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Publié le 31 Janvier 2023

Peter Grimes (Benjamin Britten – 7 juin 1945 - Sadler’s Well Theater, Londres)
Répétition générale du 23 janvier et représentations du 26 janvier et 07 février 2023
Palais Garnier

Peter Grimes Allan Clayton
Ellen Orford Maria Bengtsson
Captain Balstrode Simon Keenlyside
Auntie Catherine Wyn-Rogers
First Niece Anna-Sophie Neher
Bob Boles John Graham-Hall
Swallow Clive Bayley
Mrs. Sedley Rosie Aldridge
Reverend Horace Adams James Gilchrist
Ned Keene Jacques Imbrailo
Hobson Stephen Richardson

Direction musicale Alexander Soddy
Mise en scène Deborah Warner (2021, Madrid)

Coproduction avec le Teatro Real, Madrid, le Royal Opera House Covent Garden, Londres et le Teatro dell'Opera, Rome
Diffusion le 25 février à 20 h sur France Musique dans le cadre de l’émission « Samedi à l’Opéra », présentée par Judith Chaine.

Compositeur privilégié d’Hugues Gall, le directeur de l’Opéra de Paris de 1995 à 2004 qui représenta trois séries de ‘Billy Budd’ et deux séries de ‘Peter Grimes’ au cours de son mandat, Benjamin Britten n’avait plus été programmé qu’une seule fois par la suite, à l’occasion d’une reprise de ‘Billy Budd’, sous la direction de Nicolas Joel.

Une nouvelle production de ‘Death in Venice’ sera par la suite annulée, et la production de ‘Billy Budd’ par Deborah Warner, un temps programmée par Stéphane Lissner, fut, elle aussi, supprimée.

Allan Clayton (Peter Grimes)

Allan Clayton (Peter Grimes)

Le retour de ‘Peter Grimes’ à l’Opéra de Paris est donc un immense évènement qui traduit le volontarisme de son nouveau directeur, Alexander Neef, afin d’ouvrir plus largement le répertoire aux compositeurs anglo-saxons.

Cette reprise de la production créée à Madrid en avril 2021 permet d’accueillir, pour la première fois sur la grande scène lyrique nationale, une metteuse en scène britannique bien connue en Europe, Deborah Warner.

Elle est cependant loin d’être inconnue à Paris, puisqu’elle y fit ses débuts en 1989 avec ‘Titus Andronicus’ de Shakespeare au Théâtre des Bouffes du Nord, puis avec ‘King Lear’ joué au Théâtre de l’Odéon en 1990.

Plus récemment, l’Opéra Comique programma en 2012 sa version de ‘Didon et Enée’ d’Henry Purcell, et le Théâtre des Champs-Elysées présenta son interprétation de ‘La Traviata’ en 2018.

Clive Bayley (Swallow), Allan Clayton (Peter Grimes) et le choeur de villageois

Clive Bayley (Swallow), Allan Clayton (Peter Grimes) et le choeur de villageois

S’emparer d’un sujet aussi sombre que celui de ‘Peter Grimes’, c’est à la fois revenir au thème de la marginalité qu’elle avait abordé à travers sa première mise en scène d’opéra, ‘Wozzeck’, jouée au Grand Théâtre de Leeds en 1993, qu’évoquer Alban Berg pour lequel Benjamin Britten nourrissait une vive admiration – il entendra en intégralité ‘Wozzeck’, en 1934, lors d’une retransmission radiophonique -.

On retrouve au cours de ces tableaux le sens de l’épure, mais aussi le goût pour le réalisme, de Deborah Warner dans cette production qui souligne l’immense solitude du héros et l’ombre d’une malédiction qui plane sur lui.

L'apprenti et Maria Bengtsson (Ellen)

L'apprenti et Maria Bengtsson (Ellen)

La première image, fort belle, le représente dormant seul au centre d’un large espace vide, surplombé par une barque qui pourrait évoquer un cercueil, mais surtout la fin tragique à laquelle il est prédestiné. La communauté environnante est, elle, constamment animée dans des zones d'ombre, au premier et dernier acte.

Les lumières bleu-vert stylisées, plus intenses à l’horizon, décrivent une vision éthérée du temps et de l’espace, mais la maison de cet être solitaire n’est qu’un éparpillement de restes d’embarcations disparates, jonchant une scène en pente, ouvertement mise à nue.  A contrario, les villageois se retrouvent au second acte dans une taverne enfoncée dans le sol, tous parqués à l’avant-scène devant une façade qui les abrite de l'extérieur, et où une unique porte permet des entrées précipitées.
Peter Grimes (Clayton Bengtsson Keenlyside Soddy Warner) Opéra de Paris

Enfin, en fond de scène, une toile aux légers reflets irisés offre la vision d’une vue sur la mer prise depuis les hauteurs d’une falaise. L'évocation reste symbolique, et ne met pas l'accent sur l'atmosphère marine et mouvementée de ces côtes tumultueuses, probablement pour donner plus d'impact à la violence intérieure nourrie par la population, le véritable danger en ce lieu.

