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Publié le 1 Janvier 2023

Le Lac des Cygnes (Tchaïkovski – Bolshoi de Moscou, 4 mars 1877) 
Représentations du 22 et 31 décembre 2022
Opéra Bastille
Première historique le 15 octobre 1964 à l’Opéra de Vienne 
Production remaniée pour le ballet de l’Opéra National de Paris le 20 décembre 1984

Odette/Odile Valentine Colasante
Le Prince Siegfried Paul Marque
Rothbart Jérémy-Loup Quer
La Reine Lucie Fenwick 
Le pas de trois Bianca Scudamore
                        Naïs Duboscq
                        Andrea Sarri

Chorégraphie de Rudolf Noureev 
d’après Marius Petipa et Lev Ivanov
Décors Ezio Frigerio
Costumes Franca Squarciapino
Lumières Vinicio Cheli
Orchestre de l’Opéra national de Paris
Direction musicale Vello Pähn

 

 

Le 'Lac des cygnes' est la première musique de ballet commandée à Tchaïkovski. Elle fut donnée pour la première fois au Théâtre Bolchoï de Moscou le 4 mars 1877 dans une chorégraphie de Julius Wenzel Reisinger
La création véritable du 'Lac des cygnes' dans la chorégraphie de Marius Petipa et Lev Ivanov – devenue la version de référence – date cependant du 27 janvier 1895, soit deux ans après la disparition du compositeur. 

Paul Marque (Siegfried) et Valentine Colasante (Odette)

Paul Marque (Siegfried) et Valentine Colasante (Odette)

Comme pour 'La Belle au bois dormant', ce sont les Ballets Russes de Diaghilev qui montrèrent pour la première fois – à Londres, en 1911 – la version de Petipa-Ivanov revue par Fokine, avec Mathilda Kschessinksa et Vaslav Nijinski
Le 'Lac des cygnes', dans sa version intégrale, n’entrera d’ailleurs au répertoire du Ballet de l’Opéra de Paris qu’en 1960, dans la version de Vladimir Bourmeister que le Théâtre du Châtelet avait accueilli en 1956.

Jérémy-Loup Quer (Rothbart) et Paul Marque (Siegfried)

Jérémy-Loup Quer (Rothbart) et Paul Marque (Siegfried)

Quand Noureev entreprend sa propre version de l’ouvrage intégral (créée en octobre 1964 à l’Opéra de Vienne), il se base sur la chorégraphie de Marius Petipa et Lev Ivanov, étoffe le rôle du Prince, et surtout développe sa psychologie par des fantasmes qui l’entraînent à sa perte, en courant éperdument après l’illusion d’une femme-cygne. Il ajoute également au premier acte une variation pour Siegfried sur la musique de l’adante sostenuto du pas-de-trois.

Valentine Colasante (Odette)

Valentine Colasante (Odette)

Vingt ans plus tard, il améliore à nouveau cette version à l’occasion de son entrée au Palais Garnier, le 20 décembre 1984, en renforçant le personnage de Rothbart dans le pas de trois du troisième acte, et dans le duo final avec le Prince. L’éclairage est également mis sur la ‘Danse des coupes’ du premier acte interprétée uniquement par 16 garçons dont l’esprit de liberté inspire Siegfried.

Pour cette première, Charles Jude remplace Rudolf Noureev, souffrant d’une fatigue musculaire.

Paul Marque (Siegfried)

Paul Marque (Siegfried)

Enfin, après un bref retour de la version Bourmeister à l’Opéra Bastille en 1992, la version Noureev est adaptée au vaste espace de cette scène et connaît une première resplendissante le 09 décembre 1994 avec Charles Jude en Prince.

A cette occasion, José Martinez incarne pour la première fois ce noble romantique lors de deux soirées, à l’âge de 25 ans.

Paul Marque (Siegfried) et Jérémy-Loup Quer (Rothbart)

Paul Marque (Siegfried) et Jérémy-Loup Quer (Rothbart)

25 ans, c’est aussi l’âge de Paul Marque qui incarne le Prince en ce soir de Réveillon du Nouvel An 2023. L’unique danseur étoile prévu pour cette reprise est absolument magnifique, mû par une douceur caressante qui insuffle tous ses gestes, y compris en fin de soubresauts ou bien lorsqu’il relève les cygnes un par un au dernier acte. 

