Publié le 30 Juin 2018

Il Trovatore (Giuseppe Verdi)
Représentation du 28 juin 2018

Opéra Bastille

Il Conte di Luna Vitaliy Bilyy
Leonora Jennifer Rowley
Azucena Ekaterina Semenchuk
Manrico Roberto Alagna
Ferrando Mika Kares
Ines Élodie Hache
Ruiz Yu Shao

Direction musicale Maurizio Benini
Mise en scène Àlex Ollé (2015)

Coproduction Nederlandse Opera, Amsterdam et Teatro dell’ Opera, Roma.

                                                                                                     Roberto Alagna (Manrico)

Au lendemain d’une représentation du Trouvère qui avait réuni une partie de la distribution d’octobre 2003, le chef d’orchestre Maurizio Benini, les solistes Željko Lučić et Sondra Radvanovsky, renouvelée par la présence d’Anita Rachvelishvili et de Marcelo Alvarez, et vouée à une interprétation d’ensemble intense et formidablement engagée, une seconde distribution se mesurait au grand chef-d’œuvre romantique de Verdi.

Il est toujours passionnant de vivre en deux soirs la même œuvre chantée par des interprètes différents, car elle peut modifier la perception des personnages et permettre de découvrir des artistes que l’on connait moins.

Roberto Alagna (Manrico) et Ekaterina Semenchuk (Azucena)

Roberto Alagna (Manrico) et Ekaterina Semenchuk (Azucena)

Première surprise, Maurizio Benini engage l’orchestre dans des fulgurances encore plus vives et un relief encore plus contrasté que la soirée précédente, ce qui permet de passer outre l’immobilité du dispositif scénique paralysé par un mouvement social. La salle, malgré tout bien remplie, est d’emblée prise par l’enjeu scénique, et cela se sent.

L’entrée de Jennifer Rowley, artiste habituée à affronter la grande salle du New-York Metropolitan Opera, et qui fait ses début à l’Opéra de Paris dans le rôle de Leonora, découvre une soprano au chant sensible et réservé dans les échanges confidentiels avec l’Inès impérative d’Élodie Hache, chant rayonnant et intensément projeté quand son cœur s’extravertit librement, et une clarté à peine ombrée qui caractérise une personnalité jeune, passionnée, encore peu tourmentée.  

Jennifer Rowley (Leonora)

Jennifer Rowley (Leonora)

La différence de maturité avec l’impressionnant timbre de bronze de Roberto Alagna, pétri d’affliction, est marquée, d’autant plus que l’ampleur sonore de ce dernier se substitue dorénavant au moelleux du timbre de sa jeunesse. Il joue comme il a toujours joué, entre poses romanesques et gestes démonstratifs à l’écart de ses partenaires.

Puis vient la rencontre avec Azucena, incarnée par le tempérament fauve d’Ekaterina Semenchuk, une bête de scène sensationnelle qu’il est bien difficile d’égaler aujourd’hui.

On se doute, dès la scène d’hallucination, qu’elle sera le personnage central du drame tant il est difficile d’échapper à ce charisme sauvage.

Ekaterina Semenchuk (Azucena)

Ekaterina Semenchuk (Azucena)

Quant à Vitaliy Bilyy, comte de Luna noir d’une belle prestance et encore jeune, et donc dénué du paternalisme verdien de Željko Lučić, il suit une ligne très claire qui l’amène à jouer le rôle d’un arriviste qui se croit tout permis. Et bien que l’on perçoive quelques accents slaves, ceux-ci ne sont pas mis à profit pour exprimer suffisamment une intériorité plus complexe.

L’expérience d’Ekaterina Semenchuk et de Roberto Alagna – qui est invité pour chanter le rôle de Manrico uniquement au cours de cette soirée -, devrait donc déplacer le centre de gravité théâtral sur leur couple mère-fils maudit.

Roberto Alagna (Manrico) et Ekaterina Semenchuk (Azucena)

Roberto Alagna (Manrico) et Ekaterina Semenchuk (Azucena)

Mais alors que le timbre du ténor commence à montrer des faiblesses dans les aigus dès la fin du second acte, les failles s’aggravent à la chapelle de Castellor dans ‘Ah si, ben mio’, si bien qu’il ne peut plus chanter correctement ‘Di quella Pira’ au moment d’aller secourir sa mère.

Et là, une fois l’air achevé, dans un réflexe chevaleresque et d’honneur à la Cyrano de Bergerac, la personne d’Alagna prend la main et indique au chef d’orchestre de se préparer à rejouer l’air, une fois qu’il aura pu boire une gorgée d’eau. Public en liesse, un véritable délire, même si le puriste, calé dans son fauteuil, sait bien que l’artiste n’est pas en mesure de donner tout l’éclat à cet aria redoutable, rien n’empêche pourtant le ténor de bisser ‘Di quella Pira’ plus calmement et avec un meilleur effet, se permettant même, au moment de quitter la scène, de reprendre l’aigu final ce qui excite encore plus l’audience. 

Il Trovatore (Rowley-Semenchuk-Alagna-Bilyy-dm Benini-ms Ollé) Bastille

La soirée bascule à ce moment-là totalement autour de la personnalité du ténor français, puisque cette volonté de ne pas flouer son public va rendre plus délicate la scène de supplice du dernier acte à la prison, et induire une tension chez le spectateur qui se demande s'il va tenir.

Jennifer Rowley réussit brillamment à dramatiser avec une belle technique élancée 'D’amor sull’ali rosee’, Roberto Alagna lui répond vaillamment en arrière scène au cours du 'Miserere', mais il ne peut soutenir les expressions de souffrances de la scène finale sans y mêler par épuisement ses propres limites.

Jennifer Rowley (Leonora)

Jennifer Rowley (Leonora)

Le théâtre et le réel se fondent ainsi dans un ultime souffle, mais le soutien et la bienveillance accordés de la part du public de l’opéra Bastille au chanteur en difficulté, et la reconnaissance de ce dernier à son égard pour lequel il s’est révélé prêt à se brûler, restent comme un des plus beaux témoignages de relation artiste / public auquel il est possible d’assister à l’opéra.

Accueil chaleureux au rideau final, enthousiasme d’Elena Semenchuck envers Roberto Alagna, Jennifer Rowley radieuse, ce soir-là le chœur se sera également épanoui dans une forme exceptionnelle.

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Publié le 29 Juin 2018

Il Trovatore (Giuseppe Verdi)
Représentation du 27 juin 2018

Opéra Bastille

Il Conte di Luna Željko Lučić
Leonora Sondra Radvanovsky
Azucena Anita Rachvelishvili
Manrico Marcelo Alvarez
Ferrando Mika Kares
Ines Élodie Hache
Ruiz Yu Shao

Direction musicale Maurizio Benini                               Anita Rachvelishvili (Azucena) 
Mise en scène Àlex Ollé (2015)

Coproduction Nederlandse Opera, Amsterdam et Teatro dell’ Opera, Roma.

Originellement situés au XVe siècle au Palais Royal d’Aljaferia à Saragosse, dont la tour la plus ancienne datant du IXe siècle porte le nom de « Tour du Trouvère », depuis le succès du roman d'Antonio García Gutiérrez en 1836, les amours contrariés de Leonore et Manrico sont transposés, dans la production actuellement présentée à l’opéra Bastille, en pleine Première guerre mondiale, sur un terrain parsemé de sinistres pierres tombales.

Sondra Radvanovsky (Leonora) et Élodie Hache (Inès)

Sondra Radvanovsky (Leonora) et Élodie Hache (Inès)

Bien que rien n’aide à donner un sens et une compréhension théâtrale forte au drame, la scénographie ajoute cependant une dimension fantastique à ce mémorial en faisant s’élever au-dessus de la scène des blocs de pierre froidement rectangulaires, de façon à représenter des lieux symboliques sous des lumières qui mettent en exergue des fosses sombres et mortifères.

Le tableau le plus visuellement saisissant reste celui de la scène d’hallucinations d’Azucena dont la tonalité orangée des éclairages répond au feu que suggère l’enflammement musical.
Ce cadre austère, mais par moment fort beau en ce qu’il dépeint d’ombres et de désespoir, est heureusement rehaussé par les qualités musicales du chant qui est le point fort de cette reprise et particulièrement de celle présentée lors de la première.

Le choeur des forgerons

Le choeur des forgerons

Car, non seulement les quatre chanteurs et chanteuses principaux montrent un engagement entier et une volonté de donner le meilleur d’eux-mêmes en jetant leur talent sur scène, comme s'ils jouaient pour la première fois, mais chacun d’entre eux atteint également des instants de grâce qui, malgré les difficultés, récompensent leur sens artistique et leur endurance.

Marcelo Alvarez (Manrico)

Marcelo Alvarez (Manrico)

L’ampleur vocale phénoménale de Sondra Radvanovsky, la noirceur crépusculaire d’une tessiture vibrante et chatoyante qui prend la forme d’une plainte torrentielle et spectaculaire de finesse quand les aigus filent leur mystérieux cri sublimé dans l’immensité de la salle, submergent l’écriture verdienne d’un flot hors du commun.

Depuis sa première Leonora en 2003 à Bastille, celles et ceux qui connaissent cette artiste unique mesurent combien la maturité de sa voix n’a en rien effacé la variété de couleurs et de reflets luxuriants qui rendent son empreinte si particulière. Elle joue le mélodrame à fond, et s’attache le cœur de l’auditeur par son magnétisme intérieur frémissant.

Sondra Radvanovsky (Leonora)

Sondra Radvanovsky (Leonora)

Grand chanteur verdien lui aussi, et qui était également présent avec Sondra Radvanovsky lors de la première du Trouvère le 23 octobre 2003, Željko Lučić est un baryton aux accents fortement évocateurs de l’esprit du compositeur parmesan, et son chant diffus, d’une teinte uniforme, est d’une telle souplesse que la douceur des lignes évoque plus nettement l’humanité paternelle d’un Rigoletto, que celle d’un Comte de Luna ferme, violent et dominateur.

Somptueuse naturellement, l’Azucena d’Anita Rachvelishvili a aussi l’opulence généreuse d’une mère nourricière, un mordant adouci par un galbe d’ébène d’une noirceur sensuelle envoutante, un éclat magnifique qui éclot comme par une floraison de printemps, y compris dans le trio final de la scène de la prison.

Anita Rachvelishvili (Azucena)

Anita Rachvelishvili (Azucena)

Et si Marcelo Alvarez a dorénavant une tessiture médium altérée et assombrie par le temps, si l’effort est palpable quand il alterne déclamation virile et déploration sensible, il affiche éperdument une vaillance infaillible, et il suffit qu’il s’installe dans les hauteurs aigües et qu’il s’adresse fièrement à la salle pour éprouver la portée d’une voix encore solaire et insolente. Mais quelle tension au moment du Di quella Pira !, aussi bien de la part d’un orchestre soudainement submergeant que de la part du public, alors que ce n’est pas le passage qui, ce soir, le met le plus en valeur.

C’est en effet dans la grande scène finale qu’il se montre le plus à cœur ouvert, chant d’une magnifique expressivité touchante, et jeu, certes, conventionnel, mais néanmoins guidé par un sens du geste sincère et volontaire.

Marcelo Alvarez (Manrico)

Marcelo Alvarez (Manrico)

Et ce quatuor, engagé comme s’il remettait sur le tapis son expérience et défendait pour la première fois l’œuvre la plus mélancolique de Verdi, est entouré de seconds rôles qui trouvent en Mika Kares un Ferrando aux tonalités de basse subtilement caverneuse, et en Élodie Hache une Inès qui arrive à dessiner de sa voix une plénitude nobiliaire qui s’impose même face à Leonora. Yu Shao ne lâche enfin rien à la vaillance de Ruiz.

Marcelo Alvarez (Manrico) et Anita Rachvelishvili (Azucena)

Marcelo Alvarez (Manrico) et Anita Rachvelishvili (Azucena)

Chœur masculin homogène, fier et puissant, chœur féminin plus fragile dans la scène du couvent, et surtout orchestre énergique, magnifique dans les déroulés langoureux de Tacea la notte placida, galvanisé par Maurizio Benini - qui lui aussi dirigeait Il Trovatore en 2003 - dans les grands moments spectaculaires, sans sacrifier pour autant au beau son rutilant, la représentation de ce soir montre à quel point la popularité d’Il Trovatore ne se mérite que si elle s’accompagne d’une interprétation sans concessions.

Le lendemain soir, la seconde distribution réunit Jennifer Rowley, Ekaterina Semenchuk, Vitaliy Bilyy et Roberto Alagna, mais un compte-rendu séparé lui est dédié.

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Publié le 24 Juin 2018

Don Pasquale (Gaetano Donizetti)
Représentation du 22 juin 2018
Palais Garnier

Don Pasquale Michele Pertusi
Dottor Malatesta Florian Sempey
Ernesto Lawrence Brownlee
Norina Nadine Sierra
Un notaro Frédéric Guieu

Direction musicale Evelino Pido
Mise en scène Damiano Michieletto

Entrée au répertoire

 

                             Nadine Sierra (Norina)

Alors que le premier chef-d’œuvre comique de Gaenato Donizetti, L’Elixir d’Amour, fait dorénavant partie des 30 ouvrages les plus joués à l’Opéra de Paris depuis la nouvelle production de Laurent Pelly arrivée sur la scène Bastille en mai 2006, son second chef-d’œuvre comique, Don Pasquale, fait seulement son entrée au répertoire aujourd'hui, alors qu’il est l'un des cinquante succès des grandes maisons d’opéra partout dans le monde.

