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Publié le 23 Décembre 2024

La Reine des neiges (Aniko Rekhviashvili – Kyiv, version originale 2016)
Version remaniée du 23 décembre 2022 ( Kyiv)
Livret d’Aniko Rekhviashvili et Oleksiy Baklan
Représentation du 21 décembre 2024
Théâtre des Champs-Élysées

La Reine des neiges Iryna Borysova
Gerda Tatyana Lyozova
Kai Yaroslav Tkachuk
Et aussi Kateryna Kurchenko, Oleksandr Skultin, Olena Karandeeva, Ivan Avdievskyi, Tetiana Sokolova, Kateryna Didenko, Maria Kirsanova, Clément Guillaume, Nikita Kaigorodov, Olesya Vorotniuk, Natalya Yakymchuk, Oleksiy Shidkyi, Denis Turchak
Corps de ballet de l’Opéra national d’Ukraine.

Direction musicale Sergii Golubnychyi
Orchestre Prométhée

Diffusion sur France 5 le vendredi 03 janvier 2025 à 21h05 (durée 1h40)

Inspiré par le Conte de Hans Christian Andersen ‘La Reine des neiges’ (1844), le ballet chorégraphié par Aniko Rekhviashvili (1963-2019) connut sa première à l’Opéra de Kyiv le 03 juillet 2016 sous la direction d’Oleksiy Baklan.

Son livret ne reprend pas l’intrigue originale mais la réadapte pour lui donner une résonance plus actuelle en racontant l’histoire de Gerda partie à la recherche de son ami, Kay, dont le cœur a été changé en glace par la Reine des neiges, femme très sûre d’elle qui a été fascinée par le jeune homme.

Iryna Borysova (La Reine des neiges) et Yaroslav Tkachuk (Kai)

Iryna Borysova (La Reine des neiges) et Yaroslav Tkachuk (Kai)

Sur son parcours, la jeune Gerda rencontrera un jardin magique, deux corneilles, un Prince et une Princesse tout juste mariés, puis des voleurs, avant d’atteindre le Palais glacé de la Reine des neiges où la pureté de la jeune fille viendra à bout du sortilège.

Tatyana Lyozova (Gerda)

Tatyana Lyozova (Gerda)

Initialement, la trame musicale de ‘La Reine des neiges’ était conçue sur un assemblage de musique de Piotr Ilitch Tchaïkovski, Anatoli Liadov, Alexandre Glazounov, Arthur Rubinstein, Jules Massenet et Edvard Grieg, mais la guerre, menée à grande échelle par la Russie contre l’Ukraine, obligea à réviser complètement la partition.

Yaroslav Tkachuk (Kai) et Tatyana Lyozova (Gerda)

Yaroslav Tkachuk (Kai) et Tatyana Lyozova (Gerda)

Mykola Dyadyura, le directeur de l’Opéra de Kyiv, le chorégraphe Viktor Ishchuk et le chef d’orchestre Sergii Golubnychyi rejoignirent l’équipe de production pour élaborer une nouvelle architecture musicale qui supprime les références aux compositeurs russes. 

Yaroslav Tkachuk (Kai) et Tatyana Lyozova (Gerda)

Yaroslav Tkachuk (Kai) et Tatyana Lyozova (Gerda)

Ils utilisèrent à leur place des compositions de Johan Strauss - ce qui peut surprendre en première partie -, Jacques Offenbach, Augusta Holmès, et même l’inattendu Intermezzo de ‘Cavalleria Rusticana’ de Pietro Mascagni lorsque Gerda rêve mélancoliquement au retour de son ami.

Cette nouvelle version sera jouée le 23 décembre 2022 à Kyiv avant de débuter une tournée internationale qui passe ce soir au Théâtre des Champs-Élysées, et s'y installe pour deux semaines.

Le jardin magique

Le jardin magique

Visuellement, les éclairages créent des ambiances aux teintes de bleue, mauve ou vert qui se fondent avec beaucoup de poésie et brillant aux dessins des décors, créant ainsi une atmosphère naïve et fantaisiste plaisante à regarder – le premier tableau représentant un village enneigé bordant un lac glacé où les danseurs semblent faire du patin à glace est très touchant -, à laquelle s’instille avec subtilité des effets vidéographiques animés.

Scène de rencontre entre Gerda et les deux corneilles

Scène de rencontre entre Gerda et les deux corneilles

La variété des scènes induit un renouvellement constant, d’autant plus que les musiques disparates changent également souvent, même si se ressentent des discontinuités de genres qui donnent surtout l’impression d’assister à un patchwork de scènes manquant d’unité musicale.

Yaroslav Tkachuk (Kai)

Yaroslav Tkachuk (Kai)

Une centaine de personnages sont ainsi incarnés par une soixantaine de danseuses et danseurs, et les chorégraphies comprennent de grands ensembles et des pas classiques dans les scènes du village, du Palais Royal ou du Palais de la Reine des neiges, mais aussi des mouvements plus modernes, notamment avec les quatre diablotins ou bien le très virtuose tableau des brigands dansé sur des musiques traditionnelles, dans la veine de Pavlo Virsky, pour donner une empreinte identitaire, voir orientaliste, au ballet.

La chef des voleurs

La chef des voleurs

Les trois danseurs principaux défendent avec beaucoup de noblesse et justesse leurs caractères, Iryna Borysova donnant une majestueuse impression de fluidité aristocratique à la Reine, alors que Yaroslav Tkachuk incarne un Kai puissant et racé – quelle magnifique portée acrobatique dans le somptueux pas de deux final! – tout en représentant idéalement une forme de romantisme classique aux lignes épurées. Quant à Tatyana Lyozova, d’une très belle souplesse de geste, elle danse tout en laissant transparaître de petits signes de joie qui décrivent un être qui croit en la vie.

Yaroslav Tkachuk (Kai) et Tatyana Lyozova (Gerda)

Yaroslav Tkachuk (Kai) et Tatyana Lyozova (Gerda)

Se distingue aussi la verve du Prince du château royal et la célérité provocante de la chef des voleurs, et il y a même un danseur français parmi la troupe, Clément Guillaume, pour rendre une ardeur enjouée au chef de gang.

Iryna Borysova (La Reine des neiges)

Iryna Borysova (La Reine des neiges)

Dans la fosse, Sergii Golubnychyi obtient de l'Orchestre Prométhée une lecture soignée, bien réglée sur le rythme des danseurs, attentif au contraste des couleurs qui s’épanouit le mieux dans les très beaux pas de deux que recèle ce spectacle accompli et bien à propos pour accompagner la période réflexive de Noël.

Iryna Borysova, Yaroslav Tkachuk et Tatyana Lyozova

Iryna Borysova, Yaroslav Tkachuk et Tatyana Lyozova

Musiques de la partition de 'La Reine des Neiges' (version de décembre 2022)

J. Strauss : Wiener Blut | Sang viennois - Valse
J. Massenet : Visions, poème-symphonique - épisode 1
H. Berlioz: Symphonie fantastique - Mouvement II
J. Massenet: Visions, poème-symphonique - épisode 2
E. Waldteufel: Les patineurs - Valse
A. Ponchielli: Danza delle Ore, extrait de La Gioconda
P. Mascagni: Intermezzo de Cavalleria rusticana
E. Grieg: Peer Gynt - Retour à la maison
E. Grieg: Peer Gynt - Danse d'Anita
J. Massenet: Suite d'orchestre n°4 - "Scènes pittoresques" - I. Marche & IV. Fête bohème
J. Offenbach: Mazurka extrait du ballet Le Papillon
J. Massenet: Le Cid - Aragonaise & Acte 2: Navarraise . National
A. Holmes: Andromède, poème symphonique - épisode 1
A. Holmes: Roland Furieux
A. Holmes: Andromède, poème symphonique - épisode 2
A. Holmes: La Nuit et l'Amour

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Publié le 11 Novembre 2024

Passion selon Saint-Jean (Jean-Sébastien Bach – 7 avril 1724, Leipzig)
Représentation du 04 novembre 2024
Théâtre des Champs-Élysées

Trame : L'arrestation, l’interrogatoire chez Anne et Caïphe et le reniement de Pierre, l’interrogatoire chez Pilate, la flagellation et le couronnement d'épines, la crucifixion et la mort de Jésus, l'ensevelissement

Soprano Sophie Junker                            Pilate Georg Nigl
Jésus Christian Immler                            Contre-ténor Benno Schachtner
L’Evangéliste Valerio Contaldo              Ténor Mark Milhofer
Ancilla Estelle Lefort*                           Soprano Camille Hubert*
Contre-ténor Logan Lopez Gonzalez*    Servus Augustin Laudet*
Pierre Rafael Galaz Ramirez

* artiste lyrique du Chœur de chambre de Namur

Danseurs Rosa Dicuonzo, Yuya Fujinami, Tian Gao, Eva Georgitsopoulou, Hwanhee Hwang, Annapaola Leso, Jaan Männima, Margaux Marielle-Tréhoüart, Virgis Puodziunas, Orlando Rodriguez, Joel Suárez Gómez

Direction musicale Leonardo García-Alarcón
Chorégraphie, mise en scène Sasha Waltz (2024)
Compagnie Sasha Waltz & Guests
Ensemble Cappella Mediterranea
Chœur de chambre de Namur, Chœur de l’Opéra de Dijon

Production créée le 22 mars 2024 dans le cadre du Festival de Pâques de Salzbourg et reprise à l’Opéra de Dijon les 30 et 31 mars 2024

Animé du désir de consacrer son art au service de l’Église, Jean-Sébastien Bach fit ses débuts comme cantor à Saint-Thomas de Leipzig le 30 mai 1723. Il ne devait pas seulement composer et jouer de la musique sacrée, mais aussi enseigner le chant aux élèves, superviser l’Institution et encadrer les prières du matin et du soir.