Deborah Warner fait ainsi vivre les relations entre individus avec un grand sens du détail et de l’interaction vivante afin de montrer toutes les facettes, peu reluisantes, de ce peuple qui juge et veut la perte de Grimes. Leur rapport à Dieu est dominé par la peur - une petite pancarte le rappelle -, et ces gens apparaissent comme ayant inconsciemment besoin de trouver un bouc émissaire pour se laver de leurs propres travers.

Simon Keenlyside (Balstrode) et Allan Clayton (Peter Grimes)

Simon Keenlyside (Balstrode) et Allan Clayton (Peter Grimes)

La scène la plus marquante se déroule au dernier acte où tous s'excitent, lors d'un rituel païen, à détruire un mannequin fabriqué à l'image de Peter Grimes, afin d'évacuer leur propre violence. C'est d'ailleurs au cours de ce même tableau de lynchage que la sensualité de plusieurs jeunes hommes - torses nus - est exaltée. A contrario, la scène où ce solitaire s'emporte face à Ellen est montrée comme un geste brusque et impulsif qui propulse la maîtresse d'école à terre. Le geste est simplement accidentel.

'Peter Grimes' est donc bien une dénonciation du conformisme et de l'hypocrisie sociale, mais Deborah Warner n'oublie pas de mettre en avant la question du devenir de l'enfant orphelin. Sa mise en scène sollicite les plus profonds sentiments pour le jeune garçon balloté dans cet univers trop préoccupé par ses propres névroses pour s'intéresser aux plus démunis.
Une telle force de caractérisation ne peut s'incarner qu'une fois confiée à de grands artistes, et tous, sans exception, participent à cette immense réussite.

Peter Grimes (Clayton Bengtsson Keenlyside Soddy Warner) Opéra de Paris

Allan Clayton, qui est attaché à cette production depuis sa création à Madrid et sa reprise à Londres, est absolument lumineux, tendre et irradiant de finesse, comme s'il était doué pour révéler la pureté d'âme mêlée à la rudesse de Peter Grimes. Confronté à la voix agréablement ouatée, et d'une parfaite homogénéitée, de Maria Bengtsson, ils tendent tous deux à souligner les qualités mozartiennes de l'écriture de Benjamin Britten, ce que la direction souple et raffinée d'Alexander Soddy ne fait que renforcer. 

Le chef d'orchestre britannique maintient tout au long de la représentation une atmophère intime et chambriste qui attire l'auditeur dans un univers soyeux et superbement ouvragé, où la noirceur mystérieuse des interludes ne se départit jamais d'un art du raffinement merveilleusement enjôleur. L'orchestre ne prend d'ailleurs pas le dessus sur les solistes et les choristes, ces derniers étant à l'unisson de l'esprit envoutant choisi pour cette interprétation.

Maria Bengtsson (Ellen) et l'apprenti

Maria Bengtsson (Ellen) et l'apprenti

Fascinant par sa retenue et la profondeur de sa présence, Simon Keenlyside, qui fut un inoubiable Wozzeck à Bastille, il y a 15 ans, prête au Capitaine Balstrode de la sagesse, un charisme vocal d'une grande maturité, et une aura humaniste fort touchante, même s'il devra suggérer au pêcheur, acculé par les villageois, de préférer prendre la mer et de couler sa barque. On verra ainsi Grimes, résigné, s'enfoncer lentement dans la mer.

Simon Keenlyside (Balstrode)

Simon Keenlyside (Balstrode)

Parmi les autres caractères, on retrouve John Graham-Hall en Bob Boles, lui qui incarna un inoubliable Aschenbach à La Monnaie de Bruxelles, en 2009, dans la production de 'Death in Venice' de Deborah Warner, avec un timbre dorénavant oscillant mais toujours expressif, et Jacques Imbrailo, qui rehausse le naturel grossier de Ned Keene par un chant séduisant et très naturel.

Allan Clayton

Allan Clayton

La cohésion scénique de l'ensemble de la distribution se prolonge avec une vérité démonstrative à travers les interprétations de Catherine Wyn-Rogers (Auntie), Rosie Aldridge, terrible en Mrs Sedley Bayley, les deux nièces qui se ressemblent par Anna-Sophie Neher et Ilanah Lobel-Torrez, le jeu de Clive Bayley qui n'éprouve aucune hésitation à dépeindre le ridicule de Swallow, et enfin James Gilchrist et Stephen Richardson, eux-aussi très convaincants.

Ching-Lien Wu (cheffe des choeurs)

Ching-Lien Wu (cheffe des choeurs)

Avec la disparition indifférente de Peter Grimes à la toute fin, réapparait pour la dernière fois, et poétiquement, son obsession pour la jeunesse des apprentis qui ont tous disparu, à travers un acrobate se muant avec légèreté dans les airs. Deborah Warner sait offrir aux jeunes artistes des occasions pour animer avec talents ses productions, et après un tel accueil du public et des professionnels pour ce poignant 'Peter Grimes', reprendre en ce même lieu celle de 'Billy Budd' par la même metteuse en scène, primée en 2018, semble aller de soi, tant le succès et la reconnaissance de tous sont assurés.

