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Publié le 30 Juillet 2022

Capriccio (Richard Strauss - 1942)
Représentation du 27 juillet 2022
Bayerische Staatsoper - Prinzregententheater

Die Gräfin Diana Damrau
Der Graf Michael Nagy
Flamand Pavol Breslik
Olivier Vito Priante
La Roche Kristinn Sigmundsson
Die Schauspielerin Clairon Tanja Ariane Baumgartner
Monsieur Taupe Toby Spence
Eine italienische Sängerin Deanna Breiwick
Ein italienischer Tenor  Galeano Salas
Der Haushofmeister Christian Oldenburg
Diener Christian Wilms, Dimitrios Karolidis, Paul Kmetsch, Leonhard Geiger, Hans Porten, Robin Neck, Leopold Bier, Gabriel Klitzing
Drei Tänzerinnen Anna Henseler, Zuzana Zahradníková, Ute Vermehr

Direction musicale Leo Hussain
Mise en scène David Marton (2013)

Découvrir ou revoir la production de 'Capriccio' imaginée par David Marton pour l'opéra de Lyon en 2013 n'est sûrement pas une perte de temps, surtout lorsqu'elle est montée dans la ville où l'œuvre est née.

L'ultime opéra de Richard Strauss - 'Die Liebe der Danae' était achevé deux ans avant ' Capriccio' - est en effet le tout dernier qui sera créé au Bayerische Staatsoper de Munich, le 28 octobre 1942, avant que l'édifice ne soit détruit par les bombardements alliés en 1943.

Il connut de nombreuses représentations au Théâtre Cuvilliés de 1970 à 1988, théâtre d'un magnifique style rococo mais qui ne peut proposer que 509 places, puis disparut de la programmation de l'Opéra d'Etat bavarois jusqu'à aujourd'hui, même s'il y eut à partir du 11 octobre 1998 quelques représentations au Prinzregententheater interprétées par la compagnie du Gärntnerplatztheater.

Vito Priante (Olivier), Diana Damrau (Madeleine), Pavol Breslik (Flamand) et Kristinn Sigmundsson (La Roche)

Vito Priante (Olivier), Diana Damrau (Madeleine), Pavol Breslik (Flamand) et Kristinn Sigmundsson (La Roche)

C'est donc au Prinzregententheater que 'Capriccio' revient au répertoire du Bayerische Staatsoper et non dans la salle principale, et c'est un peu dommage car le très complexe décor de ce spectacle représente une coupe longitudinale d'un opéra néo-classique - on reconnait les colonnes corinthiennes qui encadrent les loges près de la scène - qui est probablement une évocation de l'Opéra de Munich au moment des répétitions en 1942.

Les différents espaces de vie sont bien définis, la scène surélevée, la fosse d'orchestre très profonde, les premiers rangs du parterre, les loges de côté, et même les dessous de scènes camouflés dans l'ombre sont ainsi bien visibles. 

Nous assistons ainsi à la création de 'Capriccio' en pleine Seconde Guerre mondiale comme si nous y étions, ce qui permet à David Marton de montrer en filigrane des conversations ce qu'il se passe dans le théâtre et notamment la participation du personnel administratif à l'épuration des artistes juifs.

Et Monsieur Taupe, joué par le bien zélé Toby Spence, détient un rôle dans ce travail de filtration, lui qui étudie les visages des danseuses ou des chanteurs pour en déduire leurs origines, et dont on en verra certains partir avec leurs valises vers les camps.

Kristinn Sigmundsson (La Roche)

Kristinn Sigmundsson (La Roche)

L'autre effet de la mise en abyme est de détacher totalement l'intérêt de l'auditeur pour l'enjeu amoureux entre Olivier, Flamand et la Comtesse, puisque celui ci se confond avec le jeu théâtral qui se déroule sur la scène du décor. Par ailleurs, le lieu et le temps originels de l'action, les alentours de Paris en 1775 au moment de la réforme de l'opéra initiée par Christoph Willibald Gluck, sont distanciés, mais les Munichois n'oublieront pas ce que la capitale française doit à un musicien né dans une petite commune du sud de Nuremberg.

