Articles avec #carsen tag

Publié le 10 Décembre 2023

Vissi d’Arte – Gala Maria Callas
Récital du 02 décembre 2023
Palais Garnier

‘Una voce poco fa’ (Le Barbier de Séville, Rossini) – Maria Callas (Palais Garnier, 1958)
Monologue d’ouverture de ‘Master Class’ (McNally, 1995)  – Carole Bouquet
‘Casta Diva’ (Norma, Bellini) – Sondra Radvanovsky
Lettre de Maria Callas à une admiratrice (10 mai 1966)  – Carole Bouquet
‘Follie, follie’ (La Traviata, Verdi) – Pretty Yende
‘La Habanera’ (Carmen, Bizet) – Eve-Maud Hubeaux
Extrait de ‘Une heure avec Maria Callas’ (Bernard Gavoty, 16 juin 1964)
‘D’amore sull’ali rosee’ (Il Trovatore, Verdi) – Maria Callas (Palais Garnier, 1958)
Article ‘Viva Callas’ extrait des ‘Nouvelles littéraires’(Marguerite Duras, décembre 1965) – Carole Bouquet
‘Vieni! T’affretta!’ (Macbeth, Verdi) – Sondra Radvanovsky
100 photos de Maria Callas sur ‘Divinités du Styx’ (Alceste, Gluck) – Maria Callas (1961)
Extrait de ‘The Callas Conversations’ (Lord Harewood pour la BBC, 23 avril 1968)
‘Ah non credea’ (La Sonnambula, Bellini) – Pretty Yende
'Lettre de Maria Callas à Umberto Tirelli' (01 septembre 1975) – Carole Bouquet

Carole Bouquet devant le portrait de Maria Callas sur la scène du Palais Garnier

Carole Bouquet devant le portrait de Maria Callas sur la scène du Palais Garnier

‘Sola, perduta, abbandonata’ (Manon Lescaut, Puccini) - Sondra Radvanovsky
‘Ebben ! Ne andro lontana’ (La Wally, Catalani) – Marie-Agnès Gillot (Maria Callas, 1954)
‘O don Fatale’ (Don Carlo, Verdi) – Eve-Maud Hubeaux
Extrait de ‘Medea’ (Pasolini, 1969)
'Lettre de Paolo Pasolini à Maria Callas' (1969) – Carole Bouquet
Extrait de ‘L’invité du dimanche’ (Pierre Desgraupes, 20 avril 1969) – Carole Bouquet
Extrait ‘Hommage à Maria Callas’ de Ingborg Bachmann (après 1956)
Monologue de fin de ‘Master Class’ (McNally, 1995 – musique Jake Heggie)  – Kate Lindsey, piano Florence Boissolle
‘Vissi d’arte’ (Tosca, Puccini) - Sondra Radvanovsky

Direction Musicale Eun Sun Kim
Mise en scène Robert Carsen

Diffusion sur France 5 le 08 décembre 2023 et sur France Musique le 23 décembre 2023 dans l’émission « Samedi à l’Opéra », présentée par Judith Chaine.
Diffusion ultérieure sur Paris Opera Play, la plateforme de l’Opéra national de Paris.

Le jeudi 21 octobre 1958, Maria Callas fit ses débuts aux Maple Leafs Gardens de Toronto après s’être aliénée le public romain en début d’année lors d’une représentation de ‘Norma’ suspendue à l’issue du premier acte.

Alors âgé de 4 ans, Robert Carsen était trop jeune pour assister à son premier concert canadien, mais lorsqu’elle revint au Massey Hall de Toronto le jeudi 21 février 1974, à l’occasion de sa tournée internationale avec Giuseppe Di Stefano, il put la voir et être sidéré par l’extraordinaire ovation qu’elle reçut de la part du public.

Sondra Radvanovsky

Sondra Radvanovsky

Depuis, et avec 13 spectacles présentés à Bastille et Garnier en 30 ans, de ‘Manon Lescaut’ (1993) jusqu’à ‘Ariodante’ (2023), il est le metteur en scène qui a monté le plus de productions à l’Opéra national de Paris, ce qui en fait la meilleure incarnation de l’esprit de l’institution mue autant pas son héritage de la tradition que par la nécessité de la contemporanéité.

Après son magnifique hommage au Palais Garnier rendu en 2004 à travers sa mise en scène de ‘Capriccio’, dont l’écho revint à la fin du Gala lyrique de Renée Fleming qu’il dirigea en 2022 en ce même lieu, Robert Carsen s’approprie à nouveau cette salle qui lui est chère pour célébrer les 100 ans de la naissance de Maria Callas.

Vissi d’Arte – Gala Maria Callas (Radvanovsky Kim Carsen) Opéra de Paris

Ce programme très dense comprend la projection dans leur version nouvellement colorisée de deux airs, ‘Una voce poco fa’ et ‘D’amore sull’ali rosee’, chantés par la ‘Divina’ lors de son premier récital donné au Palais Garnier le 19 décembre 1958, récital qui fut diffusé en direct sur la 1er chaîne de la RTF et devant 30 millions de téléspectateurs européens.

La projection de ces deux extraits sur le rideau de Garnier est absolument grandiose et constitue un véritable moment de recueillement. 

Plafond du Grand Escalier du Palais Garnier

Plafond du Grand Escalier du Palais Garnier

Nous verrons également plusieurs extraits d’interviews ‘Une heure avec Maria Callas’ (1964), ‘The Callas Conversations’ (1968), ‘L’invité du dimanche’ (1969), tous enregistrés à Paris, qui rendent comptent de la relation entre la femme et l’artiste, du niveau d’exigence exceptionnel de son travail, de la perception que son entourage peut avoir d’elle et de son caractère, et où l’expressivité de sa voix et de son visage raconte beaucoup d'elle.

On sourit lorsqu'elle dit qu'elle n'est pas une intellectuelle, car il faut bien l'être pour savoir analyser avec autant de profondeur la vérité du cœur des héroïnes qu'elle a fait revivre.

‘The Callas Conversations’ (Lord Harewood pour la BBC, 23 avril 1968)

‘The Callas Conversations’ (Lord Harewood pour la BBC, 23 avril 1968)

Ce rapport avec la France, et avec Paris en particulier, est d’ailleurs renforcé par le choix des airs, tel ‘Divinités du Styx’ enregistré lors de son passage à la salle Wagram en 1961, et qui est ici utilisé pour illustrer l’histoire de sa vie racontée en images de manière chronologique, à travers un diaporama de 100 photographies très émouvantes par l’émerveillement qui transparaît dans les jeunes regards de ses admirateurs.

Carole Bouquet

Carole Bouquet

Carole Bouquet nous fait découvrir des lettres toutes écrites à la fin de sa carrière, ‘Maria Callas à une admiratrice’ (1966) – un témoignage de l’intégrité de l’artiste qui égratigne l’opéra en tant que tel - , ‘ Maria Callas à Umberto Tirelli’ (1975) – à propos de son monde intérieur -, ‘Paolo Pasolini à Maria Callas’ (1969) – lue juste après la projection d’un extrait de ‘Médée’, et qui révèle la difficulté de Callas à se laisser diriger -, ainsi que ‘Viva Callas’ de Marguerite Duras (1965) et ‘Hommage à Maria Callas’ de Ingborg Bachmann – qui rendent toutes deux hommage à la grandeur de Maria Callas pour avoir sorti l’opéra de ses prouesses vocales afin de lui redonner de l’expressivité dramatique -.

Vissi d’Arte – Gala Maria Callas (Radvanovsky Kim Carsen) Opéra de Paris

Par ailleurs, cette soirée est encadrée par l’introduction et la conclusion de la pièce de Terrence McNally, ‘Master Class’ (1995), qui fut adaptée par plusieurs théâtres parisiens (Théâtre de la Porte-Saint-Martin, Théâtre Antoine, Théâtre de Paris) et interprétée par Fanny Ardant et Marie Laforêt.

Le monologue final est alors chanté par Kate Lindsey, aux lignes vocales très précisément canalisées, accompagnée au piano mélancolique de Florence Boissolle, sur une musique de Jake Heggie, et ce passage revient à nouveau sur l’importance du sens donné aux mots.

Sondra Radvanovsky - ‘Casta Diva’ (Norma, Bellini)

Sondra Radvanovsky - ‘Casta Diva’ (Norma, Bellini)

Mais cette soirée est également l’occasion de réentendre sur la scène du Palais Garnier des airs qui ont rendu célèbres Maria Callas, interprétés cette fois par de grandes artistes d’aujourd’hui.

Sondra Radvanovsky, qui fit ses débuts à l’opéra Bastille dans ‘Faust’ en 2001, et qui est une des rares cantatrices à avoir été sollicitée par le public pour bisser ‘D’amore sull’ali rosee’ en 2018 sur cette même scène, devient la voix de quatre grands airs, ‘Casta Diva’ (Norma, Bellini), ‘Vieni! T’affretta!’ (Macbeth, Verdi), ‘Sola, perduta, abbandonata’ (Manon Lescaut, Puccini) et ‘Vissi d’arte’ (Tosca, Puccini).

Sondra Radvanovsky - ‘Sola, perduta, abbandonata’ (Manon Lescaut, Puccini)

Sondra Radvanovsky - ‘Sola, perduta, abbandonata’ (Manon Lescaut, Puccini)

Dès le premier de ces airs, les intonations et les noirceurs qu’elle fait entendre ne sont pas sans évoquer les couleurs complexes et changeantes de la voix de Maria Callas, ce qui est fort troublant, et elle démontre une aisance saisissante quand il s’agit d’envahir l’espace sonore d'un voile aigu puissant au début, et très effilé en fin d’aria.

Sondra Radvanovsky - ‘Vissi d’arte’ (Tosca, Puccini)

Sondra Radvanovsky - ‘Vissi d’arte’ (Tosca, Puccini)

Le volontarisme hautain de Lady Macbeth ne lui pose aucun problème, mais la froideur radicale de ce personnage peut sembler trop éloignée de la personnalité de Sondra Radvanovsky, alors que le dramatisme bouleversant de Manon Lescaut en devient intensément poignant.

Et dans sa robe rouge, devant le rideau de Garnier, l’ampleur de son ‘Vissi d’arte’ qu’elle a si souvent chanté fait à nouveau sensation par la hauteur et la longueur du legato enrichi d’un timbre profondément vibrant et inimitable.

Les admirateurs de Sondra Radvanosvky pourront également la retrouver au Chan Shun Concert Hall de Vancouver, le 18 janvier 2024, pour un autre hommage à Maria Callas.

Pretty Yende - ‘Ah non credea’ (La Sonnambula, Bellini)

Pretty Yende - ‘Ah non credea’ (La Sonnambula, Bellini)

Pretty Yende reprend brillamment ‘Follie, follie’ (La Traviata, Verdi) et ‘Ah non credea’ (La Sonnambula, Bellini), mais c’est quand même ce second air qui, en révélant la finesse et la rondeur de son beau médium sensible, nous immerge le plus dans une élégie dramatique naturellement émouvante.

Eve-Maud Hubeaux - ‘La Habanera’ (Carmen, Bizet)

Eve-Maud Hubeaux - ‘La Habanera’ (Carmen, Bizet)

Quant à Eve-Maud Hubeaux, si sa ‘La Habanera’ (Carmen, Bizet) ne manque pas d’aplomb et d’intensité, son incarnation enflammée de ‘O don Fatale’ (Don Carlo, Verdi) est l'un des autres grands moments de cette soirée où n’aura manqué à ce moment là qu’un réel engagement dramatique de Eun Sun Kim qui a surtout cherché à tirer les plus beaux sons de l’orchestre pour les fondre avec délicatesse à la voix des artistes.