Alexander Soddy, Deborah Warner, Allan Clayton et l'apprenti

Alexander Soddy, Deborah Warner, Allan Clayton et l'apprenti

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Publié le 4 Juillet 2022

Otello (Giuseppe Verdi - 1887)
Représentation du 02 juillet 2022
Bayerische Staatsoper

Otello Gregory Kunde
Jago Simon Keenlyside
Cassio Oleksiy Palchykov
Roderigo Galeano Salas
Lodovico Bálint Szabó
Montano Daniel Noyola
Ein Herold Andrew Hamilton
Desdemona Rachel Willis-Sørensen
Emilia Nadezhda Karyazina

Direction musicale Antonino Fogliani
Mise en scène Amélie Niermeyer (2018)

                                         Gregory Kunde (Otello)

La vision d''Otello' par Amélie Niermeyer n'avait pas convaincu à la création en 2018 et ne convainc toujours pas tant elle intellectualise beaucoup trop la folie du Maure de Venise et affadit considérablement la noirceur du drame dans un enchevêtrement de décors vieillots, cadre d'un huis clos peu évocateur.

L'intérêt de cette reprise est donc porté par l'affiche d'une distribution totalement modifiée, y compris à la direction musicale, par rapport à ce qu'il était prévu quelques jours auparavant.

Rachel Willis-Sørensen (Desdemona) et Gregory Kunde (Otello)

Rachel Willis-Sørensen (Desdemona) et Gregory Kunde (Otello)

Antonino Fogliani, chef qui se distingue par une prolifique interprétation du répertoire rossinien, a une approche de la musique délicieuse, colorée et sensuelle qui harmonise et enveloppe à merveille le chant des solistes et des chœurs.

Dès l'ouverture, l'élan orchestral est vif, sans surcharge, et laisse filer de fins ornements tout en se fondant dans une belle unité avec les voix des choristes au chant fluide et légèrement mat. Les papillonnements des flûtes virevoltent avec netteté, et les cuivres font vibrer un bouillonnement chaleureux qui sera une constante de toute la soirée. 

Rachel Willis-Sørensen (Desdemona)

Rachel Willis-Sørensen (Desdemona)

Et depuis le premier duo entre Otello et Desdemone jusqu'à la méditation finale, le lyrisme des solos, duos et ensembles est ainsi magnifié avec profondeur d'autant plus que c'est du très beau chant qui s’épanouit au bonheur de tous. Seule la mécanique des engrenages dramaturgiques manque d’agilité et d’impulsivité, et la noirceur n’est effleurée qu’en surface comme pour privilégier en premier lieu l’adhérence au phrasé de chaque protagoniste.

Galeano Salas (Roderigo), Oleksiy Palchykov (Cassio) et Simon Keenlyside (Iago)

Galeano Salas (Roderigo), Oleksiy Palchykov (Cassio) et Simon Keenlyside (Iago)

Et quel plaisir à entendre Gregory Kunde - superbe et vaillant ‘Exultate !’ - comme si aucune épreuve ne pouvait altérer la souplesse et la suavité juvénile de son chant. Éventuellement, il atténue le son dans les aigus, mais il ne dépareille jamais la douceur du timbre. On ne peut ainsi s’empêcher de penser à l’enivrement qu’il doit ressentir à pouvoir chanter avec une telle grâce à l’âge de 68 ans ! Son Otello est ainsi très clair, viril mais nullement monstrueux, et exprime une forme de sincérité humaine par ses inflexions et les oscillations des lignes vocales dont le discours touche l’âme immédiatement.

Gregory Kunde (Otello) et Simon Keenlyside (Iago)

Gregory Kunde (Otello) et Simon Keenlyside (Iago)

Sa partenaire, Rachel Willis-Sørensen, s’épanche à son égard dans un flot torrentiel de noirceur dramatique qui n’est pas sans rappeler celui de Sondra Radvanovsky par l'ampleur de ses abîmes, ce qui lui permet de dépeindre une splendide Desdemone romantique au rayonnement puissant.

Naturellement, après 3 actes scéniquement déconcertants, c’est au dernier acte et la grande prière recueillie que la contemplation du public se concentre vers elle, conscient qu'il assiste à un grand moment de sensibilité poignante qui fait la valeur d’une telle représentation.

Rachel Willis-Sørensen (Desdemona)

Rachel Willis-Sørensen (Desdemona)

Toujours aussi charismatique, Simon Keenlyside n’a rien perdu de son aisance scénique et se délecte à jouer un Iago calculateur sans le paraître. Il saisit par l’impact de ses accents explosifs verdiens qui se vivent comme un mélange de rudesse et de subtilité diaphane dont il peut tirer un brillant filé qui résonne avec l’héroïsme généreux de Gregory Kunde. Leur duo comporte d'ailleurs une forme de jeu de séduction vocale très finement perceptible.

