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Publié le 20 Novembre 2018

Satyagraha (Philip Glass)
Représentation du 18 novembre 2018
Opera Ballet Vlaanderen – Gand

Gandhi Peter Tantsits
Ms. Naidoo Tineke Van Ingelgem
Ms. Alexander Raehann Bryce-Davis
Kasturbai Rihab Chaieb
Prince Arjuna Denzil Delaere
Lord Krishna Justin Hopkins
Ms. Schlesen Mari Moriya
Mr. Kallenbach Robin Adams
Parsi Rustomji Justin Hopkins

Direction musicale Koen Kessels
Mise en scène et chorégraphie Sidi Larbi Cherkaoui
Orchestra Symfonisch Orkest Opera Vlaanderen & Chorus Koor Opera Vlaanderen

 Coproduction Theater Basel et Komische Oper Berlin 

Au même moment que, sur le versant américain, l’opéra de Los Angeles et la Brooklyn Academy of Music de New-York présentent deux productions de Satyagraha, dans les mises en scène respectives de Phelim McDermott et du Cirkus Cïrkor, l’opéra des Flandres accueille la troupe de Sidi Larbi Cherkaoui pour reprendre la production créée à Bâle en mai 2017.

Satyagraha (Glass-Cherkaoui-Kessels) Opera Ballet Vlaanderen – Gent

Satyagraha a été créé à Rotterdam en 1980, quatre ans après le légendaire Einstein on the Beach, et évoque l’esprit du Mahatma Gandhi lors de son premier voyage à l’étranger qui l’amène à traverser l’équateur et l’océan indien afin de rejoindre l’Afrique du Sud à l’âge de 24 ans.

Mais dans ce pays se sentant envahi par les Indiens, Gandhi découvre les discriminations et s’engage pour défendre la citoyenneté de ses compatriotes, d’autant plus qu’ils sont réprimés violemment. L’aboutissement de sa lutte contre les gouvernements autoritaires se résout dans le Satyagraha, « la force née de la vérité et de l'amour ou non-violence », où il s’agit de créer une force non violente par la patience tout en préservant son cœur et sa force d’amour, c’est-à-dire une aspiration vers l’harmonie des âmes humaines suivie des actions qui résultent de cette aspiration.

Cette doctrine de « désobéissance civile » élaborée à partir de 1907, pour s’opposer à toute loi raciste, deviendra un outil majeur de Gandhi pour obtenir l’indépendance de l’Inde face aux Britanniques et déjouer la loi du plus fort.

Satyagraha (Glass-Cherkaoui-Kessels) Opera Ballet Vlaanderen – Gent

Et dans l’opéra de Philip Glass, la première partie se réfère à Tolstoï avec qui, dès 1909, Gandhi échangea une correspondance sur le sens de son engagement non-violent, la seconde évoque Tagore, philosophe indien qui soutint également la lutte pour l’indépendance de l’Inde, et la dernière partie est dédiée à Martin Luther King, dit le « Gandhi américain ».

Ces trois tableaux auraient pu être traités de manière fortement indépendante, mais Sidi Larbi Cherkaoui et sa troupe de danseurs les unifient de façon à entretenir une continuité entre eux et montrer une évolution de Gandhi, que Peter Tantsits interprète avec une grande assurance, un goût du jeu théâtral affirmé, et un chant bien timbré et compact qui ne vacille que légèrement vers la fin sous la tension de l’écriture.

On voit ainsi le guide traverser les épreuves, notamment au second acte, bousculé par la violence de ses opposants, et achever son parcours sur une galaxie en forme de Yin Yang de teinte violette, la couleur de la spiritualité.

Satyagraha (Glass-Cherkaoui-Kessels) Opera Ballet Vlaanderen – Gent

La scénographie ne repose que sur un ensemble de plaques tenues par un nombre dense de câbles qui permettent de surélever le sol. Les danseurs représentent la mixité la plus large possible, et le moment le plus fort survient quand tous défilent frontalement face au public, certains tagués « Japonais », « Juif », « Trans », nus parfois, afin de revendiquer l’harmonie d’une humanité diverse contrariée par les préjugés de religions et d’origines.

La chorégraphie étire les corps, les fait jouer avec les risques de collision, avec les tournoiements habillement maîtrisés, les danseurs parfois s’élançant en groupes qui se correspondent; ainsi, domine toujours une forme de présence assurée et sereine, notamment chez certaines artistes asiatiques.

Satyagraha (Glass-Cherkaoui-Kessels) Opera Ballet Vlaanderen – Gent

L’écriture vocale est d’abord faite pour mettre en valeur l’agilité répétitive et fascinante du chœur, et l’orchestre, sous la direction de Koen Kessels, sonne avec des teintes mates et une épaisseur de corps qui se fondent aux mouvements chorégraphiques et aux chants Sanskits dans un effet tournoyant, où les variations vocales quasi-hypnotiques procurent un sentiment d’ivresse et d’allègement euphorisant.

Et de cet univers obsédant, se détache également la musique du deuxième acte, dont les motifs et mouvements de cordes mélancoliques en spirale, la forme qui semble dominer la totalité de ce spectacle, imprégnèrent si profondément le film de Stephen Daldry « The Hours ».