Marie-Agnès Gillot - ‘Ebben ! Ne andro lontana’ (La Wally, Catalani)

Marie-Agnès Gillot - ‘Ebben ! Ne andro lontana’ (La Wally, Catalani)

Enfin, Marie-Agnès Gillot offre tout un jeu basé sur le mouvement des mains afin d’exprimer sur l’air ‘Ebben ! Ne andro lontana’ (La Wally, Catalani) la lassitude de Maria Callas fasse à la vie, dans l’esprit de ce qu’a voulu nous raconter ce soir Robert Carsen, qui est non pas d’enfermer Callas dans sa technique virtuose comme des passionnés auraient voulu le faire avec superficialité, mais au contraire d’axer cet hommage sur la ‘vérité dramatique’ de cette grande artiste, mais aussi sur la cassure entre sa vie de femme et sa vie sur scène, même si certains témoignages projetés tendent à montrer une Callas qui cherche à réunir ces deux facettes.

Kate Lindsey, Pretty Yende, Sondra Radvanovsky, Eve-Maud Hubeaux, Marie-Agnès Gillot et Carole Bouquet

Kate Lindsey, Pretty Yende, Sondra Radvanovsky, Eve-Maud Hubeaux, Marie-Agnès Gillot et Carole Bouquet

En somme, un portrait très humain, pénétrant, dénué d'effet mélodramatique, et qui préserve toujours une part de son mystère.

Sondra Radvanovsky, Robert Carsen et Eun Sun Kim

Sondra Radvanovsky, Robert Carsen et Eun Sun Kim

Ce concert peut être revu sur France 5 TV jusqu'au 06 juin 2024 sous le lien suivant :

Vissi d'Arte : Gala Maria Callas

Voir les commentaires

Publié le 7 Décembre 2023

Les Contes d’Hoffmann (Jacques Offenbach – Opéra Comique, 10 février 1881)
Répétition générale du 27 novembre et représentations du 06 et 24 décembre 2023
Opéra Bastille

Olympia Pretty Yende
Antonia Rachel Willis-Sørensen
Giulietta Antoinette Dennefeld
La Muse / Nicklausse Angela Brower
Hoffmann Benjamin Bernheim (27/11 et 06/12) / Dmitry Korchak (24/12)
Luther / Crespel Vincent Le Texier
Lindorf / Coppelius / Dr. Miracle Christian Van Horn
Nathanaël Cyrille Lovighi
Frantz Leonardo Cortellazzi
Hermann Christian Rodrigue Moungoungou
Spalanzani Christophe Mortagne
Schlemil Alejandro Baliñas Vieites
La voix de la Mère Sylvie Brunet-Grupposo

Direction Musicale Eun Sun Kim
Mise en scène Robert Carsen (2000)

Diffusion sur France Musique le 20 janvier 2024 à 20h dans l'émission de Judith Chaine, 'Un samedi à l'opéra'.

Depuis son entrée au répertoire de l’Opéra national de Paris le 28 octobre 1974 dans la mise en scène de Patrice Chéreau, ‘Les Contes d’Hoffmann’ fait partie des incontournables de l’institution, seul opéra français avec ‘Carmen’, un autre opéra créé à l’Opéra Comique au cours de la décennie qui suivit la fin du Second Empire, qui ait rejoint les 10 titres les plus régulièrement interprétés.

Benjamin Bernheim (Hoffmann)

Benjamin Bernheim (Hoffmann)

La particularité de la version proposée par Robert Carsen dans sa production présentée pour la première fois sur la scène Bastille au début du printemps de l’année 2000, est d’être une reprise musicale de la version du Festival de Salzbourg 1981 qui retenait le meilleur de deux versions officiellement reconnues aujourd’hui.

La première, celle de Choudens éditée en 1907, réintégrait une partie de l’acte de Giulietta, le septuor avec chœur (une nouveauté sans lien avec Offenbach composée sur une musique de Gunsbourg), et deux nouveaux airs pour Coppelius, ‘J’ai des yeux’, et Dapertutto, ‘Scintille diamant’.

En effet, Offenbach étant décédé avant la création, la version révélée au public à l’Opéra Comique en 1881 fut fortement tronquée par rapport à ses intentions, et ne comporta pas l’acte de Venise.

Christian Van Horn (Lindorf)

Christian Van Horn (Lindorf)

La seconde, celle élaborée en 1976 par le musicologue allemand Fritz Oeser, visait à revenir à l’original des ‘Contes d’Hoffmann’ de 1880 avec un acte de Venise le plus complet possible et un important travail de réorchestration.

La version de Robert Carsen en retient deux airs pour Nicklausse, ‘Voyez-là sous mon éventail‘ et ‘Vois sous l’archet frémissant’, le duetto Nicklausse/Hoffmann, le prologue, avec les couplets de la Muse, le Trio des yeux et l’apothéose finale ‘Des cendres de ton cœur’.

La Muse retrouve ainsi un rôle de premier plan.

Cette version qui réintègre tant de passages qui n’existaient pas à la création, ne comprend cependant pas tous les apports de l’édition critique de Michael Kaye basée sur des manuscrits découverts en 1984 et dont Kent Nagano a enregistré une version au disque avec Natalie Dessay et Roberto Alagna, mais de par son architecture composite, elle offre au public parisien une originalité musicale qu’il ne retrouvera pas sur d’autres scènes internationales.

Angela Brower (La Muse) et Benjamin Bernheim (Hoffmann)

Angela Brower (La Muse) et Benjamin Bernheim (Hoffmann)

On imagine ainsi mal l’Opéra de Paris se défaire de ce spectacle, d’autant plus que la scénographie du metteur en scène est somptueuse et insère une importante réflexion sur la place du théâtre dans le rapport de l’être humain à l’illusion.

Le spectateur voit ainsi son regard évoluer autour d’une scène de théâtre, où Stella chante dans ‘Don Giovanni’, en partant des coulisses jusqu’à la scène surmontée de la statue du commandeur, l’acte de Venise plaçant, par effet miroir, le public sur la scène dans des poses très acrobatiques.

L’intervention de la mère d’Antonia au second acte sera elle même une intrusion de la représentation de l’opéra de Mozart dans le récit d’Hoffmann.

Sylvie Brunet-Grupposo (La voix de la Mère)

Sylvie Brunet-Grupposo (La voix de la Mère)

On peut d’ailleurs remarquer que si les personnages sont contemporains, ceux du spectacle de ‘Don Giovanni’ participent à un spectacle ‘à l’ancienne’ avec costumes folkloriques, ce qui est aussi une amusante réflexion sur le passé des mises en scène, alors que certains, aujourd’hui, voudraient les ranimer.

Par ailleurs, l’intervention de la Muse, avec sa lyre, est une parfaite métaphore du rôle de la musique en tant que réconfort universel à la condition humaine, même si l’acte d’Antonia est aussi une réflexion sur le piège tendu par la société envers l’artiste qui le pousse à se consumer pour elle.

Habilement, Robert Carsen trouve un moyen de s’adresser à tous les publics, ce qui est une qualité rare. 

Eun Sum Kim et Benjamin Bernheim

Eun Sum Kim et Benjamin Bernheim

Et à l’occasion de cette neuvième série qui portera à plus de 80 le nombre de représentations de sa production des ‘Contes d’Hoffmann’, le public parisien découvre la cheffe d’orchestre Eun Sun Kim, directrice musicale de l’Opéra de San Francisco, dont la carrière internationale au sein des plus grands théâtres lyriques européens et américains est déjà bien étoffée.

Le style de sa direction est magnifiquement délié dès l’ouverture et sera préservé tout au long de la représentation. D’un excellent équilibre sonore entre la fosse d’orchestre et le plateau, fluide et entrelacée avec grande précision à l’action scénique, elle dispense nuances et mélanges de coloris métalliques et boisés rythmés avec un moelleux tonique, ce qui a pour effet d’accroire le sentiment de proximité du spectateur à la scène. 

Cette réalisation soignée et sans esbroufe est ainsi un support idéal pour les chanteurs, d’autant plus que nous tenons là une distribution de haut vol et d’une très belle homogénéité.

Angela Brower (Nicklausse), Christian Rodrigue Moungoungou (Hermann) et Benjamin Bernheim (Hoffmann)

Angela Brower (Nicklausse), Christian Rodrigue Moungoungou (Hermann) et Benjamin Bernheim (Hoffmann)

Après sa prise de rôle réussie à l’opéra de Hambourg en septembre 2021, Benjamin Bernheim retrouve sur la scène parisienne le personnage d’Hoffmann qui lui va naturellement comme un gant.

Il incarne une jeunesse romantique qui se laisse mener par les évènements, et sa voix assez légère au brillant très clair et son excellente diction ajoutent à son charme teinté d’idéalisme si bien que le classicisme de son personnage éclipse totalement le statut d’’étoile’ qui lui est de plus en plus associé. 

Mais lorsqu’il se pose face à la salle et qu’il laisse s’épanouir sa voix qui se gorge d’un rayonnement puissant et d’un timbre chaleureux, l’effet pour l’auditeur est absolument sensationnel.

Pretty Yende (Olympia)

Pretty Yende (Olympia)

Moins noire et tourmentée que d’autres interprétations de l’amoureux malchanceux, son incarnation s’apparie facilement au timbre blond et ombré d’Angela Brower qui fait vivre Nicklausse avec une densité acérée, une évidente netteté d’expression et une projection plus mesurée.

Ainsi, vive et incisive, elle est un contrepoint d’esprit très cartésien face à la malléabilité du poète Hoffmann. Sa Muse, elle, est assez distanciée mais avec un cœur prégnant, et l’on éprouve à nouveau une émotion profonde dans l’immensité de l’espace vide et débarrassé de toutes les illusions de théâtre quand elle se présente pour consoler le héros accompagné par le chœur à l’apogée de son inspiration élégiaque.

Pretty Yende (Olympia) et Benjamin Bernheim (Hoffmann)

Pretty Yende (Olympia) et Benjamin Bernheim (Hoffmann)

Les trois femmes dont il s’est épris sont fortement différenciées par les qualités vocales de leurs interprètes, et c’est un grand plaisir que d’entendre Pretty Yende dans le rôle d’Olympia dont non seulement elle joue sans hésitations les tendances libertines, avec toutefois tempérance, mais de plus lui prodigue une agilité qu’elle panache de fantaisies grisantes et une plénitude de couleur qui résonnent sans peine dans la grande salle Bastille, même si Natalie Dessay a façonné ce rôle de façon indélébile par son abattage.

Le ravissement reste intact, et quand on est un spectateur qui connaît bien cette production, il est aussi très agréable de sentir la joie de ceux autour de soi qui découvrent une telle scène délurée qu’ils n’auraient sans doute pas imaginée.

Rachel Willis-Sørensen (Antonia)

Rachel Willis-Sørensen (Antonia)

Dans une tout autre tessiture, Rachel Willis-Sørensen, en Antonia, est douée d’une largeur de voix qui dispense un flot d’une profonde noirceur dramatique avec des aigus qu’elle libère puissamment, une ampleur traversée de lignes ténébreuses qui évoque, il est vrai, de grands personnalités lyriques comme on les rencontre chez Verdi ou Wagner.