Parmi les rôles secondaires, Nadezhda Karyazina donne du corps et de la personnalité à Emilia comme rarement il est donné de le voir sur scène, tant son personnage est imprégné d’une ferveur assurée qui dépasse le mélo-dramatisme dont il est plus habituellement empreint. Galeano Salas est un Roderigo aux traits forts et machiavéliques, quant à Oleksiy Palchykov, son Cassio paraît trop léger bien que son jeu soit tout à fait crédible.

Sur les marches du Bayerische Staatsoper à l'entracte d''Otello'.

Sur les marches du Bayerische Staatsoper à l'entracte d''Otello'.

Un ensemble musical qui comporte au final nombre de tableaux fort réussis malgré la réunion tardive des artistes, ce qui est source d’un grand plaisir à entendre des interprètes aux styles et couleurs très différents, et qui réussissent pourtant une alchimie interprétative qui n’était pas courue d’avance de par le peu de temps de préparation laissé à chacun d’eux.

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Publié le 10 Octobre 2021

Pelléas et Mélisande (Claude Debussy - 1902)
Représentation du 09 octobre 2021
Théâtre des Champs-Élysées

Mélisande Vannina Santoni
Mélisande (rôle muet) Patricia Petibon
Pelléas Stanislas de Barbeyrac
Golaud Simon Keenlyside
Arkel Jean Teitgen
Geneviève Lucile Richardot
Yniold Chloé Briot 
Le médecin, Le berger Thibault de Damas

Direction musicale François-Xavier Roth
Mise en scène Eric Ruf (2017)
Ensemble Les Siècles

Coproduction Opéra de Dijon, Stadttheater Klagenfurt, Théâtre du Capitole de Toulouse, Opéra de Rouen Normandie
                                                                                                   Simon Keenlyside (Golaud)

La reprise de Pelléas et Mélisande dans la mise en scène d’Eric Ruf qui avait été révélée au public en mai 2017 sur la même scène permet à nouveau de la découvrir, ou de la redécouvrir, avec une coloration musicale très différente.

Stanislas de Barbeyrac (Pelléas) et Patricia Petibon (Mélisande)

Stanislas de Barbeyrac (Pelléas) et Patricia Petibon (Mélisande)

François-Xavier Roth est en effet invité avec son ensemble sur instruments d’époque, Les Siècles, pour réaliser une lecture qui se situe à l’opposé de ces grands fleuves sombres et wagnériens que l’on a pu entendre sous la baguette de Sylvain Cambreling ou Philippe Jordan à l’ opéra Bastille. Confiée à une telle formation, la musique de Debussy crée autrement une forme picturale d’une très grande clarté où vibrations des cordes et souffles des vents se développent selon des contours nettement dessinés et des teintes relativement proches.

Le rapport à l’œuvre perd en mystère ce que qu’il gagne en immédiateté et simplicité poétique quand émerge à tout moment un ornement de basson ou de hautbois. Pour autant, il ne s’agit pas d’un déroulement linéaire, et le directeur musical entraîne les musiciens dans des mouvements qui peuvent aussi bien se métamorphoser en magnifique nappe liquide et épurée que se soulever en lame exubérante, mais qui peuvent aussi se révéler d’une saisissante sécheresse dans les fins d’actes, et particulièrement au moment du meurtre de Pelléas ce qui a tendance à réduire l’effet poignant du drame.

Simon Keenlyside (Golaud) et Patricia Petibon (Mélisande)

Simon Keenlyside (Golaud) et Patricia Petibon (Mélisande)

L’atmosphère pittoresque qui s’en dégage s’allie avec évidence au décor unique du spectacle qui se déroule dans une zone sombre d’un port, au bord d’une eau croupissante, entourée par ce qui pourrait être la coupe d’une embase de phare délabré. 

Eric Ruf ne propose pas de lecture à proprement dite du poème de Maeterlinck, mais une illustration du monde intérieur décrépit et inquiétant dans lequel sont plongées les âmes des protagonistes de l’histoire. Son travail de direction d’acteurs est parfaitement bien réglé mais reste dans l’ensemble assez conformiste hormis pour deux personnages clés, Mélisande et Golaud.

Patricia Petibon (Mélisande)

Patricia Petibon (Mélisande)

Rendue aphone par une allergie, Patricia Petibon est uniquement actrice, ce soir, et est doublée côté jardin par Vannina Santoni venue au pied levé lui apporter le secours de la fraîcheur de sa voix, agréablement subtile et lumineuse, et qui se fond magnifiquement à l’incarnation de sa consœur sans que cela n’altère l’intégrité de la représentation.

C’est un véritable exploit que réalisent ces deux artistes, l’une pour son adaptation rapide à une situation imprévue, la seconde pour la précision du jeu un peu hors du temps qu’elle synchronise parfaitement sur la direction orchestrale et le chant de Vannina.

Mélisande est l’allégorie d’une femme fantasmée, et Eric Ruf éclaire ce symbole lors de la scène de la fenêtre de la tour en nouant une longue chevelure rousse autour du corps de Patricia Petibon, dont l’apparition devant un arrière-fond de reflets cuivrés rappelle la stylisation ornementale de Gustav Klimt, contemporain de la création de Pelléas et Mélisande.