Le jour de Noël de la même année, il présenta une première version de son ‘Magnificat’ et, quelques mois plus tard, le 07 avril 1724, il fit entendre la ‘Passion selon Saint-Jean’ pour célébrer Pâques.

Au cours des années qui suivirent, il continua à l’améliorer en ajoutant des airs où en réarrangeant la partition jusqu’en 1749. Mais seules les versions de 1725 et 1749 sont éditées aujourd’hui.

Passion selon Saint-Jean - Photo Sasha Waltz & Guests

Passion selon Saint-Jean - Photo Sasha Waltz & Guests

Le Théâtre des Champs-Élysées est une salle où il est régulièrement possible d’entendre ‘La Passion selon Saint-Jean’, et au cours des 15 ans du mandat de Michel Franck, de 2010 à 2025, l’ouvrage a été représenté en version de concert en moyenne tous les deux ans, depuis l’interprétation donnée par Ton Koopman et l’Amsterdam Baroque Orchestra and Choir en 2011, à celle dirigée par Mark Padmore avec l’Orchestra of the Age of Enlightenment en 2021.

En revanche, il faut remonter au 21 octobre 1985 pour retrouver une version scénique de ‘La Passion selon Saint-Jean’ jouée en ce lieu qui accueillit la production de La Fenice mise en scène par Luigi Pizzi et dirigée par William Christie.

Mais loin de reproduire une imagerie iconographique catholique surchargée, le spectacle de Sasha Waltz est d’une totale intériorité que onze danseuses et danseurs font vivre à partir d’un art du mouvement circulaire et de torsions des corps qui traduisent de façon esthétique et poignante la souffrance mais aussi la grâce de la résistance à cette souffrance.

Les hauts de la salle du Théâtre des Champs-Elysées

Les hauts de la salle du Théâtre des Champs-Elysées

La nudité est d’emblée exposée pour exprimer le dépouillement et la fragilité de l’être humain, et elle s’insère tout au long de l’œuvre sous une lumière pénombrale caravagesque dont le sensualisme se fond au sentiment d’affliction engendré par le chant et la musique de Bach.

Par moments, la chorégraphe berlinoise a également recours à des à-coups théâtraux et des bruitages électroacoustiques pour marquer la violence que subit le Christ, mais les planches qui claquent en tombant au sol altèrent aussi la perception musicale ce qui fera réagir une partie du public. Plus loin, le percement du corps du Christ est suggérer par un ensemble de lances toutes pointées vers lui.

Le symbole du sang n’est néanmoins jamais évoqué.

Une très belle évocation d’un retable vivant est esquissée à partir d’un simple cadre dépliant où danseurs et musiciens prennent pose, toujours dans cet esprit de distanciation vis-à-vis de l’iconographie qui place la chair et le vivant au cœur du drame, et il y a aussi cette impressionnante plongée dans le noir, de toute la salle, au moment où le Christ se libère de la mort, ce qui rappelle le procédé qu’avait employé Dmitri Tcherniakov au Palais Garnier dans ‘Casse-Noisette’ pour signifier un changement de monde. Sauf que ce soir, l’orchestre continue de jouer dans le noir total.

Passion selon Saint-Jean

Passion selon Saint-Jean

L’Ensemble Cappella Mediterranea voit d’ailleurs son unité rompue puisqu’il est divisé en deux sections chacune disposée au pied du cadre de scène côté cour, pour la première, où dirige Leonardo García-Alarcón, et côté jardin pour la seconde. Un fort intimisme se dégage de l’interprétation aux couleurs franches sans effet d’éthérisation prononcé, et la musicalité curviligne s’harmonise naturellement avec la fluidité du mouvement chorégraphique.

Quelques choristes complètent chacun des deux ensembles, mais la surprise provient de cet inhabituel écho des voix qui semble se réfléchir sur les parois circulaires donnant l’impression que le chant vient de toute part. Et ce, jusqu’à qu’une vingtaine de choristes assis parmi les spectateurs au parterre se lèvent, révélant ainsi leur présence et la raison de cet effet de spatialisation saisissant.

L’Ensemble Cappella Mediterranea

L’Ensemble Cappella Mediterranea

Les solistes du drame ont par ailleurs une expressivité qui permet d’apprécier les différences de caractérisation de chaque artiste de façon très nette. Christian Immler traduit la sagesse et l’humanité du Christ avec justesse et une douce humilité, Georg Nigl, en Pilate, a le mordant d’un prédateur et une posture d’une solidité inflexible, l’évangéliste de Valerio Contaldo s’emplit au fil de la soirée d’un dramatisme tragique de plus en plus ancré, Mark Milhofer se montre d’une inépuisable profondeur de souffle, ainsi que d’une tenue de ligne impeccable avec un timbre bien incarné, et Benno Schachtner distille une légèreté rêveuse et mélancolique bien plus diaphane.

Quant à Sophie Junker, elle met à genoux les cœurs dans la déploration finale où les danseurs autour d’elle expriment sentiments de consolation et d’apaisement par des mouvements et étreintes d’une poésie naturelle fort chaleureuse.

Valerio Contaldo, Georg Nigl, Christian Immler et Benno Schachtner

Valerio Contaldo, Georg Nigl, Christian Immler et Benno Schachtner

Salle pleine pour deux soirs seulement, le directeur, Michel Franck, ayant même cédé sa place à la jeunesse, on ressort de ce spectacle fortement imprégné de son atmosphère ambiguë et de ses très beaux jeux de lumières d’apparence simple dans leur mise en place, mais également très impressionné par la manière dont l’interprétation musicale renouvelle notre perception de la spiritualité des corps.

Leonardo Garcia Alarcon, Sasha Waltz et les danseurs

Leonardo Garcia Alarcon, Sasha Waltz et les danseurs

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Publié le 1 Janvier 2024

Casse-Noisette (Piotr Ilitch Tchaïkovski – Théâtre Mariinsky de Saint-Pétersbourg, le 18 décembre 1892)
Représentation du 31 décembre 2023
Opéra Bastille

Clara Sae Eun Park
Drosselmeyer / Le Prince Germain Louvet
Luisa Bianca Scudamore
Fritz Antoine Kirscher
La Mère Anémone Arnaud
Le Père Sébastien Bertaud
La Grand-Mère Ninon Raux
Le Grand-Père Cyril Chokroun

Direction musicale Andrea Quinn
Chorégraphie Rudolf Noureev (19 décembre 1985), d’après Marius Petipa et Lev Ivanov

Avec les Étoiles, les Premières danseuses, les Premiers danseurs, le Corps de Ballet de l’Opéra national de Paris et la participation des élèves de l’École de danse.
Maîtrise des Hauts-de-Seine / Chœurs d’enfants de l’Opéra national de Paris.

Le 1er septembre 1983, alors âgé de 45 ans, Rudolf Noureev devient directeur de la plus ancienne compagnie de danse au monde, celle de l’Opéra de Paris fondée par Louis XIV en mars 1661. Une première proposition lui avait bien été faite en 1973, mais il souhaitait à cette époque poursuivre sa carrière de danseur international.

Sae Eun Park (Clara) et Germain Louvet (Le Prince)

Sae Eun Park (Clara) et Germain Louvet (Le Prince)

Au moment de sa nomination, l’institution ne connaît de lui, en tant que chorégraphe, que le 3e acte de ‘La Bayadère (Les Ombres)' et ‘Don Quichotte’, tous deux inspirés de Marius Petipa.

Viendront au Palais Garnier ‘Raymonda’ (novembre 1983), ‘La Tempête’ (mars 1984) sur une musique de Tchaïkovski, ‘Bach suite’ (avril 1984) en collaboration avec Francine Lancelot, ‘Roméo et Juliette’ (octobre 1984) sur une musique de Prokofiev, ‘Le Lac des Cygnes’ (décembre 1984), et ‘Washington Square’ (juin 1985) en association avec Jean-Claude Carrière.

Casse-Noisette (Eun Park Louvet Quinn Noureev) Opéra de Paris

L’opposition de culture entre son niveau d’exigence et sa dureté, d’une part, et le rythme encadré des artistes de la maison, d’autre part, sera source de fortes tensions, mais une adaptation réciproque entre son caractère et la mentalité administrative du système va se faire jour au début de la saison 1985-1986.

Cette confrontation au réel se retrouve ainsi en filigrane dans la nouvelle version de ‘Casse-Noisette’ qu’il présente en décembre 1985 à la veille de Noël, version retravaillée de ses précédentes productions créées successivement à Stockholm (1967), Londres (1968), Milan (1969), Buenos Aires (1971) et Berlin (1979).

Sae Eun Park (Clara), Antoine Kirscher (Fritz) et les enfants (Ecole de danse)

Sae Eun Park (Clara), Antoine Kirscher (Fritz) et les enfants (Ecole de danse)

Dans ce conte adapté par Alexandre Dumas de l’œuvre de E.T.A Hoffmann, Clara subit le soir de Noël les comportements et réflexions oppressants des adultes et enfants de son entourage qui l’empêchent de profiter naturellement de la joie qu’apporte Drosselmeyer avec ses cadeaux.

Et la nuit, la jeune fille en fait des cauchemars sous forme de rats, de chauve-souris et de danses, jusqu’à ce que son chevalier, l'incarnation de celui qui rend les choses possibles en écartant le monde bourgeois et son besoin de contrôle sur les autres, intervienne pour la rendre à ses rêves, une aspiration que vit en lui-même Noureev à travers l'élaboration de son art.

Un miroir, relativement adouci, est donc tendu à la société.