Bien sûr, il y a toujours plaisir à réentendre les amusantes réflexions sur un certain type de public d'opéra qui émanent aussi bien du directeur lorsqu'il raille ceux qui ne goûtent que les décors et le registre aigu de leur ténor préféré - même s'il y voit également une opportunité financière -, que d'Olivier, le poète, qui regrette la stupidité de la plupart des livrets et leur faible niveau d'intelligence, ou bien de Flamand, le musicien, qui constate que la musique n'est pas suffisamment prise en considération, ce qui montre que les problématiques du temps de Strauss n'ont pas tant évolué que cela, 80 ans plus tard.

Diana Damrau (Madeleine) et Tanja Ariane Baumgartner (Clairon)

Diana Damrau (Madeleine) et Tanja Ariane Baumgartner (Clairon)

Toutefois, c'est l'action sur la scène du théâtre qui intrigue beaucoup plus que les discussions dans la salle ou en coulisse, même si les interactions entre les protagonistes sont réalistes et vivantes mais pas forcément des plus signifiantes.

Il en résulte que si peu d'empathie est engendrée directement par ce petit monde, le spectacle fonctionne de par les questions qu'il pose pendant et après la soirée.

L'un des personnages les mieux dessinés est celui du directeur, La Roche, incarné par Kristinn Sigmundsson, la basse de référence des années Hugues Gall à l'Opéra de Paris de 1995 à 2004, inoubliable en Commandeur et Grand inquisiteur.

A 71 ans, le chanteur islandais impose une véritable dimension avec des clartés inattendues et des couleurs encore riches qui donnent beaucoup de crédibilité à son personnage et une humanité profonde.

Lorsqu'éclate son ras-le-bol de voir qu'il n'est pas suffisamment considéré pour son importance dans la mise en valeur des artistes, David Marton le fait chanter dans l'ombre de la fosse d'orchestre, au pied de la scène, pour accentuer la puissance de ce moment mais aussi ses ambiguïtés. Kristinn Sigmundsson fait ressortir aussi bien les influx sanguins du directeur, que ses angoisses aux commandes du théâtre dans un tel contexte politique.

Galeano Salas et Deanna Breiwick (Les chanteurs italiens)

Galeano Salas et Deanna Breiwick (Les chanteurs italiens)

Autre personnage sous très forte tension, le Flamand de Pavol Breslik est interprété de manière impulsive et écorchée. La voix est dramatique avec des teintes ombrées, et c'est la souffrance des sentiments non reconnus qu'il exprime par dessus tout. Vito Priante est moins expansif dans ses revendications. Sous ses traits, Olivier est plus humble et intériorisé, la tessiture vocale est très homogène et mate, mais on ne le sent pas parti pour gagner, alors que le Comte de Michael Nagy a, lui, beaucoup de brillant pour séduire Clairon dont le rôle paraît sous-dimensionné pour Tanja Ariane Baumgartner, elle qui incarnait Clytemnestre avec une très grande force ces deux dernières années à Salzbourg.

Dans les rôles des chanteurs italiens, Deanna Breiwick et Galeano Salas fonctionnent à merveille en affichant une très belle connivence. Par ailleurs, le ténor américano-mexicain devient une des valeurs enthousiastes et rayonnantes de la troupe de l'opéra de Munich très plaisante à suivre de par son goût pour le travail approfondi de comédien et sa belle assise vocale.

Excellents sont aussi les serviteurs qui portent haut en couleur la voix de ceux qui n'œuvrent qu'en coulisses.

Diana Damrau (Madeleine)

Diana Damrau (Madeleine)

Et pour sa nouvelle prise de rôle, Diana Damrau fait vivre Madeleine sous une nature joueuse, adolescente et affectueuse qui refuse toute dramatisation. Timbre lumineux et fruité voué à la netteté du chant, il y a bien peu de place pour d'amples tourments, mais la grande scène finale - chantée non sur les planches mais dans la fosse d'orchestre du décor - lui permet d'assoir une sensibilité irradiante et, enfin, les premiers doutes lorsqu'elle réalise face à son double vieilli qu'en ne faisant aucun choix elle a laissé filer le temps et sa vie.

Enfin, si la réalisation orchestrale ne manque pas d'ampleur et de sensualité harmonique, Leo Hussain, remplaçant au pied levé de Lothar Koenig, ne met pas suffisamment en valeur le raffinement des textures et privilégie le grand son sans caractère. Il y a pourtant tant de subtiles vibrations à faire vivre dans cette musique.

