, dans les caves voûtées du Paris-Prague Jazz Club, un lieu de rendez-vous prisé des amateurs de jazz, que l’ensemble Rés(O)nances présente une installation et un spectacle musical qui est une très saisissante rencontre entre un texte et un lieu qui lui corresponde parfaitement.

L'ensemble Résonances lyriques

L'ensemble Résonances lyriques

Au livre VII de la République de Platon se trouve une allégorie de la Caverne que Socrate emploie pour s’adresser à son disciple Glaucon afin d’aborder la question de la formation des philosophes.

« Les hommes sont dans la caverne depuis leur enfance, enchaînés par le cou et par les cuisses ... 
Il nous sont semblables. Réfléchis bien : jamais encore de tels hommes n'ont déjà vu, soit par leurs propres yeux, soit par les yeux d'autrui, autre chose que les ombres projetées sans cesse par le feu sur la paroi de la caverne qui leur fait face. »

Marie Verhoeven

Marie Verhoeven

Les mots extraits de ce texte énigmatique sont dit et modulés de manière obsédante par Marie Verhoeven, et à ces mots se mêlent les accords si pathétiquement humains du violoncelle et les effets ondulatoires de l’électronique instrumentale qui utilisent aussi la tessiture de l'artiste lyrique à travers un jeu tout en finesse.

Des césures réverbérées et synchrones rythment la diction, et la nappe musicale enveloppe étrangement l'audience dans une expérience sensorielle qui dure une dizaine de minutes.

Installations vidéographiques par Dominique Defontaines

Installations vidéographiques par Dominique Defontaines

Les spectateurs se trouvent ainsi dans la position de ceux qui admirent la mise en musique mystérieuse et hors du temps des mots, mais sont aussi ceux à qui ils s’adressent puisque eux-mêmes sont plongés dans les illusions des projections vidéographiques sur les murs de la cave qui se fondent par effet de transparence avec le décor naturel.

Jan Krejčík, compositeur et musicien

Jan Krejčík, compositeur et musicien

Ici, un courant de sable se déverse le long des pierres chaudes, ailleurs des oiseaux de marais glissent sur les ondes aquatiques, là, des dos de moutons forment des collines imaginaires, et un portrait de Platon gravé comme un camée gît en bas-relief dans une lumière ombrée.

La Caverne de Platon (Rés(O)nances - Marie Verhoeven – Jan Krejčík) Centre culturel tchèque de Paris

Et les auditeurs se trouvent face à un faisceau de lumière, image aveuglante de la source de savoir ou de la vérité, avec lequel ils peuvent jouer pour créer des ombres.

Une réflexion ludique sur le monde des illusions où l'on aime se complaire, qui se prolonge en remontant les escaliers menant à l'extérieur de ce lieu chaleureux.

La Caverne de Platon (Rés(O)nances - Marie Verhoeven – Jan Krejčík) Centre culturel tchèque de Paris

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Publié le 2 Octobre 2021

Chausson / Duparc / Brahms / Britten / Bridge
Récital du 30 septembre 2021
Théâtre des Champs-Elysées

Ernest Chausson Poème de l’amour et de la mer op. 19 - Cycle de mélodies d’après des poèmes de Maurice Bouchor
Henri Duparc « Invitation au voyage », op. 114, « La Vie antérieure », « Phidylé » op. 13 n° 2
Johannes Brahms « Die Mainacht » op. 43 n° 2
« Dein blaues Auge » op. 59 n°8
« Immer leiser wird mein Schlummer » op. 105 n°2
« Auf dem Kirchlofe » op. 105 n°4

Benjamin Britten « The Salley Gardens »
« The Last Rose of Summer »

Frank Bridge « Love went a-riding »
 
Ténor Benjamin Bernheim
Piano Mathieu Pordoy

Cinq jours après avoir chanté Les Contes d’Hoffmann à l’Opéra de Hambourg pour six représentations, Benjamin Bernheim reprend le chemin du récital pour deux soirs, l’un au Théâtre des Champs-Élysées, l’autre au Konzerthaus de Vienne, le 03 octobre.

Benjamin Bernheim

Benjamin Bernheim

Il est à nouveau associé au pianiste Mathieu Pordoy avec lequel il avait déjà donné ce même récital le 15 août dernier au Festival de Salzbourg, tout en l’adaptant légèrement ce soir, les mélodies d’Henri Duparc se substituant aux mélodies de Clara Schumann pour mieux saisir le public parisien.

Le Poème de l’amour et de la mer est ainsi interprété tel qu’il a été conçu à l’origine, quand Ernest Chausson accompagnait au piano le ténor Désiré Desmet lors de sa création à Bruxelles, le 21 février 1893.

La voix élevée de Benjamin Bernheim est fascinante car le jeune chanteur joue à la fois sur le sentiment intime et l’éclat héroïque, et sa projection vers les hauteurs de la salle rayonne d’une ample clarté où s’immisce l’aplomb volontariste de la jeunesse.

L'écoinçon de La Sonate - Plafond du Théâtre des Champs-Elysées

L'écoinçon de La Sonate - Plafond du Théâtre des Champs-Elysées

Et au cours de ce cycle de mélodies, Mathieu Pordoy dispose de longs passages solo pour faire couler une veine de sonorités rondes, stables et bien timbrées au délié liquide qui s’allie parfaitement au chant de son partenaire.

Les deux artistes offrent ainsi une imparable beauté classique à leur ensemble, mélange de retenue d’émotion et de grâce sereine.

Benjamin Bernheim

Benjamin Bernheim

En seconde partie, le temps est cette fois laissé à un grand wagnérien des premières heures, Henri Duparc, qui rencontra Ernest Chausson juste après la guerre franco-allemande de 1870. 

Sur des textes de Baudelaire ( Invitation au voyage et La Vie antérieure) et Leconte de Lisle (Phidylé), Benjamin Bernheim approfondit d’autres facettes de sa voix. La variété des couleurs et la finesse des nuances deviennent grisantes, et l’auditeur se sent comme invité à se laisser bercer pour partager des confidences.

Puis, les quatre chants de Brahms extraits de 3 opus différents composés entre 1868 et 1886 nous emmènent vers des teintes plus graves et sombres, toujours avec la même délicatesse, et l’ art du lied germanique vient ainsi se fondre à un univers qui lui est contemporain.

Mathieu Pordoy et Benjamin Bernheim

Mathieu Pordoy et Benjamin Bernheim

On quitte ensuite cet art de l’union de deux langues pour rejoindre le XXe siècle et un langage amoureux plus immédiat avec The Salley Gardens, et surtout Last Rose of Summer, de Benjamin Britten, où, dans cette dernière mélodie, Benjamin Bernheim laisse filer des traits d’âme en voix de tête d’un charme enjôleur magnifique.

Enfin, Love went a-riding de Frank Bridge permet d’achever le récital sur un héroïsme triomphant constellé par les notes perlées du piano qui suscitent ainsi un enthousiasme qui ne peut que déclencher deux bis, l’un choisi spécifiquement pour Paris, Le Voyage à Paris de Francis Poulenc, l’autre pour les amateurs d’opéras avec Pourquoi se réveiller du jeune Werther, là aussi un symbole de l’imaginaire germanique teinté de sentimentalisme français.

Benjamin Bernheim (Chausson – Duparc – Brahms – Britten - Bridge) - Champs-Élysées

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