Sae Eun Park (Clara)

Sae Eun Park (Clara)

Pour cette 144e représentation jouée dans cette chorégraphie, nous retrouvons Germain louvet en Drosselmeyer et en Prince, un rôle qu’il avait dansé lors de la dernière reprise en décembre 2014, et Sae Eun Park qui se voit interpréter à Paris, avec une technique française, le premier ballet qu’elle vit sur scène grâce à son grand-père, où elle fait vivre avec beaucoup de vérité la lassitude d’un monde cloisonné, et l’idéal d’un autre monde plus beau et plus vaste.

La danseuse étoile coréenne est en effet de bout un bout un modèle de légèreté, une Clara intelligente par son sens de l’observation, par sa précision de geste, par l’extension des bras et des jambes mus avec une douceur caressante fortement attendrissante.

Germain Louvet (Le Prince) et Sae Eun Park (Clara)

Germain Louvet (Le Prince) et Sae Eun Park (Clara)

Elle trouve en Germain Louvet un partenaire fiable et très stable, en belle harmonie avec la ligne de mouvement de sa partenaire, dans un rôle où il fait preuve d’une certaine abnégation pour laisser Sae Eun Park exprimer en profondeur la grâce et le désir de bonheur de Clara.

Germain Louvet (Le Prince) et Sae Eun Park (Clara)

Germain Louvet (Le Prince) et Sae Eun Park (Clara)

En première partie, et avant que les solistes ne passent au premier plan, les grands ensembles menés par les élèves de l’École de danse, dans les rôles des enfants comme ceux des soldats et des rats, sont réjouissants par leur vitalité, et l’arrivée des chevaux-jupons conserve, malgré les ans, une magie souriante irrésistible

Florimond Lorieux et Camille Bon (Danse arabe)

Florimond Lorieux et Camille Bon (Danse arabe)

Au second acte, les danses arabes (excellents Camille Bon et Florimond Lorieux!), espagnoles et russes ont un pouvoir sensuel et des traits de vivacité toujours aussi prégnants, même si leur nature folklorique date beaucoup aujourd’hui, et les trois acrobates, Micah Levine (nouvel entrant dans le Corps de ballet), Samuel Akins (artiste invité) et Ryosuke Miwa (issu du CNDMSP), sont tous trois reliés par une bonne cohésion à travers leur chorégraphie impulsive et enjouée.

Les grands ensembles complexes et formels, ‘Les flocons’ et ‘La valse des fleurs’, sont eux aussi réussis avec ce pouvoir d’illustrer la magie de la musique qui est un grand moment de détente de l’esprit pour l’auditeur.

Les flocons

Les flocons

Mais le plus saisissant réside probablement dans la direction d’Andrea Quinn, cheffe britannique indépendante, ancienne directrice musicale du Royal Ballet de Londres et du New-York City Ballet, qui, avec beaucoup d’inspiration, insuffle de l’élan aussi bien aux danseurs qu’aux musiciens en déployant un formidable relief orchestral riche en contrastes et couleurs, tirant des traits d’une vivacité bien marquée et une souplesse de mouvement fastueuse, tout en faisant vivre une intensité en fosse d’une splendide sensualité.

Germain Louvet (Le Prince) et Sae Eun Park (Clara)

Germain Louvet (Le Prince) et Sae Eun Park (Clara)

Avec un grand sens de la vibration à fleur de peau elle ne lâche rien en tension scénique et musicale, mais elle sait aussi poser une solide assise dans les grands ensembles pour maintenir l’homogénéité collective, et une telle réussite que l’on ne rencontre pas toujours à l’occasion des ballets classiques, donne énormément envie de la réentendre à l’occasion d’une éventuelle reprise du diptyque 'Iolanta / Casse-Noisette' imaginé par Dmitri Tcherniakov pour le Palais Garnier en 2016.

Car revoir la conception de Noureev permet aussi de mesurer à quel point le travail de Tcherniakov avec cinq chorégraphes contemporains rend beaucoup plus de force au monde ‘petit-bourgeois’ de Clara, ainsi qu’au romantisme de sa relation au Prince, et cela avec beaucoup plus d’humour.

Andrea Quinn

Andrea Quinn

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Publié le 26 Juin 2023

Signes (Carolyn Carlson – Olivier Debré, le 27 mai 1997)
Représentation du 21 juin et du 16 juillet 2023
Opéra Bastille

Ballet en 7 tableaux : Signe du sourire, Loire du matin, Monts de Guilin, Les moines de la Baltique, L’esprit du bleu, Les couleurs de Madurai, Victoire des Signes

Hannah O’Neill
Germain Louvet
Victoire Anquetil, Awa Joannais, Sofia Rosolini (Mont de Guilin)
Ida Viikinkoski, Yvon Demol (Les couleurs de Madurai)

Sur une idée originale d’Olivier Debré
Musique enregistrée René Aubry
Chorégraphie Carolyn Carlson (1997)
Décors et costumes Olivier Debré
Corps de ballet de l’Opéra national de Paris

Retransmission en direct le 14 juillet 2023 sur Paris Opera Play, la plateforme de l'Opéra National de Paris.

Après dix ans d’absence sur la scène de l’opéra Bastille, le ballet onirique imaginé par Olivier Debré et Carolyn Carlson sur des décors colorés et abstraits propices à l’évasion est confié pour sa cinquième reprise à un jeune couple de danseurs étoiles tout juste trentenaires, Hannah O’Neill et Germain Louvet.

Hannah O’Neill et Germain Louvet - Monts de Guilin

Hannah O’Neill et Germain Louvet - Monts de Guilin

En ce mercredi de première – il s’agit de la 45eme représentation depuis le 27 mai 1997 – qui coïncide avec la 41e soirée de la fête de la musique, la forte luminosité rose pastel du décor souriant dès l'avant spectacle donne un charme bucolique aux balcons de la salle totalement pleine d’un public tout aussi souriant et décontracté.

En moins d'une heure trente, le spectateur est ainsi emporté dans un univers sonore qui évoque très souvent les rythmes et les ornements orientaux de l'Arabie à l'Orient indien, alors que les beaux accords de guitare ajoutent une tonalité hispanique plus latine.

Germain Louvet et les danseurs du Corps de ballet - Signe du sourire

Germain Louvet et les danseurs du Corps de ballet - Signe du sourire

Il y a en effet un merveilleux alliage de couleurs chaudes, généreuses et fort contrastées, au cours des sept scènes qui évoluent entre compositions reflétant le toucher velouté des fruits gorgés de soleil ou bien les bleus de Monet, jusqu'aux oppositions entre le blanc et le noir du dernier tableau.

La musique de René Aubry et la chorégraphie y diluent une fluidité qui invite chacun au laisser-aller, aux pensées nostalgiques au son de l'accordéon, et l'humanité qu'incarnent les groupes de danseurs exprime de manière ludique des mouvements cycliques qui s'accordent au déroulement mécanique du temps.

Awa Joannais, Sofia Rosolini et Victoire Anquetil - Mont de Guilin

Awa Joannais, Sofia Rosolini et Victoire Anquetil - Mont de Guilin

Les caractères des solistes et des ensembles de danseurs sont ainsi totalement estompés, et seule compte la grâce des lignes qui décrivent les ondes de la vie.

Le spectacle est donc dénué de tout esprit de performance, ce qui ramène un peu chacun à une forme d'innocence naïve.

Kader Belarbi avait fortement marqué ce ballet lors de la création et des premières reprises, et l'on retrouve chez Germain Louvet cette même forme de prestance d'aigle céleste qu'il nuance par une gestuelle plus féminine dont l'ampleur et la vivacité impressionnent tout autant.

Germain Louvet  et Hannah O’Neill - Monts de Guilin

Germain Louvet et Hannah O’Neill - Monts de Guilin

Les inspirations orientales de 'Signes' correspondent très bien également à Hannah O’Neill qui, loin d'assombrir son personnage ou de le romanticiser, en purifie les lignes pour lui donner une légèreté d'une finesse extrême.

S'éprouve ainsi un véritable plaisir serein à admirer couleurs, peintures et courbures des ensembles chorégraphiques sur cette musique qui nous emmène aussi loin.

Adrien Couvez, Marion Gautier de Charnacé, Marius Rubio, Loup Marcault-Derouard, Laurène Levy - Victoire des Signes

Adrien Couvez, Marion Gautier de Charnacé, Marius Rubio, Loup Marcault-Derouard, Laurène Levy - Victoire des Signes

Et au rideau final, les deux artistes étoiles viennent accueillir et entourer Carolyn Carlson qui, il y a tout juste 50 ans, débutait au Palais Garnier en tant que chorégraphe et danseuse avec 'Density 21,5'. Et la fascination de Rolf Liebermann pour elle fut telle qu’il la nomma 'chorégraphe-étoile' l'année d'après.

Hannah O’Neill, Carolyn Carlson et Germain Louvet

Hannah O’Neill, Carolyn Carlson et Germain Louvet

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Publié le 1 Janvier 2023

Le Lac des Cygnes (Tchaïkovski – Bolshoi de Moscou, 4 mars 1877) 
Représentations du 22 et 31 décembre 2022
Opéra Bastille
Première historique le 15 octobre 1964 à l’Opéra de Vienne 
Production remaniée pour le ballet de l’Opéra National de Paris le 20 décembre 1984

Odette/Odile Valentine Colasante
Le Prince Siegfried Paul Marque
Rothbart Jérémy-Loup Quer
La Reine Lucie Fenwick 
Le pas de trois Bianca Scudamore
                        Naïs Duboscq
                        Andrea Sarri

Chorégraphie de Rudolf Noureev 
d’après Marius Petipa et Lev Ivanov
Décors Ezio Frigerio
Costumes Franca Squarciapino
Lumières Vinicio Cheli
Orchestre de l’Opéra national de Paris
Direction musicale Vello Pähn

 

 

Le 'Lac des cygnes' est la première musique de ballet commandée à Tchaïkovski. Elle fut donnée pour la première fois au Théâtre Bolchoï de Moscou le 4 mars 1877 dans une chorégraphie de Julius Wenzel Reisinger
La création véritable du 'Lac des cygnes' dans la chorégraphie de Marius Petipa et Lev Ivanov – devenue la version de référence – date cependant du 27 janvier 1895, soit deux ans après la disparition du compositeur. 

