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Publié le 24 Juillet 2023

Tristan und Isolde (Richard Wagner - Munich, 10 juin 1865)
Représentation du 21 juillet 2023
Bayerische Staatsoper - Munich

Tristan Stuart Skelton
König Marke René Pape
Isolde Anja Kampe
Kurwenal Wolfgang Koch
Melot Sean Michael Plumb
Brangäne Jamie Barton
Ein Hirte Jonas Hacker
Ein Steuermann Christian Regier    
Ein junger Seemann Liam Bonthrone

Direction musicale Lothar Koenigs
Mise en scène Krzysztof Warlikowski (2021)

                                                                                      Lothar Koenigs

La création de la nouvelle production de 'Tristan und Isolde' dans la mise en scène de Krzysztof Warlikowski, le 29 juin 2021, avait créé une très forte émotion, non seulement parce qu'elle réunissait Anja Harteros, Jonas Kaufmann et Kirill Petrenko à la direction musicale, mais aussi parce les contraintes sanitaires étaient toujours en vigueur, si bien que le gouvernement allemand n'avait fait connaitre les jauges autorisées pour les salles fermées que quelques jours avant cette première. Ainsi, seule la moitié des places furent disponibles.

Stuart Skelton (Tristan) et Anja Kampe (Isolde)

Stuart Skelton (Tristan) et Anja Kampe (Isolde)

Dans le premier acte de cette production, la lecture réalisée par le metteur en scène polonais surprend un peu car elle n'induit pas de tension véritable entre le texte de Richard Wagner et ce qui est raconté sur scène. C'est seulement après cette phase introductive, dans le second acte, que le positionnement devient plus saillant et que l'on assiste au désir fantasmé d'Isolde, puis de Tristan, de mettre en scène leur propre suicide, eux qui n'arrivent même pas à se toucher dans ce monde qui ne leur convient pas.

Anja Kampe (Isolde)

Anja Kampe (Isolde)

Le décor mortuaire, sorte de tombeau sans lumière du jour, prend tout son sens, et le texte évolue dans sa signification. Ainsi, lorsque le Roi Marke surgit pour éviter de peu, non pas une scène d'amour, mais un double suicide dont la mise en scène semble sortie de l'imaginaire romantique d'une Virginia Woolf, tout ce qu'il dit, comme la peur de perdre deux êtres aimés de lui, diffère alors des reproches plus conventionnels d'un homme découvrant qu'il est trompé.

La blessure de Tristan ne provient plus d'un acte délibéré et meurtrier de la part de Melot, qui s'enfuit paniqué, mais d'un destin représenté par deux faux-mannequins asexués qui viennent provoquer le désir le plus profond du chevalier, qui est de se donner la mort.

Stuart Skelton (Tristan) et Anja Kampe (Isolde)

Stuart Skelton (Tristan) et Anja Kampe (Isolde)

Le dernier acte représente ensuite, dans une splendide lueur glaciale et lunaire, le monde inerte que Tristan est en train de rejoindre, un monde où les souvenirs d'enfance sont gelés et inaccessibles.

Et à la grande scène finale, l'on assiste à la disparition de tout le monde social et décevant qui entoure Isolde, afin qu'elle puisse enfin rejoindre Tristan dans une mort sublimée par la montée d'un univers marin qui recouvre les corps, et qui les débarrasse de leurs névroses, jusqu'à ce que l'on observe le couple allongé enfin se réveiller pour se regarder, les mains posées l'une sur l'autre.

On retrouve ainsi un esprit récurrent de la part de Krzysztof Warlikowski chez Richard Wagner, qui est de mettre en scène les délires et les cauchemars de la psyché humaine, pour ensuite revenir à l'humain dans sa plus pure simplicité.

Tristan und Isolde (Kampe Skelton Pape Koenigs Warlikowski) Munich

Pour cette reprise au Festival d'opéras de Munich, la direction musicale est confiée à Lothar Koenigs, et quelle surprise d'entendre d'emblée une ouverture d'une troublante profondeur mue par des mouvements en tension qui jamais ne se relacheront de toute la soirée.