On voit à cette occasion les limites d’une littéralité trop stricte car le surréalisme de cette scène et cette chevelure qui n’en finit pas de tomber ne font que distraire la concentration d’une partie du public.

Stanislas de Barbeyrac (Pelléas)

Stanislas de Barbeyrac (Pelléas)

Dans le rôle de Golaud, et 17 ans après avoir incarné Pelléas sur la scène Bastille, Simon Keenlyside fait de son personnage le rôle central de l’ouvrage grâce à sa maîtrise exceptionnelle des états d’âmes du demi-frère de Pelléas. Il le fait vivre comme il le ferait avec Wozzeck, lui aussi devenu un meurtrier sous l’emprise de sa passion amoureuse, et attire du coup la compassion de l’assistance sur lui même.

Les coups de sang, les déchaînements de pensées, la perte de raison et le dérèglement du corps sont animés d’une façon tellement réaliste et sensible qu’il crée une accroche sans distance, d’autant plus que son français est remarquable de précision, alors qu’il ne parle pas cette langue habituellement.

Son chant vibre avec ce qu’il faut d’ondulations pour émouvoir, et le grain vocal a quelque chose de vécu en soi et des éclats d’âme parfois étonnamment clairs. Un être est là, entier et exposé à cœur ouvert, presque comme si Simon Keenlyside offrait à la vue de tous la complexité de l’être humain.

Lucile Richardot (Geneviève) et Jean Teitgen (Arkel)

Lucile Richardot (Geneviève) et Jean Teitgen (Arkel)

Et comme il s’agit de la version pour ténor, Stanislas de Barbeyrac trouve en Pelléas un caractère auquel il apporte non pas de la naïveté, mais plutôt une maturité qui se retrouve dans son timbre massif et ombré qui draine un sentiment d’urgence et la puissance d’une carrure solide et sérieuse. 

Plus conventionnel dans son jeu, il est aussi plus intériorisé si bien que l’on ne sent pas chez lui le même affect pour Mélisande que celui qu’éprouve Golaud au point d’en être ravagé. Il s’en tient donc à une attitude intègre, mais bien nerveuse, comme s’il avait déjà beaucoup vécu, si bien que le meurtre de Pelléas n’a pas la même force que si nous avions assisté à l’élimination d’un être innocent n’ayant pas conscience du danger de l’être humain.

Vannina Santoni et Patricia Petibon (Mélisande)

Vannina Santoni et Patricia Petibon (Mélisande)

Ces trois grands protagonistes sont entourés de trois excellents second rôles. Lucile Richardot est d’une douceur onctueuse inhabituelle pour le rôle de Geneviève, comme si elle cherchait à la styliser et comme si elle avait su préserver sa candeur, Jean Teitgen fait résonner en Arkel des graves profondément paternalistes avec un jeu bienveillant à l’ancienne, et Chloé Briot fait frémir beaucoup d’espièglerie piquante dans le chant d’Yniold.

Un spectacle qui ne révolutionne pas le mythe de Pelléas et Mélisande, mais qui a suffisamment de caractère musical et théâtral pour parler des passions humaines et du rapport entre les âges.

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Publié le 2 Avril 2013

Wozzeck (Alban Berg)
Représentation du 30 mars 2013
Wiener Staatsoper

Wozzeck Simon Keenlyside
Le Tambour Major Gary Lehman
Hauptmann Herwig Pecoraro
Le Docteur Wolfgang Bankl
Marie Anne Schwanewilms

Direction musicale Franz Welser-Möst
Mise en scène Adolf Dresen (1987)

                                                      Wozzeck (Simon Keenlyside) et Marie (Anne Schwanewilms)

Si l’on désire défendre un chef-d’œuvre comme celui de Wozzeck, ce n’est certainement pas en réanimant une production datant de 1987, coulée dans la toile de cire, que l’on pourra capter un public jeune, si celui-ci vient avec un manque d’habitude à la culture lyrique.

Il s’agit d’une illustration sans le moindre recul par rapport au texte, avec un matériau vieilli qui tire ce spectacle vers une vision enfantine. Certains artifices sont ridicules, comme la manière de faire déambuler sur place les interprètes, ou d’imaginer une lune rouge « qui saigne » sur l’horizon, alors qu’une lumière de clair de lune plonge au même instant depuis le zénith vers le couple de Wozzeck et Marie.

Marie (Anne Schwanewilms)

Marie (Anne Schwanewilms)

Les scènes intimes entre Marie et son enfant sont, elles, plus touchantes lorsqu’elles sont isolées sous les lueurs intérieures de la pièce, sur un simple lit ou devant un petit bureau, et l’aspiration progressive de Wozzeck vers les eaux troubles de l’étang conserve une part d’illusion bien mystérieuse.

Quand on connaît l’image un peu froide mais fragile d’Anne Schwanewilms, et sa belle chevelure rousse crêpée, telle qu’on peut l’admirer dans les rôles de la Maréchale ou d’Elsa von Brabant, la voir s’emparer ainsi d’un personnage de chair et de sang modifie notre regard sur elle, et la rend plus fascinante.