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Publié le 26 Juillet 2022

Richard Strauss (Der Rosenkavalier - 1911)
Représentation du 24 juillet 2022
Bayerische Staatsoper - Münchner Opernfestspiele

Die Feldmarschallin Marlis Petersen
Der Baron Ochs auf Lerchenau Günther Groissböck
Octavian Samantha Hankey
Herr von Faninal Johannes Martin Kränzle
Sophie Liv Redpath
Jungfer Marianne Leitmetzerin Daniela Köhler
Valzacchi Ulrich Reß
Annina Ursula Hesse von den Steinen
Ein Polizeikommissar Martin Snell
Der Haushofmeister bei der Feldmarschallin Kevin Conners
Der Haushofmeister bei Faninal Caspar Singh
Ein Notar Christian Rieger
Ein Wirt Kevin Conners
Ein Sänger Galeano Salas

Direction musicale Vladimir Jurowski
Mise en scène Barrie Kosky (2021)

'Le Chevalier à la Rose' n'est certes pas joué à Munich avec la même intensité qu'à l'Opéra de Vienne, il n'en est pas moins vrai qu'il est une des œuvres emblématiques de l'Opéra d'Etat bavarois, et qu'il était grand temps de remplacer l'ancienne production d'Otto Schenk créée le 20 avril 1972. Elle aura connu 195 représentations au total en ce théâtre.

Samantha Hankey (Octavian)

Samantha Hankey (Octavian)

Barrie Kosky ne rompt cependant pas brutalement avec cette production historique, mais il entend conduire par l'humour le spectateur dans le monde d'après en gardant un œil sur le passé afin de lui faire sentir l'essence même de l'œuvre qui est une lutte contre le déroulement du temps.

Une pendule plantée au milieu de l'avant scène figure ainsi à elle seule l'obsession de la Maréchale qui, comme elle le révèle au moment de quitter Octavian à la fin du premier acte, se lève parfois au milieu de la nuit pour faire arrêter les horloges.

Marlis Petersen (La Maréchale)

Marlis Petersen (La Maréchale)

Les murs de son appartement abondamment ornés sont ainsi recouverts d'une fine patine gris-argent qui reflète le lustre d'une époque passée. On peut même imaginer qu'au moment de l'arrivée des musiciens, leurs déguisements en danseurs de cour de Louis XIV est une référence directe à la fascination qu'avait Louis II de Bavière pour le 'Roi Soleil', fascination qui s'est manifestée par la construction des châteaux d'Herrenchiemsee et de Linderhof.

Liv Redpath (Sophie)

Liv Redpath (Sophie)

L'histoire de l'art est à nouveau convoquée au second acte dans la chambre de Sophie qui se trouve recouverte de peintures de faunes et de nymphes, troublantes par leur sensualité, et qui entrent véritablement en résonance avec l'esprit du baron qui ne fait que répéter à la fille de Faninal qu'elle lui appartiendra quoi qu'elle fasse, alors qu'il ne lui laisse comme perspective que l'accomplissement d'une domination masculine quand ils rejoindront le lit nuptial. 

Le rêve drolatique figuré par l'arrivée du Chevalier à la Rose dans un carrosse fantasque débordant de fioritures argentées, tiré par quatre hommes déguisés en chevaux, ne durera qu'un temps, mais il confirme les allusions à l'univers de Louis II, ce que le public va beaucoup apprécier.

Ursula Hesse von den Steinen (Annina) et Günther Groissböck (Le Baron Ochs)

Ursula Hesse von den Steinen (Annina) et Günther Groissböck (Le Baron Ochs)

Le dernier acte verse finalement dans la comédie et se déroule sur la scène d'un petit théâtre comme s'il s'agissait dorénavant de ne plus rien prendre au sérieux.

La direction d'acteur de Barrie Kosky est à la fête, et son goût pour les scènes mimées par les figurants déborde de vie. Le vieux Cupidon, qui depuis le début agit pour faire émerger le sentiment d'amour parmi cette société insupportable, réalise enfin son but avec la victoire d'Octavian et Sophie qui s'élèvent dans les airs et disparaissent dans la nuit, alors que la Maréchale repart en coulisse d'un geste désabusé une fois la partie finie.