Sa très forte personnalité en rend même la voix de sa Mère, interprétée par l’inimitable sincérité touchante de Sylvie Brunet-Grupposo, plus apaisée. 

Rachel Willis-Sørensen (Antonia) et Benjamin Bernheim (Hoffmann)

Rachel Willis-Sørensen (Antonia) et Benjamin Bernheim (Hoffmann)

Et avec une excellente homogénéité de timbre, Antoinette Dennefeld dépeint une Giulietta très élégante aux aigus très fiers qui assoient son assurance, ce qui accrédite ainsi l’idée que cette courtisane aurait pu être l’amour idéal d’Hoffmann. D’ailleurs, n’est ce pas le personnage dont l’acte a connu le plus de remaniements et de multiples reconstitutions possibles, même si, dans cette version, l’original voulu par Offenbach semble assez éloigné?

Benjamin Bernheim (Hoffmann) et Antoinette Dennefeld (Giulietta)

Benjamin Bernheim (Hoffmann) et Antoinette Dennefeld (Giulietta)

Fortement reconnaissable à son timbre éloquemment sombre et caractérisé par le relief prononcé de ses graves, Christian Van Horn, sous les traits des différents visages du diable, a toujours autant de prestance dans les airs menaçants, de manière similaire au rôle de Méphistophélès du ‘Faust’ de Gounod qu'il incarnait la saison dernière.

Quant à Vincent Le Texier, il apporte une teinte noire et dépressive au pauvre père d’Antonia de façon très émouvante.

Christian Van Horn (Docteur Miracle)

Christian Van Horn (Docteur Miracle)

Tous les autres petits rôles confiés à quatre artistes du chœur (Cyrille Lovighi, Leonardo Cortellazzi, Christian Rodrigue Moungoungou, Christophe Mortagne) et un membre de la troupe (Alejandro Baliñas Vieites) sont très bien tenus, Christian Rodrigue Moungoungou et Leonardo Cortellazzi se démarquant un peu plus nettement du fait de la mise en avant de leurs personnages respectifs, Hermann, le boute-en-train de la taverne, et Frantz, qui cherche ‘la méthode’ pour bien chanter, avec un très bel éclat.

Dmitry Korchak (Hoffmann) et Antoinette Dennefeld (Giulietta)

Dmitry Korchak (Hoffmann) et Antoinette Dennefeld (Giulietta)

Et pour la matinée du dimanche 24 décembre, c'est le ténor russe Dmitry Korchak qui succède à Benjamin Bernheim.

Il approfondit la désespérance d'Hoffmann en le faisant se consumer avec une intensité dramatique à cœur écorché qui se révèle fortement poignante. Grande clarté de timbre qui lui permet de faire passer beaucoup de douceur, puissance du souffle pour exprimer l'idéalisme héroïque du poète, et une intonation plaintive qui signifie constamment la détresse de son personnage, il a du charme et de l'énergie à revendre, et même si l'intelligibilité de son phrasé pourrait encore gagner en précision, il s'affirme comme un des meilleurs tenants du rôle sur cette scène.

Dmitry Korchak (Hoffmann)

Dmitry Korchak (Hoffmann)

Par ailleurs, lors de la représentation du 24 décembre en matinée, toutes et tous ses partenaires se montrent également à leur meilleur, Pretty Yende d'une très impressionnante finesse dans sa maitrise du personnage d'Olympia en la rendant plus amusante que vulgaire, Rachel Willis-Sørensen au lyrisme débordant, Antoinette Dennefeld au glamour d'une parfaite netteté, Christian van Horn décidément amoureux de la langue française qu'il peaufine à chaque fois avec beaucoup de caractère, et Angela Brower très agile dans ses expressions.

Angela Brower (La Muse) et Benjamin Bernheim (Hoffmann)

Angela Brower (La Muse) et Benjamin Bernheim (Hoffmann)

Ce spectacle d’une harmonieuse unité se présente déjà comme une grande version de l’ouvrage et un des grands succès populaires de la saison 2023/2024 de l’Opéra de Paris.

Antoinette Dennefeld, Rachel Willis-Sørensen, Christian Van Horn, Eun Sum Kim, Benjamin Bernheim et Angela Brower

Antoinette Dennefeld, Rachel Willis-Sørensen, Christian Van Horn, Eun Sum Kim, Benjamin Bernheim et Angela Brower

Voir les commentaires

Publié le 2 Mai 2023

Ariodante (Georg Friedrich Haendel – 1735)
Répétition générale du 14 avril et représentations du 30 avril et 16 mai 2023
Palais Garnier

Ariodante Emily D'Angelo
Ginevra Olga Kulchynska
Polinesso, Duc d’Albany Christophe Dumaux
Le Roi d’Ecosse Matthew Brook
Lurcanio Eric Ferring
Dalinda Tamara Banješević
Odoardo Enrico Casari

Direction musicale Harry Bicket
Mise en scène Robert Carsen (2023)
The English Concert & Chœurs de l’Opéra national de Paris

                                                            Harry Bicket

Coproduction Metropolitan Opera, New-York
Retransmission en direct le jeudi 11 mai 2023 sur la plateforme de l’Opéra national de Paris : Paris Opera Play, et diffusion le samedi 27 mai 2023 sur France Musique à 20 h.

Créé au Covent Garden Theatre de Londres 3 mois avant ‘Alcina’,  le 8 janvier 1735, ‘Ariodante’ fait partie des plus beaux chefs-d’œuvre de Georg Friedrich Haendel composés dans les années 1730, à un moment où les conventions de l’opera seria commençaient à passer de mode et à moins intéresser le public londonien. 

Emily D'Angelo (Ariodante)

Emily D'Angelo (Ariodante)

Son succès modeste ne durera qu’un an, et il faudra attendre près de 250 ans pour qu’il retrouve les scènes du monde entier et soit apprécié à sa juste valeur.

La première implication de l’Opéra de Paris avec cette œuvre inspirée de l’’Orlando Furioso’ de l’Arioste date de 1985, lorsque la production de Pier Luigi Pizzi créée à la Scala de Milan fut présentée au Théâtre des Champs-Élysées pour 5 représentations du 25 mars au 09 avril de cette année là. 

Olga Kulchynska (Ginevra)

Olga Kulchynska (Ginevra)

A cette occasion, les chœurs titulaires du Théâtre national de l’Opéra de Paris s’étaient alliés à La Grande Écurie et la Chambre du Roy sous la direction de Jean-Claude Malgoire, et ce n’est que 16 ans plus tard, le 17 avril 2001, que l’ouvrage fit son entrée au répertoire de l’institution parisienne dans une mise en scène de Jorge Lavelli jamais reprise depuis. 

Le souvenir d’Anne Sofie von Otter chantant le si beau lamento ‘Scherza, infida’ est l’un des moments les plus bouleversants de l’histoire contemporaine du Palais Garnier, immortalisé au disque 4 ans plus tôt lors d’une version de concert donnée au Théâtre de Poissy le 11 janvier 1997.

Emily D'Angelo (Ariodante)

Emily D'Angelo (Ariodante)

Pour le retour d’’Ariodante’ sur les planches de la place de l’Opéra, Alexander Neef a confié cette nouvelle production à une équipe artistique qui se connaît bien, Robert Carsen – il s’agit de sa 13e mise en scène pour l’Opéra de Paris depuis 1991 – et le chef d’orchestre Harry Bicket, qui ont tous deux enregistrés en 2005 la reprise du spectacle mythique du régisseur canadien, ‘A Midsummer’s night dream’ de Benjamin Britten.

Coréalisateur des décors et des éclairages, Robert Carsen imagine des changements de lieux fréquents ayant tous en commun d’être recouverts d’une peinture verte au sol, au plafond et sur les parois décorées de lignes et de motifs carrés, qui évoque le rapport de l’Écosse à la nature.

Ariodante (D'Angelo Kulchynska Dumaux Bicket Carsen) Opéra de Paris

Du cabinet intime de Ginevra - dont la symétrie de la configuration du lit à baldaquin flanqué de lampes de chevet chaleureuses rappelle celle du lit de ‘Rusalka’, une autre production emblématique du metteur en scène - à la grande salle des fêtes du Palais conçue selon un procédé architectural qui a aussi des résonances avec celle des sanctuaires égyptiens, en passant par le bureau du Roi où trônent les portraits de famille, et même cette clairière spacieuse et symbolique où Ariodante cherche l’inspiration pour peindre le portrait de sa bien aimée, se lit le désir de raconter l’histoire de manière sensible, et de rendre la justesse de chaque geste, qu’il soit d’honneur, affectueux ou destructeur. 

Eric Ferring (Lurcanio)

Eric Ferring (Lurcanio)

Également, s’imprime en filigrane la volonté d’opposer la nature violente et mortifère du pouvoir (trophées de têtes de cerfs et armures omniprésents servent de décorum aristocratique fixe et sans vie) à la nature authentique et romantique du prince.

Les jeux d’ombres et de lumières à travers les moindres interstices des portes sont véritablement très beaux, esthétisant un décor assez simple d’apparence, alors que l’utilisation récurrente d’une paroi descendante en avant scène sert aussi bien à isoler les solistes qu’à couvrir les changements de tableaux.

Christophe Dumaux (Polinesso)

Christophe Dumaux (Polinesso)

Une des particularités d’’Ariodante’ est de comprendre des musiques de ballet à la fin de chaque acte. Danse de cour joyeuse et énergique lors de la cérémonie de fiançailles, ou bien chorégraphie cauchemardesque de Ginevra qui voit s’affronter des doubles de Polinesso et d’Ariodante, l’immersion dans la psyché humaine donne de la profondeur à l’intrigue en accentuant les tourments que vivent les protagonistes victimes de la machination du Duc d’Albany.

Mais de petites touches d’humour, souvent destinées à s’amuser des relations entre la cour et le milieu médiatique, émaillent le jeu d’acteur, jusqu’à la scène finale qui invite à tirer un trait sur une société dépassée en faisant apparaître le chœur sous forme d’une foule de touristes plus ou moins bien éduquée déambulant dans une salle de musée où s’érigent les statues de cires de personnalités royales britanniques. Ariodante, Ginevra, Dalinda et Lurcanio auront d'ailleurs enfilés des tenues contemporaines avant de filer à l'anglaise.

Olga Kulchynska (Ginevra) et Emily D'Angelo (Ariodante)

Olga Kulchynska (Ginevra) et Emily D'Angelo (Ariodante)

Pour donner vie à cet univers formel et feutré où couve une violence autoritaire, Harry Bicket est entouré des musiciens de l’ensemble baroque ‘The English Concert’ qu’il dirige depuis 2007.

Rigueur rythmique infailliblement contrôlée, enrichissement subtil du son et étirement des lignes avec lustre et netteté qui ne couvre pas l’expression lyrique des solistes, il règne une clarté musicale qui s’accorde à la sincérité des sentiments dépeints.

Ariodante (D'Angelo Kulchynska Dumaux Bicket Carsen) Opéra de Paris

Issue de l’Ensemble Studio de la Canadian Opera Company après avoir remporté plusieurs premiers prix, Emily D'Angelo investit un nouveau grand rôle haendélien dans la prolongation de ses interprétations de Ruggiero (‘Alcina’) et Serse (‘Xerxès), l’année dernière à Londres.