Florian Sempey (Malatesta) et Nadine Sierra (Norina)

Florian Sempey (Malatesta) et Nadine Sierra (Norina)

Et il s’agit bien d’une renaissance parisienne, car c’est à Paris, au Théâtre des Italiens installé à la salle Ventadour entre 1841 et 1871 – ce bâtiment, devenu depuis propriété de la Banque de France, se situe à 400 mètres au sud du Palais Garnier - que Don Pasquale fut créé en 1843, puis intégré au répertoire de l’Opéra Comique en 1896.

La production que lui dédie Damiano Michieletto pour cette renaissance tire avantage des techniques vidéographiques dorénavant courantes sur les scènes lyriques, et conditionne même la scénographie qui, afin de ne pas trop obstruer la vue sur l’écran d’arrière scène, représente de façon symbolique la maison de Don Pasquale, dont seule l’armature du toit, quelques portes et meubles isolés en dessinent les contours.

Michele Pertusi (Don Pasquale) et Florian Sempey (Malatesta)

Michele Pertusi (Don Pasquale) et Florian Sempey (Malatesta)

Si les chanteurs gagnent une plus grande liberté de mouvement, leurs voix, elles, ne bénéficient plus d’éléments qui pourraient par effet réfléchissant soutenir leur projection.

S’ajoutent à cela la trivialité des costumes bariolés et l’opposition entre l’univers misérable de Don Pasquale qui se transforme en appartement d’une blancheur éclatante où l’on voit circuler une voiture de luxe, et qui se conclut sur une triste désillusion dans la solitude d’une maison de retraite, comme s’il s’agissait d’une punition.

Norina n’a plus qu’à célébrer sa victoire avec Malatesta, eux deux se reconnaissant au dernier moment comme des personnalités de la même trempe, c'est-à-dire des manipulateurs nés.

Cette conclusion sauve donc l’âme de Don Pasquale et accable, après deux heures de comédie, une jeunesse guidée pas son intérêt ou pas son infantilisme (Ernesto).

Nadine Sierra (Norina) et Lawrence Brownlee (Ernesto)

Nadine Sierra (Norina) et Lawrence Brownlee (Ernesto)

On peut ne pas être d’accord avec cette vision, mais il devient difficile de résister à l’abattage scénique de Nadine Sierra, de bout en bout maîtresse d’une situation qu’elle domine avec une facilité décomplexée réjouissante. D’une patine vocale mat et brune émise comme d’un seul jet vif et transperçant, elle use d’une agilité libérée non dénuée de souplesse pour donner vie à un portrait haut-en-couleur, et est la première à profiter de la vidéo qui l’impose comme personnalité principale de cette comédie.

Amusant effet que ces images qui montrent sa jeunesse éprise de nature et de danses en discothèque et qui enchaînent sur le monde plus guindé et cérébral du public de l’opéra Garnier, soit auquel elle aspire, soit qui symbolise un avenir plus conventionnel et ennuyeux.

Par l’espièglerie de ses piqués et sa classe naturelle, Nadine Sierra donne ainsi l’impression d’incarner une Despina qui a réussi.

Nadine Sierra (Norina)

Nadine Sierra (Norina)

Lawrence Brownlee, dont le rôle d’Ernesto est totalement réduit à l’insignifiance dans cette mise en scène, doit compter sur sa bonhommie et la précision de son phrasé, et réserve un magnifique duo avec sa partenaire dont les couleurs de voix se mêlent naturellement. Et même si elle est fortement éloignée en coulisses, sa romance ‘Com’é gentil’ est un pur moment de rêverie musicale.

Florian Sempey, doué pour ponctuer spontanément chaque action de mimiques expressives qui commentent ce qui se déroule sur scène, laisser fuser le chaleureux rayonnement, viril et homogène, d’un timbre de voix qui a du corps et qu’il impose avec une impulsivité volontaire.

Sa personnalité ne fait que gagner en épaisseur au fil de l’histoire, surtout qu’il bénéficie d’une incarnation et d'une présence qui valorisent le cynisme de son personnage. Mais la célérité de ‘Bella Siccome un angelo’, son premier air d’introduction, ne lui permet pas d’en soigner autant l’ornementation comme il le fit lors de son passage au théâtre antique d’Orange, à l'occasion de la fête de la musique l'année dernière.

Nadine Sierra (Norina)

Nadine Sierra (Norina)

Enfin, Michele Pertusi, toujours d’une grande clarté de diction, donne un côté perpétuellement attachant à Don Pasquale, mais quand on est habitué à l’entendre dans des interprétations rossiniennes, verdiennes ou belliniennes plus sérieuses, quelque chose de sa noblesse de style manque dans ce portrait purement bouffe.

Enfin, la direction musicale d’Evelino Pido, énergique et ample, rend l’entière majesté à une partition dont il soigne les modulations et le lustre en insufflant un rythme voué à l’impact théâtral, richesse de l’orchestration qu’il dégage avec élégance et qui permet à chacun de dépasser l’hétéroclisme du décor. Le charme des couleurs de l'orchestre en est d'autant relevé.

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Publié le 17 Juin 2018

Stéphane Lissner « Pourquoi l’opéra aujourd’hui ? »
Conférence au Collège de France du 14 juin 2018 à 18h30

A l'initiative du Collège de France, Stéphane Lissner était invité à la veille de l'été 2018 à présenter les enjeux et les défis de l'Opéra de Paris au XXIe siècle.

Face au public de l'amphithéâtre Marguerite de Navarre, composé de membres du Collège, de journalistes, de personnels et d'amis de l'Opéra de Paris et de visiteurs passionnés, il a tenu une conférence pendant plus de 80 minutes dont l'enregistrement vidéo est disponible en accès libre sur internet selon le lien suivant :

Afin de faciliter la compréhension et la structure de son discours, celui-ci est fidèlement retranscrit ci-dessous en faisant apparaître les grands thèmes et en surlignant les idées clés. L'indicateur temporel sur l'enregistrement est également associé à chaque chapitre afin de permettre une réécoute immédiate.

Stéphane Lissner - Conférence au Collège de France du 14 juin 2018

Stéphane Lissner - Conférence au Collège de France du 14 juin 2018

Introduction - 05:10

Au moment de célébrer le 350e anniversaire de de l’Opéra Paris, la question du sens, de la mission de notre établissement se pose avec force. A quoi sert l’opéra aujourd’hui ? Quelles sont nos missions en ce début du XXIe siècle ? Et bien au-delà de cette question organique, j’ai eu envie d’interroger avec vous l’existence même du genre lyrique.

Cela m’a fait songer à un ouvrage récent du philosophe Francis Wolff, professeur émérite à l’Ecole Normale Supérieure de la rue d’ULM, intitulé « Pourquoi la musique ? » et au texte de Pierre Boulez de 1963 publié sous le titre « Penser la musique ».

Le philosophe et l’immense musicien disparu il y a deux ans m’ont ainsi soufflé le thème de la conférence de ce soir.

La question de « Pourquoi l’Opéra aujourd’hui ? » se pose indéniablement, et j’irai même jusqu’à dire que je suis chaque jour d’avantage surpris et heureux que ce genre, l’art lyrique, déchaîne les passions et remplisse les théâtres. Le 350e anniversaire de l’Opéra de Paris nous pousse à cet étonnement.

Certes, l’Ancien Régime a légué à notre pays des institutions solides, en particulier dans le domaine de la culture, mais si personne ne peut être surpris à l’idée qu’une Bibliothèque nationale, un musée de référence, le Théâtre français, le Collège de France bien sûr, traversent les siècles, s’agissant d’art lyrique l’étonnement est plus légitime.

L’opéra devrait avoir disparu depuis longtemps.

De fait, dans les années 1950 et 1960, le thème de la mort, ou de la disparition de l’opéra, comme genre, était assez répandu, et les moins jeunes dans l’assistance s’en souviendront

Pierre Boulez, dans un entretien devenu fameux à Der Spiegel, en 1967, avait lancé le débat en invitant à faire sauter les maisons d’opéra. Bien évidemment, Boulez ne voulait rien d’autre qu’appeler à la rénovation du système, à sa professionnalisation, et avertir des risques qu’un monde lyrique routinier et poussiéreux faisait courir au genre même. Boulez avait évidemment raison. Il s’en est expliqué plus en détail souvent.

La pauvreté du répertoire tourné vers le passé, l’absence de création et de renouvellement, l’escroquerie de certaines productions avec ce qu’il appelle des « fantômes de mises en scène », étaient selon lui à l’origine de la crise.

L’opéra était ainsi devenu une chose dévitalisée, par opposition du reste au théâtre où des artistes comme Patrice Chéreau ou Peter Stein réinterrogeaient le contrat entre le spectateur et la scène.

La Schaubühne à Berlin, le Piccolo Théâtre à Milan, le Théâtre de l’Odéon à Paris incarnaient cette modernité avec de véritables succès publics.

Le paradoxe était criant alors que l’Opéra ronronnait dans la routine avec une troupe faible et un répertoire atrophié, le théâtre incarnait l’ « Art total » avec une fusion profonde du texte, de la mise en scène, du jeu des acteurs, des décors ou de la scénographie.

Don Carlos - Saison 2017 / 2018, Opéra Bastille

Don Carlos - Saison 2017 / 2018, Opéra Bastille

Les contraintes et conventions de l'opéra et l'arrivée tardive de la théâtralité -08:56

Première étonnement : l’opéra me paraît concentrer toutes les caractéristiques du summum de la convention dans le domaine artistique.

Cela ne tient pas tant au fait que plusieurs centaines ou plusieurs milliers de personnes se réunissent dans un lieu fermé pendant plusieurs heures, parfois très longues, pour assister à un spectacle - après tout, en 1987, Le Soulier de Satin de Paul Claudel mis en scène par Antoine Vitez dans la Cour d’Honneur du Palais des Papes à Avignon durait une nuit entière.

Et le magnifique 2666 présenté par Julien Gosselin tout récemment nous engageait aussi à un voyage d’une durée exceptionnelle.

L’opéra se caractérise par la convention de la musique chantée, c'est-à-dire l’expression au moyen de paroles chantées qui, l’on en conviendra, n’est pas le mode le plus normal d’expression, que ce soit dans la vie quotidienne ou même dans l’art.

C’est la convention de la partition qui fixe le tempo, qui n’attend pas, et qui en réalité commande aux chanteurs ainsi qu’au metteur en scène. Celui qui imaginerait que Macbeth et sa Lady s’affrontent visuellement en silence pendant quelques secondes au milieu d’un duo devrait renoncer, la partition de Giuseppe Verdi ne le permettant tout simplement pas.

Cette contrainte est intéressante au regard des rapports qui se nouent entre le chef d’orchestre et le metteur en scène, et qui sont propres à l’opéra. Tous deux ont des contraintes, le chef est un interprète là où le metteur en scène doit écrire une page blanche, doit proposer sa vision, si l’on fait abstraction des indications que les compositeurs ont souvent prévu en marge de la partition.

Mais le chef a aussi à sa disposition des possibilités presque infinies d’interprétations.
Le tempo, et l’on sait qu’entre les interprétations de Parsifal de Pierre Boulez et d’Arturo Toscanini la durée varie de plus d’une heure, les nuances, les phrasés lui donnent une marge créative très large. J’avoue sans difficulté que pour Parsifal ma préférence va au tempo plus soutenu qui conserve tout le sens théâtral voulu par le compositeur.

Innombrables sont les auteurs qui, pour la plupart du temps, pour railler l’opéra ont pointé cette bizarrerie. Théophile Gautier, en écrivant cette convention qui nulle part n’est aussi forcée ni aussi éloignée de la nature, ironise, dans son Histoire de l’art dramatique en France en 1859, sur le conspirateur qui recommande le silence en chantant à tue-tête, ou la femme affligée qui exprime son désespoir par des cabrioles vocales.

Le dramaturge russe Vsevolod Meyerhold appelle de ses vœux un drame musical interprété de manière qu’à aucun moment l’auditeur spectateur ne se demande pourquoi les acteurs chantent au lieu de parler. Mais il me semble tout de même que la convention et le contrat avec le spectateur reposent précisément sur l’acceptation de cette bizarrerie.

Certes, l’absence de théâtralité jusqu’au début du XXe siècle explique pour une large part ces jugements. La notion de metteur en scène, elle-même, est tardive, le travail de Gustav Mahler pour la mise en scène à Vienne marque un tournant à l’aube du XXe siècle, mais avant cette période les spectacles étaient réglés par des régisseurs, dont leur rôle principal était d’organiser le bon déroulement du spectacle sans véritable intention dramaturgique.

Sur ce thème, Rousseau, un siècle plutôt, dans la Julie ou la Nouvelle Héloïse, notait déjà que ce mode d’expression constituait une barrière infranchissable pour la plupart des spectateurs, surtout quand l’opéra est chanté en français, les ‘r’ roulés, les finals en ‘e’ interminables, rebutent et excluent les oreilles modernes.