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Publié le 21 Février 2014

Ballet de l’Opéra (Cullberg / de Mille)
Séance de travail du 18 février 2014 et représentation du 22 février 2014
Palais Garnier

Fall River Legend (Agnes de Mille)

L'Accusée Alice Renavand
Sa Belle-Mère Stéphanie Romberg
Le Pasteur Vincent Chaillet
La Mère Laurence Laffon
Le Père Christophe Duquenne
L'accusée enfant Léonore Baulac

Décors Olivier Smith
Costumes Miles White
Musique Morton Gould


Mademoiselle Julie (Birgit Cullberg)
Entrée au répertoire

Mademoiselle Julie Aurélie Dupont
Jean Nicolas Le Riche
Christine Amélie Lamoureux
Le fiancé de Julie Alessio Carbone
Le Père de Julie Michaël Denard
Clara Charlotte Ranson
Trois Vieilles femmes Andrey Klemm,

Richard Wilk, Jean-Christophe Guerri         Aurélie Dupont (Julie) et Nicolas Le Riche (Jean)
                                                                     
Décors et costumes Sven X:ET Erixson
Musique Ture Rangström (Musique orchestrée par Hans Grossmann)

Direction musicale Koen Kessels

Birgit Ragnhild Cullberg, épouse de l’un des comédiens d’Ingmar Bergman, Anders Ek, et mère du chorégraphe Mats Ek, était une figure majeure de la vie culturelle suédoise qui s’était engagée totalement dans la lutte contre le nazisme.

Alice Renavand (L'Accusée)

Alice Renavand (L'Accusée)

Le 1er mars 1950, elle créa Mademoiselle Julie au Riksteatern de Västerås, une des plus grandes villes de Suède. Le ballet est inspiré d’une nouvelle d’August Strindberg, Mademoiselle Julie (1888), dont l’expressionisme ne pouvait que retrouver les influences artistiques allemandes de la chorégraphe.

L’œuvre sera ensuite interprétée pour la première fois à New York par l’American Ballet Theater, en 1958.
 

Une autre chorégraphe, New Yorkaise cette fois, collaborait déjà avec cette compagnie depuis 1939 : Agnes George de Mille.

Elle aussi avait des liens forts avec le milieu du théâtre, et elle était la nièce du producteur et réalisateur Cecil B. DeMille, dont sa seconde version des ‘Dix Commandements’ (1956) est encore aujourd’hui un des films les plus populaires jamais réalisé.

En 1948, Agnes de Mille créa pour l’American Ballet Theater, sur la musique de Morton Gould, Fall River Legend, une chorégraphie qui s’inspirait de la vie de Lizzie Borden, une femme vivant à Fall River (Massachussetts), accusée du meurtre épouvantable de son père et de sa belle-mère, et qui fut acquittée, les preuves n’ayant pas été formellement établies.

                                                                                            Alice Renavand (L'Accusée)

Ce sont ces deux ouvrages représentatifs de deux ballets modernes d’après-guerre que l’Opéra National de Paris réunit pour la première fois sur les planches du Palais Garnier.

Toutefois, Fall River Legend fut monté à deux reprises dans les années 90.

Pour cette chorégraphie, le décor unique d’Olivier Smith – un peintre - représente la demeure des Borden sur fond de ciel tourmenté comme en état de guerre. Et cette violence visuelle se retrouve dans la musique de Morton Gould, tranchante comme dans les films d’Alfred Hitchcock, sauf quand il s’agit de décrire les souvenirs harmonieux de la vie de jeunesse de Lizzie.

Alice Renavand (L'Accusée)

Alice Renavand (L'Accusée)

Dans cette version qui s’éloigne des faits réels, Lizzie est amoureuse d’un pasteur. Seulement, sa belle-mère l’a calomniée auprès de cet homme, rendant cet amour impossible.

Elle est finalement condamnée pour le double-meurtre (la sanction finale est représentée d’une façon absolument saisissante).

Les sonorités cuivrées, teintées poétiquement de subtils motifs par les instruments à vents, créent une tension supplémentaire au moindre geste des danseurs, et la musique entière se fond à une chorégraphie qui dépeint à la fois la légèreté et la fragilité des êtres, la simplicité de chacune de leurs expressions, comme leurs tourments intérieurs les plus profonds.

Alice Renavand (L'Accusée)

Alice Renavand (L'Accusée)

Il y a à la fois un naturel et une évidente fluidité qui parlent directement à chacun de nous.

On pense beaucoup au Romeo et Juliette de Prokofiev chorégraphié par Rudolf Noureev, dont on ne peut que constater la similitude expressive influencée par l’âme de Broadway.

Alice Renavand, nouvelle Etoile, rend lisible toute la sobre tristesse de l’héroïne, tout en affichant un détachement séducteur.

Seul petit reproche, l’introduction récitée en français par un comédien s’écarte de la tonalité américaine du spectacle.