Le chef d'orchestre allemand a visiblement le goût pour la volupté chaleureuse qui engage les chanteurs avec corps, et il révèle également un sens de l'urgence dramatique affolant (incroyable ouverture au second acte avec des cors pétaradants mais toujours justes) tout en laissant s'épanouir la poétique solitaire et wagnérienne grâce au magnifique talent des instrumentistes de l'Orchestre de l'Opéra de Bavière.

Anja Kampe (Isolde)

Anja Kampe (Isolde)

Le résultat est extraordinairement exaltant, et Anja Kampe est la première a en tirer bénéfice en affichant, dès sa première apparition, un aplomb de feu. Avec un art de la déclamation souple et mordant à la fois, un regard perçant et une fulgurance imparable dans les aigus, elle a cette présence de femme forte et déterminée d'une ampleur qui égale, voir surpasse, celle de Waltraud Meier lorsqu'elle était à son zénith dans ce même rôle d'Isolde. Et aucune faiblesse ne se fait sentir dans le Liebestod final.

Stuart Skelton (Tristan) et Anja Kampe (Isolde) - Salut final

Stuart Skelton (Tristan) et Anja Kampe (Isolde) - Salut final

La plénitude des couleurs est de plus somptueuse, et elle dépeint une personnalité étrangement non dénuée de joie et d'optimisme qui contraste fortement avec le naturel dépressif dans lequel Stuart Skelton plonge Tristan de sa voix doucereusement homogène et sombre qui évoque, au début, par son élégance de style, le jeune Siegmund de 'La Walkyrie'.

Stuart Skelton (Tristan)

Stuart Skelton (Tristan)

Son corps est certes imposant, mais il arrive pourtant à l'utiliser au mieux pour appuyer des expressions de vie, notamment au 3e acte, comme s'il voulait finalement montrer, une fois mortellement blessé, comment Tristan se débat vaillamment avec la douleur. 

Solide de bout en bout, et fort touchant, doué d'une théâtralité hallucinée, il forme avec sa partenaire un duo qui fonctionne très bien, et tous deux nous emmènent dans cette histoire avec une humanité prégnante.

D'ailleurs, on peut remarquer qu'à la dernière image, les deux amants se tiennent plus pleinement la main que dans la version originale de 2021.

René Pape (Le Roi Marke) et Stuart Skelton (Tristan)

René Pape (Le Roi Marke) et Stuart Skelton (Tristan)

Et en Roi Marke, René Pape s'écarte de ses postures habituelles inflexibles, afin de mieux faire ressortir les affects du monarque, si bien que lui-même s'humanise de la plus belle des façons.

C'est un peu le contraire que l'on observe avec Jamie Barton qui tient très efficacement le rôle de Brangäne avec beaucoup d'assurance, mais la prive d'une sensualité de timbre qui fait défaut dans les appels à la Lune. 

Jamie Barton (Brangäne)

Jamie Barton (Brangäne)

Parfois imprévisible selon les productions, on retrouve cette fois Wolfgang Koch à son meilleur dans une interprétation de Kurwenal dont il modère le tempérament pour en faire un être sensible, avec de la vigueur et un timbre un peu oscillant mais aux intonations bienveillantes. Une justesse d'incarnation qui fait plaisir à voir et à entendre de sa part.

Wolfgang Koch (Kurwenal)

Wolfgang Koch (Kurwenal)

Quant à Sean Michael Plumb, il donne une très grande densité à Melot , sans le caricaturer, avec un timbre de voix bien saillant, et Christian Regier et Liam Bonthrone, respectivement en marin et pilote, complètent sans réserve une distribution qui fait honneur à un ouvrage qu'il est difficile de monter sans aucune faille. Une grande réussite du festival d'opéras de Munich 2023.

Jamie Barton, Anja Kampe et Stuart Skelton

Jamie Barton, Anja Kampe et Stuart Skelton

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Publié le 24 Avril 2022

L’Or du Rhin (Richard Wagner – 1869)
Version de concert du 23 avril 2022
Théâtre des Champs-Elysées

Wotan Michael Volle
Loge Gerhard Siegel
Alberich Samuel Youn
Mime Thomas Ebenstein
Erda Wiebke Lehmkuhl
Fasolt Stephen Milling
Fafner Mikhail Petrenko
Fricka Jamie Barton
Froh Issachah Savage
Donner Thomas Lehman
Freia Christiane Karg
Wellgunde Iris van Wijnen
Flosshilde Maria Barakova
Woglinde Erika Baikoff

Direction musicale Yannick Nézet-Séguin
Rotterdams Philharmonisch Orkest
Diffusion sur France Musique le 21 mai 2022

Depuis 12 ans qu’il dirige le Théâtre des Champs-Élysées, Michel Franck représente régulièrement les œuvres de Richard Wagner dont il a déjà programmé deux versions de concert de ‘Parsifal’, une version de concert de ‘Tristan und Isolde’, ‘La Walkyrie’ et ‘Le Vaisseau Fantôme’, et une version scénique de ‘Tristan und Isolde’.