Dans une lettre à Julie, Saint Preux se moque des décors, des coulisses, des peintures dont on voit les effets, et plus encore des cris affreux, de longs mugissements dont retentit le théâtre durant la représentation. On voit les actrices presque en convulsion arracher avec violence ces glapissements de leurs poumons, les poings fermés contre la poitrine, la tête en arrière, le visage enflammé et les vaisseaux gonflés, l’estomac pantelant, on ne sait lequel est le plus affecté de l’œil et de l’oreille. Leurs efforts font autant souffrir ceux qui les regardent que ceux qui les écoutent.

Pour la majeure partie du public, l’opéra est un art impossible, un art qui exclut, un art inabordable qui ne parle plus au cœur et à la raison. C’est le syndrome de la Castafiore dans Tintin, qui avec l’air des bijoux de Faust devenu rengaine tourne l’opéra en ridicule.

Il faudra tenir compte de ce blocage notamment pour le public le plus jeune. Quant à la multiplication des effets bien connue depuis l’époque baroque, Saint Preux l’a regretté sévèrement, le merveilleux n’est fait que pour être imaginé, et l’opéra est un art la plupart du temps bien peu subtil, le plus ennuyeux des spectacles qu’il puisse exister. On montre, on se dépoitraille, on explique, on commente, on ne peut émouvoir.

C’est du reste un sujet d’interrogation pour moi ; je sais que le public aime passer derrière les coulisses découvrir les secrets de fabrication, voir l’artiste chauffer sa voix ou être maquillé.

Les captations pour le cinéma sont un excellent moyen d’atteindre un public le plus large, mais je regrette toujours un peu qu’à l’entracte, à peine les artistes sortis de scène, on les interroge sur leur prestation, sur leur préparation, sur leur agenda futur, la plupart du temps, reconnaissons-le, avec des échanges d’un intérêt limité.

Je considère qu’un spectacle réussi se suffit à lui-même, et qu’il n’a nul besoin de s’appuyer sur des explications, pire, sur des justifications.

Doit demeurer le mystère du spectacle éphémère.

Carmen - Saison 2016 / 2017, Opéra Bastille

Carmen - Saison 2016 / 2017, Opéra Bastille

Les particularités qui font que l'opéra coûte cher - 16:22

Deuxième étonnement, du fait même de cette débauche de moyens conventionnels, l’opéra coute cher, et cumule un nombre de difficultés extrêmement élevé pour qu’un théâtre parvienne à monter un spectacle sur scène.

C’est le cas à l’Opéra de Paris qui n’est pas le plus mal doté, même si l’autofinancement est maintenant supérieur à la subvention.

On imagine sans peine les difficultés souvent insurmontables de compagnies plus modestes, en particulier en région, les métiers sont multiples, il faut un orchestre, des chœurs – des opéras sans chœurs se comptent sur les doigts des deux mains –, il faut des équipes techniques, habilleurs, cintriers, machinistes, une centaine de métiers au total.

Il faut encore des semaines de répétitions, sept ou huit pour une nouvelle production, chaque soir un prototype.

A propos de ces sept à huit semaines de répétitions, il me vient un moment important pour moi lorsque je dirigeais le Théâtre des Bouffes du Nord avec Peter Brook ; Peter m’avait parlé de cette période des sept à huit semaines en me disant, vous voyez, c’est le moment le plus important, c’est le moment où vous devez être avec les artistes, vous devez créer des rapports humains,  et c’est ce moment-là qui reste. Et ce moment de répétition est encore plus important que la réussite elle-même du spectacle.

Exploiter un cinéma, ou un musée, présente aussi des difficultés, mais le spectacle vivant en concentre un très grand nombre, avec une pression et des enjeux particulièrement lourds.

Ces particularités sont inhérentes au genre même dès ses origines. A sa naissance, en Italie, l’opéra cherche à charmer, à enchanter, comme le décrit si bien Jean Starobinski.

Le poète Jean-Jacques Lefranc de Pompignan estimait en 1734 que le merveilleux est l’âme du spectacle lyrique, et l’encyclopédiste Louis de Jaucourt tente une définition dans le même sens : c’est le divin de l’épopée mis en spectacle. Le propre de ce spectacle est de tenir les esprits, les yeux, les oreilles dans un égal enchantement, résume Jean de La Bruyère en 1691.

Logiquement, produire un opéra a toujours été très cher. A l’époque baroque, ce sont les effets de lumière et la machinerie, au XIXe siècle, surtout avec le Grand Opéra de Meyerbeer, le nombre de figurants augmente, on va même chercher un spécialiste de patins à roulettes pour monter Le Prophète dans la salle Le Peletier.

On invente de nouveaux dispositifs d’éclairage, puis, au XXe siècle, c’est l’arrivée des décors en trois dimensions, qui supplantent les toiles peintes, et provoquent une inflation importante des coûts de production. Aujourd’hui, c’est la vidéo, les LED, etc.

L’économiste William Baumol a bien décrit en 1965 cette fatalité des coûts et cette absence de gains de productivité. Produire une Flûte Enchantée aujourd’hui ne coûte pas moins cher qu’à l’époque de Mozart, bien au contraire, alors que les prix des biens de consommation courante, pour ne prendre que cet exemple, s’est effondré. L’opéra coûte cher, et de fait est réservé à des structures faisant appel au soutien public, plus ou moins subventionné, plus ou moins directement, que ce soit par la subvention ou la dépense fiscale encourageant le mécénat.

Cela s’explique par le nombre d’artistes à rémunérer, à l’importance des décors et des costumes, par l’impossibilité de faire payer le prix de revient réel d’une place de spectacle.

A l’Opéra de Paris, s’il n’y avait aucune subvention de l’État,  le spectateur devrait payer sa place à peu près deux fois plus cher qu’aujourd’hui. Le prix moyen de la place d’opéra qui est environ de 100 euros devrait être supérieur à 200 euros, de 10 à 230 euros actuellement, les prix passeraient ainsi de 20 à 460 euros.

Ce coût du genre, très conséquent, est assimilé par le spectateur qui vient voir un spectacle complet et exceptionnel, et cela permet en large part de justifier des tarifs élevés.

Le rôle du metteur en scène dans la démarche créative - 21:30

Je note que le public confond d’ailleurs souvent décors et mise en scène, et que son appréciation se porte en réalité que sur les premiers.

Le metteur en scène est à la tête et au centre d’une équipe artistique, avec un dramaturge, un décorateur, un costumier et un éclairagiste. Tout part en principe de la vision du metteur en scène, de ce qu’il souhaite transmettre au public. Le dramaturge l’aide à formaliser cette vision que le décorateur, le costumier et l’éclairagiste vont concrétiser et mettre en œuvre.

Après avoir travaillé en Espagne, en Italie, en Autriche et bien sûr en France, je suis frappé par les différentes approches entre les latins et les anglo-saxons.

Dans les pays du sud, la démarche créative qui consiste à monter un opéra part d’une approche esthétique et de la recherche de la beauté, c’est le beau qui guide la compréhension de l’œuvre.

Dans les pays anglo-saxons, et plus particulièrement germaniques, c’est le concept de l’œuvre qui conduit à l’esthétique qui est soumise pour ainsi dire au sens. L’esthétique devient alors secondaire et déconcerte encore d’avantage.

Deux exemples me viennent à l’esprit : Giorgio Strehler, pour lequel j’ai une grande admiration, nous a légué quelques productions mythiques. Son Simon Boccanegra est resté dans les mémoires en particulier pour son utilisation de la mer, des voiles et des lumières, et il est difficile de proposer un décor aussi beau et juste. La dramaturgie qu’il a imaginé, son travail de direction d’acteur, s’inscriront dans cette esthétique.

A l’inverse, Claus Guth a bâti son Rigoletto autour d’une idée de Flash-Back et de souvenir du père déchu quant à l’éducation de sa fille. Il a déduit de cette déchéance l’esthétique d’une boite en carton que le clown, fidèle à Victor Hugo, ouvre au début du prélude. La vidéo lui a aussi permis de montrer Gilda depuis son enfance.

Il s’agit bien là d’un concept qui sous-tend toute sa dramaturgie, et cette boite en carton qui représentait le décor, toute simple, a déconcerté le public.

A contrario, ce même public aurait été davantage rassuré par une proposition moins radicale.
Anne Teresa de Keersmaeker, avec Cosi fan tutte, est allée encore plus loin dans la réinvention de la mise en scène. Chaque personnage est joué par deux interprètes, un chanteur et un danseur. Il y a le paraître, ce qui est dit, et l’être qui est la musique et le décor.

On est au cœur du processus de création et, tels les mouvements de l’âme, la musique jaillie.

Cette production, présentée il y a quelques mois au Palais Garnier, était dirigée par Philippe Jordan.

Cosi fan tutte - Saison 2017 / 2018, Palais Garnier

Cosi fan tutte - Saison 2017 / 2018, Palais Garnier

La question des surtitres dans le rapport à la musique et à la mise en scène - 28:29

La relation du public avec la mise en scène a beaucoup évolué depuis plusieurs années, en particulier du fait du développement des surtitres dans les théâtres à propos desquels je voudrais partager mes doutes.

Auparavant, le spectateur regardait et écoutait. Maintenant, il lit également.

Cela pose un problème physique, je dirais presque neurologique, l’opéra exige déjà beaucoup du spectateur, plus que le ballet où il n’y a pas de texte, et plus que le théâtre où il n’y a pas de musique, et voilà que l’on ajoute une sollicitation de plus, puis une supplémentaire avec la vidéo qui se différencie encore de ce qui se déroule sur le plateau.

En un sens, la compréhension du texte est un plus, naturellement, et le jeu des chanteurs sera d’autant plus suivi et apprécié que l’on comprendra les mots prononcés.

A l’inverse, on peut estimer que l’attention du public et sa concentration sur la musique seront détournés par l’écran de sur-titrage sur un axe éloigné de la scène.

Pour forcer le trait, je dirais que par le passé le spectateur préparait d’avantage sa venue dans le théâtre, par une écoute de l’œuvre, la lecture du livret ou au moins d’une analyse.

Le fameux Tout l’Opéra de Gustave Kobbé, pourtant bien incomplet, a formé depuis le début du XXe siècle des générations de spectateurs.

Aujourd’hui, une logique plus consommatrice s’est imposée.

Il faut aussi avouer que bien souvent les livrets ne sont pas d’une qualité poétique extraordinaire, et que suivre mot à mot les échanges de Tosca et Cavaradossi du premier acte de l’opéra de Puccini n’ajoute fondamentalement ni à l’intérêt ni au plaisir.

Avec Patrice Chéreau nous avions trouvé une solution de compromis qui consistait, pour éviter que le regard ne s’évade trop de la scène, à placer les surtitres dans les décors, c'est-à-dire à la hauteur des yeux des spectateurs.

Mais je reste convaincu, comme ce grand metteur en scène, qu’une mise en scène réussie se passe de commentaires, d’intermédiaire, de vecteur, quelle que soit la langue du livret, même si l’on n’en comprend pas chaque mot.

En témoigne l’un des plus beaux spectacles du Palais Garnier donné au cours de ces 30 ou 40 dernières années, l’Orphée et Eurydice de Pina Bausch, une des exigences de la chorégraphe étant qu’aucune de ses œuvres ne soit jamais sur-titrée.

La difficulté à atteindre la perfection en une seule soirée - 31:27

Un troisième étonnement me semble devoir être mentionné ; il vient qu’avec cette somme de contraintes invraisemblables on est presque certain de ne jamais réussir le spectacle.

Car il faut que tous ensemble, au même moment, le chef d’orchestre, les musiciens, les artistes des chœurs, les solistes également acteurs, les équipes techniques à la machinerie ou à la lumière principalement s’approchent d’une forme de perfection.

Moi qui ai commencé ma carrière dans le monde du théâtre, je dois avouer que réussir un spectacle d’opéra est beaucoup plus difficile que réussir une soirée théâtrale ; les paramètres sont très nombreux et les facteurs de problèmes sont innombrables, surtout en tenant compte du tempo et de la partition qui n’attendent pas.

Le problème est que cette perfection est rare, il faut bien le reconnaître, rare pour les artistes - la mezzo-soprano Christa Ludwig affirmait qu’elle n’avait vécu une soirée parfaite que trois ou quatre fois dans toute sa carrière -, rare pour les spectateurs aussi, même si pour la plupart d’entre eux les problèmes techniques, les mille petites difficultés surmontées au cours d’une soirée, passent inaperçus.

Orphée et Eurydice - Saison 2013 / 2014, Palais Garnier

Orphée et Eurydice - Saison 2013 / 2014, Palais Garnier

La tentation d'un regard sur le passé qui ignore le monde contemporain - 32:47

Dernier étonnement, alors que le public est toujours attentif aux nouveautés, l’opéra court le risque, surtout depuis le XXe siècle, de regarder pour l’essentiel vers le passé.

Prenons les compositeurs les plus joués sur les scènes d’opéras, Verdi, Mozart, Puccini, Rossini, Donizetti, Wagner, Bizet, Johan Strauss, Tchaïkovski, et le seul compositeur vivant, Philip Glass, né en 1937, parvient à se glisser parmi les cinquante compositeurs les plus joués.