Liv Redpath (Sophie) et Samantha Hankey (Octavian)

Liv Redpath (Sophie) et Samantha Hankey (Octavian)

Fervent passionné des œuvres fortement théâtrales et caustiques, Vladimir Jurowski réalise en communion avec la mise en scène une lecture époustouflante du 'Chevalier à la Rose' au point d'arriver à happer l'attention scénique de l'auditeur afin qu'il suive ce qui se déroule dans la fosse. Son art du mouvement avec les musiciens révèle une maîtrise extraordinaire des lois mathématiques qui innervent les courants de bois et de cordes, comme si, après avoir obtenu une nappe orchestrale malléable au velouté crépusculaire, il la faisait vivre en accélérant ses emportements, en déviant ses lignes, en caressant d'un geste les groupes d'instruments dont il recherche une souplesse poétique, tout en faisant émerger les motifs réminiscents dans un fondu enchainé subtil et somptueux.

Mais dans les passages où la rythmique s'emballe, les colorations des percussions et des cuivres évoquent la modernité plastique d'œuvres de compositeurs russes du XXe siècle tels Chostakovitch et Prokofiev, plus que l'argent massif des grandes orchestrations viennoises. Son sens du théâtre s'en trouve exacerbé, et s'opère ainsi un basculement, depuis les images baroques de la première partie, vers un réalisme violent et implacable de la vie.

Günther Groissböck (Le Baron Ochs) et Samantha Hankey (Octavian-Mariandel)

Günther Groissböck (Le Baron Ochs) et Samantha Hankey (Octavian-Mariandel)

La distribution réunie est de haut-vol, à commencer par Marlis Petersen qui est idéale dans ce rôle de princesse aux allures de Lulu, dont les sous-vêtements transparaissent sous son fin voilage dans la scène initiale de la chambre, comme pour montrer qu'elle n'est pas seulement une noble personne vieillissante, mais une femme qui sait ce que la séduction charnelle signifie et qui vit dans le monde présent.

Mais quelle transformation quand elle réapparait à la scène finale! Vêtue de noir et plus mature, elle se met hors-jeu volontairement et vient tirer sa révérence, défaite par le temps, tout en s'assurant que l'avenir des deux jeunes amants pourra s'épanouir.

Sa diction très claire et le mélange de projection bien profilée et d'accents modernes dont elle aime jouer sont ainsi au service d'un portrait épuré et sensible, où finesse et félinité se mêlent pour faire vivre une personnalité au caractère lucide et éveillé.

Marlis Petersen (La Maréchale)

Marlis Petersen (La Maréchale)

Remplaçant au pied levé Christof Fischesser souffrant, Günther Groissböck s'empare du personnage du Baron Ochs avec une assurance bluffante, bombant du torse et interagissant avec son entourage de façon très vivante.

Des couleurs stylisées et assombries se libèrent au fil de la représentation, la puissance se renforce également, et son jeu de séduction avec Octavian devient plus complexe car il fait très bien ressortir les effets de confusion intérieure créés par le piège comique qui se referme sur lui.

Liv Redpath (Sophie) et Samantha Hankey (Octavian)

Liv Redpath (Sophie) et Samantha Hankey (Octavian)

Et c'est un bien beau Octavian qu'incarne Samantha Hankey au souffle vaillant et doué d'une lumière héroïque mâtinée de romantisme. Elle joue même le travestissement avec une grande aisance quand elle doit devenir Mariandel et user de tonalités plus sarcastiques.

Et Liv Redpath est idéale en Sophie, espiègle et profonde avec une très grande pureté de ligne dans les aigus stellaires, et un médium sensuel très agréable, ce qui aboutit à de magnifiques duo enjôleurs avec Samantha Hankey.

Marlis Petersen, Vladimir Jurowski et Samantha Hankey

Marlis Petersen, Vladimir Jurowski et Samantha Hankey

Parmi les rôles secondaires, Johannes Martin Kränzle, au timbre de voix bien homogène, est physiquement tout à fait méconnaissable en Faninal, alors qu'Ursula Hesse von den Steinen révèle sans complexe les facettes les plus monstrueuses d'Annina.