Elle chante le plus souvent dans la tessiture aigue, la plus pure et la mieux projetée pour sa voix, et passe à des expressions naturalistes chevillées au corps avec une brutalité qui, malgré tout, ne lui ôte en rien sa féminité aristocratique. Elle est un peu trop sophistiquée, ce qui crée un décalage supplémentaire avec Wozzeck, pour lequel Simon Keenlyside n’est que trop bien un habitué du rôle.
 

Jouer la maladresse, les blocages et l’humanité sans masque de ce soldat est comme une seconde nature pour lui. On est en empathie constante avec ce personnage dont l’inadaptation révèle aussi l’incompréhension et l’insensibilité de la société qui joue et danse autour de lui.

Vocalement, la poésie désabusée de son timbre réduit l’impact que pourraient avoir des intonations plus incisives, et c’est donc son jeu savamment incontrôlé qui s’impose en toute évidence.

Les rôles secondaires sont très bien tenus, mais aucun des protagonistes, ni même le Tambour Major, ne décrit de personnalité qui impressionne par sa stature ou son caractère.

                                                                                          Marie (Anne Schwanewilms)

En réalité, la plus grande réussite de la soirée repose dans les mains des musiciens et du chef. Franz Welser-Möst sculpte une œuvre d’une force rarement jouée avec un son aussi prodigieux de transparence et de finesse, une clarté d’harmonie des instruments à vents, des couleurs straussiennes qui respirent avec une ampleur comme jamais on en a entendu dans cette partition, mais également un tumulte sarcastique qui évoque les œuvres de Prokofiev.
Pris par une telle intensité puissante et théâtrale, on perçoit cependant la rupture avec le drame sur scène.

On n’écouterait que l’orchestre, si l’attente d’une expressivité visuelle qui s’accorde mieux avec un tel engagement musical ne se faisait trop sentir.

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Publié le 27 Mars 2012

Eugène Onéguine (Piotr Ilitch Tchaïkovski)
Représentation du 24 mars 2012
Bayerische Staatsoper (Munich)

Larina Heike Grötzinger
Tatjana Ekaterina Scherbachenko
Olga Alisa Kolosova
Filipjewna Elena Zilio
Eugène Onéguine Simon Keenlyside
Lenski Pavol Breslik
Le Comte Gremin / Saretzki Ain Anger
Triquet Ulrich Reb

Mise en scène Krzysztof Warlikowski
Directeur musical Pietari Inkinen

                                           Simon Keenlyside (Onéguine) et Ekaterina Scherbachenko (Tatiana)

Lorsque l’on entre dans la salle du Bayerische Staatsoper, le rideau de scène est déjà levé sur le décor d’Eugène Onéguine, et les coutumiers de l’univers de Krzysztof Warlikowski retrouvent un visuel bien connu, fauteuils et canapés, parois transparentes, et des objets désuets évocateurs de l’Amérique utopique de la fin des années 60.

L’insouciance d’une époque bercée par les musiques populaires a engendré les mouvements hippies, les pantalons pattes d’éléphants, et le rêve incroyable du voyage sur la Lune.

La Russie profonde d’Alexandre Pouchkine est belle et bien oubliée.

Simon Keenlyside (Onéguine) et Pavol Breslik (Lenski)

Simon Keenlyside (Onéguine) et Pavol Breslik (Lenski)

Une fois les premiers accords mélodiques envolés, le chœur du Nationaltheater y joint ses voix splendides tout en étant soutenu par la sensualité voluptueuse de l’orchestre.
Les hommes, nettement séparés entre ténors et baryton-basses, jouent dans une salle de billard - la connotation sexuelle ne semble pas fortuite -, alors que les femmes sont réunies tout autour de la scène principale.

Et, à la vue d’Ekaterina Scherbachenko, charmante de grâce attendrissante, et d'Alisa Kolosova, plus joyeusement délurée, entonnant leur duo sur des pas légers et entrainants, on est pris par un sentiment de  bonheur mélancolique au rythme balançant de la harpe, des flûtes voletantes et des accords de contrebasses.

 La tessiture de Tatiana est idéale pour la soprano russe, et la belle gestuelle de son corps, aussi souple et  fluide que son art musical du chant slave, est une merveilleuse incarnation de la fragile essence féminine. Son visage poupin en idéalise même l’innocence.

Ekaterina Scherbachenko (Tatiana)

Ekaterina Scherbachenko (Tatiana)

Toute autant ravissante, Alisa Kolosova est une Olga pulpeuse, mais elle n’est pas aussi avantageusement mise en valeur que dans la mise en scène de Willy Decker à Bastille.
Il en est de même d’Elena Zilio et d’Heike Grötzinger, toutes deux très affirmées dans les rôles respectifs de Filipjewna et de Larina.

Dans la scène de la lettre, Ekaterina Scherbachenko semble reproduire les poses et expressions mélancoliques qu’elle a développé avec une profondeur inégalée dans la vision marquante de Dmitri Tcherniakov à Garnier, et Warlikowski préfère en faire un tendre moment de rêve et de beauté musicale qui durera toute la nuit.
 