Paul Marque (Siegfried)

Paul Marque (Siegfried)

Très bel artiste à l’élégance classique d’une harmonie très émouvante, ses tours en l’air s’achèvent avec un panache splendide et toujours avec une souplesse de mouvement qui touche au cœur tant il porte en lui l’inspiration romantique dont il a toujours rêvé.

Audace et poésie, Paul Marque fait honneur à l’esprit ce de grand ballet auquel il unit une vitalité mélancolique poignante.

Paul Marque (Siegfried) et Valentine Colasante (Odile)

Paul Marque (Siegfried) et Valentine Colasante (Odile)

Le duo qu’il forme avec Valentine Colasante est d’une très grande maturité, et il règne entre eux-deux, dans la rencontre au bord du Lac, une attention à la subtilité des signes et aux traits de douceurs qui rend très humaine leur relation idéalisée. Mouvements des bras à la légèreté gracieuse, sentiment d’intériorité très marqué, la danseuse étoile aux origines italiennes fait vivre un vrai portrait de femme très concentrée, sûre de sa technique et de la profondeur qu’elle exprime.

Jérémy-Loup Quer (Rothbart) et Paul Marque (Siegfried)

Jérémy-Loup Quer (Rothbart) et Paul Marque (Siegfried)

Il est alors passionnant de voir comment ce naturel se transforme, dans le rôle du Cygne noir, en tempérament joueur, plus virtuose et athlétique, et comment elle s’allie au personnage de Rothbart pour entrer dans un rôle de séduction provocante, mais sans introduire une rupture trop nette entre ses deux personnalités de femmes. Lorsqu’elle est Odile dans les bras de Siegfried, on retrouve aussi un vrai personnage entier et éclatant. Mais le grand éclat de rire dans un impressionnant mouvement de courbure est impitoyable pour le Prince.

Jérémy-Loup Quer (Rothbart)

Jérémy-Loup Quer (Rothbart)

Avec son allure très effilée, Jérémy-Loup Quer, tout juste nommé premier danseur en novembre dernier, impressionne par la célérité de sa danse, notamment dans le grand pas de trois du troisième acte. Sous ses traits, Rothbart est d’une grande jeunesse, et c’est donc le faux-ami du Prince qui est ici mis en avant. Car ce personnage complexe intègre de nombreuses facettes construites au fur et à mesure que Rudolf Noureev a développé sa chorégraphie. Il peut apparaître comme une figure paternaliste dominante, ou comme un être au caractère aiguisé avec des lignes de fuites très aériennes tel que le dessine ce jeune danseur gracile.

La danse des coupes

La danse des coupes

Mais le ‘Lac des Cygnes’ c’est aussi des danses entraînantes, polonaise, mazurka, valse, très bien rendues par le corps de ballet, avec beaucoup d’allant, des ensembles de cygnes aux grandes gestes synchronisés et qui inspirent un très grand sentiment de sérénité dans une lueur bleutée prégnante, ainsi que des pas de trois où Andrea Sarri se fait remarquer par sa robustesse et la solidité de sa technique qui lui permettent une impétuosité alerte fort accrocheuse.

Andrea Sarri

Andrea Sarri

Il y a exactement 30 ans que Vello Pähn a dirigé son premier ‘Lac des Cygnes’, version Bourmeister, sur la scène Bastille. En ce soir de 31 décembre, il imprègne la musique d’un très agréable moelleux, sans perdre en tonicité, qui s’allie à merveille au duo formé par Paul Marque et Valentine Colasante. Très attentif aux nuances, au mariages des teintes cuivrées et des cordes, sa lecture draine un éclat crépusculaire d’une grande profondeur sur une rythmique mesurée. 

Paul Marque (Siegfried) et Valentine Colasante (Odette)

Paul Marque (Siegfried) et Valentine Colasante (Odette)

Les cors sont légèrement couverts, les vents subliment la poésie qui émane de la délicatesse des danseurs solistes, et il y a aussi ce magnifique passage du premier violon, aux vibrations irrésistiblement déchirantes qui se muent ensuite en une brillante virtuosité céleste. Un frémissement inoubliable, qui montre comment ce grand spectacle livré aux mains de grands artistes peut préserver toute sa force émotionnelle à travers des décennies. 