Côté titres, La Traviata, La Flûte Enchantée, Carmen, La Bohème trustent les premières places.

Certes ces données peuvent varier selon les pays et les époques, Janacek est plus donné au Royaume-Uni qu’en France, les opéras de Franz Schreker tels Die Gezeichneten (Les Stigmatisés) ou Der ferne Klang (Le Son lointain) sont largement inconnus ici et sont très représentés en Allemagne.

Quant à la mode, elle peut contribuer à la reprise de certains titres, les directeurs d’opéras n’hésitant pas à se copier les uns les autres.

Les coproductions internationales, qui voient les théâtres accueillir à tour de rôle le même spectacle, participent de cette homogénéisation regrettable à plusieurs égards, mais souvent indispensable pour des raisons économiques.

Le patrimoine du répertoire pèse lourd, plus lourd me semble-t-il que dans le domaine des arts créatifs et visuels où les musées d’art du XXe siècle et contemporains se sont multipliés.

Rien de tel en matière d’opéra où, au contraire, les grandes redécouvertes esthétiques des cinquante dernières années ont plutôt consisté à remettre au goût du jour le baroque ou même la Rossini Renaissance dans les années 1980.

Comme l’a si bien dit Gustav Mahler, le problème avec l’opéra est que la tradition ressemble plus à l’adoration des cendres qu’à l’entretien du feu sacré.

La frilosité face aux créations contemporaines - 35:03

La création dans le domaine de l’opéra est un vaste sujet. Les opéras de la seconde partie du XXe siècle et à fortiori ceux d’aujourd’hui ont plus de difficultés à trouver leur public et surtout à rester au répertoire lorsqu’il s’agit de création.

Une fois créé, un opéra a du mal à être repris, cela pose sans doute la question de la frilosité des théâtres bien d’avantage que celle des spectateurs qui démontrent un intérêt pour les créations.

Ce poids du répertoire passé dans le domaine de l’opéra est une des particularités du monde contemporain. Pendant tout le XIXe siècle, les créations sont prédominantes et les reprises des plus grands succès minoritaires. Cette inversion des proportions est tout à fait frappante.

De nos jours, la création dans le domaine lyrique, comme plus largement dans le domaine musical, pose il est vrai de sérieuses difficultés.

En peinture, l’abstraction a été admise dans le courant du XXe siècle, elle est pour une large part plus facile à accepter qu’en matière musicale. Il y a dans la peinture, ou la sculpture non figurative, une matérialité en deux ou trois dimensions, une immédiateté de perception.

La musique sollicite d’autres sens et d’abord l’ouïe, plus théorique, plus abstraite, et l’auditeur spectateur perd ses repères harmoniques, et il a du mal à admettre d’autres échelles de son.

A l’écoute d’une partition de Karlheinz Stockhausen, l’auditeur peut accepter de se livrer à des impressions, mais il doit renoncer au plaisir plus immédiat de l’appréciation d’une phrase et encore plus d’une mélodie.

Tout cela explique une partie de la frilosité face aux créations lyriques dans le monde d’aujourd’hui. Fi Nixon in China de John Adams, Quartett de Luca Francesconi ou encore Les Trois sœurs de Péter Eötvös sont entrés au répertoire des opéras du monde, il ne s’agit malheureusement que de très peu d’exceptions.

L’opéra devrait donc avoir disparu depuis longtemps.

La diversité de l'opéra et de son public comme explication de sa survivance - 37:20

Et pourtant ça marche!

Il faut en premier lieu mesurer qu’il est abusif de parler d’opéra comme un genre unique ; l’opéra n’est pas une réalité unitaire. L’opéra est un genre varié presque autant que la littérature, la peinture ou le cinéma, au sein de la musique qui en elle-même pose question de ce point de vue ; l’opéra n’est pas un genre uniforme.

Quel rapport entre le Pelléas et Mélisande de Claude Debussy, l’opéra baroque et ses Aria da capo, Karlheinz Stockhausen, Giuseppe Verdi, Giacomo Meyerbeer, Philippe Manoury ou Thomas Adès ?

Cela fait partie sans doute des stéréotypes trop nombreux, qui circulent à propos de l’art lyrique, trop cher, toujours plein, nos théâtres accueilleraient des spectacles longs, difficiles à comprendre, mais de quoi parle-t-on ?

Si l’opéra existe encore et que les salles sont bien remplies, c’est bien heureusement parce que le public le plébiscite. A l’Opéra de Paris et depuis de nombreuses années, le taux de remplissage moyen est toujours supérieur à 90%. Certes cette moyenne cache des réalités variées, il est vrai que le Wozzeck d’Alban Berg remplit moins bien que La Traviata.

Mais quelques exemples récents comme Only the sound remains de Kaija Saariaho, le Lear d’ Aribert Reimann, ou la création de Trompe-La-Mort de Luca Francesconi atteignent des jauges élevées qui rendent optimistes pour le futur.

La réalité de l’offre lyrique est donc celle de la diversité.

La diversité c’est aussi celle du public. Je ne me lancerai pas dans une forme de typologie, à laquelle un sociologue Claudio Benzecry s’est livré de manière remarquable pour le public du Teatro Colon de Buenos Aires,  mais il est vrai que le fan de Belcanto n’a souvent pas grand-chose en commun avec l’amateur d’opéras du XXe siècle, que certains privilégient Verdi à tout autre compositeur, et que d’autres ne rateraient pour rien au monde un cycle complet de l’Anneau des Nibelungen de Richard Wagner.

Le plaisir particulier de l'opéra et sa secrète alchimie - 39:40

Une fois cette question de la diversité posée, l’opéra me semble présenter une caractéristique fondamentale qui explique sa survivance ou sa vivacité.

L’opéra est un genre qui donne un plaisir particulier, des émotions esthétiques fortes, du moins quand tout fonctionne bien, quand se réalise la secrète alchimie, des alliages heureux, selon l’expression de Francis Wolff.

L’opéra est le mariage de la musique, qui en soit peut donner un grand plaisir, avec d’autres formes artistiques, au point qu’il est difficile de faire la part des choses. On pourrait même ajouter le film, aujourd’hui, avec les vidéos de plus en plus présentes.

Cette alchimie intéresse beaucoup les philosophes, car elle est chimiquement passionnante.

Par cet adverbe, je veux dire que les images, les sons, celui des instruments de l’orchestre, celui des voix chorales ou des solistes chantant seul ou ensemble, le jeu des artistes, des décors, des costumes, des lumières, tout cela se mêle dans le cerveau du spectateur, jusqu’à rendre impossible l’analyse du détail.

Il faut de la part du spectateur une concentration certaine, de la volonté et de la tolérance, pour accepter l’ensemble de ces éléments sans chercher à les différencier, pour faire abstraction, ou même accepter les défauts qui peuvent survenir au cours de la représentation.

Certes, après une soirée réussie on aime détailler les différents facteurs de ce succès, l’orchestre et la lecture du chef, tel ou tel soliste, la puissance de telle scène.

Mais en réalité, l’émotion est d’autant plus forte que l’esprit critique et analytique est pour ainsi dire désarmé et désactivé.

On peut ressentir une émotion particulière à l’écoute de la 7eme symphonie de Beethoven, d’un quatuor de Chostakovitch, du fait que la musique elle-même ne verbalise rien mais sollicite notre imagination.

Grande salle du Palais Garnier

Grande salle du Palais Garnier

Le rapport du texte à la musique - 42:00

A l’opéra, l’émotion vient du mélange de la partition orchestrale et du texte chanté, qui d’une certaine manière contraint d’avantage l’imaginaire du spectateur, plus passif.

Le rapport du texte et de la musique (Melos) est un sujet inépuisable. A son origine, l’opéra veut renouer avec l’expressivité communicative des anciens, avec le spectacle des Grecs où la musique doit représenter et susciter certains états d’âme. La musique est alors une partie d’un art plus vaste fait de poésie et de danse.

Pour Platon, dans La République, la musique est faite de trois éléments, l’harmonie, le rythme et les paroles, et cela donne la force de l’expression.

Cette volonté d’établir un lien entre le texte et la musique est à l’origine de l’opéra, du Recitar cantando. Et dans la préface de son cinquième livre de madrigaux, Monteverdi s’inscrit dans cette lignée de Platon et d’Aristote pour subordonner la forme à l’expression. Le texte doit être le maitre de la musique et non son serviteur.

Monteverdi était étonnamment moderne, on le voit.

Du fait, de nombreux artistes lyriques le soulignent, pour bien chanter ils doivent dire le texte, le porter, le faire comprendre.

Mieux, leur chant est modifié par la parole. C’est vrai pour le lied, la mélodie qui reposent sur la poésie et donc sur les mots, mais c’est vrai également pour l’opéra.

Le travail réalisé en répétition par les solistes, le chef d’orchestre, le metteur en scène, est la clé d’un spectacle réussi. Les plus grands artistes, chefs d’orchestre et metteurs en scène notamment, le savent, et passent énormément de temps avec les artistes, et certains consacrent plusieurs jours à lire le livret avec les solistes sans qu’ils ne chantent une note.

Je me souviens, lorsque nous avions présenté Wozzeck avec Daniel Barenboim et Patrice Chéreau au Théâtre du Châtelet, Patrice est resté une petite semaine avec les chanteurs, autour de la table, à lire le texte, approfondir les personnages, et je dois vous avouer que certains chanteurs sont venus dans mon bureau et m’ont dit ‘Mais on ne chante pas ! il faut que vous lui demandiez que l’on chante !’. En réalité, ce travail qu’il a fait avec ces chanteurs est bien sûr une des clés de la réussite de cette magnifique production.

De la fin du XVIIIe siècle, l’opéra a évolué vers la mélodie avec un poids moins important pour le texte, et on peut même dire que de grands librettistes tels Felice Romani, Eugène Scribe n’étaient pas des génies de la poésie mais plutôt des littérateurs au kilomètre, ce qui a sa noblesse.

Mais dans une certaine mesure la musique instrumentale a suivi la même voie, déconnectée de tout texte, en particulier de tout texte religieux, elle met en avant la composition elle-même, une forme de musique pure. Cette évolution-là n’a pas lieu d’être regrettée, me semble-t-il, elle est aussi à l’origine du plaisir d’une large partie du public.

Ceux qui aiment le plaisir sonore, le belcanto, comme Saint Preux qui décrit à Julie le plaisir de la musique italienne, de la mélodie, de la sensation voluptueuse, ce que j’appelle moi la jubilation vocale, si certains évoquent volontiers cet âge d’or  de l’opéra, force est de constater qu’il s’agit plutôt d’une parenthèse, car dès la fin du XIXe siècle, l’art lyrique évolue vers plus de théâtre avant l’abandon pur et simple des grands arias.

La diversité des plaisirs dans l'opéra - 46:00

Alors pourquoi choisir ?

Rousseau dans son Dictionnaire de la Musique donne sa propre définition de l’opéra qui est holistique. Les parties constitutives d’un opéra sont le poème, la musique et la décoration.

Par la poésie on parle à l’esprit, par la musique à l’oreille, par la peinture aux yeux. Et le tout doit se réunir pour émouvoir le cœur et porter à la fois la même expression par divers organes.

Alors, la question que Richard Strauss pose dans Capriccio, dans la prééminence de la musique ou du texte - Musik nur als Vorwand!, dit Flamand à l’acte I - est largement théorique, et n’est là que pour faire disserter. Prima la musica, Poi le parole !, opéra composé par Salieri en 1786, passe à côté de la réalité de l’opéra.

Une soirée réussie est nécessairement une soirée où les deux se mêlent.

Vaut-il mieux une formidable partition avec un livret raté, ou un sujet puissant que le compositeur aurait maltraité, une mise en scène réussie avec des chanteurs médiocres, ou des artistes lyriques extraordinaires au service d’une dramaturgie bâclée ?

Chaque spectateur se pose la question, lorsque quelque chose n’a pas fonctionné pendant la soirée. Chacun apportera sa réponse, selon ses goûts, car la aussi la diversité est de mise.

De fait, l’opéra comme genre artistique donne des plaisirs de natures très différentes.

Il y a d’abord le plaisir d’une expérience physique, loin de tout esthétisme, à l’opéra on accepte de s’immerger dans une expérience, Tristan und Isolde, la Tétralogie de Richard Wagner sur quatre jours, Moise et Aaron d'Arnold Schönberg, où l’esprit doit accepter de se détacher de la phrase et de la mélodie pour s’immerger dans un bain sonore.

Mais Les Huguenots de Meyerbeer et Les Troyens de Berlioz sont aussi de longs voyages, et je ne suis pas loin de penser que la longueur, si elle rebute certains, est aussi un facteur d’explication de la satisfaction de ceux qui sont arrivés au bout.

Il y a ceux qui ont fait l’Everest, et ceux qui ont expérimenté Einstein on the Beach de Philip Glass sans sortir de la salle.

L’expérience ne vient pas de la durée d’ailleurs ; Elektra de Richard Strauss est un coup de poing dans le ventre en moins de deux heures, sans entracte. Donc si la soirée est réussie, les spectateurs sortent bouleversés. N’est-ce pas le plus extraordinaire de tous les opéras ?

