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Publié le 2 Janvier 2019

Cendrillon (Serguei Prokofiev)
Représentation du 31 décembre 2018
Opéra Bastille

Cendrillon Valentine Colasante
L’Acteur-vedette Karl Paquette
Les Deux Soeurs Ludmila Pagliero
                            Dorothée Gilbert 
La Mère Aurélien Houette
Le Producteur Alessio Carbone
Le Professeur de danse Paul Marque
Le Printemps femme Marion Barbeau
L'Eté femme Émilie Cozette
L'Automne femme Sae Eun Park
L'hiver femme Fanny Gorse
Le Directeur de scène Nicolas Paul
Son Assistant Francesco Mura

Direction musicale Vello Pähn
Orchestre Pasdeloup
Chorégraphie Rudolf Noureev (1986)
Décors Petrika Ionesco                                               
 Valentine Colasante (Cendrillon)

Pour sa quatrième saison à la direction de la danse de l’Opéra de Paris (1986-1987), Rudolf Noureev présenta, le 25 octobre 1986, une nouvelle version de Cendrillon de Prokofiev, sur une musique créée originellement en 1945 au Théâtre du Bolshoi, après deux mois de répétitions données dans les studios inaugurés sous la Coupole du Palais Garnier en septembre 1986. Ces salles sont aujourd’hui dénommées Lifar, Noureev et Petipa.  

Karl Paquette (L’Acteur-vedette)

Karl Paquette (L’Acteur-vedette)

Cette nouvelle chorégraphie imaginée pour mettre en valeur Sylvie Guillem et Charles Jude, et dont Noureev supervisa également la version télévisée de novembre 1987 dans laquelle il incarnait le producteur, est un vibrant hommage au cinéma hollywoodien qui, pourtant, ne rencontra qu’un accueil mitigé lors de la tournée de l’Opéra à New-York.

On ne peut effectivement que trouver dépassées les références exotiques d’une scénographie qui donne parfois l’impression de nous faire voyager dans l’univers de Tintin. Et à la vue de la peluche immense d’un King-Kong à l’œil rouge brillant, on se remémore une autre production de Bastille qui est également une déclaration d’amour plus profonde aux héroïnes du cinéma américain : L’Affaire Makropoulos mis en scène par Krzysztof Warlikowski.

Cendrillon (version Rudolf Noureev) - Les adieux de Karl Paquette à la scène - Bastille 2018

Mais alors que Noureev poursuivait sa tournée américaine, un jeune homme d’une dizaine d’années entrait dans les locaux de l’Ecole de danse de l’Opéra de Paris nouvellement établie près du parc André Malraux de Nanterre; Karl Paquette se trouvait être le seul garçon de sa classe entouré de 15 jeunes filles. Depuis, il a intégré le Corps de ballet de l’Opéra en 1994, et commencé à incarner des rôles majeurs au début des années 2000, avant d’être nommé danseur étoile le 31 décembre 2009, à l’issu de la représentation de Casse-Noisette.

Karl Paquette (L’Acteur-vedette), Valentine Colasante (Cendrillon) et Dorothée Gilbert (une sœur)

Karl Paquette (L’Acteur-vedette), Valentine Colasante (Cendrillon) et Dorothée Gilbert (une sœur)

Il personnifie ainsi des décennies de culture et de tradition de l’école de danse de l’Opéra de Paris, que Benjamin Millepied a par ailleurs essayé de révolutionner là même où Rudolf Noureev avait prudemment renoncé, et sa manière bienveillante et théâtrale d’assumer une présence racée au regard acéré lui vaut dorénavant un fort attachement de la part du public parisien.

Karl Paquette (L’Acteur-vedette) et Valentine Colasante (Cendrillon)

Karl Paquette (L’Acteur-vedette) et Valentine Colasante (Cendrillon)

Dans cette Cendrillon transposée à Bastille depuis la fin de l’automne 2011, Karl Paquette arrive sur scène, ce dernier soir de décembre 2018, porté par un grand élan qui soulève une formidable clameur jubilatoire provenant de la salle, et manifeste une véritable joie malicieuse teintée de sagesse à aussi bien jouer la comédie qu’à se livrer aux pas subtils et grands sauts majestueux, tout en mesurant impulsions et rythme des tournoiements acrobatiques. 