Jérémy-Loup Quer (Rothbart), Paul Marque (Siegfried) et Valentine Colasante (Odette)

Jérémy-Loup Quer (Rothbart), Paul Marque (Siegfried) et Valentine Colasante (Odette)

Charles Jude expliquait ainsi, en 1997, qu’il avait considéré dès le départ que la version du ‘Lac des Cygnes’ de Rudolf Noureev était la meilleure – il ne faut pas oublier qu’en 1984 certains artistes ne croyaient pas qu’elle pourrait s’imposer face à la version Bourmeister -, et le temps lui donne aujourd’hui à nouveau raison avec une évidence incontestable.

La salle de l'Opéra Bastille à l'issue de la représentation du 31 décembre 2022

La salle de l'Opéra Bastille à l'issue de la représentation du 31 décembre 2022

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Publié le 13 Octobre 2020

Rudolf Noureev (extraits de ballets chorégraphiés entre 1979 et 1989)
Représentation du 12 octobre 2020
Palais Garnier

Tchaïkovski
Casse-noisette – Adages de l’acte I et de l’acte II
Dorothée Gilbert, Paul Marque

Prokofiev
Cendrillon Adage du tabouret
Alice Renavand, Florent Magnenet

Prokofiev
Roméo et Juliette – Pas de deux du balcon
Myriam Ould-Braham, Germain Louvet
(ci contre)

Minkus
Don Quichotte – Pas de deux de l’acte III
Valentine Colasante, Francesco Mura

Tchaïkovski
Le Lac des cygnes – Pas de deux de l’acte II
Amandine Albisson, Audric Bezard

Tchaïkovski / Noureev
Manfred – Variation du poète, extrait du 4e tableau
Mathias Heymann

Tchaïkovski
La belle au bois dormant – Pas de deux de l’acte III
Léonore Baulac, Germain Louvet

Musiques enregistrées

La montée en puissance des artistes de l’Opéra de Paris se confirme depuis la reprise des représentations, et la série de ballets classiques et contemporains programmés en octobre et novembre s’inscrit dans la même dynamique que celle suivie par les musiciens et choristes.

Le programme imaginé ce soir rend hommage au danseur et chorégraphe Tatare Rudolf Noureev, et évoque principalement sa période passée à la direction du ballet de septembre 1983 à juillet 1989.

Dorothée Gilbert et Paul Marque (Casse-Noisette)

Dorothée Gilbert et Paul Marque (Casse-Noisette)

Entré au Palais Garnier lors de la répétition générale de La belle au bois dormant le 15 mai 1961, la veille de sa demande d'asile politique à l'aéroport du Bourget, Rudolf Noureev reçoit en 1973 une proposition de l’Opéra pour diriger la troupe. Mais comme il exige de pouvoir danser partout dans le monde dans le même temps, le projet est une première fois abandonné.

Le 20 novembre 1979, il chorégraphie au Palais des Sports, et pour le ballet de l’Opéra de Paris, Manfred, une allusion à la vie de Byron chorégraphiée sur une musique de TchaïkovskiNoureev interprète le rôle du poète. Il remontera sa création au Palais Garnier en 1986.

Puis, le 06 mars 1981, il présente sa chorégraphie de Don Quichotte inspirée de Marius Petipa qu’il avait montée pour l’Opéra de Vienne en 1966, tout en reprenant le rôle de Basilio qu’il dansait depuis l’âge de 21 ans lorsqu’il faisait partie de la troupe du Kirov à Leningrad.

Alice Renavand et Florent Magnenet (Cendrillon)

Alice Renavand et Florent Magnenet (Cendrillon)

Lors de sa première saison en tant que directeur, inaugurée avec Raymonda – ballet non représenté ce soir -, l’impulsivité de Rudolf Noureev entre rapidement en conflit avec la maison et ses règles. Et l’on entend des échanges d’une virulence qui se révèle toujours d’actualité.

Il présente alors, en octobre 1984, la chorégraphie de Roméo et Juliette, sur la musique de Prokofiev, qu’il avait créée pour Londres en 1977 et présentée l’année suivante au Palais des Sports.

Le rôle de Juliette est celui d’une révoltée. Mais ce fantastique spectacle aux contours cinématographiques est mal accueilli ce qui incite le ballet à rappeler qu’il existe déjà la version soviétique de Bourmeister dans la maison.

Sous le coup des grèves, Noureev se concilie pourtant le corps de ballet et présente sa propre version du Lac des Cygnes en décembre 1984 (créée une première fois en 1964 à Vienne d’après Petipa) qui étoffe le personnage du Prince. Et la saison d’après, la reprise de l’ancienne version de Bourmeister rallie définitivement tous les danseurs à sa propre version.

