Otello (Kaufmann-Harteros-Finley-Wilson-Leroy Johnson-Petrenko-Niermeyer) Munich

Publié le 19 Décembre 2018

Otello (Giuseppe Verdi)
Représentation du 15 décembre 2018
Bayerische Staatsoper - Munich

Otello Jonas Kaufmann 
Desdemona Anja Harteros
Jago Gerald Finley 
Cassio Evan Leroy Johnson 
Emilia Rachael Wilson
Roderigo Galeano Salas 
Direction musicale Kirill Petrenko 
Mise en scène Amélie Niermeyer (2018)

Nouvelle production

                                 Anja Harteros (Desdémone)

A l’instar d’Ariane à Naxos en 2015 et Tosca en 2016, les noms de Kirill Petrenko, Jonas Kaufmann et Anja Harteros ont suffi à rendre toutes les représentations de ce nouvel Otello sold-out en très peu de temps, suscitant une attente teintée d’appréhension quant à l’assurance avec laquelle les interprètes principaux allaient investir des personnages dont nombre d’incarnations légendaires de Milan à New-York ont marqué le public du XXe siècle.

Pour complexifier cette entreprise artistique inédite, Amélie Niermeyer a choisi de brosser chaque caractère selon un archétype qui s’éloigne des principales lignes imaginées par Shakespeare, tout en redonnant une cohérence qui converge au final vers un drame identique.

Anja Harteros (Desdémone) et Jonas Kaufmann (Otello) - Photo Bayerische Staatsoper

Anja Harteros (Desdémone) et Jonas Kaufmann (Otello) - Photo Bayerische Staatsoper

L’ouverture est impressionnante, Desdémone attend seule et paniquée dans sa chambre sous laquelle le chœur, dans l’ombre, chante son hymne exalté comme un présage lugubre, jusqu’à ce qu’Otello ne survienne et que Jonas Kaufmann lance un ’Exultate’ non pas exagérément éclatant, mais d’une perfection de style et d’une noire densité où l’air semble comme expirer sur une langue de velours sans la moindre dispersion d’intonation.

Le ténor est en forme, et il pose d’emblée une présence inévitable, mais qu’Amélie Niermeyer a transformé en un être peu vaillant et plutôt dépressif, au bord de la folie, endimanché dans un costume tristement terne.

On se rend compte par la suite que nombre de tableaux, scène du feu de joie, scène du chœur rendant hommage à Desdémone, prennent une allure macabre, et que ce chœur agit un peu comme les sorcières de Macbeth pour prévenir de l’avenir - ce que l’on comprend mieux dans la seconde partie.

Anja Harteros (Desdémone) et Jonas Kaufmann (Otello) - Photo Bayerische Staatsoper

Anja Harteros (Desdémone) et Jonas Kaufmann (Otello) - Photo Bayerische Staatsoper

Le Iago de Gerald Finley est épatant d’aisance scénique, d’autant plus qu’il est représenté comme un amuseur assez éloigné de l’être profondément redoutable et odieux que nous connaissons, et son chant d’une grande clarté expressive s’adapte parfaitement à ce rôle-ci. Et le Cassio d’ Evan Leroy Johnson, tout comme le Roderigo de Galeano Salas, rayonnent sur leur visage d’une joie avivée par un mordant vocal agréablement saillant.

Néanmoins, toute cette première partie, qui se déroule dans un grand appartement où l’on voit en arrière-plan Desdémone se morfondre dans une pièce aux couleurs blafardes, est engagée dans un sens théâtral sans réelle force ni noirceur, et son aspect maladif, appuyé par des lumières verdâtres, rappelle par certains aspects La Dame de Pique mise en scène par Lev Dodin il y a vingt ans à Amsterdam et Paris.

Gerald Finley (Iago) - Photo Bayerische Staatsoper

Gerald Finley (Iago) - Photo Bayerische Staatsoper

La seconde partie est en revanche bien plus réussie car Amélie Niermeyer décrit clairement comment une femme sûre d'elle-même, qu’on pourrait prendre pour une femme d’affaire, va perdre totalement confiance en elle, contaminée par la folie de son époux. La prison mentale de celui-ci devient ainsi la sienne, et la scénographie montre cela en représentant la chambre de Desdémone comme une réduction homothétique de la pièce principale dans laquelle vit Otello.

Cette mise en scène fort cérébrale a cependant le défaut de ne plus montrer une gradation des ressentiments du Maure, car il est malade dès le départ. D'où ce sentiment d'une longue mise en place sans évolution dramatique sensible dans les deux premiers actes.

Gerald Finley, Jonas Kaufmann et Anja Harteros

Gerald Finley, Jonas Kaufmann et Anja Harteros

Desdémone est donc le personnage central, puisqu'elle est présente du début à la fin sur scène, souvent réduite à une présence muette dans la première partie. Son jeu va aussi à rebours de l’image que l’on peut en avoir, car loin de passer pour une femme victime, et poussée à bout par ses insinuations, on la voit s’en prendre à Otello par énervement. 

Et mis à part quelques essoufflements vocaux perceptibles chez Jonas Kaufmann, l’incarnation de ce général d’avance déchu est menée avec une finesse interprétative qui ne force jamais le trait, à jeu égal avec le Iago habile de Gerald Finley - mais que l’on pourrait préférer dans une autre mise en scène qui réduirait moins sa stature -, et Anja Harteros alterne intonations de petite fille et véhémences vocales hors de proportion avant de trouver une unité dramatique captivante dans la seconde partie.

Toutes les voix des seconds rôles sont elles aussi richement colorées.

Kirill Petrenko

Kirill Petrenko

Kirill Petrenko apparaît sous son visage le plus le subtil, accélérant joliment les effets de contrepoint, dramatisant de façon très sporadique, mais faisant également entendre des respirations et des touches sonores inédites, par exemple dans le monologue d'Otello qui suit la scène d’explication avec Desdémone. Cette façon de pousser le discours avec une fluidité, qui sous-tend les artistes sans que l’allant dramatique ne les submerge, agit ainsi comme une langue d’or chaleureuse qui imprègne petit à petit l’auditeur sans qu’il ne soupçonne quasiment plus la présence de l’orchestre, et finit par l’enfermer lui aussi avec la névrose qui s’empare des protagonistes shakespeariens.

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