Absolument subjuguante de par cette manière si naturelle de faire vivre l’allure androgyne d’Ariodante magnifiquement mise en valeur par le metteur en scène, elle inspire un caractère éveillé et romanesque que son timbre de voix homogène aux teintes bronze-argent enrichit d’une ferveur grave qui contribue aussi à une impression d’indétermination adolescente.

Emily D'Angelo (Ariodante)

Emily D'Angelo (Ariodante)

Et Robert Carsen lui offre de plus une très belle scène tout en contrastes d’ombres et de lumières au moment où elle chante ‘Scherza, infida’  comme si elle recherchait la confidence de l’orchestre pour calmer sa peine.

Autre image évocatrice qui marquera fortement, le retour d’Ariodante au troisième acte, avec en arrière plan un simple disque lumineux en guise de pleine lune, où, à nouveau, la voix d’Emily D'Angelo inspire toute l’âme dépressive du prince qui a survécu à son propre suicide.

Olga Kulchynska (Ginevra)

Olga Kulchynska (Ginevra)

Très touchante et acclamée à l’Opéra de Munich le mois précédent dans le rôle de Natacha du Guerre et Paix’ de Sergueï Prokofiev, l’artiste ukrainienne Olga Kulchynska est de retour à l’Opéra de Paris pour rendre au personnage de Ginevra une candeur féminine idéalisée, mais aussi pour faire ressortir les réactions angoissées que le retournement de son père contre elle induit.

Son chant très lumineux aux éclats juvéniles accentue le sentiment de fraîcheur d’âme, alors que les noirceurs du timbre plus estompées sont filées avec une extrême finesse. Pour elle aussi, le metteur en scène détaille une très belle incarnation gestuelle qui permet au charme de cette artiste de s’épanouir harmonieusement.

Tamara Banješević (Dalinda) et Eric Ferring (Lurcanio)

Tamara Banješević (Dalinda) et Eric Ferring (Lurcanio)

Autre personnage d’une très grande force impressive, le Duc d’Albany, qui fait croire au Roi que sa fille est infidèle, est incarné avec une vitalité acérée par Christophe Dumaux qui se délecte à rendre Polinesso le plus infâme possible. Le kilt lui va très bien, et sa voix de contre ténor, agile, bien focalisée, et d’une très grande force radiale, a la minéralité de l’ivoire qui lui permet de camper un être à l’esprit aiguisé. Il est par ailleurs dirigé afin de faire ressortir une véritable confiance calculatrice, mais aussi afin de faire ressentir la puissance sexuelle comme véritable moteur de l’action. L’impulsivité qui le caractérise se double ainsi d’une grande maturité dans l’affirmation de son pouvoir émotionnel.

Enrico Casari (Odoardo) et Matthew Brook (Le Roi d’Écosse)

Enrico Casari (Odoardo) et Matthew Brook (Le Roi d’Écosse)

Tamara Banješević, qui joue Dalinda, insuffle une très grande modernité à la servante de Ginevra par des attitudes très libres, un chant souple, joliment délié, dans une coloration brune qui définit bien le tempérament trouble de la jeune femme qui apprécie de séduire.

Dans le rôle du fiancé, Lucarno, Eric Ferring expose une personnalité tendre et fière à la fois, doué d’un timbre de voix clair et aéré et une attitude bien ancrée qui inspire solidité et humanité.

Olga Kulchynska

Olga Kulchynska

Enfin, c’est un vieux Roi d’Écosse austère que fait vivre Matthew Brook, avec des variations de facettes vocales qui laissent poindre peu de sentiments et d’affectations, et qui s’inscrit plus dans le réalisme expressif, alors qu’ Enrico Casari pare la voix Odoardo de nuances mates et d’un souffle bien stable.

Emily D'Angelo

Emily D'Angelo

Ce spectacle où les chœurs colorés de l’Opéra de Paris sont joyeusement sollicités se joue ainsi des symboles naturels et culturels de l’Écosse, engage les émotions de l’auditeur, et initie aussi une réflexion sur le rapport de l’homme à la nature.

Olga Kulchynska et Christophe Dumaux

Olga Kulchynska et Christophe Dumaux

Voir les commentaires

Publié le 21 Septembre 2022

I Capuleti e i Montecchi
(Vincenzo Bellini – La Fenice de Venise 1830)
Répétition générale du 19 septembre 2022 et

représentation du 01 octobre 2022
Opéra Bastille

Capellio Jean Teitgen
Giulietta Julie Fuchs (le 19) / Ruth Iniesta (le 01)
Romeo Anna Goryachova
Tebaldo Francesco Demuro
Lorenzo Krzysztof Bączyk

Direction musicale Speranza Scappucci
Mise en scène Robert Carsen

(1990 Genève / 1996 Paris)

Diffusion en direct sur https://www.france.tv/spectacles-et-culture/ le jeudi 29 septembre 2022

 

La production d’’I Capuleti e i Montecchi’ par Robert Carsen présentée pour la sixième fois à l’Opéra Bastille est la plus ancienne que possède encore aujourd’hui la maison, car elle fut créée il y a 32 ans au Grand Théâtre de Genève, le 02 novembre 1990, lorsqu’Hugues Gall en était encore le directeur. Marine Dupuy et Cecilia Gasdia incarnaient respectivement Roméo et Juliette.

Anna Goryachova (Romeo) et Julie Fuchs (Giulietta)

Anna Goryachova (Romeo) et Julie Fuchs (Giulietta)

Elle aurait dû faire son entrée au répertoire de l’Opéra de Paris en juin 1994, mais les grèves déclenchées à ce moment là, suite à l’annonce d’un plan social pour redresser la situation de l’institution, reportèrent cet évènement au 06 novembre 1996.

Francesco Demuro (Tebaldo)

Francesco Demuro (Tebaldo)

Depuis, des interprètes aussi reconnues que Jennifer Larmore, Vesselina Kasarova, Laura Claycomb, Cristina Gallardo-Domas, Joyce DiDonato, Patricia Ciofi ou Anna Netrebko ont servi cette œuvre belcantiste sur la scène européenne qui la représente le plus au monde (44 représentations à Bastille contre seulement 26 représentations à la Scala de Milan ces 50 dernières années), alors qu’à ce jour elle n’est toujours pas inscrite au répertoire du Metropolitan Opera de New-York.

L’épure en rouge et noir de cette scénographie qui délimite l’avant-scène à l’aide de quelques plans démesurés pour recréer les divers espaces du palais, salle de réception, chambre où se projette sur un mur l’ombre de Juliette, chapelle et cour extérieure, suffisent à mettre en valeur les belles lignes vocales et orchestrales de ce genre lyrique peu théâtral qu’Hugues Gall a le mieux défendu jusqu’à présent.

Julie Fuchs (Giulietta)

Julie Fuchs (Giulietta)

Et ce sont des débuts éclatants qu’accomplit Speranza Scappucci dans la fosse de la scène Bastille dès l’ouverture qu’elle mène avec une maestria martiale qui exacerbe la vivacité de l’orchestre dont les motifs fusent avec un délié harmonique splendide.

Elle obtient un son généreux et bien galbé enrichi du métal des cordes, développe de très beaux volumes orchestraux magnifiquement colorés avec un sensible contrôle des nuances, mais obtient également une concordance parfaite avec les chœurs d’une présence percutante et affiche un soutien sans faille aux solistes qu’elle entraîne avec une très grande précision.

Jean Teitgen (Capellio)

Jean Teitgen (Capellio)

Anna Goryachova n’est pas inconnue du public parisien puisqu’elle incarna l’Alcina d’’Orlando Paladino’ de Haydn au Théâtre du Châtelet en mars 2012, puis Ruggiero dans l’’Alcina’ de Haendel au Palais Garnier en janvier 2014.

La mezzo-soprano russe fait vivre un Roméo d’une noirceur profondément mélancolique qui annonce d’emblée une issue fatale. Tout évoque la nuit chez elle, son timbre d’ébène d’une superbe vibrance élancée, l’assombrissement prononcé de ses graves bien marqués, et son allure un peu farouche qui lui donne une stature de jeune adolescent au tempéramment noble et ombreux.

Anna Goryachova (Romeo)

Anna Goryachova (Romeo)

En Juliette, Julie Fuchs définit une personnalité innocente qui maintient une fraîche luminosité avec les mêmes qualités d’ondoyance et de souffle que celles de sa partenaire. Des teintes ivoirines de sa voix émergent autant ses facultés à piquer spontanément les notes les plus aigües qu’à charmer l’audience par de très jolies vocalises descendantes, ce qui mène à un alliage de timbres très réussi avec Anna Goryachova, d’autant plus que les deux artistes dévoilent une affectivité commune troublante qui ajoute énormément d’âme à ce spectacle.

Julie Fuchs (Giulietta)

Julie Fuchs (Giulietta)

Absolument remarquable dans la première partie qui valorise le plus Tebaldo, Francesco Demuro a une présence vocale plutôt retenue dans les récitatifs, mais lorsqu’il s’agit d’aborder les grands airs déclamatoires, son émission gagne soudainement en résilience et panache et se libère avec un aplomb brillant. Il offre également une très belle scène de désespoir avec Anna Goryachova au moment de la mort présumée de Juliette.

Enfin, Jean Teitgen dote Capellio d’une solide ampleur vocale aux reflets de bronze, alors que Krzysztof Bączyk définit une ligne plus complexe pour Lorenzo, très grave avec beaucoup de corps.

Anna Goryachova (Romeo) et Julie Fuchs (Giulietta)

Anna Goryachova (Romeo) et Julie Fuchs (Giulietta)

Lors de la dernière reprise d’‘I Capuleti e i Montecchi’ en avril 2014, 20 650 spectateurs avaient assisté à l’une des 9 représentations programmées. Ce très beau spectacle aussi bien interprété mérite de réunir au moins autant de spectateurs, d’autant plus qu’il est le reflet d’une autre version du drame shakespearien qui sera donnée en fin de saison, le ‘Roméo et Juliette’ de Charles Gounod prévu à l’été 2023 sur la même scène.

Anna Goryachova, Ching-Lien Wu, Speranza Scappucci et Julie Fuchs (Répétition générale)

Anna Goryachova, Ching-Lien Wu, Speranza Scappucci et Julie Fuchs (Répétition générale)

Représentation du 01 octobre : annoncée souffrante, Julie Fuchs n'a pu assurer la soirée du 01 octobre, si bien que c'est la soprano espagnole Ruth Iniesta qui l'a remplacée auprès d'Anna Goryachova. Ruth Iniesta venait justement d'incarner Giulietta - c'était une prise de rôle -au Teatro Massimo di Bellini de Catane quelques jours auparavant.

Voix un peu plus ambrée et corsée, elle se montre en fine technicienne et d'une vaillance à tout rompre dans les suraigus qui ne lui posent aucune difficulté. Elle a par ailleurs la même tendresse juvénile que Julie Fuchs et forme un duo tout aussi crédible avec la mezzo-soprano russe. 

Et à nouveau, la splendide et vive direction de Speranza Scappucci, très attentive aux artistes, et le panache aguerri de Francesco Demuro ne font qu'entraîner les spectateurs dans un enthousiasme qui a baigné le grand vaisseau Bastille tout au long de la soirée.

Anna Goryachova (Romeo) et Ruth Iniesta (Giulietta)

Anna Goryachova (Romeo) et Ruth Iniesta (Giulietta)

Et l'on pouvait même lire sur la petite note de programme, mention très rare, que l'ensemble des décors et costumes de la production a été réalisée par les ateliers de l'Opéra national de Paris.