Dorothée Gilbert et Paul Marque (Casse-Noisette)

Dorothée Gilbert et Paul Marque (Casse-Noisette)

La création de Casse-Noisette, le 19 décembre 1985, va ensuite déclencher la surprise du public de par l’originalité de sa conception – travaillée une première fois en 1967 pour Stockholm, puis en 1979 pour Berlin – axée sur l’imaginaire de Clara. La production est filmée en studio en 1988 et est toujours facilement accessible aujourd'hui.

Pour sa quatrième saison, il propose en création mondiale, le 25 octobre 1986, une chorégraphie de Cendrillon sur la musique de Prokofiev. Cette partition achevée en 1944 n’avait jamais été jouée à l’Opéra de Paris, et les références hollywoodiennes de Noureev initient une saison profondément américaine.

Valentine Colasante et Francesco Mura (Don Quichotte)

Valentine Colasante et Francesco Mura (Don Quichotte)

Après une cinquième saison marquée par beaucoup de reprises, Rudolf perd la danseuse dont il était si fier, Sylvie Guilhem, partie pour Londres, et s’apprête à présenter le jour de son anniversaire, le 17 mars 1989, sa version de La belle au bois dormant dont le dessin, resté proche de l’original de Petipa, valorise mieux les danses masculines. Mais c’est également jour de grève contre le projet de loi instaurant un diplôme d’État de professeur de danse.

Cependant, l’ouverture de l’Opéra Bastille se profile, et le Palais Garnier s’apprête à devenir le lieux principalement dédié aux ballets.

Amandine Albisson et Audric Bezard (Le lac des Cygnes)

Amandine Albisson et Audric Bezard (Le lac des Cygnes)

Pour faire revivre ces moments forts de la danse classique, la distribution réunie ce soir est une véritable occasion pour les spectateurs d’admirer les qualités artistiques et, surtout, les personnalités de quelques grands danseurs du corps de ballet, afin d’identifier de quels caractères ils se sentent chacun le plus proche.

Ainsi, dans les extraits de Casse-noisette, Dorothée Gilbert fait de Clara une adolescente mure, souriante mais à la main de fer, plus proche d’une femme très sûre de la destinée qu’elle dirige, alors que Paul Marque, au regard rusé, est la droiture même.

Puis, dans Cendrillon, Alice Renavand est une merveille de souplesse avec des cambrés d’une courbure incroyable, parcourue par une évanescence dans les mouvements de bras ondulants qui lui donne une légèreté à ravir Florent Magnenet, partenaire chaleureux d’une présence directe et sincère bienveillante.

Mathias Heymann (Manfred)

Mathias Heymann (Manfred)

Avec Myriam Ould-Braham, Juliette apparaît telle une adolescente éperdue au sourire frais, et mue par une grâce dynamique ravissante qui s’allie fort bien avec la nature féminine de Germain Louvet, une vision iconique du prince charmant qu’il aime animer comme si la vie était toujours belle, même pour Roméo.

Surviennent alors Valentine Colasante et Francesco Mura qui tous deux interprètent le duo entre Kitri et Basilio avec un panache et une assurance éclatante redoutablement efficace, à la manière d’un show festif, tout en créant un effet à la fois piqué et réjouissant à admirer.

Léonore Baulac et Germain Louvet (La belle au bois dormant)

Léonore Baulac et Germain Louvet (La belle au bois dormant)

A l’inverse, le pas de deux du Lac des Cygnes entre Amandine Albisson et Audric Bezard débute dans l’observation, la mélancolie diffuse. Une lente progressivité s’installe dans leur duo qui, sans qu’on ne le sente venir, attire de plus en plus le spectateur dans leur relation délicate et les moindres gestes subtils qui font de ce court tableau un portrait du sentiment indicible. Et c’est au moment où la musique s’arrête que l’on prend conscience du transport qui s’est opéré.

C’est ensuite un véritable souffle coupé qui accompagne l’arrivée de Mathias Heymann qui offre une description tourmentée et profondément expressive du poète de Manfred. Toute la musculature et les courbures de ce danseur absolument unique sont vouées à décrire les tensions intérieures et semblent comme modeler l’homme sous les yeux du public. Une beauté crépusculaire.