Quant à ’L’Anneau du Nibelung’, il n’avait plus été joué depuis avril 1988 lorsque deux cycles intégraux furent interprétés dans la mise en scène de Daniel Mesguisch conçue pour l’Opéra de Nice. ‘L’Or du Rhin’ fait donc son grand retour avenue Montaigne après 34 ans d’absence.

Michael Volle et Yannick Nézet-Séguin

Michael Volle et Yannick Nézet-Séguin

Et l’on croise les doigts pour que le prologue magnifiquement dépeint ne soit que le début d’un cycle intégral tant l’extraordinaire théâtralité de la direction orchestrale et de l’ensemble de la distribution a contribué à déployer un drame sans relâche et totalement prenant tout le long de la soirée, alors que la première de cette série venait juste d’avoir lieu la veille à Rotterdam. Tous se retrouveront ensuite à Dortmund et à Baden Baden, respectivement les 28 et 30 avril, pour deux autres représentations.

Iris van Wijnen (Wellgunde) et Maria Barakova (Flosshilde)

Iris van Wijnen (Wellgunde) et Maria Barakova (Flosshilde)

Dans l’alcôve qui sert d’écrin au Rotterdams Philharmonisch Orkest, l’introduction, loin d’être comme une lointaine évocation d’un fleuve à l’origine du monde, saisit pas sa présence et la tension vive et colorée des bois sombres qui l’animent, et la concentration dans la salle dès ce prélude est encore plus palpable.

Samuel Youn (Alberich)

Samuel Youn (Alberich)

Les ondines du Rhin, Iris van Wijnen, Maria Barakova et Erika Baikoff, ont toutes trois une aisance scénique servie par des timbres de voix bien marqués, la première mettant en avant des effets coloratures audacieux alors que la seconde fait vivre des opulences graves comme pour charmer et que la troisième représente le mieux la raison.

Michael Volle (Wotan)

Michael Volle (Wotan)

L’arrivée de Samuel Youn est absolument fantastique car il va personnifier Alberich, le nain qui s’emparera de l’or gardé par les nymphes, avec une expressivité délirante, des expressions du visage qui traduisent acuité et intentions maléfiques perçantes, et une agressivité corporelle inattendue chez ce chanteur qui incarnait le Hollandais volant à Bayreuth jusqu’en 2015 de façon bien plus réservée. 

Jamie Barton (Fricka) et Christiane Karg (Freia)

Jamie Barton (Fricka) et Christiane Karg (Freia)

Le timbre gris-argent est fait d’un métal à la fois souple et endurci qui lui donne une pénétrance infaillible et rend son personnage passionnant d’admiration. Et son insertion avec la vitalité de la musique – magnifiques clins d’œil à de furtifs motifs orchestraux – démontre aussi en quoi Wagner raconte de manière incomparable un puissant drame théâtral que Yannick Nézet-Séguin intériorise de manière déchaînée.

Stephen Milling (Fasolt) et Mikhail Petrenko (Fafner)

Stephen Milling (Fasolt) et Mikhail Petrenko (Fafner)

Splendide, lui aussi, et souverain d’allure puisque Wotan règne à la fois sur les dieux, les géants, les hommes et les nains, Michael Volle est loin d’être un puissant sur le déclin tant sa déclamation est assurée sans le moindre ébranlement, qu’il porte en lui une autorité naturelle magnifiée par une noblesse de timbre feutrée éloquente, et qu’il inspire autant la ruse que le bouillonnement éruptif prêt à paralyser son auditoire.