Car même si la mise en scène a été créée à Genève, les éléments de la production ont été refaits pour les dimensions de la scène parisienne et avec les savoir-faire de la maison.

Francesco Demuro, Anna Goryachova, Ruth Iniesta, et en arrière-plan, Ching-Lien Wu

Francesco Demuro, Anna Goryachova, Ruth Iniesta, et en arrière-plan, Ching-Lien Wu

Voir les commentaires

Publié le 10 Mai 2022

Elektra (Richard Strauss - 1909)
Répétition générale du 07 mai et représentations des 10, 19, 29 mai 2022
Opéra Bastille

Elektra Christine Goerke
Klytämnestra Angela Denoke
Chrysothemis Elza van den Heever (le 07) / Camilla Nylund (le 10)
Orest Tomas Tomasson
Aegisth Gerhard Siegel
Der Pfleger des Orest Philippe Rouillon
Ein junger Diener Lucian Krasznec
Ein alter Diener Chirstian Tréguier
Die Aufseherin Madeleine Shaw
Erste Magd Katharina Magiera
Zweite Magd  Florence Losseau
Die Schleppträgerin Marianne Croux
Dritte Magd Marie-Luise Dressen
Vierte Magd Sonja Šarić
Fünfte Magd Laura Wilde

Direction musicale Semyon Bychkov                       Elza van den Heever (Chrysothémis)
Mise en scène Robert Carsen
Production originale de la fondation Teatro del Maggio Musicale Fiorentino (2008)

La reprise de la production d’'Elektra' par Robert Carsen créée à l’Opéra de Florence en 2008 et montée sur la scène Bastille en 2013 permet de retrouver une scénographie qui renvoie directement aux origines d’un temps archaïque sombre et violent.

Christine Goerke (Elektra)

Christine Goerke (Elektra)

L’atmosphère funèbre est très bien rendue par des éclairages rasants qui cachent dans l’ombre une partie des visages de la cour de Mycènes, mais le travail sur la direction d’acteur reste individuellement assez simple si on le compare à celui de Patrice Chéreau (Festival d'Aix-en-Provence 2013) ou de Krzysztof Warlikowski (Festival de Salzbourg 2020).

Les principales originalités résident en fait dans le traitement du caractère de Clytemnestre gisant comme un ange sur un lit d’une blancheur immaculée pour soutenir sa revendication de femme libre et désirante, et aussi dans la présence des servantes qui agissent comme de multiples reflets de la volonté destructrice d’Elektra à travers une chorégraphie morbide et expressive, et pourtant belle par son unité et ses motifs poétiques.

Angela Denoke (Klytämnestra) et Christine Goerke (Elektra)

Angela Denoke (Klytämnestra) et Christine Goerke (Elektra)

Et dans la fosse d’orchestre, œuvre un chef qui fut invité par Gerard Mortier à deux reprises à l’opéra Bastille en 2007 (Un bal masqué) et 2008 (Tristan und Isolde), puis au Teatro Real de Madrid en 2011 (Elektra), Semyon Bychkov.

Sa lecture est à la fois dramatique et somptueuse, révélatrice des plus sensibles sentiments entre frère et sœurs, mais aussi implacable à faire ressortir les intentions les plus menaçantes comme à l’arrivée d’Oreste. Semyon Bychkov fait vivre une structure très souple, sans angulosités excessivement tranchantes, dont la beauté provient de la complexité d’agrégats entre les éclats de cuivres, la puissance et le métal des cordes et des vents qui créent un univers surnaturel sidérant qui visse sans relâche l’attention de l’auditeur. La montée en massivité préserve l’impact des voix, et le cœur chaud de la trame orchestrale peut subitement se condenser en une vigueur orageuse où les cuivres fusent froidement tout en maintenant l’équilibre des timbres avec les bois, ce qui évite un rendu trop agressif. Cet art de la narration grandiose semble ainsi porté en sous-texte par une certaine bienveillance à bien des endroits délicate.

Christine Goerke (Elektra) et Tomas Tomasson (Orest)

Christine Goerke (Elektra) et Tomas Tomasson (Orest)

Pour ceux qui ont été marqués par le mandat de Gerard Mortier, voir subitement apparaître Angela Denoke après plus d’une décennie d’absence sur cette scène est un moment teinté de bonheur nostalgique. Robert Carsen lui donne l’élégance d’une Marlene Dietrich - ce qui peut paraître en total décalage avec la monstruosité du personnage -, et cet effet est amplifié par la noirceur et la raucité de ses intonations retentissantes et par sa description profondément pathétique des tourments de la souveraine de la cité.

Angela Denoke (Klytämnestra)

Angela Denoke (Klytämnestra)

Un déséquilibre se crée toutefois avec Christine Goerke qui ne pose aucune limite à sa description d’une personnalité viscéralement prolixe en couleurs chaotiques qui collent fidèlement à l’état mental d’Elektra, et qui possède assez de puissance de souffle pour jeter des aigus hurlants mais suffisamment vibrés. 

Elle n’a d’ailleurs pas à développer un jeu trop complexe ce qui l’avantage dans cette production et lui permet d’asseoir une présence centrale d’autant plus que Chrysothemis n’est pas non plus un être que le metteur en scène fait se démarquer puisqu’elle se confond aisément avec les suivantes.

Elza van den Heever (Chrysothemis)

Elza van den Heever (Chrysothemis)

C’est ce soir une chance, car Elza van den Heever, souffrante pour cette première après avoir incarné à la dernière répétition une superbe femme au phrasé magnifiquement allié au raffinement des mélismes straussiens et douée de couleurs assombries à rendre ses phénoménaux aigus teintés de désespoir, a du être remplacée le matin même par Camilla Nylund qui appréhende heureusement ce rôle depuis une décennie sur les scènes du monde entier.

Un peu moins puissante, elle n’en n’est pas moins expressive par la netteté et la luminosité de son chant, ses fulgurances, tout comme l’attendrissement que provoque sa gestuelle profondément humaine. 

Camilla Nylund (Chrysothemis) et Christine Goerke (Elektra)

Camilla Nylund (Chrysothemis) et Christine Goerke (Elektra)

A la forte interaction qui lie ces trois femmes se joint ainsi l’Orest de Tomas Tomasson absolument fantomatique et impressionnant par sa stature et l’homogénéité monolithique de son timbre brun qui s’unit aux couleurs des bois et des cordes en un seul souffle. Il fait en réalité plus prophète que frère sensible, et incarne la mort qui vient réclamer son dû de manière imparable.

Elza van den Heever, Semyon Bychkov, Christine Goerke et Angela Denoke (Répétition du 07 mai 2022)

Elza van den Heever, Semyon Bychkov, Christine Goerke et Angela Denoke (Répétition du 07 mai 2022)

Quant à l’Aegisth de Gerhard Siegel, il draine une imposante consistance malgré les petites ponctuations de maladresse destinées à ridiculiser son arrivée, et l’énergie animale qu’il dégage rend encore plus saisissante la scène de son assassinat prémédité par l’ensemble des servantes armées de haches.

Christine Goerke et Angela Denoke

Christine Goerke et Angela Denoke

L’ovation tonitruante du public à l’issue de cette première représentation récompense l’engagement de toute une équipe de solistes et de musiciens de l’orchestre de l’Opéra de Paris qui portent à un très haut niveau de cohésion l’interprétation d’un tel ouvrage sur l’inéluctable de la haine et de la vengeance.

Camilla Nylund, Christine Goerke, Semyon Bychkov, Angela Denoke et Gerhard Siegel (Représentation du 10 mai 2022)

Camilla Nylund, Christine Goerke, Semyon Bychkov, Angela Denoke et Gerhard Siegel (Représentation du 10 mai 2022)

Et le 19 mai, Elza van den Heever était de retour sur scène, délivrant avec Christine Goerke un splendide déluge de décibels auquel Angela Denoke a apporté sa souveraine maitrise du récit haut en couleur sous la direction à nouveau magnifiquement déployée, avec de très beaux effets de fusion des timbres, de Semyon Bychkov.

Tomas Tomasson, Elza van den Heever, Christine Goerke, Semyon Bychkov, Angela Denoke et Gerhard Siegel (Représentation du 19 mai 2022)

Tomas Tomasson, Elza van den Heever, Christine Goerke, Semyon Bychkov, Angela Denoke et Gerhard Siegel (Représentation du 19 mai 2022)

Voir les commentaires

Publié le 6 Mars 2022

Le Crépuscule des Dieux (Richard Wagner – 1876)
Représentation du 27 février 2022
Teatro Real de Madrid

Siegfried Andreas Schager 
Gunther Lauri Vasar
Alberich Martin Winkler
Hagen Stephen Milling
Brünnhilde Ricarda Merbeth
Gutrune Amanda Majeski
Waltraute Michaela Schuster
Les trois Nornes Claudia Huckle, Kai Rüütel, Amanda Majeski
Woglinde Elizabeth Bailey
Wellgunde Maria Miró 
Flosshilde Claudia Huckle

Direction musicale Pablo Heras-Casado
Mise en scène Robert Carsen (2002)                            
Claudia Huckle (Une Norne)
Chœur et Orchestre du Teatro Real de Madrid

Créé à Cologne de 2000 à 2002 où il sera repris intégralement en 2007 après un passage à Venise ('La Walkyrie' joué à la Sérénissime en 2006 avait été commenté ci-après - La Walkyrie à la Fenice), le Ring mis en scène par Robert Carsen a ensuite voyagé au Liceu de Barcelone de 2013 à 2016 pour être finalement monté au Teatro Real de Madrid à partir de 2019.

Andreas Schager (Siegfried) et Ricarda Merbeth (Brünnhilde)

Andreas Schager (Siegfried) et Ricarda Merbeth (Brünnhilde)

La soirée du 27 février 2022 clôt ainsi la reprise de ce cycle dans des conditions bien particulières, trois jours après le début de l’attaque Russe en Ukraine.

La scénographie de Robert Carsen se limite à seulement trois unités de lieu avec une économie de moyens qui explique la facilité à la déployer de théâtres en théâtres. 

Andreas Schager (Siegfried)

Andreas Schager (Siegfried)

Ainsi, le prologue se déroule dans une pièce désertée d’un palais où les Nornes scellent le vieux mobilier entassé au centre de la pièce principale sous une lumière orangée crépusculaire tout en prédisant l’incendie prochain du Walhalla.

Quant aux trois actes qui suivent, ils alternent entre un champ de bataille dévasté jonché des restes vestimentaires de soldats morts au combat, auxquels s’ajouteront ultérieurement des débris de bombardements, et le palais des Gibichungen transformé en état major militaire d’une nation dictatoriale où trône, en arrière plan, deux cartes du Rhin qui s'étendent respectivement au nord et au sud de Cologne, le lieu de création de la production.

Stephen Milling (Hagen) et Lauri Vasar (Gunther)

Stephen Milling (Hagen) et Lauri Vasar (Gunther)

Incarnant les trois filles d’Erda, Claudia Huckle, Kai Rüütel, Amanda Majeski forment un groupe de femmes visionnaires et soudées aux timbres bien distincts et complémentaires, avec une certaine âpreté dans leur brillance, et quand apparaissent Andreas Schager et Ricarda Merbeth, la scène s’enflamme une première fois de par le rayonnement héroïque avec lequel ils confrontent Siegfried et Brünnhilde à la salle dans une exaltation vocale et orchestrale formidablement galvanisante.