Karl Paquette (L’Acteur-vedette)

Karl Paquette (L’Acteur-vedette)

Pris ainsi dans l’action, tout devient source d’amusement aussi bien avec les deux sœurs interprétées par Ludmila Pagliero, en bleu, et Dorothée Gilbert, en rose, fantastiques d’élasticité dans cette chorégraphie qui, quelque part, les désarticule, qu’avec les diverses danseuses multicolores issues d’un folklore touristique du monde entier, de l’Espagne enflammée à la Chine séductrice.  La Mère jouée par Aurélien Houette est, elle, particulièrement burlesque.

Karl Paquette (L’Acteur-vedette) et Valentine Colasante (Cendrillon)

Karl Paquette (L’Acteur-vedette) et Valentine Colasante (Cendrillon)

Et Valentine Colasante, étoile d’à peine un an, danse comme sur du velours, démontrant une habileté étourdissante dans les pas les plus modernes – le numéro de claquettes avec le porte-manteau à bascule est une réussite technique éclatante -, et dresse le portrait d’une Cendrillon femme mûre et confiante de bout-en-bout, comme si elle savait dès le départ qu’elle est destinée à la réussite publique.

Valentine Colasante et Karl Paquette

Valentine Colasante et Karl Paquette

L’excellente cohésion de la distribution permet un déroulé de danses où se succèdent scènes de comédie musicale et grands mouvements classiques - la valse mauve qui clôt le premier acte en engageant 24 danseurs rappelle par ses couleurs la valse des coupes du Lac des Cygnes -, et des fantaisies exotiques qui, même si leur originalité n’est pas toujours saillante, sont portées par la musique envoûtante, et par moment mystérieuse, de Prokofiev.

Karl Paquette et ses enfants en compagnie d'Aurélie Dupont

Karl Paquette et ses enfants en compagnie d'Aurélie Dupont

Et il ne faut pas perdre de vue que tous les ballets du répertoire ne bénéficient pas d’une composition musicale hors du commun. Or Cendrillon est associée à une partition richement rythmée et colorée, toujours stimulante, et lorsqu’elle est interprétée par un orchestre Pasdeloup qui opère, sous la direction de Vello Pähn, à une splendide fusion de couleurs de timbres instrumentaux, et génère des volumes généreux et un lustre sonore luxueux qui atteignent le niveau de l’orchestre de l’Opéra de Paris, l’esprit de l’auditeur est alors éperdument transporté, quoi qu’il se passe sur scène. 

Karl Paquette et ses enfants

Karl Paquette et ses enfants

Tant de numéros originaux, les soubrettes dansant sur les réminiscences de la marche de l’Amour des 3 oranges, les douze coups de minuit marqués mécaniquement par douze danseurs athlétiques, sont une fête de l’esprit qui s’apprécie d’autant plus que l’ambiance de fin d’année s’y prête. Et la transposition à Bastille – moyennant quelques ajouts de décors comme la statue de la liberté visible dès le premier tableau – ne fait qu’accorder plus d’ampleur et de respiration à ce spectacle qui a ses moments de grâce et d’abandon, à l'instar du pas de deux final tant attendu.

Karl Paquette

Karl Paquette

Une fois l'ensemble des artistes ovationnés au rideau final, Karl Paquette revient enfin seul sur la scène pour recueillir sous une pluie d’or les hommages du public, après que Stéphane Lissner et Annette Gerlach aient achevé de présenter pour Arte ce dernier acte depuis leur loge suspendue, et l’on découvre les deux enfants blondinets de ce magnifique danseur qui le rejoignent dans un grand moment d’émotion, avec toute la reconnaissance d’Aurélie Dupont qui voit ainsi partir une des valeurs qu’elle a constamment appréciée.