Et dans le rôle du jeune chanteur, Galeano Salas délivre une puissance impressionnante richement colorée et tout à fait inattendue.

Ulrich Reß et Serge Dorny

Ulrich Reß et Serge Dorny

Après un hommage rendu au début de la représentation à Stefan Soltesz, chef d'orchestre disparu soudainement 2 jours auparavant au cours d'une représentation de 'La femme silencieuse', Serge Dorny a ensuite salué Ulrich Reß (Valzacchi) à l'issue du spectacle pour ses 43 ans de carrière et ses 38 ans de présence au sein du Bayerische Staatsoper.

Le chanteur augsbourgeois, reconnu pour son engagement à défendre nombre de petits rôles, et parfois des personnages plus importants, prend sa retraite ce soir sous d'enthousiastes applaudissements, mais il continuera à se produire prochainement en tant qu'artiste invité.

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Publié le 4 Juillet 2022

Otello (Giuseppe Verdi - 1887)
Représentation du 02 juillet 2022
Bayerische Staatsoper

Otello Gregory Kunde
Jago Simon Keenlyside
Cassio Oleksiy Palchykov
Roderigo Galeano Salas
Lodovico Bálint Szabó
Montano Daniel Noyola
Ein Herold Andrew Hamilton
Desdemona Rachel Willis-Sørensen
Emilia Nadezhda Karyazina

Direction musicale Antonino Fogliani
Mise en scène Amélie Niermeyer (2018)

                                         Gregory Kunde (Otello)

La vision d''Otello' par Amélie Niermeyer n'avait pas convaincu à la création en 2018 et ne convainc toujours pas tant elle intellectualise beaucoup trop la folie du Maure de Venise et affadit considérablement la noirceur du drame dans un enchevêtrement de décors vieillots, cadre d'un huis clos peu évocateur.

L'intérêt de cette reprise est donc porté par l'affiche d'une distribution totalement modifiée, y compris à la direction musicale, par rapport à ce qu'il était prévu quelques jours auparavant.

Rachel Willis-Sørensen (Desdemona) et Gregory Kunde (Otello)

Rachel Willis-Sørensen (Desdemona) et Gregory Kunde (Otello)

Antonino Fogliani, chef qui se distingue par une prolifique interprétation du répertoire rossinien, a une approche de la musique délicieuse, colorée et sensuelle qui harmonise et enveloppe à merveille le chant des solistes et des chœurs.

Dès l'ouverture, l'élan orchestral est vif, sans surcharge, et laisse filer de fins ornements tout en se fondant dans une belle unité avec les voix des choristes au chant fluide et légèrement mat. Les papillonnements des flûtes virevoltent avec netteté, et les cuivres font vibrer un bouillonnement chaleureux qui sera une constante de toute la soirée. 

Rachel Willis-Sørensen (Desdemona)

Rachel Willis-Sørensen (Desdemona)

Et depuis le premier duo entre Otello et Desdemone jusqu'à la méditation finale, le lyrisme des solos, duos et ensembles est ainsi magnifié avec profondeur d'autant plus que c'est du très beau chant qui s’épanouit au bonheur de tous. Seule la mécanique des engrenages dramaturgiques manque d’agilité et d’impulsivité, et la noirceur n’est effleurée qu’en surface comme pour privilégier en premier lieu l’adhérence au phrasé de chaque protagoniste.

Galeano Salas (Roderigo), Oleksiy Palchykov (Cassio) et Simon Keenlyside (Iago)

Galeano Salas (Roderigo), Oleksiy Palchykov (Cassio) et Simon Keenlyside (Iago)

Et quel plaisir à entendre Gregory Kunde - superbe et vaillant ‘Exultate !’ - comme si aucune épreuve ne pouvait altérer la souplesse et la suavité juvénile de son chant. Éventuellement, il atténue le son dans les aigus, mais il ne dépareille jamais la douceur du timbre. On ne peut ainsi s’empêcher de penser à l’enivrement qu’il doit ressentir à pouvoir chanter avec une telle grâce à l’âge de 68 ans ! Son Otello est ainsi très clair, viril mais nullement monstrueux, et exprime une forme de sincérité humaine par ses inflexions et les oscillations des lignes vocales dont le discours touche l’âme immédiatement.