Paul Marque (Siegfried) et Valentine Colasante (Odette)

Paul Marque (Siegfried) et Valentine Colasante (Odette)

Comme pour 'La Belle au bois dormant', ce sont les Ballets Russes de Diaghilev qui montrèrent pour la première fois – à Londres, en 1911 – la version de Petipa-Ivanov revue par Fokine, avec Mathilda Kschessinksa et Vaslav Nijinski
Le 'Lac des cygnes', dans sa version intégrale, n’entrera d’ailleurs au répertoire du Ballet de l’Opéra de Paris qu’en 1960, dans la version de Vladimir Bourmeister que le Théâtre du Châtelet avait accueilli en 1956.

Jérémy-Loup Quer (Rothbart) et Paul Marque (Siegfried)

Jérémy-Loup Quer (Rothbart) et Paul Marque (Siegfried)

Quand Noureev entreprend sa propre version de l’ouvrage intégral (créée en octobre 1964 à l’Opéra de Vienne), il se base sur la chorégraphie de Marius Petipa et Lev Ivanov, étoffe le rôle du Prince, et surtout développe sa psychologie par des fantasmes qui l’entraînent à sa perte, en courant éperdument après l’illusion d’une femme-cygne. Il ajoute également au premier acte une variation pour Siegfried sur la musique de l’adante sostenuto du pas-de-trois.

Valentine Colasante (Odette)

Valentine Colasante (Odette)

Vingt ans plus tard, il améliore à nouveau cette version à l’occasion de son entrée au Palais Garnier, le 20 décembre 1984, en renforçant le personnage de Rothbart dans le pas de trois du troisième acte, et dans le duo final avec le Prince. L’éclairage est également mis sur la ‘Danse des coupes’ du premier acte interprétée uniquement par 16 garçons dont l’esprit de liberté inspire Siegfried.

Pour cette première, Charles Jude remplace Rudolf Noureev, souffrant d’une fatigue musculaire.

Paul Marque (Siegfried)

Paul Marque (Siegfried)

Enfin, après un bref retour de la version Bourmeister à l’Opéra Bastille en 1992, la version Noureev est adaptée au vaste espace de cette scène et connaît une première resplendissante le 09 décembre 1994 avec Charles Jude en Prince.

A cette occasion, José Martinez incarne pour la première fois ce noble romantique lors de deux soirées, à l’âge de 25 ans.

Paul Marque (Siegfried) et Jérémy-Loup Quer (Rothbart)

Paul Marque (Siegfried) et Jérémy-Loup Quer (Rothbart)

25 ans, c’est aussi l’âge de Paul Marque qui incarne le Prince en ce soir de Réveillon du Nouvel An 2023. L’unique danseur étoile prévu pour cette reprise est absolument magnifique, mû par une douceur caressante qui insuffle tous ses gestes, y compris en fin de soubresauts ou bien lorsqu’il relève les cygnes un par un au dernier acte. 

Paul Marque (Siegfried)

Paul Marque (Siegfried)

Très bel artiste à l’élégance classique d’une harmonie très émouvante, ses tours en l’air s’achèvent avec un panache splendide et toujours avec une souplesse de mouvement qui touche au cœur tant il porte en lui l’inspiration romantique dont il a toujours rêvé.

Audace et poésie, Paul Marque fait honneur à l’esprit ce de grand ballet auquel il unit une vitalité mélancolique poignante.

Paul Marque (Siegfried) et Valentine Colasante (Odile)

Paul Marque (Siegfried) et Valentine Colasante (Odile)

Le duo qu’il forme avec Valentine Colasante est d’une très grande maturité, et il règne entre eux-deux, dans la rencontre au bord du Lac, une attention à la subtilité des signes et aux traits de douceurs qui rend très humaine leur relation idéalisée. Mouvements des bras à la légèreté gracieuse, sentiment d’intériorité très marqué, la danseuse étoile aux origines italiennes fait vivre un vrai portrait de femme très concentrée, sûre de sa technique et de la profondeur qu’elle exprime.

Jérémy-Loup Quer (Rothbart) et Paul Marque (Siegfried)

Jérémy-Loup Quer (Rothbart) et Paul Marque (Siegfried)

Il est alors passionnant de voir comment ce naturel se transforme, dans le rôle du Cygne noir, en tempérament joueur, plus virtuose et athlétique, et comment elle s’allie au personnage de Rothbart pour entrer dans un rôle de séduction provocante, mais sans introduire une rupture trop nette entre ses deux personnalités de femmes. Lorsqu’elle est Odile dans les bras de Siegfried, on retrouve aussi un vrai personnage entier et éclatant. Mais le grand éclat de rire dans un impressionnant mouvement de courbure est impitoyable pour le Prince.

Jérémy-Loup Quer (Rothbart)

Jérémy-Loup Quer (Rothbart)

Avec son allure très effilée, Jérémy-Loup Quer, tout juste nommé premier danseur en novembre dernier, impressionne par la célérité de sa danse, notamment dans le grand pas de trois du troisième acte. Sous ses traits, Rothbart est d’une grande jeunesse, et c’est donc le faux-ami du Prince qui est ici mis en avant. Car ce personnage complexe intègre de nombreuses facettes construites au fur et à mesure que Rudolf Noureev a développé sa chorégraphie. Il peut apparaître comme une figure paternaliste dominante, ou comme un être au caractère aiguisé avec des lignes de fuites très aériennes tel que le dessine ce jeune danseur gracile.

La danse des coupes

La danse des coupes

Mais le ‘Lac des Cygnes’ c’est aussi des danses entraînantes, polonaise, mazurka, valse, très bien rendues par le corps de ballet, avec beaucoup d’allant, des ensembles de cygnes aux grandes gestes synchronisés et qui inspirent un très grand sentiment de sérénité dans une lueur bleutée prégnante, ainsi que des pas de trois où Andrea Sarri se fait remarquer par sa robustesse et la solidité de sa technique qui lui permettent une impétuosité alerte fort accrocheuse.

Andrea Sarri

Andrea Sarri

Il y a exactement 30 ans que Vello Pähn a dirigé son premier ‘Lac des Cygnes’, version Bourmeister, sur la scène Bastille. En ce soir de 31 décembre, il imprègne la musique d’un très agréable moelleux, sans perdre en tonicité, qui s’allie à merveille au duo formé par Paul Marque et Valentine Colasante. Très attentif aux nuances, au mariages des teintes cuivrées et des cordes, sa lecture draine un éclat crépusculaire d’une grande profondeur sur une rythmique mesurée. 

Paul Marque (Siegfried) et Valentine Colasante (Odette)

Paul Marque (Siegfried) et Valentine Colasante (Odette)

Les cors sont légèrement couverts, les vents subliment la poésie qui émane de la délicatesse des danseurs solistes, et il y a aussi ce magnifique passage du premier violon, aux vibrations irrésistiblement déchirantes qui se muent ensuite en une brillante virtuosité céleste. Un frémissement inoubliable, qui montre comment ce grand spectacle livré aux mains de grands artistes peut préserver toute sa force émotionnelle à travers des décennies. 

Jérémy-Loup Quer (Rothbart), Paul Marque (Siegfried) et Valentine Colasante (Odette)

Jérémy-Loup Quer (Rothbart), Paul Marque (Siegfried) et Valentine Colasante (Odette)

Charles Jude expliquait ainsi, en 1997, qu’il avait considéré dès le départ que la version du ‘Lac des Cygnes’ de Rudolf Noureev était la meilleure – il ne faut pas oublier qu’en 1984 certains artistes ne croyaient pas qu’elle pourrait s’imposer face à la version Bourmeister -, et le temps lui donne aujourd’hui à nouveau raison avec une évidence incontestable.

La salle de l'Opéra Bastille à l'issue de la représentation du 31 décembre 2022

La salle de l'Opéra Bastille à l'issue de la représentation du 31 décembre 2022

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Publié le 25 Décembre 2022

Giselle (Adolphe Adam – Académie Royale de Musique-Le Peletier, 28 juin 1841)
Ballet de l'Opéra de Kiev
Représentations du 21 (19h30) et 24 (15h00) décembre 2022
Théâtre des Champs-Élysées

Giselle Natalia Matsak
Albrecht Sergii Kryvokon
Myrtha Iryna Borysova
Hilarion Kostiantyn Pozharnytskyi
Berthe Kseniia Ivanenko
Avec Tymofiy Bykovets, Maksym Bilokrynytskyi, Daria Manoilo, Sergii Lytvynenko, Petro Markishev et le corps de ballet de l’Opéra national d’Ukraine

Chorégraphie Marius Petipa, d’après Jules Perrot et Jean Coralli
Décors et costumes originaux Tetiana Bruni
Costumes nouveau design Malva Verbytska (Maison Malva Florea)
Maître de Ballet Kostyantin Sergieiev
Direction musicale Dmytro Morozov
Orchestre Prométhée

Avec la reprise de ‘Giselle’ au Palais Garnier, en juin dernier, suivie, dès la rentrée au Théâtre des Champs-Élysées, par la version d’Akram Khan, et maintenant avec la venue du Ballet de l’Opéra national d’Ukraine en ce même théâtre, l’année 2022 aura donc été une année ‘Giselle’ pour Paris.