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Publié le 6 Avril 2018

Roméo et Juliette (Hector Berlioz)
Répétition générale du 05 avril 2018
et représentation du 20 avril 2018
Opéra Bastille

Mezzo-soprano Julie Boulianne
Ténor Yann Beuron
Basse Nicolas Cavallier
Juliette Ludmila Pagliero
Roméo Germain Louvet
Père Laurence Alessio Carbone

Direction musicale Vello Pähn
Chorégraphie Sasha Waltz (2007)

Ballet de l'Opéra National de Paris
Orchestre, chœur de l'Opéra National de Paris

                                                                          Yann Beuron

Probablement l’un des spectacles les plus merveilleux de la saison 2017/2018, la reprise du Roméo et Juliette de Berlioz chorégraphié par Sasha Waltz revient sur la scène Bastille interprété par une équipe d’artistes exceptionnels.

Germain Louvet (Roméo) et Ludmila Pagliero (Juliette)

Germain Louvet (Roméo) et Ludmila Pagliero (Juliette)

A l’instar de l’Orphée et Eurydice de Christoph Willibald Gluck, chanté et dansé au même moment au Palais Garnier, Roméo et Juliette est un spectacle né de la volonté de Gerard Mortier et Brigitte Lefèvre de réunir sur scène toutes les forces artistiques de la maison, chœur, orchestre, danseurs et artistes solistes invités, autour d’une œuvre qui sublime l’Amour.

Germain Louvet (Roméo)

Germain Louvet (Roméo)

Et, alors que les représentations de Benvenuto Cellini se poursuivent en contrepoint, celles de Roméo et Juliette permettent de rester dans l’univers musical de la maturité du jeune Hector Berlioz, puisque cette symphonie dramatique fut créée un an après son premier opéra au Conservatoire de Paris avec la collaboration des artistes de l’Opéra.

Richard Wagner, qui faisait partie de l’audience, s’en inspirera vingt ans plus tard pour composer la musique de Tristan und Isolde. Son titre complet est Symphonie dramatique, avec chœurs, solos de chant et Prologue en récitatif harmonique, composée d'après la tragédie de Shakespeare.

Ludmila Pagliero (Juliette) et Germain Louvet (Roméo)

Ludmila Pagliero (Juliette) et Germain Louvet (Roméo)

D’aucun peut à nouveau constater l’avancée singulière du génie musical de Berlioz dès la fin des années 1830, et apprécier la puissance expressive  de l’orchestre qui est fondamentalement l’élément central de sa symphonie.

Et Vello Pähn, qui dirigeait déjà la dernière reprise, valorise somptueusement une lecture lumineuse au relief profond et d’une douceur au cœur battant envoutante.

Car si le chef d’orchestre estonien est un grand interprète des musiques de ballets de l’opéra de Paris, il se confronte également à des pans entiers du répertoire lyrique de Mozart à Hindemith en incluant Verdi et Wagner quand il est de retour à l’opéra de Tallinn.

Julie Boulianne

Julie Boulianne

Subtil et vif dans tous les passages expressionnistes, l’agitation des combats de rue, la fête chez les Capulets, il ennoblit la magie hypnotique de la musique de Roméo et Juliette en intensifiant la clarté chatoyante des cordes et le délié des motifs des vents, fluidifie le duo d’amour avec une grâce sensuelle d’une beauté poétique féérique, et fond le chant généreux et intériorisé des trois solistes dans l’harmonie d’ensemble, pour en faire un grand et précieux moment de spiritualité partagée. Approche plastique qui rappelle beaucoup celle du chef danois Michael Schønwandt.

Le magnifique travail sur les éclairages qui amplifie l’effet des atmosphères sonores contribue lui aussi à la beauté mystérieuse de tous les tableaux.

Germain Louvet (Roméo)

Germain Louvet (Roméo)

Et la chorégraphie de Sacha Waltz allie habilement la grâce néoclassique, dans les grands déploiements symphoniques, et l’impertinence fantaisiste, voir mécanique au retour de la scène de bal, et introduit une différenciation entre les femmes, évoluant en élégantes robes aux reflets d’argent, et les hommes habillés de noir, mais pas entre les Capulets et les Montaigus.