Gregory Kunde (Otello) et Simon Keenlyside (Iago)

Gregory Kunde (Otello) et Simon Keenlyside (Iago)

Sa partenaire, Rachel Willis-Sørensen, s’épanche à son égard dans un flot torrentiel de noirceur dramatique qui n’est pas sans rappeler celui de Sondra Radvanovsky par l'ampleur de ses abîmes, ce qui lui permet de dépeindre une splendide Desdemone romantique au rayonnement puissant.

Naturellement, après 3 actes scéniquement déconcertants, c’est au dernier acte et la grande prière recueillie que la contemplation du public se concentre vers elle, conscient qu'il assiste à un grand moment de sensibilité poignante qui fait la valeur d’une telle représentation.

Rachel Willis-Sørensen (Desdemona)

Rachel Willis-Sørensen (Desdemona)

Toujours aussi charismatique, Simon Keenlyside n’a rien perdu de son aisance scénique et se délecte à jouer un Iago calculateur sans le paraître. Il saisit par l’impact de ses accents explosifs verdiens qui se vivent comme un mélange de rudesse et de subtilité diaphane dont il peut tirer un brillant filé qui résonne avec l’héroïsme généreux de Gregory Kunde. Leur duo comporte d'ailleurs une forme de jeu de séduction vocale très finement perceptible.

Parmi les rôles secondaires, Nadezhda Karyazina donne du corps et de la personnalité à Emilia comme rarement il est donné de le voir sur scène, tant son personnage est imprégné d’une ferveur assurée qui dépasse le mélo-dramatisme dont il est plus habituellement empreint. Galeano Salas est un Roderigo aux traits forts et machiavéliques, quant à Oleksiy Palchykov, son Cassio paraît trop léger bien que son jeu soit tout à fait crédible.

Sur les marches du Bayerische Staatsoper à l'entracte d''Otello'.

Sur les marches du Bayerische Staatsoper à l'entracte d''Otello'.

Un ensemble musical qui comporte au final nombre de tableaux fort réussis malgré la réunion tardive des artistes, ce qui est source d’un grand plaisir à entendre des interprètes aux styles et couleurs très différents, et qui réussissent pourtant une alchimie interprétative qui n’était pas courue d’avance de par le peu de temps de préparation laissé à chacun d’eux.

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Publié le 19 Décembre 2018

Otello (Giuseppe Verdi)
Représentation du 15 décembre 2018
Bayerische Staatsoper - Munich

Otello Jonas Kaufmann 
Desdemona Anja Harteros
Jago Gerald Finley 
Cassio Evan Leroy Johnson 
Emilia Rachael Wilson
Roderigo Galeano Salas 
Direction musicale Kirill Petrenko 
Mise en scène Amélie Niermeyer (2018)

Nouvelle production

                                 Anja Harteros (Desdémone)

A l’instar d’Ariane à Naxos en 2015 et Tosca en 2016, les noms de Kirill Petrenko, Jonas Kaufmann et Anja Harteros ont suffi à rendre toutes les représentations de ce nouvel Otello sold-out en très peu de temps, suscitant une attente teintée d’appréhension quant à l’assurance avec laquelle les interprètes principaux allaient investir des personnages dont nombre d’incarnations légendaires de Milan à New-York ont marqué le public du XXe siècle.

Pour complexifier cette entreprise artistique inédite, Amélie Niermeyer a choisi de brosser chaque caractère selon un archétype qui s’éloigne des principales lignes imaginées par Shakespeare, tout en redonnant une cohérence qui converge au final vers un drame identique.

Anja Harteros (Desdémone) et Jonas Kaufmann (Otello) - Photo Bayerische Staatsoper

Anja Harteros (Desdémone) et Jonas Kaufmann (Otello) - Photo Bayerische Staatsoper

L’ouverture est impressionnante, Desdémone attend seule et paniquée dans sa chambre sous laquelle le chœur, dans l’ombre, chante son hymne exalté comme un présage lugubre, jusqu’à ce qu’Otello ne survienne et que Jonas Kaufmann lance un ’Exultate’ non pas exagérément éclatant, mais d’une perfection de style et d’une noire densité où l’air semble comme expirer sur une langue de velours sans la moindre dispersion d’intonation.

