Publié le 31 Mai 2008
I Capuleti e i Montecchi (Bellini)
Représentations du 24 et du 31 mai 2008
Opéra Bastille
Direction musicale Evelino Pidò
Mise en scène Robert Carsen
Giulietta Anna Netrebko (24 mai)
Patricia Ciofi (31 mai)
Romeo Joyce DiDonato
Tebaldo Matthew Polenzani
Lorenzo Mikhail Petrenko
Capellio Giovanni Battista Parodi
Il est fort peu probable que Bellini aurait imaginé que près de deux siècles plus tard sa version de « Romeo et Juliette » puisse recueillir un tel succès. Il ne reste pas grand-chose du drame de Shakespeare et donc tout repose sur le savoir faire mélodique du compositeur et surtout les qualités vocales des interprètes.
Car « Les Capulets et les Montaigus » est un opéra créé pour de belles voix.
La force des sentiments liant les amants s’y exprime d’une manière telle que les déclamations initiales de Tebaldo, pourtant vaillantes un instant, pâlissent et s’effacent définitivement lors de leur premier duo.
Anna Netrebko était donc très attendue pour sa première apparition à l’Opéra de Paris, et indéniablement nous avons eu droit à un festival vocal.
La souplesse et la pureté des lignes portent parfois préjudice à l’élocution mais il y a chez la soprano russe un plaisir évident à jouer d’une puissance qui surprend tout spectateur et lui rappelle ainsi qu’il n’entend pas un chant d’une soudaine ampleur tous les jours. Surtout que la dame n’est pas avare de petits ornements de ci de là effectués avec une aisance stupéfiante.
Sans doute cela réveille t-il aussi une certaine nostalgie d’une époque où des chanteuses et chanteurs spectaculaires galvanisaient un public au bord de l’hystérie.
Seulement, nonchalance et jeu scénique très prévisible contribuent aussi à diluer une impression d’indifférence et un état d’esprit tourné plus vers le démonstratif que vers l’identification à un personnage.
A cet égard, Joyce Di Donato, qui s’était déjà révélée une interprète idéale de la fougue adolescente
d’Idamante (Idomeneo), réédite une incarnation enflammée du rôle de Roméo avec une audace parfois très risquée. Elle est capable d’exprimer une variété de sentiments en une seule phrase traduisant ainsi le chaos intérieur des émotions au travers duquel l’élan chevaleresque et passionné du jeune homme reste imparable.
Les duos avec Giulietta sont à chaque fois des moments où le temps perd tout son sens à la manière des sensations d’enivrement. C’est très particulier et d’ailleurs dans cet opéra l’action importe peu.
A partir de l’endormissement de la fille de Capuleti, Joyce Di Donato devient affectée par une douleur incroyablement déchirante, le final où les deux femmes meurent étant un drame aussi bien pour l’œuvre elle-même que pour le spectateur qui se trouve privé de deux des plus belles voix qu’il ait entendu depuis longtemps.
Joyce Di Donato (Romeo)
Le triomphe fait aux deux chanteuses est sans appel.
Mais soyons juste, Matthew Polenzani est sans doute un des meilleurs ténors capables d’interpréter Tebaldo.
C’est très étrange, l’émission est très affirmée et s’appuie sur un souffle d’une grande profondeur, mais en même temps les vibrations du timbre lui donnent comme une sorte de fragilité qui le débarrasse de toute arrogance.
C’est à l’occasion de Lucia di Lammermoor il y a deux ans que le chanteur s’était petit à petit affirmé dans le rôle d’Edgar. La belle assurance affichée aujourd’hui confirme la voie choisie.
Mikhail Petrenko et Giovanni Battista Parodi sont tout à fait biens dans leurs rôles, et ce n’est pas moi qui critiquerait le style trépidant de la direction d’ Evelino Pidò, bien que tenir le rythme n’a pas toujours semblé évident pour les choristes.
La mise en scène d’un Robert Carsen de jeunesse se concentre sur l’essentiel : le rouge des Capulets (parti des Guelfes lié au Pape), bras droit d’une religion oppressive et sanglante, s’oppose au noir, tout autant tragique, des Montaigus (parti des Gibelins lié à l’Empereur).
Se distingue une belle idée qui consiste à laisser Giulietta endormie après avoir bu le breuvage somnifère, tandis que les soldats morts se lèvent pour se réconcilier au cours d’un bref passage dans le monde des esprits.
Mais maintenant il reste à entendre la Giulietta de Patricia Ciofi , tragédienne née.
De retour donc à l’Opéra Bastille, une semaine plus tard, pour retrouver la chanteuse italienne remplaçante d’Anna Netrebko pour au moins trois soirs.
L’amateur de vérité humaine ne peut que sortir convaincu de cette représentation, tant Patricia Ciofi possède le talent de rendre son personnage émouvant. D’aucun soulignera sans doute que sa Giulietta ressemble à Lucia ou Traviata, mais la manière dont l’auditeur est pris par l’interprétation diffère fortement du vécu le jour de la première.
Patricia Ciofi (Giulietta)
Si la soprano Russe jouait sur le pouvoir psychique de sa puissance virtuose et de sa beauté glamour, avec madame Ciofi le sentimentalisme de chacun est bien plus sollicité par la délicatesse de la voix, des gestes et de son regard tragiquement illuminé.
Toute la légèreté de l’aigu envahit la salle et révèle une pureté d’âme qui touche au cœur.
Le jeu avec Joyce di Donato (à nouveau passionnément exaltée) en est également plus caressant et sensuel.
Ce soir, Matthew Polenzani affiche encore plus de subtilité et laisse un peu de côté son caractère incisif.
L'intensité vécue par les spectateurs n'est que très justement retournée vers les artistes au rideau final en remerciement pour cette soirée mémorable.