Les danseurs avec au premier plan Valentine Colasante et Francesco Mura

Les danseurs avec au premier plan Valentine Colasante et Francesco Mura

Et l’on retrouve dans un registre plus étincelant et léger Germain Louvet qui est associé cette fois à Léonore Baulac dont l’apparente fragilité se double d’une luminosité impressionnante, ce qui permet à tous deux d’achever avec La belle au bois dormant sur une touche resplendissante qui finit par englober l’ensemble des danseurs lors du salut final.

La salle est pleine ce soir, ce qui montre l’attachement du public habituel ou passager à une troupe dont le talent attend dorénavant de retrouver de plus grands espaces.

Mathias Heymann, Léonore Baulac et Germain Louvet

Mathias Heymann, Léonore Baulac et Germain Louvet

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Publié le 2 Janvier 2019

Cendrillon (Serguei Prokofiev)
Représentation du 31 décembre 2018
Opéra Bastille

Cendrillon Valentine Colasante
L’Acteur-vedette Karl Paquette
Les Deux Soeurs Ludmila Pagliero
                            Dorothée Gilbert 
La Mère Aurélien Houette
Le Producteur Alessio Carbone
Le Professeur de danse Paul Marque
Le Printemps femme Marion Barbeau
L'Eté femme Émilie Cozette
L'Automne femme Sae Eun Park
L'hiver femme Fanny Gorse
Le Directeur de scène Nicolas Paul
Son Assistant Francesco Mura

Direction musicale Vello Pähn
Orchestre Pasdeloup
Chorégraphie Rudolf Noureev (1986)
Décors Petrika Ionesco                                               
 Valentine Colasante (Cendrillon)

Pour sa quatrième saison à la direction de la danse de l’Opéra de Paris (1986-1987), Rudolf Noureev présenta, le 25 octobre 1986, une nouvelle version de Cendrillon de Prokofiev, sur une musique créée originellement en 1945 au Théâtre du Bolshoi, après deux mois de répétitions données dans les studios inaugurés sous la Coupole du Palais Garnier en septembre 1986. Ces salles sont aujourd’hui dénommées Lifar, Noureev et Petipa.  

Karl Paquette (L’Acteur-vedette)

Karl Paquette (L’Acteur-vedette)

Cette nouvelle chorégraphie imaginée pour mettre en valeur Sylvie Guillem et Charles Jude, et dont Noureev supervisa également la version télévisée de novembre 1987 dans laquelle il incarnait le producteur, est un vibrant hommage au cinéma hollywoodien qui, pourtant, ne rencontra qu’un accueil mitigé lors de la tournée de l’Opéra à New-York.

On ne peut effectivement que trouver dépassées les références exotiques d’une scénographie qui donne parfois l’impression de nous faire voyager dans l’univers de Tintin. Et à la vue de la peluche immense d’un King-Kong à l’œil rouge brillant, on se remémore une autre production de Bastille qui est également une déclaration d’amour plus profonde aux héroïnes du cinéma américain : L’Affaire Makropoulos mis en scène par Krzysztof Warlikowski.

Cendrillon (version Rudolf Noureev) - Les adieux de Karl Paquette à la scène - Bastille 2018

Mais alors que Noureev poursuivait sa tournée américaine, un jeune homme d’une dizaine d’années entrait dans les locaux de l’Ecole de danse de l’Opéra de Paris nouvellement établie près du parc André Malraux de Nanterre; Karl Paquette se trouvait être le seul garçon de sa classe entouré de 15 jeunes filles. Depuis, il a intégré le Corps de ballet de l’Opéra en 1994, et commencé à incarner des rôles majeurs au début des années 2000, avant d’être nommé danseur étoile le 31 décembre 2009, à l’issu de la représentation de Casse-Noisette.

Karl Paquette (L’Acteur-vedette), Valentine Colasante (Cendrillon) et Dorothée Gilbert (une sœur)

Karl Paquette (L’Acteur-vedette), Valentine Colasante (Cendrillon) et Dorothée Gilbert (une sœur)

Il personnifie ainsi des décennies de culture et de tradition de l’école de danse de l’Opéra de Paris, que Benjamin Millepied a par ailleurs essayé de révolutionner là même où Rudolf Noureev avait prudemment renoncé, et sa manière bienveillante et théâtrale d’assumer une présence racée au regard acéré lui vaut dorénavant un fort attachement de la part du public parisien.