Natalia Matsak (Giselle) et Sergii Kryvokon (Albrecht)

Natalia Matsak (Giselle) et Sergii Kryvokon (Albrecht)

Et, en préambule de la première du mercredi 21 décembre, Michel Franck, le directeur du célèbre Théâtre de l’avenue Montaigne, a bien pris soin de décrire au public les conditions avec lesquelles les artistes ont du composer pour venir en toute sécurité à la capitale : le voyage en car depuis Kiev vers Varsovie, la tempête de neige et les défaillances de leur moyen de transport, leur rapatriement vers Cracovie où l’organisatrice de la tournée a pu trouver en urgence 100 billets d’avions pour les danseurs, certains venant avec leurs enfants pour échapper aux bombardements de leur ville.

Michel Franck et l'organisatrice de la Tournée du ballet national d'Ukraine

Michel Franck et l'organisatrice de la Tournée du ballet national d'Ukraine

Ils sont arrivés au théâtre 3 jours plus tôt, un dimanche, et Michel Franck, décrivant le stress d’une alerte à la bombe lorsque l’un des artistes ukrainiens eut oublié d’éteindre son téléphone portable, a rappelé à quel point ces circonstances remettaient à leur juste place nos petits problèmes quotidiens.

Corps de Ballet de l'Opéra national d'Ukraine (Fête au village)

Corps de Ballet de l'Opéra national d'Ukraine (Fête au village)

Cette venue était programmée avant le début de la guerre, c’est pourquoi ‘Casse-Noisette’ était initialement programmé, et du être remplacé par ‘La fille des neige’ afin de ne pas donner prise à la Russie de Vladimir Poutine qui utilise la culture comme moyen de propagande.

Mais avec les multiples coupures d’électricité dues aux attaques aériennes sur les installations civiles, la troupe manquait de temps pour monter le ballet de Michael Corder, si bien que les danseurs de Kiev ont choisi d’interpréter ‘Giselle’ d’Adolphe Adam qu’ils connaissent par cœur.

Natalia Matsak (Giselle) et Sergii Kryvokon (Albrecht)

Natalia Matsak (Giselle) et Sergii Kryvokon (Albrecht)

Ils sont donc très heureux d’être à Paris, mais pour eux, il est important de montrer la réalité de ce qu’ils vivent, et chacun est bien décidé à ne pas se laisser faire et à poursuivre sa mission. Certains danseurs et danseuses sont même allés au combat, et un ancien soliste, Alexander Chapoval, a été tué par les Russes dans l’est de l’Ukraine.

Kseniia Ivanenko (Berthe)

Kseniia Ivanenko (Berthe)

La toute première venue au Théâtre des Champs-Élysées de la troupe du Ballet de l’Opéra de Kiev date de 1964 où, dans le cadre du deuxième Festival International de Danse de Paris, elle fut consacrée meilleure Compagnie, ainsi que leurs solistes, Irma Loukachova et Vladimir Parsegoff, qui reçurent le Grand Prix de la Ville de Paris pour leur pas de deux d'’Esmeralda’

Puis, il faudra attendre décembre 2018 pour retrouver en ces lieux la Compagnie Ukrainienne à l’occasion de ses 150 ans d’existence. 

Kostiantyn Pozharnytskyi (Hilarion), Natalia Matsak (Giselle) et Sergii Kryvokon (Albrecht)

Kostiantyn Pozharnytskyi (Hilarion), Natalia Matsak (Giselle) et Sergii Kryvokon (Albrecht)

Hasard de l’Histoire, c’est au moment de la naissance de l’Opéra de Kiev que ‘Giselle’ disparut de l’affiche de l’Opéra de Paris. Car si la création du célèbre ballet d’Adolphe Adam eut lieu avec succès le 28 juin 1841 à la salle Le Peletier, c’est Jules Perrot, venu à Saint-Pétersbourg en 1849, puis Marius Petipa, qui vont contribuer à l’installer en Russie. ‘Giselle’ ne reviendra par la suite au Palais Garnier qu’en 1910.

Kostiantyn Pozharnytskyi (Hilarion)

Kostiantyn Pozharnytskyi (Hilarion)

La chorégraphie interprétée ce soir reste donc inspirée de l’original de Marius Petipa, d’après Jules Perrot et Jean Coralli, et elle se déroule dans un un décor très classique, adapté par la créatrice ukrainienne Malva Verbytska, qui comprend, côté jardin, la petite maison de Giselle, et en arrière plan, un château de Contes de fées qui évoque les origines aristocratiques d’Albrecht.

Tymofiy Bykovets (Un paysan virtuose)

Tymofiy Bykovets (Un paysan virtuose)

En seconde partie, des lumières bleutées diffusent une atmosphère nocturne et poétique au Royaume des ombres, sur fond d’une nature fantomatique.

La tension et la mélancolie sont perceptibles, mais cela ne va empêcher les artistes de défendre ce chef d’œuvre romantique, non sans gravité, mais avec l’envie de se faire plaisir et de faire plaisir au public.

Corps de Ballet de l'Opéra national d'Ukraine (Royaume des ombres)

Corps de Ballet de l'Opéra national d'Ukraine (Royaume des ombres)

La danseuse étoile Natalia Matsak est en effet éblouissante. Technique qui lui permet de réussir sans concession et sans la moindre marque de fléchissement les mouvements tournoyants sur pointe, et de tenir des poses avec grande allure et élégance, cette magnifique artiste rayonne d’une fraîcheur très mature qui, à la fois, traduit la sincérité de Giselle, mais aussi en fait une femme intérieurement profonde, dont la perte de raison fait aussi penser à celle de la Traviata lorsqu’elle révèle fatalement ses souffrances intérieures.

Iryna Borysova (Myrtha)

Iryna Borysova (Myrtha)

Son partenaire, Sergii Kryvokon, est un splendide danseur, très grand est d’une physionomie qui figure à la fois la noblesse et la dominance souveraine d’Albrecht, avec énormément de sensibilité.
Grands élans aériens, expressivité romantique, assurance dans toutes les portées, nous sommes avec lui transportés dans le monde de l’indomptable fierté slave, et c’est absolument fascinant à admirer.

Natalia Matsak (Giselle) et Sergii Kryvokon (Albrecht)

Natalia Matsak (Giselle) et Sergii Kryvokon (Albrecht)

En seconde partie, Iryna Borysova donne également une leçon d‘exigence dans son incarnation de la blanche Myrtha, dans une attitude sévère mais consciente, et le rival d’Albrecht, Kostiantyn Pozharnytskyi, habillé comme il se doit en tenue de chasseur qui lui donne un aspect perçant, est tout aussi sensible, lui qui révèle dans la majesté et la célérité de ses impeccables postures une authenticité teintée subtilement d’ombre.

Kostiantyn Pozharnytskyi (Hilarion) et Natalia Matsak (Giselle)

Kostiantyn Pozharnytskyi (Hilarion) et Natalia Matsak (Giselle)

Dans la scène des danses paysannes, Tymofiy Bykovets est lui aussi brillant de par son aplomb et sa précision de mouvement, tout en affichant une certaine exigence dans sa relation au public, et le corps de ballet réussit à conserver une bonne cohésion d’ensemble, d’abord par sa vitalité joyeuse mais départie de tout superficialité excessive, en première partie, puis par sa quiétude recueillie en seconde partie, qui devient inévitablement fort inspirante pour l’auditeur.

Sergii Kryvokon (Albrecht)

Sergii Kryvokon (Albrecht)

Et dans la fosse d’orchestre, Dmytro Morozov, directeur musical de l’Opéra de Kharkiv, obtient de l’ensemble ‘Prométhée’ un très beau délié fluide et inspirant auquel on se laisse aller en toute sérénité, avec une tension juste qui soutient une théâtralité chaleureuse où les percussions sont sollicitées sans réserve. Très agréable poésie des vents, également, qui magnifie la belle gestuelle des solistes et des ensembles.

Dmytro Morozov (directeur musical de l'Opéra de Kharkiv)

Dmytro Morozov (directeur musical de l'Opéra de Kharkiv)

La soirée s’est achevée en standing ovation à la première, comme ce fut aussi le cas en matinée trois jours plus tard, avec plus de détente sans doute à la veille de Noël, les artistes étant heureux d’avoir retrouvé toutes leurs marques en quelques jours.

Et le fait de se montrer forts touchés par cet accueil s’est vraiment lu en eux, ce samedi après-midi. Un enchantement régnant parmi les spectateurs s'entendait ainsi à la sortie du Théâtre.

Natalia Matsak (Giselle), Sergii Kryvokon (Albrecht) et Kostiantyn Pozharnytskyi (Hilarion)

Natalia Matsak (Giselle), Sergii Kryvokon (Albrecht) et Kostiantyn Pozharnytskyi (Hilarion)

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Publié le 6 Novembre 2022

Mayerling (Kenneth MacMillan – 1978)
Représentations du 26 octobre et 04 novembre 2022
Palais Garnier

Prince Rudolf Mathieu Ganio
Baronne Mary Vetsera Ludmila Pagliero
Comtesse Marie Larisch Laura Hecquet
Princesse Stéphanie Eleonore Guérineau
Empereur Franz Joseph Yann Chailloux
Impératrice Elizabeth Héloïse Bourdon
Mitzi Caspar Bleuenn Battistoni
Princesse Louise Charline Giezendanner
Bratfisch Andréa Sarri
Colonel Bay Middleton Jérémy Loup-Quer (26), Pablo Legasa (04)
Les officiers  Pablo Legasa (26), Nikolaus Tudorin (04), Mathieu Contat, Guillaume Diop et Grégory Dominiak
Katharina Schratt Juliette Mey

Chorégraphie Kenneth MacMillan (1978)
Direction musicale Martin Yates
Compositeur Franz Liszt
Orchestration John Lanchberry
Extraits de Faust Symphonie S108; Héroïde funèbre S102; Waltzes Soirées de Vienne S427; Cinq petites pièce pour piano S192 (2); Valse mélancolique S210; Festklänge, S101; Morceaux en style de danses anciennes hongrois (S737); Sept portraits hongrois, S205 (1-2, 5, 7); Valse oubliée S215/2; Berceuse, S174; Tasso S96; Études d’exécution transcendante S139 (3-4, 11-12); Weihnachtsbaum, S186/7; ‘Csárdas obstiné’ S225/2; Mephisto Waltz No.1 S110/2; Fleurs mélodiques des Alpes S156/2; Consolation S172/1; Ich Scheide S319; Mephisto Polka S217; Vallée d'Obermann S156/4; Die Ideale S106; Danse hongroise S245/4; Funérailles S173/7

Le drame de Mayerling, petit hameau situé au sud-ouest de Vienne, qui s’est déroulé dans la nuit du 29 au 30 janvier 1889, est un sujet passionnant pour sa dimension historique teintée de mystère irrésolu. Il implique l’archiduc héritier de la couronne des Habsbourg, Rodolphe, dont la disparition aura pour conséquence la désignation, 7 ans plus tard, de François-Ferdinand comme héritier du trône impérial, avant qu’il ne soit assassiné à Sarajevo le 29 juin 1914. 