Le metteur en scène ne déroule véritablement sa logique qu’à partir de la réception organisée pour l’anniversaire de Tatiana, laissée seule dans son coin avec comme unique réconfort affectif une peluche en forme de pingouin.
Lors de cette soirée mondaine, Ulrich Reb chante à la joie de tous l’air de Monsieur Triquet, dans un élégant français accentué et compréhensible, et surtout, avec une ampleur inhabituelle.
Puis, Onéguine se présente, et débute un jeu de séduction et de provocation envers Lenski, un détournement interprétatif des motivations du jeune homme qui devient le cœur du drame.
 

 

                                                                                       Pavol Breslik (Lenski)

Warlikowski fait de leur relation un entrechoc porté par des forces homosexuelles refoulées, Lenski troublé repoussant son séducteur dans un premier temps, avant de rejeter Olga pour le rejoindre.

La scène de désespoir de Lenski et du duel se transforme en épreuve du lit, dans une atmosphère de tension croissante et de désir irrésistible entre les deux hommes.
Mais, dans un geste symbolique, le meurtre de Lenski libère Onéguine de ses propres démons, et on passe sur le ballet ironique de cowboys torses-nus qui s'en suit.

Ekaterina Scherbachenko (Tatiana)

Ekaterina Scherbachenko (Tatiana)

Pensant pouvoir conquérir Tatiana, Onéguine retrouve une jeune femme magnifique, mais liée à un Comte Gremin (impressionnante stature de Ain Anger) qui est bien plus qu’un vieux mari très riche, sinon un fidèle amant qu’elle ne peut plus quitter.  Sa promesse de bonheur lui échappe définitivement.

Cette vision a une logique théâtrale sidérante de cohérence, bien que l’imaginaire gay-paillette soit un peu trop exagéré et décalé - sans doute à cause de la prépondérance des musiques de ballet - et que les caractères féminins s'affadissent - la complexité des sentiments de Tatiana au dernier acte ne se ressent plus du tout -, et il faut la considérer comme une expression artistique très personnelle.

Ce n’est d'ailleurs pas la première fois que Warlikowski montre un héros qui tue une figure homosexuelle pour s’en libérer, True Love tuait dans le même esprit Nick Shadow dans sa version du Rake’s Progress au Schiller Theater de Berlin.

Simon Keenlyside (Onéguine) et Pavol Breslik (Lenski)

Simon Keenlyside (Onéguine) et Pavol Breslik (Lenski)

Malgré son appropriation surprenante du rôle, Simon Keenlyside a beaucoup trop le physique britannique de James Bond pour que l’on y croit totalement. Son Onéguine a le charme gris du temps passé, et une maturité dominante sur le personnage du Lenski impulsif de Pavol Breslik, clair et doué d’une musicalité slave touchante.

La partition musicale est interprétée intégralement sans couper le ballet du troisième acte, et Pietari Inkinen fait entendre la poésie et la densité du tissu orchestral en jouant à fond sur le mélodrame.

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Publié le 20 Avril 2011

Pelléas et Mélisande (Claude Debussy)
Version concert du 17 avril 2011
Théâtre des Champs Elysées

Pelléas Simon Keenlyside
Mélisande Natalie Dessay
Golaud Laurent Naouri
Geneviève Marie-Nicole Lemieux
Arkel Alain Vernhes
Yniold Khatouna Gadelia
Le Médecin Nahuel di Pierro

Direction musicale Louis Langrée
Orchestre de Paris

 

                                                Laurent Naouri (Golaud)

Après  Parsifal et  Ariane et Barbe-Bleue, c’est avec une version concert de Pelléas et Mélisande que s’achèvent ces quelques jours consacrés, au hasard du calendrier, à Wagner et son influence dans la musique française.

Sous la direction de Louis Langrée, les musiciens de l’Orchestre de Paris livrent une lecture rigoureuse et compacte qui, au fil de soirée, gagne en limpidité.
Si dans les passages les plus vivants la poésie se défait sensiblement, la profondeur de la musique, lorsqu’elle travaille les mouvements les plus sombres, devient flot mystérieux et inquiétant, et cela particulièrement lorsque Golaud intervient.

Or, Laurent Naouri est a lui seul, immensément, naturellement, et en toute évidence, l’interprète choc de la représentation. Il chante magnifiquement, le verbe est précis, superbement lié et détaché à la fois, sur fond d’un timbre mûr et que l'on pourrait croire affectueux au premier abord.

Alors évidemment Simon Keenlyside joue sur deux registres, des étincelles d’innocentes clartés et une assurance virile, Natalie Dessay trouve une lumineuse présence dans "Mes long cheveux descendent jusqu’au seuil de la tour", mais nulle subtile mélancolie ou sentiment d'urgence ne traverse ce duo par ailleurs tenu à distance sur scène. Rien ne se passe en fait.
Même Alain Vernhes paraît trop attentif à soigner son chant.