Les chanteurs y participent pleinement, d’abord parce que leur moyen d’expression est physique, la voix et le timbre sont des phénomènes mesurables, qui provoquent une réaction dans les oreilles et le cerveau de leur auditoire.

Et lorsque l’on ajoute l’intensité d’un jeu d’acteurs puissant, l’effet est saisissant.

Moïse et Aaron - Saison 2015 / 2016, Opéra Bastille

Moïse et Aaron - Saison 2015 / 2016, Opéra Bastille

La diversité des publics selon les pays et l'ouverture à tout le répertoire - 49:13

L’opéra est divers, tel est le public.

Certains viennent pour le plaisir du chant et de la mélodie – ils se satisfont d’une belle version de concert, mais ce n’est pas de l’opéra au sens où je viens de le définir, mais de l’art lyrique -, d’autres recherchent la puissance théâtrale et se moquent de la note ratée, de la variation réussie, de la virtuosité. Tous participent au monde de l’opéra aujourd’hui.

Pour continuer à manier le paradoxe, j’oserais dire que la méconnaissance musicale d’une grande partie du public, l’ouverture d’esprit du néophyte peuvent être des atouts. Elle empêche d’être blasé, de passer sa soirée à analyser, à comparer, à critiquer dans tous les sens du terme.

La connaissance de la musique, et encore plus de la voix, joue trop souvent un rôle d’écran entre le spectateur et le spectacle, elle restreint la spontanéité de l’auditeur. 

La perfection vocale est rarissime, et il y a fort à parier que celui qui prête une attention excessive à la note ajoutée, à la variation réussie, à l’intonation à tel instant précis de la partition sera régulièrement déçu, voir frustré.

C’est du reste une des difficultés pour les directeurs de théâtres, comment fabriquer sa propre programmation, quels équilibres, quelles audaces ? Là encore, le paysage est diversifié car une maison d’opéra ne peut être l’égale d’un festival où la prise de risque peut être plus grande, les missions de ces deux types d’institutions sont d’ailleurs différentes.

Mais les différences sont très grandes aussi entre les maisons d’opéra, car le public présente des caractéristiques variées d’un pays à un autre, d’une ville à une autre.

Le public viennois n’a rien à voir avec le public parisien, pour ne prendre que cet exemple.

Le premier retourne volontiers voir le même opéra dans la même production avec ou sans la présence de grands noms du chant, le second aime davantage le spectacle, qu’il ne reviendra pas revoir même deux ou trois saisons plus tard.

Le prix du billet influe naturellement sur ces comportements, et les pays germaniques où les subventions représentent encore les 2/3 des ressources, et permettent donc des prix modérés, encouragent davantage les publics à venir régulièrement dans les théâtres.

Les traditions culturelles jouent enfin un rôle déterminant, notamment par rapport au répertoire. Il y a selon les pays un véritable attachement à certains compositeurs et à leurs œuvres : Verdi à la Scala de Milan, Mozart à Salzbourg, Britten, Haendel en Angleterre ont une place à part.

A Paris, il me semble que c’est le spectacle que l’on attend, donc avant tout le théâtre, sans considération particulière pour tel ou tel compositeur et pour sa nationalité.

Une des difficultés pour donner à l’Opéra de Paris une identité forte vient de là, d’un manque de repères musicaux en France, où nous avons toujours privilégié l’accueil de compositeurs étrangers sans montrer autant de considération pour les compositeurs français.

Hector Berlioz, l’un des plus grands compositeurs français, a été redécouvert au XXe siècle en Angleterre, et représenté principalement dans ce pays depuis. Peut-être sommes-nous, musicalement, les moins nationalistes des européens.

Une chose est certaine, les goûts du directeur ne doivent en aucun cas primer sur le projet et l’institution, qu’il faut se garder de ne programmer pour soi, même s’il faut reconnaître que lorsque l’on aime profondément une œuvre, le choix du metteur en scène et du chef est plus naturel.

Les échanges avec les équipes de productions, depuis la remise de maquettes jusqu’aux derniers réglages des lumières sont plus substantiels et plus enrichissants.

Car le directeur d’un opéra ne doit pas s’arrêter au choix des titres et des artistes, il doit les accompagner, valider leurs choix ou pas, échanger et les soutenir jusqu’à la première.

Il faut que l’opéra tienne compte de la diversité des attentes du public également respectables, il faut proposer du divertissement, l’Élixir d’amour, du Grand Opéra spectaculaire, Don Carlos dans sa version française, du mélodrame, Madame Butterfly,  du théâtre chanté, Wozzeck, de l’opéra russe, tchèque, anglais, à côté des grands titres du répertoire.

La diversité doit guider les choix de programmation d’une maison d’opéra, et il faut absolument se garder de tout dogmatisme et de tout systématisme qui exclut là où, au contraire, l’on doit ouvrir.

Dans les titres, comme dans le recrutement des équipes artistiques, la programmation doit parler au plus grand nombre. Cela ne signifie en aucun cas viser le plus petit dénominateur commun, l’eau tiède, le spectacle passe-partout vu aux quatre coins de la planète, mais aucune proposition, aucune audace, aucun genre ne doit par principe être exclue.

Cela vaut pour toutes les démarches artistiques les plus profondes, les plus intellectuelles même, qui mettent en relation les grandes œuvres et le monde d’aujourd’hui.

Mais j’insiste, les opéras dont l’objectif principal est de divertir et de donner du plaisir par la voix, la mélodie, le lyrisme ont toute leur place.

J’admets qu’il est difficile avec un livret comme celui de l’Élixir d’Amour de proposer une transposition audacieuse et pertinente, une mise en abîme complexe ou une démarche psychanalytique approfondie.

Grâce à cette diversité, il n’est pas interdit d’espérer qu’une partie du public fasse preuve de curiosité, dépasse les préjugés sur tel ou tel répertoire, et aille au-delà de ses préférences naturelles, pour découvrir des titres inconnus.

La relation d’un public avec un directeur de théâtre est une chose très particulière qui se construit dans la durée, je l’ai observé à chacun de mes différents postes. On se découvre, on apprend à se connaître, on s’affronte, on s’apprivoise.

Le risque de la routine existe aussi bien, et j’admire d’une certaine manière un Rudolf Bing qui est resté directeur du Metropolitan Opera de New-York pendant 22 ans ou, mieux encore, un Maurice Lehmann qui dirigea quelques années à l’Opéra de Paris et le Théâtre du Châtelet pendant 36 ans.

Wozzeck - Saison 2016 / 2017, Opéra Bastille

Wozzeck - Saison 2016 / 2017, Opéra Bastille

L'enjeu économique de l'opéra et son expansion dans le monde - 56:40

On estime environ à 23 000 représentations d’opéras données chaque saison dans le monde entier, ce qui fait tout de même, en excluant les intersaisons, près de 100 représentations chaque soir. Chaque saison, l’Allemagne donne 7 000 représentations, les États-Unis 1 700, la Russie 1 500, l’Italie 1 400, l’Autriche 1 200 et la France un peu plus d’un millier dont près de 200 à l’Opéra de Paris.

L’enjeu économique est bien évidemment important, les 14 plus grandes maisons d’opéras du monde cumulent un budget de 1 milliard et 200 millions d’euros.

La Scala de Milan et quelques autres institutions ont réalisé des études qui montrent que chaque euro investi dans le fonctionnement d’une maison d’opéra en rapporte 3 ou 4 fois plus, grâce aux dépenses connexes, nuits d’hôtels, restaurants, etc.

Ces résultats sont saisissants et je regrette qu’ils soient peu pris en compte par les décideurs politiques, quelles que soient les majorités, qui ne voient le spectacle vivant souvent que comme un poste de dépense, et jamais comme un investissement économique donc, mais surtout social.

Au début du XIXe siècle, les titres et les nouveautés s’enchainaient sur les scènes plus ou moins importantes, circulaient de manière incroyable à travers les continents, jusqu’à New-York ou Mexico.

Aller au spectacle était pour la noblesse d’abord et la bourgeoise, à partir de la Monarchie de juillet, et plus encore du Second Empire, l’activité sociale et mondaine principale.

Aujourd’hui, si la situation a très profondément changé, l’art lyrique, certes majoritairement subventionné, représente un enjeu économique réel.

Je suis frappé de voir qu’un véritable besoin d’opéra s’exprime du reste dans le monde entier, bien au-delà de notre Vielle Europe ou du continent nord-américain, et cela signifie quelque chose pour répondre à notre question « Pourquoi l’opéra aujourd’hui ? ».

Les théâtres lyriques ont ouvert en grands nombres ces dernières années, en Chine, notamment à Pékin, Harbin et Shanghai, à Taïwan, en Algérie, au Maroc, dans les pays du Golfe, Oman et Qatar, au Kazakhstan, en Arabie Saoudite et bientôt en Égypte.

Si le Palais Garnier était emblématique de l’aura parisienne à l'heure du second Empire et de l’Exposition universelle, c’est maintenant dans ces pays que ces moyens sont mis sur la table pour créer des opéras.

La raison de cet engouement n’est pas parfaitement évidente, l’intérêt pour l’opéra, notamment en Asie, n’est pas tout à fait nouveau puisque la Scala de Milan a organisé des tournées devenues mythiques, dès les années 50 au Japon, et des villes comme Almaty ou Hanoï ont des théâtres à l’italienne construits il y a d’ailleurs plusieurs décennies, où l’on peut entendre depuis fort longtemps Le barbier de Séville ou Carmen dans la langue locale.

Doit-on voir dans cet intérêt renforcé depuis quelques années une forme d’impérialisme culturel qui reviendrait à exporter nos titres, nos productions et parfois nos chanteurs ?

Un intérêt de ces pays jeunes, et en croissance, pour le dialogue des cultures, un investissement d’avenir dans d’autres formes de tourisme et de développement dont Abu Dhabi serait le fer de lance, la question reste mystérieuse pour moi, même si ce dynamisme est évidemment un élément réjouissant, on le voit pour un art moribond, ou qui devrait être moribond, l’opéra se porte plutôt bien.

Le Barbier de Séville - Saison 2014 / 2015, Opéra Bastille

Le Barbier de Séville - Saison 2014 / 2015, Opéra Bastille

Préférer l'expression à la virtuosité pour attirer de nouveaux spectateurs - 1:00:20

Alors quel avenir, et quel opéra pour demain ?

La question de l’avenir de l’opéra en recouvre en réalité quatre autres.  Quels spectateurs, quel public, quelle proposition artistique, et quel soutien de la puissance publique ?

Quels spectateurs ?

Si je pose la question c’est parce que je suis convaincu, que plus pour tout autre forme d’art, le spectateur, son identité, sa sociologie jouent un rôle majeur et ont responsabilité même dans la réponse que l’on peut formuler.

Comme le genre lui-même, le public, et je l’ai dit, est assez varié. Pour le cœur de notre public, le plus fidèle, les abonnés, les fans d’opéra, je dirais qu’il y a une caractéristique essentielle qui est à la fois un grand défaut et une grande qualité.

Quitte à vous choquer, je pense en effet que le spectateur d’opéra est en moyenne assez conservateur, tout en étant épris de nouveautés et de découvertes dans le même registre, c'est-à-dire, sans trop de surprises qui pourraient le faire sursauter, voir le choquer.

Le spectateur d’opéra compare les versions discographiques, celles qu’il a vu et entendu, et il recule jamais devant le fait d’assister à la vingt-cinquième représentation de son titre préféré, souvent, mais pas toujours, il regrette le passé qui était toujours mieux.

Au stade pathologique, les callasiens, par exemple, renoncent à se rendre au théâtre au prétexte qu’il n’est plus possible de chanter après la Divina Anna Bolena, la Sonnanbula, la Traviata, spécialement à Milan.

J’ai un jour qualifié ces spectateurs de spécialistes de la spécialité, mais il y en a pour tous les arts, il y en a pour certains sports, pour toutes les passions. Ces spectateurs sont minoritaires, mais peuvent contribuer à former l’opinion. Ils peuvent aussi déstabiliser une représentation, je pense en particulier aux partis-pris, et aux comportements de certains spectateurs, on les appelle les loggionisti à la Scala, car ils occupent les loggione, c'est-à-dire la partie la plus élevée de la salle qui, dans l’anonymat de la salle obscure, n’hésitent pas en huant à détruire le travail d’équipes artistiques et celui d’artistes lyriques.

Ce faisant, ils gâchent aussi le plaisir du reste du public, complexé, culpabilisé d’avoir apprécié, et qui au lieu d’applaudir se pose des questions, « ai-je mal compris quelque chose ? », « aurais-mieux fait de ne pas apprécier ? ». Siffler à l’opéra, au-delà des jugements moraux, la question est délicate.

Dès lors qu’une salle ne manifeste jamais par le silence sa désapprobation, je comprends, dans une certaine mesure, que certains ne s’en satisfassent pas et veuillent protester coûte que coûte y compris en hurlant. C’est une réalité humaine qu’il ne sert à rien de regretter.

Pour ces spécialistes, l’esprit de comparaison d’une version à l’autre, d’un spectacle à un autre, s’appuie sur le plaisir de réécouter, de retrouver ce que l’on connait, à l’identique, mais avec quelques altérations.

