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Publié le 24 Avril 2022

L’Or du Rhin (Richard Wagner – 1869)
Version de concert du 23 avril 2022
Théâtre des Champs-Elysées

Wotan Michael Volle
Loge Gerhard Siegel
Alberich Samuel Youn
Mime Thomas Ebenstein
Erda Wiebke Lehmkuhl
Fasolt Stephen Milling
Fafner Mikhail Petrenko
Fricka Jamie Barton
Froh Issachah Savage
Donner Thomas Lehman
Freia Christiane Karg
Wellgunde Iris van Wijnen
Flosshilde Maria Barakova
Woglinde Erika Baikoff

Direction musicale Yannick Nézet-Séguin
Rotterdams Philharmonisch Orkest
Diffusion sur France Musique le 21 mai 2022

Depuis 12 ans qu’il dirige le Théâtre des Champs-Élysées, Michel Franck représente régulièrement les œuvres de Richard Wagner dont il a déjà programmé deux versions de concert de ‘Parsifal’, une version de concert de ‘Tristan und Isolde’, ‘La Walkyrie’ et ‘Le Vaisseau Fantôme’, et une version scénique de ‘Tristan und Isolde’.

Quant à ’L’Anneau du Nibelung’, il n’avait plus été joué depuis avril 1988 lorsque deux cycles intégraux furent interprétés dans la mise en scène de Daniel Mesguisch conçue pour l’Opéra de Nice. ‘L’Or du Rhin’ fait donc son grand retour avenue Montaigne après 34 ans d’absence.

Michael Volle et Yannick Nézet-Séguin

Michael Volle et Yannick Nézet-Séguin

Et l’on croise les doigts pour que le prologue magnifiquement dépeint ne soit que le début d’un cycle intégral tant l’extraordinaire théâtralité de la direction orchestrale et de l’ensemble de la distribution a contribué à déployer un drame sans relâche et totalement prenant tout le long de la soirée, alors que la première de cette série venait juste d’avoir lieu la veille à Rotterdam. Tous se retrouveront ensuite à Dortmund et à Baden Baden, respectivement les 28 et 30 avril, pour deux autres représentations.

Iris van Wijnen (Wellgunde) et Maria Barakova (Flosshilde)

Iris van Wijnen (Wellgunde) et Maria Barakova (Flosshilde)

Dans l’alcôve qui sert d’écrin au Rotterdams Philharmonisch Orkest, l’introduction, loin d’être comme une lointaine évocation d’un fleuve à l’origine du monde, saisit pas sa présence et la tension vive et colorée des bois sombres qui l’animent, et la concentration dans la salle dès ce prélude est encore plus palpable.

Samuel Youn (Alberich)

Samuel Youn (Alberich)

Les ondines du Rhin, Iris van Wijnen, Maria Barakova et Erika Baikoff, ont toutes trois une aisance scénique servie par des timbres de voix bien marqués, la première mettant en avant des effets coloratures audacieux alors que la seconde fait vivre des opulences graves comme pour charmer et que la troisième représente le mieux la raison.

Michael Volle (Wotan)

Michael Volle (Wotan)

L’arrivée de Samuel Youn est absolument fantastique car il va personnifier Alberich, le nain qui s’emparera de l’or gardé par les nymphes, avec une expressivité délirante, des expressions du visage qui traduisent acuité et intentions maléfiques perçantes, et une agressivité corporelle inattendue chez ce chanteur qui incarnait le Hollandais volant à Bayreuth jusqu’en 2015 de façon bien plus réservée. 

Jamie Barton (Fricka) et Christiane Karg (Freia)

Jamie Barton (Fricka) et Christiane Karg (Freia)

Le timbre gris-argent est fait d’un métal à la fois souple et endurci qui lui donne une pénétrance infaillible et rend son personnage passionnant d’admiration. Et son insertion avec la vitalité de la musique – magnifiques clins d’œil à de furtifs motifs orchestraux – démontre aussi en quoi Wagner raconte de manière incomparable un puissant drame théâtral que Yannick Nézet-Séguin intériorise de manière déchaînée.

Stephen Milling (Fasolt) et Mikhail Petrenko (Fafner)

Stephen Milling (Fasolt) et Mikhail Petrenko (Fafner)

Splendide, lui aussi, et souverain d’allure puisque Wotan règne à la fois sur les dieux, les géants, les hommes et les nains, Michael Volle est loin d’être un puissant sur le déclin tant sa déclamation est assurée sans le moindre ébranlement, qu’il porte en lui une autorité naturelle magnifiée par une noblesse de timbre feutrée éloquente, et qu’il inspire autant la ruse que le bouillonnement éruptif prêt à paralyser son auditoire.