Ouverture de Mademoiselle Julie

Ouverture de Mademoiselle Julie

La seconde partie de soirée s’ouvre alors sur la découverte de Mademoiselle Julie, dans sa production d’origine à l’instar de Fall River Legend.

A nouveau, le créateur des décors est un peintre, Sven X:ET Erixson. On peut voir dans la grande salle principale un ensemble de portraits de famille colorés et drôlement caricaturés, et, au loin, à travers une porte ouverte, s’étend l’horizon qui mène à une mer surmontée d’un bateau au dessin amusamment naïf.

Aurélie Dupont (Julie)

Aurélie Dupont (Julie)

Aurélie Dupont survient alors, dans un de ses derniers rôles à l’Opéra de Paris. Elle est tout, la femme hautaine au regard un peu froid mais séducteur, en apparence sûre d’elle-même, et c’est son drame, extrêmement intériorisé qui, petit à petit, se lit dans la désespérance du geste, après une scène de charme qui apparaît comme un jeu extraordinairement sincère.

Nicolas Le Riche ne lui laisse en fait aucune chance. Il a un magnétisme masculin sauvage qui laisse ressortir une supériorité animale au-delà de son simple statut de serviteur, une superbe gracilité – voir son arrivée tournoyante dans la dernière scène – et tout le duo de séduction avec Julie est un immense moment de sensualité un peu pervers.
Il y a de l’élégance dans cette chorégraphie, mais aussi de magnifiques poses expressives et éphémères.

Nicolas Le Riche (Jean) et Amélie Lamoureux (Christine)

Nicolas Le Riche (Jean) et Amélie Lamoureux (Christine)

La musique de Ture Rangström n’a pas le caractère violent de Fall River Legend, mais elle a la même immédiateté, le même pouvoir de suggestion intime, et une force descriptive plus mystérieuse et lyrique.

On pense alors à la musique de Georges Bizet quand elle subjugue la passion amoureuse de Don José pour Carmen : mêmes emportements, même grâce, et mêmes illusions.

Mais Mademoiselle Julie est aussi un ballet qui rend une âme aux groupes de petites gens, qu'ils soient les villageois du hameau natal de Jean, pleins d’entrain et de joie spontanée, ou bien les revenants de la famille de Julie dansant sous des lumières qui enchantent leurs costumes.

Aurélie Dupont (Julie)

Aurélie Dupont (Julie)

Avec ces deux ballets où la danse, le théâtre, la musique, les décors et costumes s’allient pour faire vivre deux drames qui interrogent notre propre psyché, l’Opéra National de Paris signe un des grands moments de sa saison chorégraphique.

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Publié le 1 Juin 2009

Proust ou les intermittences du cœur
Roland Petit
Représentation du 29 mai 2009 au Palais Garnier

Direction musicale Koen Kessels
Chorégraphie Roland Petit (1974)

Albertine Eleonora Abbagnato
Proust Jeune Benjamin Pech
Morel Josua Hoffalt
Monsieur de Charlus Simon Valastro
Saint-Loup Christophe Duquenne

Musiques de Camille Saint-Saëns, Renaldo Hahn, César Franck, Gabriel Fauré, Claude Debussy, Ludwig van Beethoven,  Richard Wagner

Daniel Stokes (Le violon) et Mathilde Froustey (Le piano)

Ce que propose Roland Petit avec "Les intermittences du coeur" est une oeuvre illustrative de scènes tirées du roman "A la recherche du temps perdu".
Selon la sensibilité de chacun, la succession de tableaux glisse sur l'âme, ou bien la happe.

Christophe Duquenne (Saint Loup) et Josua Hoffalt (Morel)

Christophe Duquenne (Saint Loup) et Josua Hoffalt (Morel)

Mélange de classicisme et de gestes subtilement humains, la première partie recèle plusieurs duo amoureux charmants, Le violon et le Piano, Albertine et Andrée, bien qu'un chorégraphe comme John Neumeier maîtrise mieux la fraîcheur et le naturel du sentiment si l'on se réfère par exemple aux enlacements de Aschenbach et de son amour de jeunesse dans "La Mort à Venise".

Sur ce monde joliment conventionnel, s'ouvre une grande fracture vers l'enfer proustien, selon la vision sociale de l'époque, où se mêlent hédonisme, recherche d'un idéal de beauté masculine, amour impossible.

Christophe Duquenne (Saint Loup) et Josua Hoffalt (Morel)

Christophe Duquenne (Saint Loup) et Josua Hoffalt (Morel)

La lutte entre Saint Loup et Morel s'appuie sur la gravité et la tension de l‘élégie du violoncelle (Gabriel Fauré). Il en émerge des figures symboliques, des oppositions et des résistances, des corps courbés comme des arcs avec force impressive. Les convolutions du coeur.

Au dernier tableau, l'ouverture de Rienzi annonce l'enterrement d'une période fausse et datée, élans épiques de la musique et hachures brutales des coups d'archers d'une part, grâce de la Duchesse de Germantes entourée de fantômes d'autre part, donnent une image assez belle de cette page qui se tourne.
Seulement était ce une raison pour ne pas rechercher plus de pureté dans l'interprétation musicale, gorgée de sonorités mais rarement délicates?

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