Le beau duo d’amour est bien entendu d’une légèreté épanouie, et la transition directe avec la scène du tombeau est toujours d’une poignante expressivité quand Roméo est acculé, seul et dans le silence, à tenter désespérément de gravir la pente du décor blanc souillée par une coulée d’encre noire mortifère.

Ludmila Pagliero (Juliette)

Ludmila Pagliero (Juliette)

Ce sens de l’épure et de la beauté des contrastes atteint son point culminant à l’ultime scène d’amour qui éclaire intensément les corps des amants et leurs tendres baisers avec une délicatesse à couper le souffle.

Puis vient le grand moment du chœur, dont l’élégie s’était déjà merveilleusement révélée au moment où Roméo se trouvait seul pour rejoindre Juliette une fois les invités du bal tous disparus, superbement unifié par les artistes de l’Opéra, qui parachève l’ouvrage dans sa dimension la plus mystique, une flamme fidèle à la fraîcheur sans pathos de Berlioz.

Ludmila Pagliero (Juliette) et Germain Louvet (Roméo)

Ludmila Pagliero (Juliette) et Germain Louvet (Roméo)

Et si l’on retrouve avec joie la splendide franchise du très beau timbre de Yann Beuron, chanteur mais également acteur des sentiments de Mercutio, et la prestance grave de Nicolas Cavallier, Julie Boulianne nous subjugue pas la vibrance sombre de son chant dramatiquement projeté, un saisissant instant d’intemporalité humaine.

Ludmila Pagliero (Juliette) et Germain Louvet (Roméo)

Ludmila Pagliero (Juliette) et Germain Louvet (Roméo)

La beauté juvénile et la fougue adolescente de Juliette et Roméo se personnifient alors sous les traits magnifiques de deux étoiles, Ludmila Pagliero et Germain Louvet.

Que de grâce et de légèreté pétillante dans les mouvements de la première, spontanée et joueuse, les bras ne sont plus que l’expression de la tendresse de l’âme, et que de séduction dans le courbures du corps que le second féminise par une souplesse démonstrative non sans trahir un peu de précipitation au début. Il est un Roméo dont la tendresse ne cède pas aux ombres du tragique, tant sa joie intérieure est entière.

Enfin, Alessio Carbone, en père Laurence, comme pour leur rendre hommage, leur dédie une présence humble et élancée avec une sereine assurance respectueuse d'une intériorité très bien maîtrisée.

Alessio Carbone, Ludmila Pagliero, Germain Louvet

Alessio Carbone, Ludmila Pagliero, Germain Louvet

Pour voir et surtout entendre ce que l’art vivant peut créer de plus beau dans toutes ses dimensions esthétiques, il y a la profondeur charnelle de l’Orphée et Eurydice de Pina Bausch au Palais Garnier et la splendeur ondoyante du Roméo et Juliette de Sasha Waltz à Bastille, précieuses et éphémères à la fois.

Le 11 octobre 2007, Gerard Mortier présentait avec passion au studio Bastille la nouvelle production de Roméo et Juliette, cette présentation peut être relue ici.

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Publié le 4 Juillet 2016

William Forsythe
Pré-Générale du 01 juillet 2016 et représentation du 05 juillet 2016
Palais Garnier

Of Any If And (1995 – Frankfurt)
Entrée au répertoire
Musique Thom Willems
Danseurs Léonore Baulac
                  Adrien Couvez

Approximate Sonata (1996 – Frankfurt)
Entrée au répertoire de l’Opéra de Paris en 2006
Nouvelle version
Musique Thom Willems
1er couple  Alice Renavand
            Adrien Couvez

2ème couple Hannah O'Neill
            Fabien Revillion

3ème couple Eleonora Abbagnato
            Alessio Carbone

4ème couple Marie-Agnès Gillot
            Audric Bezard

Blake Works I (2016 – Paris)
Création                                                                                Pablo Legasa
Musique James Blake
Danseurs Ludmila Pagliero, Léonore Baulac, Fanny Gorse, Sylvia-Cristelle Saint-Martin, Lydie Vareilhes, Laure-Adélaïde Boucaud, Roxane Stojanov, Camille Bon, Eugénie Drion, Marion Gautier de Charnacé, Clémence Gross, Amélie Joannidès, Caroline Osmont, François Alu, Hugo Marchand, Germain Louvet, Jérémy-Loup Quer, Simon Valastro, Grégory Gaillard, Pablo Legasa, Paul Marque, Maxime Thomas