Thomas Lehman (Donner) et Issachah Savage (Froh)

Thomas Lehman (Donner) et Issachah Savage (Froh)

Son jeu de connivence avec le Loge de Gerhard Siegel est d’une très haute tenue, le ténor allemand ayant toujours de cet éclat imparable qui assoit la consistance manipulatrice de son personnage, avec toutefois un peu plus d’ombres dans le timbre de voix qui accroît l’impression de maturité et met en retrait la nature démoniaque du dieu du feu.

Gerhard Siegel (Loge) et Michael Volle (Wotan)

Gerhard Siegel (Loge) et Michael Volle (Wotan)

Et quelle correspondance stupéfiante entre la carrure massive de Stephen Milling et Mikhail Petrenko, d’une part, et les géants Fasolt et Fafner, d’autre part, venus demander leur rétribution pour la construction du Walhalla, la résidence des dieux, qu’ils évoquent avec une distinction d’expression qui correspond très bien à leurs caractères. 

Samuel Youn (Alberich) et Thomas Ebenstein (Mime)

Samuel Youn (Alberich) et Thomas Ebenstein (Mime)

Stephen Milling a ainsi des inflexions de voix et un rendu noble et sensible qui font beaucoup penser au Roi Marke de ‘Tristan und Isolde’, et cette sensibilité reflète avec justesse les sentiments pour Freia, dirigée de manière percutante par Christiane Karg, alors que Mikhail Petrenko est plus froid et acerbe ce qui le prédispose à être celui qui tuera son frère pour s’emparer de la totalité du trésor remis aux géants par Wotan.

Yannick Nézet-Séguin et le Rotterdams Philharmonisch Orkest

Yannick Nézet-Séguin et le Rotterdams Philharmonisch Orkest

Avec sa voix qui draine des agrégats de textures mélangeant graves profonds, multiples vibrations aux reflets hétéroclites et des aigus fauves, Jamie Barton est loin de simplement jouer une Fricka se sentant abandonnée par Wotan attaché à son désir d’éternelle jeunesse, mais évoque déjà la stature plus dominatrice de la déesse que nous retrouverons plus tard dans ‘La Walkyrie’. 

Wiebke Lehmkuhl (Erda)

Wiebke Lehmkuhl (Erda)

La sensualité sauvage est donc portée par Wiebke Lehmkuhl dont la beauté opulante du chant dépasse la simple expression de la sagesse d’Erda, mère des trois Nornes fileuses du destin, pour en faire une femme d’une somptueuse séduction ensorceleuse. 

Maria Barakova (Flosshilde), Iris van Wijnen (Wellgunde) et Erika Baikoff (Woglinde)

Maria Barakova (Flosshilde), Iris van Wijnen (Wellgunde) et Erika Baikoff (Woglinde)

Et même les traits de caractère de Mime, dont la déclamation assombrie de Thomas Ebenstein traduit bien le tempérament veule, et la posture vaillante et fiable de Issachah Savage et Thomas Lehman en Froh et Donner, participent à la crédibilité de cette histoire de famille dont l’avenir du monde dépend.

Michael Volle et Yannick Nézet-Séguin

Michael Volle et Yannick Nézet-Séguin

Yannick Nézet-Séguin et le Rotterdams Philharmonisch Orkest sont ainsi éblouissants dans le rendu de cette version extraordinairement dramatique de ‘L’Or du Rhin’ qui dispense un son superbement chaleureux aux colorations d’or rougeoyant, vivifiée par un courant finement nuancé et une rondeur merveilleusement poétique dans les solo de vents. Les chatoiements des coups d'enclumes au moment de la plongée vers le Nibelung ont aussi un effet enchanteur par l'émerveillement qu'ils procurent.

Les changements d’ampleur sont menés sans ambages mais sans brusquerie non plus, avec un soin à ne pas saturer le son et faire perdre en richesse de détails, et cette lecture à la fois intime et galvanisante réussit quelque chose de très rare dans une salle de spectacle qui est d’absorber totalement l’attention du public dans un tout avec la musique et les solistes de par la magnificence du récit et sa prégnance interprétative.

Jamie Barton, Gerhard Siegel, Michael Volle, Yannick Nézet-Séguin et Samuel Youn

Jamie Barton, Gerhard Siegel, Michael Volle, Yannick Nézet-Séguin et Samuel Youn

Beaucoup sont sortis du Théâtre des Champs-Élysées probablement abasourdis par cet emport qui les a dépassé.