Karl Paquette (L’Acteur-vedette) et Valentine Colasante (Cendrillon)

Karl Paquette (L’Acteur-vedette) et Valentine Colasante (Cendrillon)

Dans cette Cendrillon transposée à Bastille depuis la fin de l’automne 2011, Karl Paquette arrive sur scène, ce dernier soir de décembre 2018, porté par un grand élan qui soulève une formidable clameur jubilatoire provenant de la salle, et manifeste une véritable joie malicieuse teintée de sagesse à aussi bien jouer la comédie qu’à se livrer aux pas subtils et grands sauts majestueux, tout en mesurant impulsions et rythme des tournoiements acrobatiques. 

Karl Paquette (L’Acteur-vedette)

Karl Paquette (L’Acteur-vedette)

Pris ainsi dans l’action, tout devient source d’amusement aussi bien avec les deux sœurs interprétées par Ludmila Pagliero, en bleu, et Dorothée Gilbert, en rose, fantastiques d’élasticité dans cette chorégraphie qui, quelque part, les désarticule, qu’avec les diverses danseuses multicolores issues d’un folklore touristique du monde entier, de l’Espagne enflammée à la Chine séductrice.  La Mère jouée par Aurélien Houette est, elle, particulièrement burlesque.

Karl Paquette (L’Acteur-vedette) et Valentine Colasante (Cendrillon)

Karl Paquette (L’Acteur-vedette) et Valentine Colasante (Cendrillon)

Et Valentine Colasante, étoile d’à peine un an, danse comme sur du velours, démontrant une habileté étourdissante dans les pas les plus modernes – le numéro de claquettes avec le porte-manteau à bascule est une réussite technique éclatante -, et dresse le portrait d’une Cendrillon femme mûre et confiante de bout-en-bout, comme si elle savait dès le départ qu’elle est destinée à la réussite publique.

Valentine Colasante et Karl Paquette

Valentine Colasante et Karl Paquette

L’excellente cohésion de la distribution permet un déroulé de danses où se succèdent scènes de comédie musicale et grands mouvements classiques - la valse mauve qui clôt le premier acte en engageant 24 danseurs rappelle par ses couleurs la valse des coupes du Lac des Cygnes -, et des fantaisies exotiques qui, même si leur originalité n’est pas toujours saillante, sont portées par la musique envoûtante, et par moment mystérieuse, de Prokofiev.

Karl Paquette et ses enfants en compagnie d'Aurélie Dupont

Karl Paquette et ses enfants en compagnie d'Aurélie Dupont

Et il ne faut pas perdre de vue que tous les ballets du répertoire ne bénéficient pas d’une composition musicale hors du commun. Or Cendrillon est associée à une partition richement rythmée et colorée, toujours stimulante, et lorsqu’elle est interprétée par un orchestre Pasdeloup qui opère, sous la direction de Vello Pähn, à une splendide fusion de couleurs de timbres instrumentaux, et génère des volumes généreux et un lustre sonore luxueux qui atteignent le niveau de l’orchestre de l’Opéra de Paris, l’esprit de l’auditeur est alors éperdument transporté, quoi qu’il se passe sur scène. 

Karl Paquette et ses enfants

Karl Paquette et ses enfants

Tant de numéros originaux, les soubrettes dansant sur les réminiscences de la marche de l’Amour des 3 oranges, les douze coups de minuit marqués mécaniquement par douze danseurs athlétiques, sont une fête de l’esprit qui s’apprécie d’autant plus que l’ambiance de fin d’année s’y prête. Et la transposition à Bastille – moyennant quelques ajouts de décors comme la statue de la liberté visible dès le premier tableau – ne fait qu’accorder plus d’ampleur et de respiration à ce spectacle qui a ses moments de grâce et d’abandon, à l'instar du pas de deux final tant attendu.

Karl Paquette

Karl Paquette

Une fois l'ensemble des artistes ovationnés au rideau final, Karl Paquette revient enfin seul sur la scène pour recueillir sous une pluie d’or les hommages du public, après que Stéphane Lissner et Annette Gerlach aient achevé de présenter pour Arte ce dernier acte depuis leur loge suspendue, et l’on découvre les deux enfants blondinets de ce magnifique danseur qui le rejoignent dans un grand moment d’émotion, avec toute la reconnaissance d’Aurélie Dupont qui voit ainsi partir une des valeurs qu’elle a constamment appréciée.

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