Andreas Schager (Siegfried) et Lauri Vasar (Gunther)

Andreas Schager (Siegfried) et Lauri Vasar (Gunther)

Le ténor autrichien s'avère d’une solidité à toute épreuve, d’une grande clarté légèrement ombrée et un soupçon de tendresse qu’il détourne progressivement pour jouer un personnage sûr de lui et plaisantant de manière fort drôle, même avec ses ennemis, tant il est inconscient de la situation. Probablement est-il toujours aujourd’hui le Siegfried le plus complet de sa génération qui allie générosité et innocence adolescente attachante.

Stephen Milling (Hagen)

Stephen Milling (Hagen)

Depuis le temps qu’elle apparaît sur toutes les scènes wagnériennes, Ricarda Merbeth tient toujours fièrement une vaillance chevillée au corps, sa voix peu colorée dans les graves se déployant largement dans l’aigu en vibrations soyeuses aux teintes d’ivoire, comme si une joie transcendante irradiait en permanence son chant.

Quand on la retrouve plus loin avec Michaela Schuster qui apporte à Waltraute un sens de l’urgence dramatique dans une tessiture médium grave à l’homogénéité assez bien maîtrisée, la soprano allemande renvoie aussi une image de grande force intérieure naturellement poignante.

Ricarda Merbeth (Brünnhilde) et Michaela Schuster (Waltraute)

Ricarda Merbeth (Brünnhilde) et Michaela Schuster (Waltraute)

Dans la famille des Gibichungen et affiliés, Amanda Majeski dépeint une Gutrune noble et attendrissante, telle une Lady Diana œuvrant pour la paix, et Lauri Vasar, au spectre vocal nettement focalisé, incarne un Gunther empreint de fulgurances et de détermination, mais qui apparait aussi comme quelqu’un de facilement manipulable.

Amanda Majeski (Gutrune)

Amanda Majeski (Gutrune)

Stephen Milling est évidemment un impressionnant Hagen aux belles résonances inquiétantes, un peu atténuées toutefois par la grandeur de l’espace scénique, et ressemble fortement à une sorte d’apparatchik qui contrôle les leaders militaires, Gunther compris, pour arriver à ses fins.

Et si 'Le Crépuscule des Dieux' n’est pas le volet qui met le mieux en valeur le rôle d’Alberich, Martin Winkler investit cependant excellemment chaque instant à faire vivre la nervosité vociférante de son personnage.

Ricarda Merbeth (Brünnhilde)

Ricarda Merbeth (Brünnhilde)

Maîtrisant un ensemble de musiciens devenus une redoutable phalange depuis le travail de rénovation entrepris par Gerard Mortier 12 ans plus tôt, Pablo Heras-Casado emporte le flot musical en déroulant de splendides volutes aux colorations de fer forgé par des cuivres rougeoyants, une fusion de timbres où des tissures de lumières d’or se faufilent au milieu de cette lave vivante souple et majestueuse. 

Côté cour, s’admire une batterie de cuivres chauds disposés dans les premières loges, et côté jardin, une autre batterie de harpes induit une limpide poésie aux sonorités moirées de l’orchestre central, et nous avons donc là un récit fluide noir et crépusculaire, amplifié par de très belles images désolées et des contre-jours de brumes ou de feux.

Andreas Schager (Siegfried)

Andreas Schager (Siegfried)

Et soudain, survient un moment politique fort quand apparaît le corps de Siegfried enveloppé du drapeau Ukrainien après son lâche assassinat par Hagen. L’attitude digne et le regard en veille désespérée de Ricarda Merbeth à ce moment là resteront à jamais gravés dans les mémoires de chacun. 

Ricarda Merbeth (Brünnhilde) et Andreas Schager (Siegfried)

Ricarda Merbeth (Brünnhilde) et Andreas Schager (Siegfried)

Voir les commentaires

Publié le 26 Novembre 2021

Alcina (Georg Friedrich Haendel – 1735)
Répétition générale du 22 novembre et représentations du 25 novembre et 21 décembre 2021
Palais Garnier

Alcina Jeanine De Bique
Ruggiero Gaëlle Arquez
Morgana Sabine Devieilhe (le 25/11)
                Elsa Benoit (le 21/12)
Bradamante Roxana Constantinescu
Oronte Rupert Charlesworth
Melisso Nicolas Courjal

Direction musicale Thomas Hengelbrock
Mise en scène Robert Carsen (1999)
Balthasar Neumann Ensemble & Chœurs de l’Opéra national de Paris

 

                                      Jeanine De Bique (Alcina)

 

La quatrième reprise d’Alcina – ce chef-d’œuvre de Haendel est entré au répertoire de l’Opéra de Paris le 7 juin 1999 dans l’incarnation inoubliablement charmeuse de Renée Fleming – consacre le Palais Garnier comme le théâtre privilégié pour entendre cet ouvrage, puisqu’à l’issue de cette nouvelle série de soirées ce dernier aura atteint sa cinquantième représentation, ce qu’aucun autre grand théâtre du monde n’a réalisé jusqu’à aujourd’hui.

Jeanine De Bique (Alcina)

Jeanine De Bique (Alcina)

Après avoir été portée par Les Arts Florissants, l’Orchestre de Chambre de Paris, l’Ensemble Matheus et l’Orchestre de l’Opéra de Paris, c’est au tour du Balthasar Neumann Ensemble, actuellement en résidence au Château de Fontainebleau, de faire revivre cette partition sous la direction de son chef fondateur, Thomas Hengelbrock.

Le tempo allègre et la patine allégée subtilement mâtinée des scintillations du clavecin s’exaltent en vibrations teintées de charme antique, et évoquent de prime abord une humeur heureuse – c’est dans cette production, en juin 1999, qu’Emmanuelle Haim fit ses débuts à l’Opéra de Paris en tant que claveciniste de l’orchestre de William Christie -. 

Jeanine De Bique (Alcina) et Gaëlle Arquez (Ruggiero)

Jeanine De Bique (Alcina) et Gaëlle Arquez (Ruggiero)

La musique virtuose d’Alcina est ainsi parcourue d’une vitalité juvénile, un souffle caressant, presque éthéré, dont le caractère le plus poignant provient de la manière dont elle ouvre un univers intime sur les désarrois intérieurs des personnages de l’histoire. Il y a alors une concordance merveilleuse entre les lumières lunaires ou crépusculaires qui accompagnent la mise en scène de Robert Carsen et les obscurcissements de l’orchestre dont les cordes sombres frémissent dramatiquement. Les sonorités douces et chaleureuses d’un orgue s’entendent pour donner une ambiance encore plus feutrée.

Sabine Devieilhe (Morgana), Roxana Constantinescu (Bradamante) et Rupert Charlesworth (Oronte)

Sabine Devieilhe (Morgana), Roxana Constantinescu (Bradamante) et Rupert Charlesworth (Oronte)

L’harmonie entre les chanteurs et l’ensemble orchestral est naturellement fluide et bienveillante, et Thomas Hengelbrock veille à la prestesse du geste. Un magnifique exemple de cette concordance entre l’expression du chant et la précision de la lecture musicale peut s’entendre quand Alcina reproche à Ruggiero sa dureté à la fin du premier acte dans « Si, son quella, non piu bella ».  Et les chœurs se joignent à l’unisson à l’élégie de la musique.

Gaëlle Arquez (Ruggiero) et Roxana Constantinescu (Bradamante)

Gaëlle Arquez (Ruggiero) et Roxana Constantinescu (Bradamante)

L’allure fine et sophistiquée et les nuances brunes du timbre de sa voix qui fluctuent avec une grande célérité dessinent de façon fort saisissante, dès son apparition sur fond de forêt luxuriante, la nature fauve et mystérieuse d’Alcina.

Jeanine De Bique a probablement conscience de ce qui rend son incarnation inédite, la beauté mordorée des reflets sur ses bras, le boisé chatoyant de son chant délié, et son portrait de femme féline insaisissable qui donne énormément de crédibilité à la personnalité charnelle de la magicienne. Le basculement vers son humanisation quand elle prend conscience du désenvoûtement de Ruggiero se réalise dans l’ombre, mais conserve toujours quelque chose d’inquiétant.

C’est surtout à travers ses inflexions nuancées avec délicatesse, quand elle s’adresse à celui qu’elle aime, que son portrait de femme s’attendrit le plus.

Jeanine De Bique (Alcina)

Jeanine De Bique (Alcina)

Auprès d’elle, deux interprètes sont travesties en homme. La première, Gaëlle Arquez, est fort présente à Paris cette saison, puisqu’après Alcina elle reviendra au Théâtre des Champs-Élysées pour Cosi fan tutte, en mars 2022, et pour un autre grand opéra de Haendel, Giulio Cesare, deux mois plus tard. Son Ruggiero, ce soir, est empreint d’une gravité désespérée. Souplesse du timbre et clarté du voile vocal, justesse dans l’expression des sentiments et les variations de couleurs, le tout lié par une excellente diction tout en maintenant la constance du souffle, elle offre un naturel solide et intègre à son personnage.

Jeanine De Bique (Alcina)

Jeanine De Bique (Alcina)

La seconde, Roxana Constantinescu, a la même homogénéité de timbre et des sonorités un peu mates, et vocalise avec énormément de raffinement et de stabilité vocale. Elle a de plus une très forte expressivité théâtrale et un enthousiasme qui s’extériorise avec évidence pour mettre en valeur la fidélité optimiste de Bradamante.

Chaleureusement accueillie, Sabine Devieilhe met beaucoup de cœur et d’esprit vif dans son jeu énergique dévolu à Morgana. Les aigus sont très fins et très purs à la fois, le rythme d’élocution endiablé avec des traits de vaillances qui peuvent se transformer en suavité taquine quand elle se retrouve avec Oronte, auquel Rupert Charlesworth rend une très forte personnalité avec une vérité de geste et un chant très bien caractérisé qui hybride de splendides nuances aiguës tout en incarnant une virilité très sincère. 

Elsa Benoit (Morgana)

Elsa Benoit (Morgana)

Et pour les dernières représentations, Elsa Benoit reprend le personnage de Morgana en lui apportant un caractère plus mélancolique, délaissant les effets piquants des suraigus de Sabine Devieilhe pour accentuer une nature plus dramatique avec un timbre vibrant plus sombre dans le médium tout en jouant avec beaucoup de finesse et d'aisance. 

Sabine Devieilhe (Morgana) et Rupert Charlesworth (Oronte)

Sabine Devieilhe (Morgana) et Rupert Charlesworth (Oronte)

Quant à Nicolas Courjal, méconnaissable physiquement avec ce maquillage qui le vieillit fortement, il arbore une texture de timbre qui a la richesse des teintes du granit. Et la jeunesse qui transparaît de la malléabilité de son chant crée un sentiment de sympathie et de proximité avec Melisso.

Thomas Hengelbrock

Thomas Hengelbrock

Et revoir vingt-deux ans plus tard ce spectacle qui se déroule dans ce décor bourgeois couleur blanc cassé défraîchi où est mis en scène de manière très lisible les illusions amoureuses confrontées à la nature fortement sexuelle et animale d’Alcina par l’utilisation de figurants partiellement ou totalement dénudés, où alternent images de faux paradis perdus et scènes obscures, tout en mettant en valeur avec beaucoup d'humour le couple formé par Morgana et Oronte qui rétablit à travers une scène amusante une vision dépoussiérée de l’amour tendre et sexualisé, montre qu’il existe des formes modernes de représentations qui, lorsqu’elles sont basées sur quelque chose de fort et vital, peuvent conserver dans la durée un apport réflexif et fort pour les spectateurs.

