Publié le 22 Novembre 2022
Stiffelio (Giuseppe Verdi – 1850)
Edition critique de Kathleen Kuzmick Hansell (2003)
Représentation du 20 novembre 2022
Opéra de Dijon - Auditorium Robert Poujade
Stiffelio Stefano Secco
Lina Erika Beretti
Stankar Dario Solari
Raffaele Raffaele Abete
Jorg Önay Köse
Dorotea Julie Dey
Federico Jonas Yajure
Figurants :
Fritz Jean-Christophe Sandmeier
Dame Véronique Rouge
Direction musicale Debora Waldman Raffaele Abete (Raffaele)
Mise en scène Bruno Ravella (2022)
Orchestre Dijon Bourgogne
Chœur de l’Opéra de Dijon
Coproduction Opéra national du Rhin
16e opéra du compositeur, 'Stiffelio' est aussi le premier opéra de Giuseppe Verdi qui soit en phase avec son temps. Il survient après 'La battaglia di Legnano', son plus puissant opéra patriotique créé le 27 janvier 1849 à Rome, quelques mois avant l'arrivée des Français venus contrer l'avancée des Autrichiens, ce qui aboutira au retour de Pie IX et au rétablissement des anciennes institutions, et après 'Luisa Miller', créé à Naples le 08 décembre 1849, avec lequel il abandonne les grands sujets historiques et héroïques pour se concentrer sur un portrait intimiste.
'Stiffelio' s'inscrit ainsi dans la continuité de 'Luisa Miller', tout en étant emblématique des dernières années du pouvoir temporel de l'église catholique par la manière dont l'ouvrage sera défiguré, dans le texte autant que dans la mise en scène, pour ses références à la religion, même si l’intrigue se situe dans une communauté allemande protestante du début du XIXe siècle.
Plusieurs années après la création inévitablement décevante le 16 novembre 1850 à Trieste, Giuseppe Verdi entreprendra de remanier ‘Stiffelio’ en transposant l’action au retour de la troisième croisade et en faisant du prêtre un guerrier. Cette nouvelle version s’intitulera ‘Aroldo’ et sera créée sans succès à Rimini le 16 août 1857.
Redécouvrir ‘Stiffelio’ sur scène est donc un véritable évènement – il n’est programmé cette saison qu’à Dijon et Aix-la-Chapelle – qui permet d’entendre un chaînon signifiant de l’histoire créative du musicien. Et lorsque l’on connaît les ouvrages qui suivirent, on se prend à identifier de façon très touchante les prémisses d’airs et de caractères qui seront ultérieurement développés - on peut par ailleurs remarquer que l’Opéra national de Paris n’a joué depuis les 10 dernières années que les 12 grands titres de Giuseppe Verdi créés après ‘Stiffelio’ -.
La production de Bruno Ravella présentée à l’Opéra de Dijon dans le grand Auditorium a été jouée à Strasbourg en octobre 2021. Elle repose sur un décor centré sur une petite église en bois surmontée d’une croix à son entrée avec, en arrière-plan, une projection vidéographique d’un ciel sombre et orageux.
Le jeu d’acteur, de facture conventionnelle, suit l’intrigue naturellement, et la scénographie fait appel à des images religieuses immédiatement saisissantes telles celle de la Cène, ou bien, ce qui est plus inattendu, à celle du déluge final et à la marche de Jésus sur l’eau – la scène est totalement recouverte d’eau au final -.
Mais seuls deux portraits sont significativement dépeints, celui de Stiffelio, pasteur d’une secte protestante trompé par sa femme, qui est en lutte avec sa difficulté de voir la réalité et avec sa volonté de s’accrocher à un idéal spirituel, et Stankar, le père de Lina, qui est beaucoup plus soucieux de son image sociale au point de ne plus maîtriser ses impulsions violentes. Il annonce, par son esprit de manigance hypocrite, le futur Germont de ‘La Traviata’.
Dario Solari fait de ce personnage peu sympathique une authentique figure verdienne avec son chant d’une superbe ligne, quasiment sans altération. La longueur de souffle, l’homogène tessiture aux teintes fumées et sa stature fière et austère apportent à son chant une grande intensité qui crée une attachante résonance avec un imaginaire pittoresque nostalgique.
Autre grand interprète qui fut un habitué des rôles verdiens de l’Opéra Bastille pendant une décennie, Stefano Secco trouve en Stiffelio une personnalité d’envergure qui lui donne l’occasion de fouiller avec une grande force théâtrale les ressorts d’une âme solide mais torturée par la situation qu’il vit. Le ténor italien dispose d’une médium riche et chantant et d’une belle vaillance dans les aigus, certes à l’éclat plus mat qu’il y a quelques années, mais toujours avec style, et la profondeur de son incarnation traduit une grande maturité interprétative. Le public ne s’y est pas trompé et a salué justement un tel engagement.
A ses côtés, Önay Köse fait vivre un Jorg jeune, sérieux et bienveillant d’une sombre douceur, et Erika Beretti subit de manière très mélodramatique la situation, en décrivant Lina comme une femme encore un peu adolescente, une sorte de Gilda, la fille du futur ‘Rigoletto’, dont on peine à croire qu’elle se soit vouée à l’adultère. Voix claire, corsée et agile, elle exprime fragilité et détresse, et reste mesurée dans son jeu.
Son amant, Raffaele, est incarné par Raffaele Abete, ténor napolitain au doux médium légèrement introverti, dont on peut trouver un peu étrange le flegmatisme dont il imprègne son caractère.
Les autres partenaires, Julie Dey, en Dorotea, et Jonas Yajure, en Federico, se glissent aisément dans le fil de l’action, et contribuent au charme de cette peinture d’un milieu où tout doit être précisément à sa place.
Le chœur de l’Opéra de Dijon brille par sa force déclamatoire et sa chaleur d’ensemble, et Debora Waldman conduit l’Orchestre Dijon Bourgogne dans un discours ample et vivant où les cuivres au son policé se détachent très nettement.
La souplesse du geste préserve un ressenti couvert dans les passages où l’orchestration s’emballe, les détails fins des cordes s’inscrivent plus en filigrane, mais l’acoustique généreuse de l’auditorium avantage le rayonnement des chanteurs et la nature immersive de l’interprétation musicale.
Pour celles et ceux qui affectionnent la personnalité entière de Giuseppe Verdi et l’évolution de sa démarche créative tout au long de sa vie, entendre cette œuvre dans des conditions qui lui font honneur procure la joie d’avoir ressenti et apprécié une facette peu dévoilée du compositeur autour de ses questionnements sur la foi.