Les danseurs et danseuses du Corps de Ballet et William Forsythe

Les danseurs et danseuses du Corps de Ballet et William Forsythe

Texte parlé, interprété d’une diction mécanique froide et stylisée par deux récitants assis dans l’ombre du fond de scène, l’ouverture de ‘Of Any If And’ évoque la musique répétitive d’’Einstein on the Beach’, l’œuvre culte de Philip Glass.

Plateau désert, avec un effet de vide créé par l’absence de lumière sur les pourtours du plateau plongés dans le noir, une immense plaque provenant du plafond resserre l’espace en réduisant l’impression de petitesse du couple par rapport à la scène.

Léonore Baulac - Of Any If And

Léonore Baulac - Of Any If And

Ce premier ballet est une démonstration technique où les corps se laissent glisser au sol, perdent et reprennent prise en dégageant tout ce que les muscles peuvent emprunter de souplesse à l’animal, comme si un profond mouvement intérieur prenait forme pour s’emparer d’eux.

Les deux jeunes solistes, Léonore Baulac et Adrien Couvez, sont pris dans un jeu fascinant de maîtrise, mais paraissent aussi quelque peu indifférents dans l’expression d’émotions profondes, comme si leurs mondes personnels ne se rejoignaient pas totalement.

Adrien Couvez - Of Any If And

Adrien Couvez - Of Any If And

Ce sont donc deux individualités autonomes, détachées de toute attraction fusionnelle, tableau qui peut être perçu comme une scène de séduction issue de  'West Side Story', mais couverte par un lancinant rapport de force.

Plus ludique et légère, mais tout aussi complexe et impliquant quatre couples de danseurs, ‘Approximata Sonata’ est un réarrangement de la chorégraphie que William Forsythe présenta à Garnier en 2006.

Fabien Revillion - Approximata Sonata

Fabien Revillion - Approximata Sonata

Costumes flashy évoquant une scène de répétition, ampleur majestueuse des gestes des bras aux réminiscences classiques, une sourde concurrence s’établit du point de vue du spectateur qui, intuitivement, est amené à accrocher son regard sur le couple dont émane l’harmonie qui le touchera le plus. Alice Renavand, furtive et magicienne des poses sophistiquées, Fabien Revillion, l'insouciance sérieuse et joyeuse, pour ne citer qu'eux.

Et la musique enregistrée de Thorn Willems, cinématographique dans le premier ballet, mystérieuse et intimiste dans le second, prend une part déterminante au climat de ces deux pièces.

Blake Works I

Blake Works I

La troisième partie de soirée permet alors à un ensemble de 22 danseurs d’interpréter la dernière création de William Forsythe pour l’Opéra de Paris, ‘Blake Works I’.

Sa chorégraphie est une euphorisante envolée où la vivacité et le piqué des pas laissent deviner, en filigrane, une influence des techniques classiques remodelées et affûtées pour servir une esthétique du mouvement d’un très grand impact visuel.

Pablo Legasa - Blake Works I

Pablo Legasa - Blake Works I

Et une fois passée l'introduction faussement classique par le groupe au complet, le jeune danseur Pablo Legasa, évoque par son charme juvénile et féminin une incarnation du ‘Tadzio’ idéalisé de Thomas Mann, et se livre de façon impressionnante à des jeux de poses et de déhanchés statiques d’une délicatesse inédite rien que pour le plaisir de l’étonnement.

Sur la musique de James Blake, habituellement jazz-soul mais ici plus entrainante, la scène du Palais Garnier prend des allures de dancefloor, les solistes se faufilent à l’indienne, et s’élancent dans une inertie de mouvement jubilatoire et merveilleuse de précision, des étoiles plein les yeux.