Cette affaire privée est donc un évènement parmi tous ceux qui jalonnent la marche vers le déclin de l’Empire d’Autriche et l’entrée dans la première Guerre Mondiale.

Mathieu Ganio (Prince Rudolf) et Ludmila Pagliero (Mary Vetsera)

Mathieu Ganio (Prince Rudolf) et Ludmila Pagliero (Mary Vetsera)

Le cinéma s’est d’ailleurs emparé assez tôt de cette histoire, d’abord avec la version lumineuse et poétique d’Anatole Litvak, en 1936, qui réunit Danielle Darrieux et Charles Boyer, puis il y eut celle de Jean Delannoy en 1949, ‘Le Secret de Mayerling’, où figurent Jean Marais et Dominique Blanchar, et enfin vint s'imposer la version plus célèbre de Terence Young qui afficha Omar Sharif et Catherine Deneuve en 1968.

Puis, le 14 février 1978, jour de la Saint Valentin, le ballet du Royal Opera House de Londres interpréta une version chorégraphique de ‘Mayerling’ créée par Kenneth MacMillan qui aura connu 146 représentations au 30 novembre 2022 (ce ballet est repris à Londres au même moment qu'il est créé à Paris à l'automne 2022).

Mathieu Ganio (Prince Rudolf) et Laura Hecquet (Marie Larisch)

Mathieu Ganio (Prince Rudolf) et Laura Hecquet (Marie Larisch)

L’entrée au répertoire de l’Opéra de Paris de cette version, dans les décors et costumes issus des ateliers de l’institution parisienne, est donc un grand évènement, salué par le public tous les soirs, parce qu’il permet d’aller à la rencontre d’un profil psychologique noir et très intéressant.

Car la vision que présente Kenneth MacMillan de Rodolphe est celle d’un jeune homme en révolte contre une cour qui l’oppresse, et qui en souffre au point d’être engagé dans une quête suicidaire de la femme avec laquelle il pourra inscrire définitivement leur amour dans la mort.

L’histoire est complexe à suivre et nécessite d’être étudiée en amont, d’autant plus que pas moins de 6 femmes interviennent dans la vie du Prince

Mathieu Ganio (Prince Rudolf) et Héloïse Bourdon (Impératrice Elizabeth)

Mathieu Ganio (Prince Rudolf) et Héloïse Bourdon (Impératrice Elizabeth)

Il y a d’abord Stéphanie, qu’il a épousé mais qu’il n’aime pas, puis Louise, la sœur de sa femme, qu’il courtise par jeu, puis sa mère, l’Impératrice Elisabeth, plus connue sous le nom de Sissi, qui lui témoigne peu d’amour, voir aucun, la Comtesse Marie Larisch, son ancienne amante qui le comprend le mieux, Mizzi Caspar, la courtisane qui refusera de mourir avec lui, et enfin Mary Vetsera qui, elle, va s’éprendre pour lui d’un amour romantique et dangereux qui aboutira au double suicide final.

Ludmila Pagliero (Mary Vetsera)

Ludmila Pagliero (Mary Vetsera)

Dans la première partie, toute la pompe et la lourdeur de la cour impériale sont restituées dans les décors sombres où se devinent les colonnes de portraits de la Hofburg de Vienne. Mathieu Ganio incarne un Prince qui se livre à contre cœur aux règles formelles, et dans sa danse transparaissent des petites faiblesses à respecter le classicisme de la chorégraphie initiale. La relation affective à sa mère qui le dédaigne est poignante, au point de clairement faire apparaître qu’elle est un élément d’explication du comportement destructeur qui va suivre.

Ludmila Pagliero (Mary Vetsera) et Mathieu Ganio (Prince Rudolf)

Ludmila Pagliero (Mary Vetsera) et Mathieu Ganio (Prince Rudolf)

Car à partir du développement de sa relation avec Mary, au second acte, on peut voir le grand tragédien prendre le dessus, se plier à la gestuelle piquée et torturée, et décrire un magnifique portrait d’un homme qui plonge dans le désespoir avec de la détermination et une véritable profondeur.

Il faut dire que Ludmila Pagliero est pour lui une immense partenaire. Tonicité aussi bien dans l’impulsivité que la délicatesse, sens du tragique, perfection du jeu, expressivité de ses torsions, tout est juste dans sa manière de faire vivre Mary et d’en faire une femme forte maîtresse de ses désirs. Une simple robe légère noire suffit à suggérer l’âme de cette femme qui progressivement se révèle.

Eleonore Guérineau (Princesse Stéphanie)

Eleonore Guérineau (Princesse Stéphanie)

Et les autres partenaires de Mathieu Ganio sont tout aussi signifiantes dans leurs rôles respectifs, Eleonore Guérineau dans le très beau solo aux formes galbées qui se mue en duo faussement joyeux pour en révéler sa tristesse quand Stéphanie finit par ployer sous la violence ironique du Prince, Laura Hecquet, qui incarne une femme blessée mais prévenante, conventionnelle et fluide, et guidée par le souvenir d’un bonheur disparu, ou bien la sophistication de Bleuenn Battistoni, nommée première danseuse quelques jours plus tard le 05 novembre, très assurée et déjà excellente comédienne dans la rôle de Mitzi.

Ce qui frappe également, dans cette production, est à quel point l’Impératrice, jouée avec allure par Héloïse Bourdon, est un personnage froid, manipulateur et bien peu sympathique.

Pablo Legasa (Officier hongrois) - représentation du 26 octobre 2022

Pablo Legasa (Officier hongrois) - représentation du 26 octobre 2022

Mais il y a aussi les quatre officiers hongrois qui représentent l’inspiration libérale et libertaire nécessaire à l’équilibre de Rodolphe. Le premier d’entre-eux est incarné pour un soir par Pablo Legasa, splendide de tenue et excellent dans son jeu trouble, et un autre soir par Nikolaus Tudorin, d’une vivacité qui en fait tout son panache.

Enfin, impeccable de droiture, le Bratfisch très inspiré d’Andréa Sarri fait tout autant grande impression.

La chorégraphie de Kenneth MacMillan atteint sa plus haute vérité expressive dans les grands pas de deux qui donnent beaucoup de force aux fins des 3 actes, d'autant plus qu’ils sont associés au meilleur de la musique de Franz Liszt extraite des ‘Études d’exécution transcendante’. La réorchestration symphonique de John Lanchberry accroit l'ampleur tragique de ces passages, qui résonne avec des sonorités bien connues de la musique de Tchaikovski ou bien de Rachmaninov.

Mathieu Ganio (Prince Rudolf) et Bleuenn Battistoni (Mitzi Caspar)

Mathieu Ganio (Prince Rudolf) et Bleuenn Battistoni (Mitzi Caspar)

On retrouve aussi cette noirceur romantique dans la ‘Faust Symphonie‘, l’ ‘Héroïde funèbre’ et les ‘Funérailles’ qui ouvrent et ferment le ballet sur l’image du corps de Mary amenée vers un cercueil afin d’effacer les traces du drame. 

Mais à d’autres moments, la musique est plus triviale, dans la scène de cabaret par exemple, ce qui engendre une traduction chorégraphique un peu trop illustrative, et à d’autres moments, à l’instar de la scène des cartes, elle devient plus inspirée, alors qu’il ne se passe pas grand-chose sur scène. L’épisode de la partie de chasse qui débute le 3e acte reste par ailleurs très convenu sans qu’il ne soit utilisé de manière déterminante dans le discours dramaturgique.

Et au cœur du second acte, quelques minutes de recueillement sont dévouées à l'écoute d'un des lieder de Franz Liszt 'Ich Scheide', composé en 1860, qui est interprété par une jeune artiste lyrique, Juliette Mey, qui incarne Katharina Schratt, actrice autrichienne qui fut une amie de l'Empereur Franz Joseph.

Juliette Mey (Katharina Schratt) interprétant 'Ich Scheide'

Juliette Mey (Katharina Schratt) interprétant 'Ich Scheide'

Il n’y a donc pas une unité stylistique tout au long du ballet, et Martin Yates tire de la musique de Liszt des sonorités un peu trop rêches sans donner un élan suffisamment enlevé, même si lors de la soirée du 04 novembre l’orchestre a paru plus dense et chaleureux.

Mais un tel sujet est si inspirant que, paradoxalement, l’entrée tardive de ‘Mayerling’ au répertoire de la maison suggère déjà qu’il serait un parfait sujet pour une version moderne de cette histoire, aussi bien sur le plan musical que chorégraphique.

Pablo Legasa, Ludmila Pagliero, Mathieu Ganio et Laura Hecquet

Pablo Legasa, Ludmila Pagliero, Mathieu Ganio et Laura Hecquet

Matinée du 01 novembre 2022

Fortement sollicitant pour les danseuses et danseurs, ‘Mayerling’ est joué tous les soirs , si bien que plusieurs distributions sont prévues.