Ceci est cependant un avant goût de la passionnante confrontation qui s’annonce la saison prochaine entre le Teatro Real de Madrid (L.Naouri-Y.Beuron-C.Tilling direction S.Cambreling) et l’Opéra de Paris (V.Le Texier-S.Degout-E.Tsallagova direction P.Jordan) , le chef d’œuvre de Debussy devant y être représenté dans la même mise en scène de Bob Wilson.

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Publié le 13 Février 2010

Simon Keenlyside
Récital du 12 février 2010 au Palais Garnier
Piano Malcolm Martineau

Faure
Mandoline op 58/1 (Verlaine) En sourdine op 58/2 (Verlaine) Green op 58/3 (Verlaine) Notre amour op 23/2 (Silvestre) Fleur jetée op 39/2 (Silvestre) Spleen op 51/3 (Verlaine)
Madrigal de Shylock op 57/2 (Haraucourt) Aubade op 6/1 (Pomey) Le papillon et la fleur op1/1 (Hugo)

Ravel                                    Schumann
Histoires naturelles                          Dichterliebe

Bis : Schubert : der Einsame, die Sterne D.939, Nachtviolen, Wanderer an den  Mond, Brahms : Wir wandelten

Touchant, avec une unité d’âme qui nous ramène à notre propre intériorité, et une humilité qui balaye si facilement le souvenir des vaines vanités de la vie, Simon Keenlyside offre un chant aussi marqué de gravité, qu’il peut s’éclaircir pour susurrer le charme subtil de la nature.

Le visage s’exprime, et retrouver ainsi une si pure vérité renvoie à chacun, je le crois, l’idée que la sincérité est une affaire de courage.   

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Publié le 30 Mars 2008

Wozzeck (Alban Berg)
Première représentation du 29 mars 2008 (Opéra Bastille)

 
Wozzeck Simon Keenlyside     Marie Angela Denoke

Hauptmann Gerhard Siegel       Tambourmajor Jon Villars

Doktor Roland Bracht              Margret Ursula Hesse von den Steinen

Andres David Kuebler                                 

 

Direction musicale Sylvain Cambreling
Mise en scène Christoph Marthaler

L’article Présentation de la nouvelle production de Wozzeck permet une première prise de connaissance avec la pièce.

 

Sylvain Cambreling est quand même un chef extraordinaire. Sa direction dans La Traviata avait été décriée car elle cassait la beauté « bourgeoise » de l’œuvre, pour se plier à une volonté théâtrale.
Avec « Wozzeck » l’impression est tout autre, car ce qu’il nous propose est au contraire un magnifique épanouissement musical, une volonté de faire partager les beautés sonores de l’œuvre, de s’effacer derrière cette musique.
Et cela se comprend. Je me souviens qu’il s’était montré plus lyrique qu’explosif dans l’Amour des 3 Oranges. Cela se retrouve avec une force particulière à travers le personnage de Marie, dont l’humanité est ici sublimée musicalement.

La musique d’Alban Berg est d’ailleurs prenante, et crée une sorte de poids au cœur qui de toute façon ne justifie pas d'en faire des tonnes pour oppresser encore plus l’auditeur. 

Simon Keenlyside (Wozzeck) et Angela Denoke (Marie)

Simon Keenlyside (Wozzeck) et Angela Denoke (Marie)

Simon Keenlyside se livre à un rôle d’homme obsessionnel qui n’a pas le droit de s’arrêter, et cette manière d’y jeter toute son âme est évidente. En plus de la difficulté vocale, c’est un travail sans relâche sur l’expression du visage qui évoque la souffrance, la bonté et la volonté de faire bien les choses, mais aussi une profonde tristesse.

Angela Denoke incarne, avec cette manière de couvrir légèrement sa voix lorsqu’elle fait appel aux résonances les plus élevées, une sorte d’ange désespéré d’où jaillissent parfois des inflexions véristes poignantes. D’ailleurs chacun sera ému par la relation avec son enfant.

Il va y avoir aussi beaucoup d' étonnés, car Jon Villars est méconnaissable en Tambour Major devenu un voyou de Banlieue très antipathique. Roland Bracht est lui aussi assez marquant en Docteur.
David Kuebler et Gerhard Siegel m’auront moins accroché.
Hesse von den Steinen en Margret est absolument géniale!

Tout se passe donc dans ce quartier de Gand (la caisse de Bière des Moines d’ Orval est d’ailleurs le seul élément qui permet de situer la scène en Belgique), les adultes sont tristes à voir, les enfants affluent et refluent.
A vrai dire,
Marthaler
n’accentue aucunement le sadisme du Docteur ou du Capitaine à l’égard de Wozzeck, et réduit même au minimum la violence du meurtre de Marie pour donner toute sa force à la dernière scène avec les enfants.

Cette image qui vous prend au cœur suffit à raconter la tragique mécanique de l’exclusion. Nous y retrouvons ce qu'a pu être l'enfance de Wozzeck et nous y imaginons ce que sera l'avenir de son fils et ce qu'il risque de faire.

C'est aussi un appel à la vigilance sur le comportement des jeunes dans leur rapport au plus faible.

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