Nicolas Courjal, Roxana Constantinescu, Gaëlle Arquez, Jeanine De Bique, Sabine Devieilhe et Rupert Charlesworth

Nicolas Courjal, Roxana Constantinescu, Gaëlle Arquez, Jeanine De Bique, Sabine Devieilhe et Rupert Charlesworth

Les passages ajoutés sur le tard par Haendel pour introduire le personnage d’Oberto sont coupés pour cette reprise mais sont conservés dans le livret, ce qui ne gênera que les puristes.

Une très belle version à redécouvrir au Palais Garnier jusqu'à fin décembre.

Sapin de Noël du Grand Foyer du Palais Garnier

Sapin de Noël du Grand Foyer du Palais Garnier

Voir les commentaires

Publié le 31 Janvier 2019

Rusalka (Antonín Dvořák)
Représentations du 29 janvier et du 01, 07 et 13 février 2019
Opéra Bastille

Le Prince Klaus Florian Vogt
La Princesse étrangère Karita Mattila
Rusalka Camilla Nylund
L'Esprit du lac Thomas Johannes Mayer
Ježibaba Michelle DeYoung
La Voix d'un chasseur Danylo Matviienko
Le Garçon de cuisine Jeanne Ireland
Première nymphe Andreea Soare 
Deuxième nymphe Emanuela Pascu.
Troisième nymphe Élodie Méchain      

Le Garde forestier Tomasz Kumiega                             Klaus Florian Vogt et Karita Mattila  

Direction musicale Susanna Mälkki
Mise en scène Robert Carsen (2002)

Depuis son entrée au répertoire en juin 2002, à l'initiative d'Hugues Gall, Rusalka a été repris par chaque directeur, Gerard Mortier, Nicolas Joel et, dorénavant, Stéphane Lissner, démontrant l'unanimisme non seulement pour le chef-d’œuvre d'Antonín Dvořák, mais également pour la mise en scène si belle et si sensible de Robert Carsen.

Double inversé de la chambre suspendue au-dessus du lac où vit la créature des eaux, lumières tamisées et roses rouges entourant le lit nuptial, ondes marines qui se projettent devant les nymphes, la scénographie épure et entrelace réalité et fantastique avec une virtuosité qui fait de cette production un incontournable du metteur en scène canadien, avec celle de Capriccio qu’il réalisa pour le Palais Garnier deux ans plus tard.

Camilla Nylund (Rusalka)

Camilla Nylund (Rusalka)

Et, contrairement aux dernières reprises, ces nouvelles représentations s’abstiennent de faire appel dans les rôles principaux à des chanteurs d’origine slave, et sont confiées à une directrice musicale finlandaise.

Passionnée par les œuvres du XXe et XXIe siècle - elle a en effet déjà dirigé Siddharta, L’Affaire Makropoulos et Trompe-la-mort à l’Opéra de Paris-, Susanna Mälkki s’applique sans relâche à entretenir la tonicité de l’orchestre, tout en tirant sur les cuivres, les percussions et les sonorités métalliques, parfois fort tranchantes, avec une technicité indéniable, mais également une volonté de maintenir les cordes dans des teintes froides, sans effet de rubato qui pourrait évoquer une atmosphère trop sentimentale.

Camilla Nylund (Rusalka) et Klaus Florian Vogt (Le Prince)

Camilla Nylund (Rusalka) et Klaus Florian Vogt (Le Prince)

Camilla Nylund, dont la diction claire montre ses affinités avec l’univers des héroïnes straussiennes, décrit dans le premier acte une jeune fille un peu extérieure à ses douleurs, et se situe sur le même plan vocal que Michelle DeYoung, en Ježibaba, qui ne diffère d’elle que pas des couleurs légèrement plus sombres, sans grande différence d’ampleur.

Karita Mattila (La Princesse)

Karita Mattila (La Princesse)

Dans le second acte, l’arrivée triomphale de Karita Mattila, somptueuse de chaleur et de rayonnement, ne fait que mettre plus à mal le personnage de Rusalka, écrasée par cette princesse si sûre de sa volupté. C’est donc au dernier acte, après l’injonction au meurtre proférée par Ježibaba, que Camilla Nylund donne plus de consistance à son personnage, épanouissant ainsi Rusalka dans son être de femme entière.

Elle est également la seule, parmi les premiers rôles, à faire entendre des sonorités typiques de la langue du livret.

Jeanne Ireland (Le garçon de cuisine) et Tomasz Kumiega (Le Garde forestier)

Jeanne Ireland (Le garçon de cuisine) et Tomasz Kumiega (Le Garde forestier)

Et le cœur de l'Esprit du lac de Thomas Johannes Mayer bat tel celui de l'esprit de la mélancolie noire, et bienveillante, entouré des trois nymphes d'Andreea Soare, Emanuela Pascu et Elodie Méchain, aux voix homogènes.

Quant à Klaus Florian Vogt, immense chanteur wagnérien associé aux rôles de Tannhäuser, Lohengrin et Parsifal, il trouve, à l’instar du personnage de Paul dans Die Tote Stadt, une incarnation qui lui convient bien, que ce soit par le charme du Prince ou par l’éclat juvénile de son timbre. Il doit toutefois composer avec une écriture qui lui offre moins d’occasions de déployer sa puissance et sa largeur vocale, et qui devient plus exigeante dans les aigus au dernier acte, ce qui tend à renforcer la clarté nasale de ses intonations. L’inimitable unicité de ce chanteur n’en est pas moins totalement captivante à admirer.

Klaus Florian Vogt et Camilla Nylund

Klaus Florian Vogt et Camilla Nylund

Et finalement, c’est parmi les seconds rôles, tous des artistes issus de l'Académie de Musique de l'Opéra, que l'on retrouve des sonorités slaves, notamment chez Danylo Matviienko, jeune chanteur ukrainien qui n'incarne la voix du chasseur qu’en coulisse, et Tomasz Kumiega, dont on sent poindre les accents graves et nonchalants d'Eugène Onéguine. 

Jeanne Ireland, en garçon de cuisine, montre aussi une belle présence et de la brillance, et nous rappelle que c’est dans ce rôle, il y a 16 ans, que nous découvrions Karine Deshayes pour la première fois sur la scène de l’opéra Bastille.

Danylo Matviienko (la voix d'un chasseur), Jeanne Ireland (le garçon de cuisine) et Tomasz Kumiega (le garde forestier)

Danylo Matviienko (la voix d'un chasseur), Jeanne Ireland (le garçon de cuisine) et Tomasz Kumiega (le garde forestier)

Voir les commentaires

Publié le 29 Janvier 2017

La Flûte Enchantée (Wolfgang Amadé Mozart)
Représentation du 28 janvier 2017
Opéra Bastille

Tamino Pavol Breslik
Erste Dame Gabriela Scherer 
Zweite Dame Annika Schlicht
Dritte Dame Nadine Weissmann
Papageno Florian Sempey
Papagena Christina Gansch
Sarastro Tobias Kehrer
Monostatos Andreas Conrad 
Pamina Kate Royal
Königin der Nacht Sabine Devieilhe
Der Sprecher José Van Dam 
Drei Knaben Solistes des Aurelius Sängerknaben Calw

Direction musicale Henrik Nánási
Mise en scène Robert Carsen (2014)

Coproduction Festspielhaus Baden-Baden

                                                                                         José Van Dam (Der Sprecher)

Si l’intelligence théâtrale de la mise en scène de Robert Carsen réserve nombre d’émerveillements au spectateur qui découvre La Flûte Enchantée – on pense à l’intégration de la fosse d’orchestre au décor, à l’interaction des chanteurs avec les auditeurs de la salle, à l’humour macabre de Papagena (géniale Christina Gansch!) grimée en mort-vivante, au changement de point de vue entre la surface verte de la forêt et le monde souterrain, liés par seulement trois ouvertures … -, deux facettes du chef-d’œuvre de Mozart sont pourtant occultées : la féerie, et la symbolique maçonnique.

Florian Sempey (Papageno)

Florian Sempey (Papageno)

Le directeur canadien, auteur d’une douzaine de spectacles présentés à l’Opéra de Paris, s’est volontairement dégagé de ces dimensions imaginaires pour se réapproprier les éléments naturels du livret, et monter une dramaturgie qui réévalue le parcours initiatique à l’aune de la relation entre l’homme et la nature.

Ainsi, l’unité de l’humanité, divisée par l’idéologie et l’organisation sociale, ne peut se réaliser que dans la conscience de son appartenance au monde naturel : l’image des cercueils disséminés dans une grotte privée de lumière est éloquente sur ce point. Il ressort donc une tonalité lugubre de cette représentation émaillée d’effets mémorables.

Pavol Breslik (Tamino)

Pavol Breslik (Tamino)

Quel instant saisissant, en effet, que d’entendre José Van Dam, après 43 ans de présence sur la scène de l’Opéra de Paris, interpréter le rôle du Sprecher, le visage dissimulé sous un voile noir, la voix certes fluctuante, mais empreinte d’un velours émouvant ! Combien de spectateurs, ce soir, ont réalisé la défiance au temps de ce passage solennel ?

Et quel rôle exaltant pour Florian Sempey que ce Papageno randonneur, si proche du public qu’il semble en provenir ! Chacun peut alors se sentir lié à lui comme à un double de soi-même.

Florian Sempey (Papageno) et Kate Royal (Pamina)

Florian Sempey (Papageno) et Kate Royal (Pamina)

Ce jeune baryton tout fou, timbre mat et joues généreuses, a une élocution franche totalement désinhibée, dans une langue qui ne lui est pourtant pas naturelle. Sensible aux regards rivés sur lui, il en tire une énergie qui le galvanise dans son art de la comédie qui semble vouloir embrasser le monde entier.

Kate Royal, Pamina aux traits délicats et finement estompés, plus espiègle que romantique, en semble presque séduite, et finit par former un couple contrasté avec le Tamino viril, brillant et expressif de Pavol Breslik, loin d’être un prince vaporeux, mais une personnalité consciente et affirmée.

Sabine Devieilhe (La Reine de la Nuit) et Tobias Kehrer (Sarastro)

Sabine Devieilhe (La Reine de la Nuit) et Tobias Kehrer (Sarastro)

Et, en Reine de la Nuit plus bourgeoise que magicienne, Sabine Devieilhe révèle dans chaque air un sens de la nuance qui adoucit, notamment en seconde partie, le caractère intransigeant de son personnage.

On trouve également, dans les accents d’Andreas Conrad et de Tobias Kehrer, des traits de caractères ambivalents, car le premier dessine un Monostatos finalement presque attachant, alors que le second dresse une allure impériale de Sarastro qui incarne beaucoup plus que la sagesse de l’expérience, sinon une autorité prodigieuse qui résonne des tressaillements menaçants d’un commandeur inquiétant. 

Kate Royal (Pamina) et les solistes de l’Aurelius Sängerknaben Calw

Kate Royal (Pamina) et les solistes de l’Aurelius Sängerknaben Calw

Quant aux trois dames, Gabriela Scherer, Annika Schlicht, Nadine Weissmann, elles évoquent, par moment, de leurs voix chaudes, des romancières de mélodies russes. Leurs contraires, les trois jeunes solistes de l’Aurelius Sängerknaben Calw, sont, eux, élégants, charmants de pureté et d’enthousiasme.