L’une d’elles fait intervenir dans les deux rôles principaux un couple différent de celui formé par Ludmila Pagliero et Mathieu Ganio, car bien plus jeune, qui réunit Hohyun Kang et Paul Marque.

Hohyun Kang (Mary Vetsera) et Paul Marque (Prince Rudolf)

Hohyun Kang (Mary Vetsera) et Paul Marque (Prince Rudolf)

Le danseur étoile joue un personnage plus fin et élégant dans la gestuelle classique, mais aussi plus dur de tempérament. L’alliage avec la danseuse coréenne, qui a été promue ‘sujet’ à l’issue du concours annuel du corps de ballet qui s’est tenu au Palais Garnier les 4 et 5 novembre, fonctionne à merveille, et Hohyun Kang renvoie une image de pureté dramatique qui éblouit par sa virtuosité.

L’histoire de ce couple gagne ainsi en fraîcheur et spontanéité, ce qui contraste avec la noirceur perverse plus mortifère de leurs aînés.

Paul Marque et Hohyun Kang

Paul Marque et Hohyun Kang

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Publié le 15 Octobre 2022

Giselle (Akram Khan – 2016)
Représentation du 12 octobre 2022
Théâtre des Champs-Elysées

Giselle Tamara Rojo
Albrecht Isaac Hernández
Hilarion Ken Saruhashi
Myrtha Stina Quagebeur

Chorégraphie Akram Khan (2016)
Conception sonore Vincenzo Lamagna

English National Ballet

d’après la trame originale d’Adolphe Adam

La venue de l’English National Ballet au Théâtre des Champs-Elysées est une occasion de découvrir comment une référence du ballet romantique de la première moitié du XIXe siècle peut être adaptée pour séduire un public d’aujourd’hui.

Tamara Rojo (Giselle)

Tamara Rojo (Giselle)

‘Giselle’ d’Adolphe Adam a été créé à la salle Le Peletier de l’Académie Royale de Musique le 28 juin 1841 sur une chorégraphie de Jean Coralli et Jules Perrot qui est toujours au répertoire de l’Opéra national de Paris. Il s’agit toutefois d’une version qui fut adaptée par Patrice Bart et Eugène Polyakov au moment où ce ballet mythique fit son retour sur la scène du Palais Garnier, le 25 avril 1991, et elle enregistre dorénavant 170 représentations sur les 30 dernières années.

La version de ‘Giselle’ qu’a imaginé Akram Khan pour l’English National Ballet a été créée au Palace Theatre de Manchester le 27 septembre 2016. La musique a été composée par un musicien italien installé à Londres, Vincenzo Lamagna, musique électronique répétitive qui s’avère souvent dure et monumentale, comme pour évoquer la lourde machinerie du monde industriel moderne.

Tamara Rojo (Giselle) et Isaac Hernández (Albrecht)

Tamara Rojo (Giselle) et Isaac Hernández (Albrecht)

On se retrouve ainsi saisi par un univers sonore qui rappelle celui de grands films épiques ou d’anticipation (‘Blade Runner’, ‘Dune’), mais des motifs de la musique d’Adolphe Adam s’insèrent également avec un traitement acoustique et spatial grandiose qui leur donne une dimension futuriste obsédante. 

Le mystère et la méditation sont loin d’être absents, surtout en seconde partie, et c’est un plaisir béat que de se laisser porter par les rythmes et la gestuelle orientalisantes du Kathak, danse indienne dont Akram Khan est un interprète reconnu, qui s’immiscent dans la chorégraphie pour mettre en valeur la vitalité et les magnifiques mouvements d’ensembles ornementaux et plein d’allant du corps de ballet.

Tamara Rojo (Giselle) et Isaac Hernández (Albrecht)

Tamara Rojo (Giselle) et Isaac Hernández (Albrecht)

Le décor se limite à un immense mur pivotant autour d’un axe central situé en hauteur et parallèle à la longueur de la scène, sur lequel sont imprimées les traces des mains des danseurs. L’ambiance est sombre, et l’on ressent que ces femmes et hommes avec lesquels Giselle vit sont enfermés dans un monde oppressant qui restreint leur liberté.

Ken Saruhashi (Hilarion) et les danseurs de l'English National Ballet

Ken Saruhashi (Hilarion) et les danseurs de l'English National Ballet

Tamara Rojo dessine une Giselle aux émotions parfaitement contrôlées, souple et naturelle dans ses poses arquées, forte et déterminée sur pointes au royaume des Willis. En Albrecht, le riche noble, Isaac Hernández est un partenaire bienveillant mais aussi assez lisse, moins marquant que le redoutable Ken Saruhashi qui brosse un portrait remarquablement anguleux, fort et sincère d’Hilarion par son amour sombre pour la jeune fille, avec une célérité et une précision de mouvement splendides.

Tamara Rojo (Giselle) et Ken Saruhashi (Hilarion)

Tamara Rojo (Giselle) et Ken Saruhashi (Hilarion)

Stina Quagebeur, très sollicitée sur ses pointes omniprésentes qui traduisent bien la nature acérée du tempérament de Myrtha, offre une vision insaisissable de cette créature vengeresse, sous des lumières bleutées, comme dans le ballet classique. Toutefois, dans cette seconde partie, la musique n’exprime pas la même délicatesse à fleur de peau que celle d’Adolphe Adam, et les affectations se ressentent moins. La chorégraphie, très épurée, esthétise surtout une danse de la mort entre Albrecht et Giselle pour sublimer l’harmonie qui lie les deux êtres.

Tamara Rojo (Giselle) et les Willis

Tamara Rojo (Giselle) et les Willis

Et si la modernité de la musique associée à un univers fantastique est un facteur immersif important capable d’emporter l’adhésion d’une large audience, et que la chorégraphie use de langages très divers pour exprimer les sentiments des personnages, on retrouve dans ce spectacle un défaut qui parcoure beaucoup d’œuvres cinématographiques aujourd’hui en ce qu’il ne représente pas de personnalités suffisamment fortes qui dépassent la propre trame dramatique de l'ouvrage.

Tamara Rojo (Giselle) et Isaac Hernández (Albrecht)

Tamara Rojo (Giselle) et Isaac Hernández (Albrecht)

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Publié le 23 Juin 2022

Barbe-Bleue (Pina Bausch - 1977) Théâtre du Châtelet
Blaubart. Beim Anhören einer Tonbandaufnahme von Béla Bartóks Oper ‘Herzog Blaubarts Burg’
Représentation du 22 juin 2022
Théâtre du Châtelet – Théâtre de la ville

Musique Béla Bartok (1918)
Version du ‘Chateau de Barbe-Bleue’ enregistrée par l’Orchestre symphonique de la radio de Berlin en 1958 pour Deutsche Grammophon avec Dietrich Fischer-Dieskau et Hertha Topper sous la direction de Ferenc Fricsay

Judith Tsai-Chin Yu
Barbe-Bleue Reginald Lefebvre

Tanztheater Wuppertal
Mise en scène et chorégraphie Pina Bausch


Assister à une représentation de 'Barbe-Bleue' dans la chorégraphie créée le 08 janvier 1977 par Pina Bausch et sa compagnie, le Tanztheater Wuppertal, est une expérience toujours aussi éprouvante pour le spectateur d’aujourd’hui, car la violence des rapports entre hommes et femmes qui est mise en scène se double d’une utilisation de la musique enregistrée de l’opéra de Bartok qui est systématiquement interrompue et ramenée en arrière comme pour torturer le cerveau de l’auditeur qui ne souhaite pas ces altérations.

Tsai-Chin Yu (Judith)

Tsai-Chin Yu (Judith)

Le décor pourtant poétique baigne dans une lumière automnale sur un lit de feuilles mortes qui déborde jusqu’aux moindres interstices de la scène surplombée d’un arc doré, et les fenêtres mal lavées de la pièce principale laissent entrevoir un extérieur pourtant inaccessible.

Barbe-Bleue est ainsi le jeune maître de ce refuge et du temps qui s’y écoule, libre d’activer une platine pour laisser jouer la musique de Bartok et de l’arrêter quand elle ne s’inscrit plus dans l’humeur qui l’anime. D’où ces retours répétés alors qu’il est traîné au sol par Judith comme un fardeau qui recherche le réconfort sans se soucier du poids qui s’applique à l’autre

Reginald Lefebvre (Barbe-Bleue) et Tsai-Chin Yu (Judith)

Reginald Lefebvre (Barbe-Bleue) et Tsai-Chin Yu (Judith)

Un groupe d’hommes et de femmes survient, marchant lentement têtes baissées comme des zombies vidés de leurs envies, et Judith semble vouloir libérer ces femmes et les ranimer. Un véritable combat débute où les forces émotionnelles, les positionnements sexuels parfois fort agressifs, y compris de la part des femmes, et les élans de réconforts se mêlent dans une chorégraphie qui ne craint ni les chocs avec les murs de la réalité, ni les rires déployés ou les cris hystériques.

Tanztheater Wuppertal

Tanztheater Wuppertal

Et l’on assiste bouche bée à une diffraction des comportements humains des deux sexes qui peuvent se révéler très touchants, y compris dans les reflets de Barbe-Bleue quand l’un des danseurs s’écroule répétitivement dans un cri de douleur comme un homme au cœur brisé souffrant de son désir pour l’autre, tel un adolescent en pleine peine romantique.

Tsai-Chin Yu (Judith) et Reginald Lefebvre (Barbe-Bleue)

Tsai-Chin Yu (Judith) et Reginald Lefebvre (Barbe-Bleue)

Ce voyage dans la psyché humaine laisse éclore des moments plus légers quand il s’agit de moquer le conditionnement des hommes qui se croient obligés de singer des pauses masculines afin de se rassurer sur leur virilité, sans éviter les moments qui mettent le plus mal à l’aise quand une femme oppose une petite poupée à un Barbe-Bleue dominateur, comme si un conditionnement se mettait en place dès l’enfance et que le rapport de force était disproportionné.