C’est à chaque fois la même partition, mais c’est toujours différent. Pour reprendre la formule de Bernard Sève, au devenir autre de la musique répond le devenir autre de l’auditeur et du spectateur qui s’enrichit, spectacle après spectacle.

Cette attitude peut parfois surprendre l’observateur, et je fais ici allusion autour du débat des interprétations philologiques de Verdi : on a d’un côté ceux qui souhaitent revenir à la partition expurgée de pratiques plus ou moins ancrées comme celle qui à ajoute, par exemple, un contre-ut à la fin de Di quella pira ! du Trovatore, de l’autre, on a ceux pour lesquels ces pratiques font partie des attentes et du plaisir du public, et probablement des artistes lyriques.

Mais je pose la question : qui s’intéresse au moyen d’attirer un nouveau public et de susciter son intérêt ?

Supprimer ou maintenir un contre-ut est-il un élément de réponse à la question « Pourquoi l’opéra aujourd’hui ? ».  Il me semble pour ma part que non.

J’ajoute qu’il faut toujours penser et décider en fonction de l’artiste.

Je voudrais prendre l’exemple du rondo final du Barbier de Séville que chante le comte Almaviva dans « Cessa di più resistere ». Ces quelques pages, extrêmement difficiles à chanter, ont été remises à l’ordre du jour, je m’en souviens bien au Châtelet, dans les années 1980 par le ténor américain Rockwell Blake. Faut-il donner cet air à tout prix, quitte à mettre l’artiste en danger ? Ou si le soliste ne peut assumer cette page, vaut-il mieux la couper ce qui déplait aux puristes, mais ne porte en réalité pas atteinte à l’œuvre ?

Boulez avait exprimé ces constations de façon imagée, en particulier à partir des amateurs de Meyerbeer ou de Rossini : « ce public fanatique m’évoque une espèce de bourgeoisie Louis-Philipparde qui se réfugie dans un magasin d’antiquité ».

Il est frappant de voir la proximité entre Boulez et Theodor Adorno qui, en 1955, écrivait déjà dans l’Opéra Bourgeois « la plupart du temps la scène d’opéra est comme un musée d’images et de gestes passés auquel se raccroche le besoin de regarder en arrière. C’est ce besoin qui caractérise ce genre de public d’opéra qui veut toujours entendre la même chose, qui subit l’inhabituel avec hostilité ou, pire encore, avec passivité et manque d’intérêt simplement parce que l’abonnement l’y condamne. ».

Bien évidemment je ne reprends pas à mon compte cette provocation, je suis convaincu que l’opéra dans sa diversité à sa place sur les scènes, y compris les compositeurs que Boulez cite, mais ce qui est vrai en revanche c’est qu’il faut absolument rompre avec la logique du magasin d’antiquités, qui n’intéresse pas grand monde, et convaincre avec un projet artistique ambitieux de l’abandonner.

Un autre trait saillant mérite d’être relevé ; le fan d’opéra aime la performance, il ne place pas le théâtre au même niveau que la musique, et redoutent les transpositions proposées par certains metteurs en scène.

Philippe Beaussant a écrit leur manifeste « La Mal-scène » qui dénonce le metteur en scène totalitaire.

Pourquoi cela ? Pourquoi cela ne se passe pas ainsi pour le théâtre dramatique où le public admet que des chefs-d’œuvre comme Bérénice ou Tartuffe soient présentés dans des versions transposées reliées à notre monde contemporain.

La question ne se pose même pas.

Mais, à l’opéra, j’allais presque dire « quoi que l’on fasse », une partie du public manifeste ; une production trop conventionnelle « aucune réflexion, aucune imagination !», une transposition audacieuse « scandale, sacrilège ! ».

La seule explication que j’ai trouvé jusqu’ici est que le public lyrique aime l’odeur du souffre, la cruauté, et c’est notamment le cas dans les opéras latins comme à Milan, le public aime que le prototype échoue, il aime que le chanteur fasse quelque chose d’exceptionnel, ajoute une note, invente une nouvelle variation, ou rate l’air tant attendu.

Le parallèle avec le cirque s’impose. On applaudit le trapéziste moins pour la performance elle-même, à laquelle on s’habitue, que pour le frisson qu’il nous a donné en risquant la chute, voir en tombant. La peur fait vibrer, et l’accident peut rendre le plaisir encore plus pervers, le contrat avec le spectateur est fondamentalement différent de celui qui existe au théâtre, car il y a cette performance, et cette performance je la rapproche, dans une certaine mesure, de la virtuosité.

Depuis l’opéra baroque, on s’interroge sur l’adoration que suscite le virtuose ; il y a eu Farinelli, Paganini, Liszt, dans le domaine de la musique instrumentale, ou les sopranos, Joan Sutherland, Natalie Dessay, Cecilia Bartoli. Le chanteur virtuose dénaturalise la voix qui parle, comme le note Francis Wolff, et on en revient au merveilleux, à l’éblouissant, à la jouissance, guerre musicale souvent, qui rapprochent l’art lyrique de prouesses gymnastiques.

Naturellement, les plus grands, dont ceux que j’ai cités, dépassent la virtuosité propre pour mettre la technique au service de l’expression et donc de la musique.

Rigoletto - Saison 2015 / 2016, Opéra Bastille

Rigoletto - Saison 2015 / 2016, Opéra Bastille

L'élargissement du public et la question du prix à payer - 1:09:50

Quel public pour demain ?

La question du public doit être distinguée de celle du spectateur, qui représente une caractéristique plus globale, par-delà les individus.

Le prix à payer constitue un premier point inévitable, la détermination des tarifs est stratégique dans la volonté d’élargir le public.

Les études démontrent qu’il y a une élasticité prix forte, dès que les prix augmentent l’opéra perd du public ou, du moins, a davantage de difficultés à remplir certains spectacles, et l’élasticité est asymétrique. En d’autres termes, on perd beaucoup plus vite de spectateurs lorsque l’on augmente les prix, qu’on ne les regagne en les baissant.

Quant à la cherté des places, nous nous heurtons à certains préjugés ; bien sûr le prix maximum est toujours trop élevé, 210 euros à Paris, 250 euros à la Scala, 300 au MET à New-York, 320 euros à Covent Garden.

Mais j’insiste sur la relativité de ces jugements, en particulier si l’on compare avec le prix des billets des stades de football ou avec ceux des concerts pop. Peu d’entre eux, qui regrettent les prix trop élevés de l’opéra, savent que sur le million de places proposées à la vente à l’Opéra de Paris, 40% sont vendues à un prix inférieur à 70 euros.

J’ai, dans chacun des théâtres où j’ai servi, mis en œuvre une politique artistique volontariste pour élargir le public, je n’ai donc pas supprimé des pans entiers du répertoire, mais recherché la diversité à travers une exigence théâtrale et musicale.

L’objectif n’a jamais été de remplacer un public par un autre, mais d’adresser des propositions à un public toujours plus large susceptible d’être intéressé.

Il s’agit ainsi moins de renouveler le public, ce qui laisse penser à une forme d’éviction, que de l’élargir. Je l’ai indiqué un peu plus tôt, chaque directeur de maison d’opéra se demande comment il va composer ses saisons et ce qu’il va proposer au public.

L'élargissement du public et la démarche artistique - 1:12:20

Outre la question du répertoire, la démarche artistique me semble fondamentale, pour élargir le public, pour créer de nouvelles œuvres, et aussi pour donner des titres du répertoire.

Alors, quelle proposition pour demain ? 

L’élément essentiel est de rompre avec toute logique muséale. Cela suppose de choisir des titres, avec des équipes artistiques susceptibles d’avoir un regard, d’apporter une vision, de toucher le public. Il est fondamental que les équipes artistiques, et surtout le metteur en scène, parlent au public d’aujourd’hui.

La Traviata, avec la question du conformisme social, Rigoletto, avec la question des rapports entre les hommes et les femmes, sont des questions d’aujourd’hui, pour ne prendre que ces deux exemples verdiens, alors, autant vous le confesser, les seules mises en espace traditionnelles, les mises en scène purement figuratives, malgré une débauche d’effets, de figurants, de décors sont guerre intéressantes, et je ne suis pas sûr non plus qu’elles aident à élargir le public.

Elles reproduisent, pour l’essentiel, une imagerie du passé, et ne montrent en rien comment les grands thèmes évoqués par les librettistes et les compositeurs sont susceptibles d’enrichir le spectateur.

Les transpositions contemporaines ou les mises en scène qui apportent un regard peuvent plaire, intéresser ou déplaire franchement, mais je crois qu’il est dans notre mission de montrer au public que ces œuvres nous parlent, plus d’un siècle après leur création.

Il est vrai que certains cherchent à prendre des libertés invraisemblables avec la partition et les livrets, et j’en ai fait l’expérience souvent dans ma carrière.

Dernièrement, pour préparer Les Huguenots, qui ouvrira la prochaine saison à l’opéra Bastille, j’ai été confronté à un metteur en scène qui voulait couper des passages entiers de la partition, inverser des scènes, pire encore, supprimer un des rôles essentiels, intervertir des parties chantées par des personnages, et bouleverser la partition au final. Nous avons décidé avec le chef d’orchestre de recruter un autre metteur en scène.

Les balcons de la grande salle de l'Opéra Bastille

Les balcons de la grande salle de l'Opéra Bastille

La répartition du lyrique et du chorégraphique entre Bastille et Garnier - 1:14:37

A l’Opéra de Paris, nous avons la chance de disposer de deux théâtres extrêmement différents, qui permettent au directeur de choisir le meilleur écrin pour les œuvres programmées ; la question de la décoration de la salle est un premier facteur.

Au Palais Garnier et à l’opéra Bastille, l’architecture, les volumes, les couleurs de la salle ne sont pas étrangers à la manière avec laquelle le public reçoit le spectacle.

Si en 1875 les journaliste présents lors de l’inauguration avaient critiqué la taille impressionnante du Palais Garnier, en 1989, le curseur s’est déplacé vers le gigantesque vaisseau Bastille encore plus grand. Une répartition hermétique des deux salles entre le lyrique et la danse ne peut légitimement s’ancrer.

Ces architectures résonnent avec des époques, des répertoires, des genres propres au lyrique ou chorégraphique. Le répertoire lyrique continue d’avoir besoin du Palais Garnier, tandis que l’art chorégraphique trouve sur la scène de l’opéra Bastille de nouvelles potentialités, et un public plus large, plus familial, notamment pour le grand ballet classique.

En choisissant de programmer une trilogie Mozart-da Ponte au Palais Garnier, j’ai tenu à sertir les opéras de Mozart dans un cadre acoustique et spatial qui leur conviennent parfaitement, ou en demandant à un metteur en scène de réinscrire La Traviata dans les murs conçus par Charles Garnier, j’ai fait primer un choix artistique; rendre au chef-d’œuvre de Verdi l’intimité de son propos permettra au public de partager la mélancolie de Violetta et la petitesse des sentiments qui l’étouffent.

J’ajoute qu’au Palais Garnier et à Bastille ne se jouent pas les mêmes réflexes culturels, ce qui permet là encore d’élargir la proposition du public. L’opéra Bastille, imaginé et vendu comme un opéra populaire, a formidablement assumé ce rôle en multipliant le nombre de places chaque saison, et en encourageant un public néophyte à oser franchir les portes du Palais Garnier quelques stations plus loin sur la ligne n°8 du métro.

Et la 3e scène, plateforme digitale de création que nous avons initiée en 2015, est un tremplin supplémentaire vers l’une comme vers l’autre.

Face aux enjeux de l‘opéra de demain, Paris et la France ont la très grande chance de disposer d’un tel instrument de création au service de l’art lyrique.

La volonté de la puissance publique de soutenir un service public - 1:17:15

Reste une dernière question fondamentale elle aussi : la puissance publique, en Europe et en France, veut-elle vraiment un opéra pour demain ?

Si l’on est convaincu que l’opéra a un avenir et un public, pour peu que l’on sent donne les moyens dans les choix artistiques, subsiste la question la plus lourde de conséquence, en Europe et tout particulièrement en France.

Est-on certain que l’État veut et va continuer à vouloir subventionner les maisons d’opéra ? On a compris que la réponse à cette question est déterminante.

Aucune entreprise, aucun capital ne viendra s’investir dans une activité structurellement déficitaire et in-susceptible de devenir rentable.

Pour que l’opéra existe dans quelques années, la puissance publique doit admettre qu’il s'agit encore d'un service public, et qu'il ne peut s'agir que d'un service public.

Snegourotchka (La Fille de neige) - Saison 2016 / 2017, Opéra Bastille

Snegourotchka (La Fille de neige) - Saison 2016 / 2017, Opéra Bastille

Pour conclure - 1:18:24

Il me faut conclure.

Par ces propos, j’ai voulu partager une conviction, celle que l’opéra a un avenir, en France, en Europe, et peut-être surtout ailleurs dans le monde, comme de nombreux exemples le montrent à Shanghai ou au Caire.

Pour que l’avenir de l’opéra soit à la hauteur de son histoire, de ses traditions, et surtout pour qu’il relève les quelques défis que j’ai décrit, il faut que les institutions, même les plus anciennes, adoptent une attitude d’ouverture résolue et de modernité. Il faut que tout soit mis en œuvre pour que les plus jeunes bénéficient d’une éducation musicale, et pour faciliter l’accès à ces maisons souvent encore trop intimidantes.