Le ténor est en forme, et il pose d’emblée une présence inévitable, mais qu’Amélie Niermeyer a transformé en un être peu vaillant et plutôt dépressif, au bord de la folie, endimanché dans un costume tristement terne.

On se rend compte par la suite que nombre de tableaux, scène du feu de joie, scène du chœur rendant hommage à Desdémone, prennent une allure macabre, et que ce chœur agit un peu comme les sorcières de Macbeth pour prévenir de l’avenir - ce que l’on comprend mieux dans la seconde partie.

Anja Harteros (Desdémone) et Jonas Kaufmann (Otello) - Photo Bayerische Staatsoper

Anja Harteros (Desdémone) et Jonas Kaufmann (Otello) - Photo Bayerische Staatsoper

Le Iago de Gerald Finley est épatant d’aisance scénique, d’autant plus qu’il est représenté comme un amuseur assez éloigné de l’être profondément redoutable et odieux que nous connaissons, et son chant d’une grande clarté expressive s’adapte parfaitement à ce rôle-ci. Et le Cassio d’ Evan Leroy Johnson, tout comme le Roderigo de Galeano Salas, rayonnent sur leur visage d’une joie avivée par un mordant vocal agréablement saillant.

Néanmoins, toute cette première partie, qui se déroule dans un grand appartement où l’on voit en arrière-plan Desdémone se morfondre dans une pièce aux couleurs blafardes, est engagée dans un sens théâtral sans réelle force ni noirceur, et son aspect maladif, appuyé par des lumières verdâtres, rappelle par certains aspects La Dame de Pique mise en scène par Lev Dodin il y a vingt ans à Amsterdam et Paris.

Gerald Finley (Iago) - Photo Bayerische Staatsoper

Gerald Finley (Iago) - Photo Bayerische Staatsoper

La seconde partie est en revanche bien plus réussie car Amélie Niermeyer décrit clairement comment une femme sûre d'elle-même, qu’on pourrait prendre pour une femme d’affaire, va perdre totalement confiance en elle, contaminée par la folie de son époux. La prison mentale de celui-ci devient ainsi la sienne, et la scénographie montre cela en représentant la chambre de Desdémone comme une réduction homothétique de la pièce principale dans laquelle vit Otello.

Cette mise en scène fort cérébrale a cependant le défaut de ne plus montrer une gradation des ressentiments du Maure, car il est malade dès le départ. D'où ce sentiment d'une longue mise en place sans évolution dramatique sensible dans les deux premiers actes.

Gerald Finley, Jonas Kaufmann et Anja Harteros

Gerald Finley, Jonas Kaufmann et Anja Harteros

Desdémone est donc le personnage central, puisqu'elle est présente du début à la fin sur scène, souvent réduite à une présence muette dans la première partie. Son jeu va aussi à rebours de l’image que l’on peut en avoir, car loin de passer pour une femme victime, et poussée à bout par ses insinuations, on la voit s’en prendre à Otello par énervement. 

Et mis à part quelques essoufflements vocaux perceptibles chez Jonas Kaufmann, l’incarnation de ce général d’avance déchu est menée avec une finesse interprétative qui ne force jamais le trait, à jeu égal avec le Iago habile de Gerald Finley - mais que l’on pourrait préférer dans une autre mise en scène qui réduirait moins sa stature -, et Anja Harteros alterne intonations de petite fille et véhémences vocales hors de proportion avant de trouver une unité dramatique captivante dans la seconde partie.

Toutes les voix des seconds rôles sont elles aussi richement colorées.

Kirill Petrenko

Kirill Petrenko

Kirill Petrenko apparaît sous son visage le plus le subtil, accélérant joliment les effets de contrepoint, dramatisant de façon très sporadique, mais faisant également entendre des respirations et des touches sonores inédites, par exemple dans le monologue d'Otello qui suit la scène d’explication avec Desdémone. Cette façon de pousser le discours avec une fluidité, qui sous-tend les artistes sans que l’allant dramatique ne les submerge, agit ainsi comme une langue d’or chaleureuse qui imprègne petit à petit l’auditeur sans qu’il ne soupçonne quasiment plus la présence de l’orchestre, et finit par l’enfermer lui aussi avec la névrose qui s’empare des protagonistes shakespeariens.

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