La chevelure est un moyen puissamment esthétique de signifier la soumission de la féminité lorsqu'elle masque les visages, et la compassion est systématiquement exprimée par les femmes, comme si leur besoin de sauver l’autre était plus fort malgré de tels jeux pervers.

Barbe-Bleue (Pina Bausch Tanztheater Wuppertal) Théâtre du Châtelet

Tsai-Chin Yu est absolument bouleversante, bras levés au ciel, tout en laissant son corps s’effondrer pour, ensuite, retrouver une élasticité dans ses élans vers l’autre, poussée vers une irrésistible attirance pour le danger. Les tentatives de réconciliation tournent court, et le besoin d’écraser le second sexe est ici décrit au moyen d’un empilement par Barbe-Bleue des corps inanimés de trois femmes sur une même chaise 

Reginald Lefebvre (Barbe-Bleue)

Reginald Lefebvre (Barbe-Bleue)

Mais cet homme malade se laisse submerger. Et pour montrer qu’il rythme la vie des autres jusqu’au bout, même sans l'aide du moindre moyen technique, des couples parcourent dans tous les sens la pièce infernale en s’immobilisant à chaque claquement de ses mains, faisant se figer des poses facilement lisibles en 4 ou 5 tableaux différents qui se répètent inlassablement, alors que Judith, étouffée, se vide de sa substance.

Cette spirale itérative agit aussi sur les nerfs du spectateur qui se sent pris dans un mouvement infini inarrêtable.

Tanztheater Wuppertal

Tanztheater Wuppertal

Ce retour aux prémisses des grands mouvements féministes permet de mesurer comment la société a évolué jusqu’à aujourd’hui et de constater comment les questions sur la masculinité ont été surmontées depuis; Et appréhender ce spectacle pour ses qualités artistiques et ce qu’il exige des fantastiques danseurs et danseuses du Tanztheater Wuppertal est aussi un défi pour tous les spectateurs.

La reprise de 'Kontaktof' au Palais Garnier en décembre 2022, une pièce créée un an après en 1978, sera une manière de poursuivre cette exploration du langage de Pina Bausch formé d’entrelacs de mouvements dansés et de musiques enregistrées, qui sont exploités afin de bouleverser les codes de la représentation des relations humaines. 

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Publié le 8 Mai 2022

Mats Ek (Carmen – Another Place - Boléro)
Répétition générale du 04 mai 2022
Palais Garnier

Carmen (Georges Bizet - Rodion Chtchedrine)
Ballet créé le 15 mai 1992 par le ballet Cullberg à la Maison de la Danse de Stockholm
Carmen Letizia Galloni
Don José Simon Le Borgne
M Ida Viikinkoski
Escamillo Florent Melac
Gipsy Takeru Coste
Capitaine Daniel Stokes

Another Place (Franz Liszt - Sonate pour piano en si mineur)
Ballet créé le 22 juin 2019 pour le Ballet de l’Opéra de Paris
Pièce dédiée à Agnes de Mille
Soliste Femme Alice Renavand
Soliste Homme Mathieu Ganio

Boléro (Maurice Ravel)
Pièce dédiée à Sven
Artistes du corps de Ballet de l’Opéra de Paris
Avec la participation exceptionnelle d’Yvan Auzely    
Ida Viikinkoski et Simon Le Borgne

Chorégraphie Mats Ek
Piano Staffan Scheja
Direction musicale Jonathan Darlington

La reprise des trois ballets de Mats Ek entrés au répertoire de l’Opéra de Paris le 22 juin 2019 est l’occasion de retrouver trois œuvres musicales classiques révisées par le regard audacieux, et parfois cruel, du chorégraphe, et de retrouver également le chef d’orchestre Jonathan Darlington qui les dirigeait à leur création. Il célèbre ainsi ses 31 ans de relation avec la maison puisque c’est comme assistant de Myung Yun Chung qu’il y fit ses débuts pour la première saison de l’Opéra Bastille où il dirigea, en janvier 1991, 'Les Noces de Figaro' dans la production de Giorgio Strehler.

Florent Melac (Escamillo), Letizia Galloni (Carmen) et le corps de Ballet

Florent Melac (Escamillo), Letizia Galloni (Carmen) et le corps de Ballet

Mais d'abord, petit retour en arrière : le 20 avril 1967, entra au répertoire du Théâtre du Bolshoi une version de 'Carmen' chorégraphiée par Alberto Alonso sur une musique de Rodio Chtchedrine, et arrangée pour cordes et 47 percussions d’après le célèbre opéra de Georges Bizet. 'Carmen Suite', dénommée ainsi, offrit un superbe rôle à Maya Plitsetskaya, la femme du compositeur russe, qu’elle dansera 350 fois jusqu’à l'âge de 65 ans.

Cette version traditionnelle bourrée de clichés hispanisants est toujours à l’affiche de l’institution moscovite, mais, révisée par Mats Ek, elle porte un regard impitoyable et bien moins souriant malgré ses grandes scènes de vie où les danseurs crient, s’exclament et vivent comme dans la rue. 

Carmen Suite

Carmen Suite

Les ensembles colorés ont parfois des allures de danse indienne populaire, mais les solistes sont considérés avec un sens de l’expressivité tout à fait unique. Simon Le Borgne est un Don José où tout dans les postures, le poids sur les épaules et le regard noir font ressentir comment un homme est en train de devenir fou et de s’effondrer intérieurement, après que Carmen lui ait déchiré le cœur en retirant de son torse un dérisoire foulard rouge. Il représente le contraire du danseur doucereusement romantique, et il apparaît tel un garçon auquel le spectateur d’aujourd’hui pourrait facilement s’identifier car il dessine des portraits pulsés et très fortement expressionnistes comme s’il faisait vivre sur scène des personnages peints par Egon Schiele

La manière dont on le voit s’enfermer dans ses obsessions alors que la musique devient circulaire et répétitive à la manière de Philip Glass laissera une empreinte totalement indélébile.

Letizia Galloni (Carmen) et Simon Le Borgne (Don José)

Letizia Galloni (Carmen) et Simon Le Borgne (Don José)

Et dans ce ballet, Carmen, livrée aux élans fluides, aux postures sexuellement provocantes et à la grâce de Letizia Galloni, est parfaitement montrée pour que notre regard voit que tout ce qu’elle incarne est faux et que Don José se leurre, même quand elle semble tendrement compatissante. Il ne s'agit plus du tout d'une œuvre sur la liberté mais sur les erreurs de regard. 

Ida Viikinkoski, formidablement ductile et courbée de douleur pour essayer de faire revenir Don José à la raison, est éblouissante de présence féline ondoyante, et Jonathan Darlington fait vivre la musique avec un très beau relief, ample et chaleureux, tout en restant dans un choix de rythmes précis et mesurés qui créent un liant à la fois dense et fin.

Mathieu Ganio

Mathieu Ganio

Après un tel ouvrage qui occupe la moitié de la soirée, succède une pièce spécialement conçue pour Aurélie Dupont avec laquelle elle fit sa dernière apparition sur scène en juin 2019, 'Another place'.

Sur la ‘Sonate pour piano en si mineur’ de Franz Liszt dont Staffan Scheja adoucit la brutalité et approfondit une lumineuse noirceur, Alice Renavand et Mathieu Ganio, elle, sévère et impressionnante par sa manière de diriger et laisser aller son corps avec un semblant de total détachement, lui, étonnant d’assurance à incarner l’homme ordinaire, se cherchent autour d’une petite table en faisant vivre le pathétique d’un couple qui ne se trouve pas, même dans les reflets des glaces du foyer de la danse qui s’ouvre spectaculairement sur tout le lointain de la scène Garnier.

Regard d'enfant sur Alice Renavand dans 'Another place'

Regard d'enfant sur Alice Renavand dans 'Another place'

L’atmosphère de cette œuvre, belle de désespoir, est ponctuée d’intrépides et dérisoires petits gestes corporels, comme s'il y avait dans ce couple un refus de céder au bonheur romantique, une rigidité intellectuelle qui se garde des illusions.

Et dans la continuité d’un simple fondu enchaîné qui se déroule sur cette même scène totalement ouverte sur ses coulisses sans fard et artifices, un homme en complet beige au regard caché par son chapeau se met à faire des va-et-vient avec un sceau afin de remplir patiemment une baignoire alors que des danseurs et danseuses mollets à vif et vêtus de noir entament une chorégraphie ludique, comme des jeunes de rue qui se retrouvent pour préparer quelque chose d’inattendu, alors que des ombres sinueuses se projettent progressivement au sol.

Alice Renavand et Mathieu Ganio

Alice Renavand et Mathieu Ganio

Les mouvements répétitifs de la musique auxquels répondent ceux de l’homme et des jeunes font énormément penser à l’art vidéographique de Bill Viola qui pousse l’observateur à suivre méticuleusement une scène de vie, dans la nature ou en ville, semblant dérouler son cours à l’infini avant que, subitement, les évènements ne se précipitent et bousculent tout. 

Cette montée de la cristallisation d’un évènement est ici imagée par la musique qui va crescendo avec des sonorités qui deviennent de plus en plus massives et semblent solidifier la structure de l’orchestration dès lors que la relation entre les jeunes et l’homme vire à la confrontation et la dérision, et s'achève par un splendide et comique pied-de-nez quand ce dernier accélère sa gestuelle brutalement et se jette tout habillé dans le bain qu’il se préparait depuis un quart d’heure.

Boléro de Ravel

Boléro de Ravel

Une façon de finir la soirée sur une note de légèreté et d’absurde qui invite à sourire de la vie de manière désabusée.

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