Il faut encore que les équipes artistiques tournent le dos à une logique purement patrimoniale et visent l’excellence, l’innovation, la pertinence et qu’elle refuse toute frilosité.

J’ai donc choisi pour terminer cette intervention un extrait de La Fille de Neige de Rimski-Korsakov, mis en scène par Dmitri Tcherniakov, et dirigé par Mikhail Tatarnikov à l’opéra Bastille.

Cette production incarne à mes yeux ce que l’opéra peut offrir de plus beau au public, la découverte d’une œuvre transposée avec fidélité, pertinence et poésie, par un metteur en scène d’aujourd’hui, et servie par des musiciens d’exception.

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Publié le 7 Juin 2018

Boris Godounov (Modeste Moussorgski)
Version originale de 1869
Répétition générale du 01 juin et
représentation du 07 juin 2018
Opéra Bastille

Boris Godounov Ildar Abdrazakov / Alexander Tsymbalyuk (13 juin - 9 juillet)
Fiodor Evdokia Malevskaya
Xenia Ruzan Mantashyan
La nourrice Alexandra Durseneva
Le prince Chouiski Maxim Paster
Andrei Chtchelkalov Boris Pinkhasovich
Pimène Ain Anger
Grigori Otrepiev Dmitry Golovnin
Varlaam Evgeny Nikitin
Missaïl Peter Bronder
L'aubergiste Elena Manistina
L'innocent Vasily Efimov
Mitioukha Mikhail Timoshenko
Un officier de police Maxim Mikhailov
Un boyard, voix dans la foule Luca Sannai

Direction musicale Vladimir Jurowski / Damian Iorio       Ildar Abdrazakov (Boris Godounov)
Mise en scène Ivo van Hove
Dramaturgie Jan Vandenhouwe

Nouvelle production

On pourrait presque parler d’entrée au répertoire pour la première version originale de Boris Godounov que composa Modeste Moussorgski d’octobre 1868 à décembre 1869, si l’Opéra de Paris n’avait accueilli à la salle Favart il y a tout juste 30 ans, en avril 1988, la production du Théâtre Estonia de Tallin / URSS venue jouer cette version dans la continuité des représentations de la seconde version originale de 1872 qui était reprise à Garnier dans la mise en scène de Petrika Ionesco.

Ildar Abdrazakov (Boris Godounov)

Ildar Abdrazakov (Boris Godounov)

En effet, la reconnaissance de la première version, qui ne comprend ni acte polonais, ni tableau de la révolte dans la clairière de Kromy, ne s’est affirmée que depuis la dernière partie du XXe siècle.

Totalement centrée sur l’âme intérieure du Tsar, elle tire sa noirceur âpre des monologues étendus de Boris, des récits complets de Pimène et Chtchelkalov, de la scène de cathédrale Saint-Basile propre à cette version, et de son orchestration qui privilégie les tonalités sombres.

Scène du couronnement

Scène du couronnement

Mais le chef-d’œuvre de Moussorsgki, toutes versions confondues* – que ce soit la version de 1872 révisée par Rimski-Korsakov, la plus répandue, ou bien la version réunissant celles de 1869 & 1872 réorchestrées par Chostakovitch et jouée à Garnier en 1980 -, est aussi un des rares ouvrages à s’être constamment maintenu parmi les 30 opéras les plus représentés à l’Opéra, depuis son entrée au répertoire et l’interprétation de la troupe du Bolchoï invitée par Diaghilev en mai 1908.

Ildar Abdrazakov (Boris Godounov) et Ruzan Mantashyan (Xenia)

Ildar Abdrazakov (Boris Godounov) et Ruzan Mantashyan (Xenia)

C’est pourquoi cette nouvelle production de Boris Godounov est un évènement dans l’histoire de l’institution parisienne, car elle consacre 110 ans d’immuable fidélité et reconnaissance de la part du public.

Et elle trouve en Ivo van Hove, metteur en scène pour lequel l’œuvre de Shakespeare est centrale, une vision qui respecte l’économie de moyens qui distingue l’écriture de Moussorgski, tout en privilégiant le naturel et le sens du geste théâtral non seulement des solistes mais également des ensembles de chœurs.

Evgeny Nikitin (Varlaam), Elena Manistina (L'aubergiste) et Peter Bronder (Missaïl)

Evgeny Nikitin (Varlaam), Elena Manistina (L'aubergiste) et Peter Bronder (Missaïl)

Un escalier pour seul décor s’enfonce sous terre et remonte à mis hauteur de scène, tout en dressant une perspective en diagonale qui laisse imaginer une montée depuis un point de départ situé à l’infini dans le temps. Un large écran flanqué de deux miroirs surmonte ce symbole d’accession au pouvoir, et y défilent les visages du peuple et de sa jeunesse, des scènes de paysages désolées, et les images mentales torturées du Tsar.

Les réflexions des vidéos donnent ainsi un effet d'immensité qui, pourtant, ne distrait jamais du jeu des chanteurs.

Scène du couronnement

Scène du couronnement

L’ascension seule et solennelle de cet escalier sur la musique du couronnement, bien qu’en apparence simple, est par ailleurs profondément prégnante.

Quelques symboles aristocratiques, couronne et sceptre impériaux, sont utilisés, mais Boris, tout comme sa cour et la Douma, est représenté en habits contemporains, sobres et dignes, permettant une identification immédiate au monde politique d’aujourd’hui.

Tous incarnent une classe sociale privilégiée et supérieure qui craint d’être renversée.

Evdokia Malevskaya (Fiodor) et Ildar Abdrazakov (Boris Godounov)

Evdokia Malevskaya (Fiodor) et Ildar Abdrazakov (Boris Godounov)

Le peuple, lui, est habillé en tenue de tous les jours, et représente une catégorie plus large soumise à ses préoccupations quotidiennes et qui ne peut s’identifier aux régnants.

Il s’agit ici d’une véritable invitation à entrer dans l’âme de chaque protagoniste, afin de permettre à chacun de se projeter dans les motivations du peuple comme dans les convulsions intérieures d’un homme qui se sait différent et choisi pour diriger, mais qui est aussi hanté par le crime qu’il a commis.

Scène populaire

Scène populaire

Cette vision évoque immédiatement celle qu’avait matérialisé en 2006 Johan Simons sur la scène Bastille pour Simon Boccanegra, mais ici la réalisation est plus aboutie, mieux ancrée dans l’architecture et les couleurs du lieu, ainsi que la tonalité de la musique.

Et un tel univers, austère et sans joie, dégage une monotonie sans espoir, mais quelle force surgit du chant des chœurs, et quelle mise évidence de la solitude de chacun, quelle que soit sa fonction !

La nature sanglante des cycles du pouvoir qui s'enchaînent est cependant montrée qu'avec retenue au cours du dernier tableau, et uniquement par des gros plans vidéos qui accentuent surtout le poids de la culpabilité de Boris. L’usurpateur Grigori n'a alors plus qu'à réapparaître avec la foule pour commettre un crime identique en assassinant Fiodor.

Vasily Efimov (L'Innocent)

Vasily Efimov (L'Innocent)

Et en réunissant une quinzaine de solistes venus de l’Est, de Moscou, St Pétersbourg, d’Ukraine et d’Estonie, et même d’Arménie, ayant tous un caractère vocal qui leur est propre, le drame se vivifie d’un engouement fascinant pour des voix qui touchent au plus vrai des aspirations humaines.

Ainsi, même s’il peut paraître trop conforme à l’image d’un vagabond, à genoux, sale et à demi-nu, l’Innocent de Vasily Efimov délie un sens de la déclamation dramatique saisissant, une force de caractère à la fois lunaire et présente plus proche de la volonté douloureuse que de la plainte impuissante. Et il joue pleinement avec les respirations de son corps tel une bête mise à nue.

Maxim Paster (Le Prince Chouïski)

Maxim Paster (Le Prince Chouïski)

Parfaitement reconnaissable dans les rôles de ténors dominants et manipulateurs, Maxim Paster maintient constamment une allure doctorale au Prince Chouïski, diction précise, loin de toute caricature, et timbre empreint d’une subtile langueur caressante.

Et, figuré en looser parti de rien, l’allure d’un être désœuvré qui cherche à se construire, le Grigori de Dmitry Golovnin se révèle torturé, d’une voix jeune mais qui porte en elle une dureté qui dessine un portrait souffrant.

Cette maturité et le fantastique rayonnement vocal de cet artiste tranchent avec l’image que l'on peut avoir d’un jeune homme séducteur et naïf qui doit tout apprendre de la vie.

Dmitry Golovnin (Grigori) et Ain Anger (Pimène)

Dmitry Golovnin (Grigori) et Ain Anger (Pimène)

Grande figure noble et adoucie malgré les vicissitudes du temps qu’il évoque, le Moine Pimène d’Ain Anger est le parfait mélange idéalisé d’autorité et d’humanité tant la perfection du tissu vocal et une certaine clarté ne trahissent aucune altération.

Il respire la jeunesse, et cette magnificence impressionnante crée un contraste avec d’autres interprétations plus sombres mais parfois aussi plus uniformes.

Boris Pinkhasovitch (Chtchelkalov)

Boris Pinkhasovitch (Chtchelkalov)

Dans la même lignée, Boris Pinkhasovitch qui, comme Ain Anger, dispose d’une intervention supplémentaire par rapport à la version originale de 1872, interprète un splendide Chtchelkalov, une force aristocratique d’une ampleur fantastique enrichie d’un timbre fort émouvant. C’est véritablement un caractère qui compte dans cette version.

Ildar Abdrazakov (Boris Godounov)

Ildar Abdrazakov (Boris Godounov)

Ildar Abdrazakov, avec ce goût pour la violence dissimulée sous une apparente fausse patience, fait revivre un Boris finalement assez jeune – nous sommes loin d’assister à un affrontement entre personnalités monstrueuses et hors du temps – riche de noirceur et naturellement doté d’un charisme scénique qui créé spontanément une attache sympathique avec le spectateur.

Impulsif, plus que terrassé par le remords, sa verve vitale dépeint un caractère aussi bien ambitieux qu'immature, ce qui, quelque part, rend probablement plus accessible un rapport d’identification entre son rôle et l’auditeur.

Alexander Tsymbalyuk (Boris Godounov) et Luca Sannai (Un Boyard) - Répétition générale

Alexander Tsymbalyuk (Boris Godounov) et Luca Sannai (Un Boyard) - Répétition générale

Il ne faudra pas manquer l’interprétation d’Alexander Tsymbalyuk, prévue pour deux soirs seulement, plus sensible dans les rapports de tendresse avec ses enfants, et dont l’écart entre la jeunesse et la noblesse de chant est encore plus marqué.

Parmi les personnages secondaires, Maxim Mikhailov fait éclater l’autoritarisme de l’officier de police avec une puissance imparable, Evgeny Nikitin se plie avec joie au personnage bouffe de Warlaam, ce qui lui permet de s’éloigner pour un temps du personnage maléfique de Klingsor qui lui colle tant à la peau, et Mikhail Timoshenko, élève de l’Académie, offre généreusement sa fraîcheur au personnage populaire de Mitioukha.

Ildar Abdrazakov (Boris Godounov)

Ildar Abdrazakov (Boris Godounov)

Son rôle est très court, mais quelle coulée somptueuse et chaleureuse dans le chant de Ruzan Mantashyan, la fille de Boris, alors qu’Elena Manistina montre qu’elle n’a rien perdu de sa fierté et de son authenticité dans la scène de l’auberge.

Le timbre étrange, et pourtant signifiant, d’Evdokia Malevshaya rend finalement le fils de Boris, Fiodor, complètement insaisissable.

Elena Manistina (L'aubergiste)

Elena Manistina (L'aubergiste)

Et les chœurs, terriblement survoltés comme pour créer un choc brutal au public lorsque le peuple demande désespérément du pain aux Boyards, une puissance phénoménale et charnelle inoubliable, traduisent également finement les soupirs éthérés et spirituels du peuple évanoui dans les coulisses.

Quant au chœur des enfants qui harcèle l’Innocent, il paraît plutôt sage, alors qu'il pourrait exprimer encore plus de cruauté et montrer ce qu’il y a de démoniaque dans une jeunesse livrée à elle même.

Ildar Abdrazakov (Boris Godounov)

Ildar Abdrazakov (Boris Godounov)

Pour embrasser et canaliser cette énergie humaine dans sa totalité, Vladimir Jurowski exalte le panache d'une partition née du génie de Modeste Moussorgski en une seule année, une fugacité surprenante, une maitrise des coups d’éclats volcaniques et spectaculaires qui n’écrasent ni le son de l’orchestre ni l’impact des solistes et qui, au contraire, s’en trouvent galvanisés.

Effets glaçants, ombres vivantes au corps dense et fluide, sa lecture svelte donne de l’élan et une modernité à la partition qui ne font en aucun cas regretter la seconde version et ses révisions, car on se sent entièrement pris dans une autre œuvre qui porte un regard direct sur l’intériorité d’un homme au destin proche des grands héros tragiques et shakespeariens.