Pablo Legasa - Blake Works I

Pablo Legasa - Blake Works I

Tous magnifiques de cohésion et rayonnants d'une joie communiante, certains, tel Hugo Marchand, ont même leur propre passage en solo qui permette de laisser porter tout le plaisir du regard sur un danseur à l'énergie subtilement glamour.

Ainsi, en une soirée et trois pièces, nous sommes passés d’un univers glacé et post-moderne, à un renouveau jaillissant et plein de vie réjouissant qui aurait pu durer jusqu'à la nuit tombée sans que quiconque ait à en redire.

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Publié le 21 Février 2014

Ballet de l’Opéra (Cullberg / de Mille)
Séance de travail du 18 février 2014 et représentation du 22 février 2014
Palais Garnier

Fall River Legend (Agnes de Mille)

L'Accusée Alice Renavand
Sa Belle-Mère Stéphanie Romberg
Le Pasteur Vincent Chaillet
La Mère Laurence Laffon
Le Père Christophe Duquenne
L'accusée enfant Léonore Baulac

Décors Olivier Smith
Costumes Miles White
Musique Morton Gould


Mademoiselle Julie (Birgit Cullberg)
Entrée au répertoire

Mademoiselle Julie Aurélie Dupont
Jean Nicolas Le Riche
Christine Amélie Lamoureux
Le fiancé de Julie Alessio Carbone
Le Père de Julie Michaël Denard
Clara Charlotte Ranson
Trois Vieilles femmes Andrey Klemm,

Richard Wilk, Jean-Christophe Guerri         Aurélie Dupont (Julie) et Nicolas Le Riche (Jean)
                                                                     
Décors et costumes Sven X:ET Erixson
Musique Ture Rangström (Musique orchestrée par Hans Grossmann)

Direction musicale Koen Kessels

Birgit Ragnhild Cullberg, épouse de l’un des comédiens d’Ingmar Bergman, Anders Ek, et mère du chorégraphe Mats Ek, était une figure majeure de la vie culturelle suédoise qui s’était engagée totalement dans la lutte contre le nazisme.

Alice Renavand (L'Accusée)

Alice Renavand (L'Accusée)

Le 1er mars 1950, elle créa Mademoiselle Julie au Riksteatern de Västerås, une des plus grandes villes de Suède. Le ballet est inspiré d’une nouvelle d’August Strindberg, Mademoiselle Julie (1888), dont l’expressionisme ne pouvait que retrouver les influences artistiques allemandes de la chorégraphe.

L’œuvre sera ensuite interprétée pour la première fois à New York par l’American Ballet Theater, en 1958.
 

Une autre chorégraphe, New Yorkaise cette fois, collaborait déjà avec cette compagnie depuis 1939 : Agnes George de Mille.

Elle aussi avait des liens forts avec le milieu du théâtre, et elle était la nièce du producteur et réalisateur Cecil B. DeMille, dont sa seconde version des ‘Dix Commandements’ (1956) est encore aujourd’hui un des films les plus populaires jamais réalisé.

En 1948, Agnes de Mille créa pour l’American Ballet Theater, sur la musique de Morton Gould, Fall River Legend, une chorégraphie qui s’inspirait de la vie de Lizzie Borden, une femme vivant à Fall River (Massachussetts), accusée du meurtre épouvantable de son père et de sa belle-mère, et qui fut acquittée, les preuves n’ayant pas été formellement établies.

                                                                                            Alice Renavand (L'Accusée)

Ce sont ces deux ouvrages représentatifs de deux ballets modernes d’après-guerre que l’Opéra National de Paris réunit pour la première fois sur les planches du Palais Garnier.

Toutefois, Fall River Legend fut monté à deux reprises dans les années 90.

Pour cette chorégraphie, le décor unique d’Olivier Smith – un peintre - représente la demeure des Borden sur fond de ciel tourmenté comme en état de guerre. Et cette violence visuelle se retrouve dans la musique de Morton Gould, tranchante comme dans les films d’Alfred Hitchcock, sauf quand il s’agit de décrire les souvenirs harmonieux de la vie de jeunesse de Lizzie.