Thomas Lehman (Donner) et Issachah Savage (Froh)

Thomas Lehman (Donner) et Issachah Savage (Froh)

Son jeu de connivence avec le Loge de Gerhard Siegel est d’une très haute tenue, le ténor allemand ayant toujours de cet éclat imparable qui assoit la consistance manipulatrice de son personnage, avec toutefois un peu plus d’ombres dans le timbre de voix qui accroît l’impression de maturité et met en retrait la nature démoniaque du dieu du feu.

Gerhard Siegel (Loge) et Michael Volle (Wotan)

Gerhard Siegel (Loge) et Michael Volle (Wotan)

Et quelle correspondance stupéfiante entre la carrure massive de Stephen Milling et Mikhail Petrenko, d’une part, et les géants Fasolt et Fafner, d’autre part, venus demander leur rétribution pour la construction du Walhalla, la résidence des dieux, qu’ils évoquent avec une distinction d’expression qui correspond très bien à leurs caractères. 

Samuel Youn (Alberich) et Thomas Ebenstein (Mime)

Samuel Youn (Alberich) et Thomas Ebenstein (Mime)

Stephen Milling a ainsi des inflexions de voix et un rendu noble et sensible qui font beaucoup penser au Roi Marke de ‘Tristan und Isolde’, et cette sensibilité reflète avec justesse les sentiments pour Freia, dirigée de manière percutante par Christiane Karg, alors que Mikhail Petrenko est plus froid et acerbe ce qui le prédispose à être celui qui tuera son frère pour s’emparer de la totalité du trésor remis aux géants par Wotan.

Yannick Nézet-Séguin et le Rotterdams Philharmonisch Orkest

Yannick Nézet-Séguin et le Rotterdams Philharmonisch Orkest

Avec sa voix qui draine des agrégats de textures mélangeant graves profonds, multiples vibrations aux reflets hétéroclites et des aigus fauves, Jamie Barton est loin de simplement jouer une Fricka se sentant abandonnée par Wotan attaché à son désir d’éternelle jeunesse, mais évoque déjà la stature plus dominatrice de la déesse que nous retrouverons plus tard dans ‘La Walkyrie’. 

Wiebke Lehmkuhl (Erda)

Wiebke Lehmkuhl (Erda)

La sensualité sauvage est donc portée par Wiebke Lehmkuhl dont la beauté opulante du chant dépasse la simple expression de la sagesse d’Erda, mère des trois Nornes fileuses du destin, pour en faire une femme d’une somptueuse séduction ensorceleuse. 

Maria Barakova (Flosshilde), Iris van Wijnen (Wellgunde) et Erika Baikoff (Woglinde)

Maria Barakova (Flosshilde), Iris van Wijnen (Wellgunde) et Erika Baikoff (Woglinde)

Et même les traits de caractère de Mime, dont la déclamation assombrie de Thomas Ebenstein traduit bien le tempérament veule, et la posture vaillante et fiable de Issachah Savage et Thomas Lehman en Froh et Donner, participent à la crédibilité de cette histoire de famille dont l’avenir du monde dépend.

Michael Volle et Yannick Nézet-Séguin

Michael Volle et Yannick Nézet-Séguin

Yannick Nézet-Séguin et le Rotterdams Philharmonisch Orkest sont ainsi éblouissants dans le rendu de cette version extraordinairement dramatique de ‘L’Or du Rhin’ qui dispense un son superbement chaleureux aux colorations d’or rougeoyant, vivifiée par un courant finement nuancé et une rondeur merveilleusement poétique dans les solo de vents. Les chatoiements des coups d'enclumes au moment de la plongée vers le Nibelung ont aussi un effet enchanteur par l'émerveillement qu'ils procurent.

Les changements d’ampleur sont menés sans ambages mais sans brusquerie non plus, avec un soin à ne pas saturer le son et faire perdre en richesse de détails, et cette lecture à la fois intime et galvanisante réussit quelque chose de très rare dans une salle de spectacle qui est d’absorber totalement l’attention du public dans un tout avec la musique et les solistes de par la magnificence du récit et sa prégnance interprétative.

Jamie Barton, Gerhard Siegel, Michael Volle, Yannick Nézet-Séguin et Samuel Youn

Jamie Barton, Gerhard Siegel, Michael Volle, Yannick Nézet-Séguin et Samuel Youn

Beaucoup sont sortis du Théâtre des Champs-Élysées probablement abasourdis par cet emport qui les a dépassé.

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