Boris Godounov (Abdrazakov-Tsymbalyuk-Anger-Golovnin-Paster-dm Jurowski-ms van Hove) Bastille

*Pour plus de détails, les deux versions de l’œuvre et ses révisions sont décrites sous le lien suivant Les deux versions originales de Boris Godounov composées par Moussorgski en 1869 et 1872 et ses révisions.

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Publié le 5 Juin 2018

Modeste Moussorgski travailla sur Boris Godounov entre octobre 1868 et décembre 1869, mais le Comité de lecture des théâtres impériaux rejeta son opéra en février 1871, principalement à cause de l'absence de rôle féminin central et d'histoire d'amour.

Il reprit donc son travail et acheva fin juin 1872 sa seconde version, dite également 'originale', auquel il ajouta l'acte polonais et la scène de révolte dans la forêt, au prix de la suppression du tableau de Saint-Basile dont il sauvegarda toutefois les complaintes de l'innocent.

Cette seconde version fut cependant elle aussi rejetée dans un premier temps par le Comité en octobre 1872, et c'est finalement le 27 janvier 1874 qu'elle fut exécutée pour la première fois au Théâtre Mariinsky de Saint-Pétersbourg, mais avec des coupures. La scène de Kromy sera par ailleurs censurée en 1876.

Boris Godounov - version 1869 - Mise en scène Ivo van Hove, Opéra de Paris 2018

Boris Godounov - version 1869 - Mise en scène Ivo van Hove, Opéra de Paris 2018

La musique de Moussorgski étant estimée comme inaboutie par ses successeurs, aux deux versions originales de 1869 et 1872 vont ensuite s'ajouter, après la mort du compositeur en 1881, de multiples versions réorchestrées.

On distingue comme révisions :

- Les versions de 1896 (partiellement) puis 1908 (complètement) de Rimski-Korsakov qui reprennent l'écriture musicale de la version de 1872, mais en inversant les deux derniers tableaux de la révolte et de la mort de Boris au Kremlin.  Ces versions sont par la suite complétées en 1924 par la réorchestration de la scène de Saint-Basile selon Ippolitov-Ivanov. A la sobriété de Moussorgski se substitue un adoucissement des lignes musicales et un renforcement des percussions et des cuivres de l'orchestre.

- La version de Chostakovitch de 1940 qui réorchestre la réunion des deux versions de 1869 et 1872 réalisée par Lamm en 1928. La réécriture musicale est jugée bien moins subtile que l'original.

D'autres versions,  Melngailis (1924) - version 1872 - , Rathaus (1953) - réunion des deux versions de 1869 et 1872 - n'ont duré que le temps de leur création.

Ces révisions ne reprennent que la dramaturgie musicale et n'ajoutent en revanche aucun élément dramaturgique littéraire.

Le graphique qui suit représente de manière synthétique le découpage en tableaux des 2 versions originales de Boris Godounov.

Le fond orange désigne les passages de la version 1869 conservés en 1872, et éventuellement modifiés.
Le fond hachuré désigne les passages de la version 1872 remaniés par rapport à 1869
Le fond orange foncé désigne les passages de 1869 dont la musique est totalement différente en 1872
Le fond rose clair désigne les passages de la version 1869 supprimés en 1872
Le fond vert désigne les nouveaux passages de la version 1872
Le fond rouge-marron désigne les passages qui furent déplacés lors du passage de la version de 1869 à 1872 (complaintes de l'innocent)

Les deux versions originales de Boris Godounov composées par Moussorgski en 1869 et 1872 et ses révisions
Les deux versions originales de Boris Godounov composées par Moussorgski en 1869 et 1872 et ses révisions
Les deux versions originales de Boris Godounov composées par Moussorgski en 1869 et 1872 et ses révisions
Les deux versions originales de Boris Godounov composées par Moussorgski en 1869 et 1872 et ses révisions
Les deux versions originales de Boris Godounov composées par Moussorgski en 1869 et 1872 et ses révisions
Les deux versions originales de Boris Godounov composées par Moussorgski en 1869 et 1872 et ses révisions

La version la plus courte est celle de 1869. Elle est toujours régulièrement jouée. Ainsi peut-on l'entendre à Munich dans la mise en scène de Calixto Bieito, et c'est cette version que l'Opéra de Paris va interpréter en 2018 à Bastille dans une nouvelle production d'Ivo van Hove.

Elle comprend plusieurs passages qui seront supprimés pour la version de 1872. Ces passages sont principalement :

- La fin du premier tableau du prologue où le peuple se donne rendez-vous au Kremlin
- Le 3e récit de Pimène qui décrit le meurtre de Dmitri et la nomination de Boris
- Le tableau de la cathédrale de Saint-Basile
- Le discours de Chtchelkalov à la Douma des Boyards
- L'entrée de Chouïski qui suit la mobilisation des Boyards
- L'introduction du récit de Pimène qui suit
- Des passages de la mort de Boris

Durée approximative : 2h15

La version originale de 1872 comprend, en compensation des passages supprimés depuis 1869, les passages suivants :

- Ajout de la chanson des canards dans la scène de l'auberge
- Ajout de la chanson des enfants dans les appartements du Tsar
- Ajout de la scène du perroquet dans les appartements du Tsar
- Ajout des deux tableaux de l'acte polonais
- Ajout du tableau de la révolte dans la clairière de Kromy

L'acte II est par ailleurs considérablement révisé et la musique de ses deux dernières scènes est totalement différente de la version de 1869. Quant à l'acte I, des retouches font apparaître le chœur des moines pendant le récit du cauchemar de Grigori et une élongation de l'ouverture du second tableau.

Durée approximative : 3h00mn

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Publié le 1 Juin 2018

TV-Web Juin 2018 - Lyrique et Musique

Chaînes publiques

Dimanche 03 juin 2018 sur Arte à 23h55
Astor Piazzolla, Tango Nuevo

Lundi 04 juin 2018 sur Arte à 00h45
La Création (Haydn) - ms La Fura dels Baus - Insula Orchestra - dm Equilbey

Lundi 04 juin 2018 sur France 3 à 02h15
Le Lac des Cygnes (Tchaikovski) - chr. Grigorovitch - Théâtre du Bolchoï

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Dvorak, Bernstein, Chostakovitch - dm Rattle

Lundi 11 juin 2018 sur Arte à 00h30
Simon Rattle et l'orchestre Philharmonique de Berlin, une ère de musique

Lundi 11 juin 2018 sur Arte à 01h20
Mozart, Beethoven

Uchida, Kühmeier, Connoly, Brelik, Boesch - dm Rattle

Dimanche 17 juin 2018 sur Arte à 18h20
Mozart, une Académie pour les sœurs Weber

Devieilhe, Ensemble Pygmalion, dm Pichon

Lundi 18 juin 2018 sur Arte à 00h20
Cosi fan tutte (Mozart) - ms Honoré - dm Langrée

Ruiten, Lindsey, Piau, Prieto, Di Pierro

Mercredi 20juin 2018 sur France 3 à 20h55
Musique en Fête aux Chorégies d'Orange

Jeudi 21juin 2018 sur Arte à 20h55
Macbeth (Verdi) - ms Harry Kupfer - dm Barenboim - Staatsoper Berlin

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Jeudi 21 juin 2018 sur France 2 à 20h55
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Vendredi 22 juin 2018 sur France 2 à 00h05
Hip-Hop symphonique - orchestre Philh. de Radio France - dm Gilbert

Dimanche 24 juin 2018 sur Arte à 18h20
L'Alhambra en musiques

 

Mezzo et Mezzo HD

Vendredi 01 juin 2018 sur Mezzo HD à 21h00
Alcina de Haendel au Festival d'Aix en Provence

Samedi 02 juin 2018 sur Mezzo à 20h30
Don Giovanni de Mozart au Festival d'Aix-en-Provence

Dimanche 03 juin 2018 sur Mezzo HD à 21h00
William Christie dirige Hippolyte et Aricie de JP Rameau à Glyndebourne

Mercredi 06 juin 2018 sur Mezzo à 20h30
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Vendredi 08 juin 2018 sur Mezzo HD à 21h00
L'Enlèvement au Sérail de Mozart au Festival de Glyndebourne

Samedi 09 juin 2018 sur Mezzo à 20h30
Alcina de Haendel au Festival d'Aix en Provence

Dimanche 10 juin 2018 sur Mezzo HD à 21h00
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Vendredi 15 juin 2018 sur Mezzo HD à 21h00
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Jonas Kaufmann et Bryn Terfel chantent La Damnation de Faust de Berlioz à l'Opéra de Paris

Dimanche 17 juin 2018 sur Mezzo HD à 21h00
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Mercredi 20 juin 2018 sur Mezzo à 20h30
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Vendredi 22 juin 2018 sur Mezzo HD à 21h00
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La Traviata de Verdi au Festival de Glyndebourne

Mercredi 27 juin 2018 sur Mezzo à 20h30
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Vendredi 29 juin 2018 sur Mezzo HD à 21h00
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Falstaff de Verdi dirigé par Daniele Gatti à l'Opernahaus de Zurich

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Juliette (Opéra de Prague) jusqu'au 02 juin 2018

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Philippe Jordan dirige les symphonies n°3 & 6 de Tchaïkovski jusqu'au 15 août 2018

Eros et Psychée (Polish National Opera) jusqu'au 20 août 2018

Guerre et Paix (Théâtre Mariinsky) jusqu'au 25 août 2018

Lessons in Love and Violence (Covent Garden) jusqu'au 25 août 2018

Roméo et Juliette et Le Château de Barbe-Bleue (Helsinski) jusqu'au 13 septembre 2018

Cavalleria Rusticana & Pagliacci (La Monnaie) jusqu'au 13 septembre 2018

Aida (Royal Swedish Opera) jusqu'au 16 septembre 2018

Blaubart (Komische Oper) jusqu'au 16 septembre 2018

La Légende du roi Dragon (Opéra de Lille) jusqu'au 18 septembre 2018

Tristan und Isolde (Staatsoper de Berlin) jusqu'au 18 septembre 2018

Macbeth (Staatsoper Berlin) jusqu'au 18 septembre 2018

Parsifal (Opera Ballet Vlaanderen) jusqu'au 20 septembre 2018

Le Radeau de la Méduse (Opéra d'Amsterdam) jusqu'au 25 septembre 2018

La Favorite (Maggio Musicale Fiorentino) jusqu'au 25 septembre 2018

Philippe Jordan dirige les symphonies n°2 & 4 de Tchaïkovski - jusqu'au 28 septembre 2018

Manon Lescaut (Opéra Royal de Wallonie) jusqu'au 29 septembre 2018

Lucia di Lammermoor (Opéra de Lausanne) jusqu'au 05 octobre 2018

Il Corsaro (Palau de las Reina Sofia) jusqu'au 07 octobre 2018

La Traviata (Den Norske Opera & Ballet) jusqu'au 13 octobre 2018

Il Terremoto (Festival Misteria Paschalia) jusqu'au 18 octobre 2018

Fra Diavolo (Théâtre de l'Opéra de Rome) jusqu'au 20 octobre 2018

Kein Licht (Opéra Comique) jusqu'au 20 octobre 2018

Don Giovanni (Teatro La Fenice) jusqu'au 21 octobre 2018

Lohengrin (Théâtre Royal de la Monnaie) jusqu'au 25 octobre 2018

La Donna del Lago (Opéra de Lausanne) jusqu'au 26 octobre 2018

The Beggar's Opera (Bouffes du Nord) jusqu'au 28 octobre 2018

Norma (Opéra Royal de Wallonie) jusqu'au 29 octobre 2018

Semele (Komische Oper Berlin) jusqu'au 11 novembre 2018

Nabucco (Opéra de Lille) jusqu'au 26 novembre 2018

Salomé (Opéra d'Amsterdam) jusqu'au 06 décembre 2018

Boris Godounov (Opéra National de Paris) jusqu'au 07 décembre 2018

Norma (Teatro de la Fenice) jusqu'au 07 décembre 2018 (Opéra vision)

La Nonne sanglante (Opéra Comique) jusqu'au 18 décembre 2018

Don Pasquale (Opéra National de Paris) jusqu'au 19 décembre 2018

Madame Butterfly (Festival de Glyndebourne) jusqu'au 21 décembre 2018

Le Devin du village (Opéra de Versailles) jusqu'au 29 décembre 2018

La Passion selon Saint-Jean (Philharmonie) jusqu'au 31 décembre 2018

 

Carmen (Opéra Royal de Wallonie) jusqu'au 03 février 2019

Butterfly (Opéra de Limoges) jusqu'au 11 mars 2019

Le Couronnement du Roi à Versailles (Chapelle du Château de Versailles) jusqu'au 12 mars 2019

Les Noces de Figaro (Opéra Royal de Wallonie) jusqu'au 11 avril 2019

Orlando Furioso (Teatro de la Fenice) jusqu'au 12 avril 2019

Norma (Teatro de la Fenice) jusqu'au 19 mai 2019 (Culturebox)

Macbeth (Opéra Royal de Wallonie) jusqu'au 14 juin 2019

The Rake'sProgress (Festival d'Aix-en-Provence) jusqu'au 10 juillet 2020

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Rédigé par David

Publié dans #TV Lyrique