Alice Renavand (L'Accusée)

Alice Renavand (L'Accusée)

Dans cette version qui s’éloigne des faits réels, Lizzie est amoureuse d’un pasteur. Seulement, sa belle-mère l’a calomniée auprès de cet homme, rendant cet amour impossible.

Elle est finalement condamnée pour le double-meurtre (la sanction finale est représentée d’une façon absolument saisissante).

Les sonorités cuivrées, teintées poétiquement de subtils motifs par les instruments à vents, créent une tension supplémentaire au moindre geste des danseurs, et la musique entière se fond à une chorégraphie qui dépeint à la fois la légèreté et la fragilité des êtres, la simplicité de chacune de leurs expressions, comme leurs tourments intérieurs les plus profonds.

Alice Renavand (L'Accusée)

Alice Renavand (L'Accusée)

Il y a à la fois un naturel et une évidente fluidité qui parlent directement à chacun de nous.

On pense beaucoup au Romeo et Juliette de Prokofiev chorégraphié par Rudolf Noureev, dont on ne peut que constater la similitude expressive influencée par l’âme de Broadway.

Alice Renavand, nouvelle Etoile, rend lisible toute la sobre tristesse de l’héroïne, tout en affichant un détachement séducteur.

Seul petit reproche, l’introduction récitée en français par un comédien s’écarte de la tonalité américaine du spectacle.

Ouverture de Mademoiselle Julie

Ouverture de Mademoiselle Julie

La seconde partie de soirée s’ouvre alors sur la découverte de Mademoiselle Julie, dans sa production d’origine à l’instar de Fall River Legend.

A nouveau, le créateur des décors est un peintre, Sven X:ET Erixson. On peut voir dans la grande salle principale un ensemble de portraits de famille colorés et drôlement caricaturés, et, au loin, à travers une porte ouverte, s’étend l’horizon qui mène à une mer surmontée d’un bateau au dessin amusamment naïf.

Aurélie Dupont (Julie)

Aurélie Dupont (Julie)

Aurélie Dupont survient alors, dans un de ses derniers rôles à l’Opéra de Paris. Elle est tout, la femme hautaine au regard un peu froid mais séducteur, en apparence sûre d’elle-même, et c’est son drame, extrêmement intériorisé qui, petit à petit, se lit dans la désespérance du geste, après une scène de charme qui apparaît comme un jeu extraordinairement sincère.

Nicolas Le Riche ne lui laisse en fait aucune chance. Il a un magnétisme masculin sauvage qui laisse ressortir une supériorité animale au-delà de son simple statut de serviteur, une superbe gracilité – voir son arrivée tournoyante dans la dernière scène – et tout le duo de séduction avec Julie est un immense moment de sensualité un peu pervers.
Il y a de l’élégance dans cette chorégraphie, mais aussi de magnifiques poses expressives et éphémères.

Nicolas Le Riche (Jean) et Amélie Lamoureux (Christine)

Nicolas Le Riche (Jean) et Amélie Lamoureux (Christine)

La musique de Ture Rangström n’a pas le caractère violent de Fall River Legend, mais elle a la même immédiateté, le même pouvoir de suggestion intime, et une force descriptive plus mystérieuse et lyrique.

On pense alors à la musique de Georges Bizet quand elle subjugue la passion amoureuse de Don José pour Carmen : mêmes emportements, même grâce, et mêmes illusions.

Mais Mademoiselle Julie est aussi un ballet qui rend une âme aux groupes de petites gens, qu'ils soient les villageois du hameau natal de Jean, pleins d’entrain et de joie spontanée, ou bien les revenants de la famille de Julie dansant sous des lumières qui enchantent leurs costumes.

Aurélie Dupont (Julie)

Aurélie Dupont (Julie)

Avec ces deux ballets où la danse, le théâtre, la musique, les décors et costumes s’allient pour faire vivre deux drames qui interrogent notre propre psyché, l’Opéra National de Paris signe un des grands moments de sa saison chorégraphique.

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