Enfin, excellent Henrik Nánási qui gorge l’orchestre moelleux de sonorités chaleureuses tout en disséminant une vitalité agrémentée de touches subtiles, légères et amusées. La musique irrigue ainsi de jeunesse une scène sur laquelle le chœur, en harmonie avec cette image finale profondément utopique du cercle communautaire, y fond naturellement un chant uni et réconciliateur.

Voir les commentaires

Publié le 3 Novembre 2016

Les Contes d’Hoffmann (Jacques Offenbach)
Répétition générale du 28 octobre et représentations du 06 & 21 novembre 2016
Opéra Bastille

Olympia Nadine Koutcher
Antonia Ermonela Jaho
Giulietta Kate Aldrich
La Muse/Nicklausse Stéphanie d’Oustrac
Hoffmann Stefano Secco (21) / Ramon Vargas (le 18)
Luther/Crespel Paul Gay
Lindorf/Coppelius/Dr. Miracle Roberto Tagliavini
Nathanaël Cyrille Lovighi
Frantz Yann Beuron
La voix de la Mère Doris Soffel

Direction Musicale Philippe Jordan                                 Yann Beuron (Frantz)
Mise en scène Robert Carsen (2000)

Diffusion sur Culturebox à partir du 16 novembre et sur France Musique le 27 novembre 2016.

Les Contes d’Hoffmann est une œuvre représentative du grand mouvement d’ouverture du répertoire de l’Opéra de Paris à celui de l’Opéra-Comique qui s'est propagé à l'après-guerre, et qui s’est généralisé avec l’arrivée de Rolf Liebermann à la direction de l’institution en 1973.

En effet, après Carmen en 1959, puis Tosca en 1960, le célèbre opéra de Jacques Offenbach fut enfin représenté sur la scène du Palais Garnier en 1974 dans une mise en scène de Patrice Chereau.

Régulièrement repris depuis, l’ouvrage a trouvé sa mise en scène de référence dans la production de Robert Carsen créée le 20 mars 2000 sur la scène Bastille.

Stéphanie d'Oustrac (La Muse)

Stéphanie d'Oustrac (La Muse)

La réussite de ce spectacle provient du captivant voyage dans le monde de l’Opéra qui est proposé au spectateur, afin de donner à celui-ci le sentiment qu’il évolue depuis les coulisses du théâtre vers la salle de spectacle, puis sur la scène de ce même théâtre recouvert des ors et velours rouges bourgeois, avant de revenir au point de départ face à l’immense scène vide et dépouillée, tout en noir.

L’Opéra, qui n’est évoqué que dans le prologue à propos de la salle de Nuremberg où Stella chante Don Giovanni, devient ici une métaphore de la vie et du théâtre.

Les illusions s'y fabriquent et brouillent la perception de la réalité. Une même unité de lieu réunit ainsi les actes de Nuremberg, Munich et Venise.

Stéphanie d'Oustrac (La Muse)

Stéphanie d'Oustrac (La Muse)

La référence à Don Giovanni réapparaît au premier acte, transposé dans une scène de répétition, et au deuxième acte lorsque la mère d'Antonia survient spectaculairement sous les traits d'une surnaturelle Donna Anna voilée de haillons fantomatiques et illuminés par la Lune aux pieds de la statue d'un Commandeur décapité.

Le décor à l'ancienne fait ici référence à un passé révolu de l'Art lyrique. Une vision mortifère qui rapproche Hoffmann et Antonia dans leur sombre quête romantique.

Philippe Jordan - Répétition des Contes d'Hoffmann

Philippe Jordan - Répétition des Contes d'Hoffmann

Et pour cette série de représentations, le faux orchestre qui se présente sur scène au final de cet acte, dirigé par le docteur Miracle, fait une impression encore plus étrange lorsque l'on sait que Philippe Jordan, aux commandes du véritable orchestre installé dans la vraie fosse, cette fois, a également dirigé Don Giovanni dans cette même salle au printemps 2012.

Enfin, la barcarolle chantée flegmatiquement sur les gradins ondoyants d'un amphithéâtre, où se déroule progressivement la fameuse scène orgiaque le verre de champagne à la main, a préservé un charme coquin et sensuel, à l'image de l'éloignement final de la muse et d'Hoffmann en direction de deux rayons d'espérance, rayons baignés des voix irréelles du chœur qui résonnent dans l'immensité du plateau absolument abandonné.

Stéphanie d'Oustrac (Nicklausse) et Kate Aldrich (Giulietta)

Stéphanie d'Oustrac (Nicklausse) et Kate Aldrich (Giulietta)

La septième distribution de cette production – déjà ! -  réunie sur la scène Bastille vaut à elle seule le prix de ce spectacle, même en l'absence de Jonas Kaufmann que les connaisseurs regrettent.

Pour la dernière répétition, Stefano Secco est d'ailleurs venu interpréter Hoffmann, bien qu'il ne chantera que les trois dernières représentations.

Il a certes une projection et une vaillance moins brillantes que par le passé, quand il interprétait dans cette même salle d'éclatants rôles italiens plein de fougue, mais son chant est toujours aussi stylisé, et les nuances des phrasés d'une évidente tendresse qui touche droit au cœur.

Stefano Secco (Hoffmann) - répétition du 28 octobre

Stefano Secco (Hoffmann) - répétition du 28 octobre

Ainsi, ce ne sont pas les cadences mordantes de la chanson de Kleinzach qui lui correspondent le mieux, même s'il joue avec un entrain jovial, mais la seconde partie de l'air 'Ah! sa figure charmante!... je la vois belle comme le jour', plus délicate et tendue, qui révèle la noble candeur de sa ligne de chant parcellée d'accents solaires.

Les passages les plus lyriques prennent une musicalité mélancolique verdienne qui rappelle, avec nostalgie, les désespérances de Don Carlo.

Stéphanie d'Oustrac (Nicklausse)

Stéphanie d'Oustrac (Nicklausse)

Et cette musicalité s'harmonise avec la direction musicale de Philippe Jordan qui ranime, elle aussi, les plus belles lignes symphoniques de la partition en soignant les effets de clair-obscur.

Ces lignes orchestrales s'insèrent d'emblée au premier acte dans une forme aux tempi rapides finement modulés très proches de la sinfonietta qui, comme toujours chez ce chef d'orchestre, libère un espace sonore pour les ornements superbement filés pars les solistes instrumentaux.

Aucun concession aux effets faciles, les jaillissements théâtraux des percussions sont contenus, mais une attention aux respirations musicales aérées qui se fondent subtilement à l'art des chanteurs et s'amplifient au cours de la représentation.

Ramon Vargas (Hoffmann) - le 06 novembre

Ramon Vargas (Hoffmann) - le 06 novembre

Par comparaison avec Stefano SeccoRamon Vargas, qui interprète le rôle d'Hoffmann au cours des six premières représentations, alors que les premiers jours de froid parisien apparaissent, inscrit son chant, un peu moins puissant, dans une ligne très homogène au grain perceptible, qui lui donne une belle dignité.

Aigus couverts, afin de préserver cette forte impression d'intégrité qu'il dégage, paroles soignées, couleurs grisonnantes dans le médium, son expressivité a quelque chose d'austère mais de profondément sincère.

Doris Soffel (La Mère)

Doris Soffel (La Mère)

Une fois l'ouverture jouée sur la rêverie du chœur, Stéphanie d'Oustrac approche depuis l'arrière-scène vers Hoffmann, une muse exaltée, volontaire au timbre mat, qui impose une personnalité forte aux commandes de la destinée du poète.

Diction impeccable, tout au long de la représentation - elle est le seul personnage féminin présent à tous les actes sous les traits de Nicklausse - ses fulgurances comme ses couleurs ambrées font ressortir une impression de liberté et d’assurance presque hautaine. Une grande incarnation.

Nadine Koutcher (Olympia)

Nadine Koutcher (Olympia)

Des trois rencontres féminines d'Hoffmann, la première, Olympia, est incarnée par Nadine Koutcher qui fait ses débuts à l'Opéra de Paris. Artiste associée à Teodor Currentzis, cet ébouriffant chef d'orchestre russe que l'on attend de revoir sur les scènes de la capitale, elle fut révélée au Teatro Real de Madrid par l'œuvre de Purcell The Indian Queen, où le rôle de Doña Isabel lui offrit des airs d'une magnifique spiritualité.

Stéphanie d'Oustrac (Nicklausse)

Stéphanie d'Oustrac (Nicklausse)

C'est donc une très grande surprise de la retrouver dans le rôle aussi artificiel de la poupée mécanique, d'autant plus qu'elle réussit tout, aussi bien les pyrotechnies vocales d'une pure clarté et les aigus hystériques extrêmement effilés, que l’appropriation immédiate et totalement libre de la nature nymphomane que le metteur en scène a projeté sur son personnage. 

Une réjouissante aisance dans la folie qui n'a rien à envier à celle qui a marqué ce rôle à la création de ce spectacle, Natalie Dessay.

Ermonela Jaho (Antonia)

Ermonela Jaho (Antonia)

Après Violetta et Cio-Cio San, Ermonela Jaho est de retour sur la scène Bastille pour reprendre le rôle d'Antonia que sa compatriote albanaise, Inva Mula, a également chanté pour cette production. Charme mélodramatique touchant, texture des aigus qui vibrent d'une légèreté presque surnaturelle, sa délicatesse musicale teintée de dolorisme ôte aussi un peu de puissance charnelle à cette femme passionnée.

Le contraste avec Doris Soffel, voix bien plus sombre et plus irrégulière, trop présente pour incarner un fantôme revenant d'un passé révolu, n'en est que plus marqué.

Kate Aldrich (Giulietta)

Kate Aldrich (Giulietta)

Enfin, pour compléter cet ensemble de portraits féminins, Kate Aldrich dépeint une Giulietta d'une jeunesse et d'une fraîcheur glamour séduisante, sans suggérer toutefois un danger qu'une voix encore plus richement noire pourrait le faire.

Cette distribution d'un très haut niveau musical a aussi ses qualités masculines en plus de celles d'Hoffmann.

Roberto Tagliavini (Lindorf / Dr Miracle)

Roberto Tagliavini (Lindorf / Dr Miracle)

Roberto Tagliavini n'a certes rien d'un méchant tel que Bryn Terfel saurait le jouer d'un rire sarcastique, mais il exagère tellement l'impulsivité de Lindorf qu'il en fait un diable sympathique. Lignes vocales profondes, sombres et homogènes, cette constance de tenue crée de la séduction inattendue chez un personnage qui fascine habituellement pour son machiavélisme.

Stefano Secco (Hoffmann) et Kate Aldrich (Giulietta)

Stefano Secco (Hoffmann) et Kate Aldrich (Giulietta)

Il y aura aussi un instant de rêve, au second acte, quand Yann Beuron, luxueusement distribué dans le petit rôle de Frantz, viendra chanter ses illusions d'une voix généreuse et caressante.

Le chœur, dans une production qui profite de toutes ses facettes de jeux et de chant jusqu'à l'adieu céleste final, est sur un terrain qu'il connait bien, un soin que mérite cette belle reprise.

A revoir jusqu'au 22 mai 2017 sur Culturebox : Les Contes d'Hoffmann.

Voir les commentaires