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Publié le 2 Février 2016

Dialogues des Carmélites (Francis Poulenc)
Représentation du 01 février 2016
Bayerishe Staatsoper

Marquis de la Force Laurent Naouri
Blanche de la Force Christiane Karg
Chevalier de la Force Stanislas de Barbeyrac
Madame de Croissy Sylvie Brunet-Grupposo
Madame Lidoine Anne Schwanewilms
Mère Marie Susanne Resmark
Soeur Constance Anna Christy
Mère Jeanne Heike Grötzinger
Soeur Mathilde Rachael Wilson
L'aumônier Alexander Kaimbacher
1er commissaire Ulrich Reß
2ème commissaire Tim Kuypers
L'officier Igor Tsarkov
Le geôlier Andrea Borghini

Direction musicale Bertrand de Billy
Mise en scène Dmitri Tcherniakov (2010)
Bayerisches Staatsorchester
Chor der Bayerischen Staatsoper

                                                                                      Christiane Karg (Blanche de la Force)

Dans une lettre datée du 05 juillet 1955, l’écrivain Albert Beguin fait parvenir à Francis Poulenc un long compliment qui commence par ceci : "Permettez-moi de vous redire que vous paraissez avoir réussi un découpage parfait du texte de Bernanos. Vous savez combien, chargé par lui-même de veiller sur son œuvre après sa mort, je suis jaloux de tout usage et de toute interprétation qu'on en peut faire."

Pourtant, si le compositeur français a su brillamment restructurer un texte littéraire pour en faire un livret d'opéra sur lequel assoir une dramaturgie musicale convaincante, il s'est également concentré sur le personnage de Blanche de la Force pour en faire un portrait en lequel il puisse se reconnaître.

La révolution française n'est donc pas le sujet principal, mais un contexte historique qui permet d'opposer une population en furie à des femmes qui recherchent, dans la foi, la force de dépasser leurs propres peurs.

Anne Schwanewilms (Madame Lidoine)

Anne Schwanewilms (Madame Lidoine)

Or, Dmitri Tcherniakov est aussi un metteur en scène qui aime défendre les héroïnes des opéras qu'il dirige, même si, comme nous pouvons le constater au même moment à Lyon, dans la reprise de son interprétation de 'Lady Macbeth de Mzensk', il peut y mettre des limites.

Avec son concept d'un Carmel transposé en une maison de bois qui évoque la vie des campagnes de Russie, il élimine radicalement toute référence à l'Histoire de France, et se rapproche de l'univers de 'La Légende de la ville invisible de Kitezh', qui débutait dans un environnement rural très éloigné des intrigues de la grande ville.

'Dialogues des Carmélites' s'ouvre donc par une brève scène d'une foule courant dans l'urgence et dans un brouhaha assourdissant, agitation insupportable pour la petite Blanche. Tout s'arrête d'un coup, dans le noir et le silence, et la musique peut alors commencer.

Les premiers échanges entre Blanche, son frère et son père - Laurent Naouri est étrangement sonorisé - se déroulent sur l'espace vide du plateau, comme le seront, en deuxième partie, ceux avec mère Marie, à nouveau à la bibliothèque du Marquis de la Force.

Stanislas de Barbeyrac (Chevalier de la Force)

Stanislas de Barbeyrac (Chevalier de la Force)

Par la suite, c'est le refuge des religieuses, de simples paysannes, qui vient à Blanche, et toute l'action va s'y dérouler. A peine verrons-nous la maison changer d'orientation et de positionnement au fil des scènes.

Dans toute cette première partie, Tcherniakov détaille méticuleusement les petits gestes du quotidien, soigneux et précis, que chacune exécute dans la vie de tous les jours, notamment dans la longue scène d'agonie de Madame de Croissy.

Un fin tissu ouateux recouvre les faces et le toit de cette maison, mais la structure en bois rend parfois faiblement visibles les chanteuses, selon le point de vue choisi dans la salle du théâtre.

La terreur s'entend soudainement dans le timbre sombrement noirci de troubles de Sylvie Brunet-Grupposo. Dans un dernier sursaut, la vieille prieure tente même de franchir, vers l'extérieur, le seuil de cette baraque, où elle suffoque, confinée au milieu du noir.

A l'opposé, Anna Christy chante comme un rossignol léger et piquant le rôle de Constance, avec un accent néanmoins assez marqué.

Stanislas de Barbeyrac (Chevalier de la Force) et Christiane Karg (Blanche de la Force)

Stanislas de Barbeyrac (Chevalier de la Force) et Christiane Karg (Blanche de la Force)

Et quand apparaît la nouvelle prieure, Madame Lidoine, la vision d'Anne Schwanewilms, semblant présider une grande table entourée des jeunes femmes chantant l'Ave Maria, prend d'emblée une valeur iconographique et virginale.

C'est dans la seconde partie qu'elle est en fait magnifique de simplicité et d'authenticité, généreuse dans ses longues effusions lumineuses, et entièrement touchante tant elle semble happer le cœur de l'auditeur avec les mots.

Les retrouvailles entre Blanche et le Chevalier de la Force sont poignantes par le désespoir affiché de la première. Car Stanilas de Barbeyrac impose un charme sombre et naturel qui s'exprime par des élans nobles de clarté du cœur, tout en entretenant une certaine distance émotionnelle.

Christiane Karg, elle, extériorise tous ses sentiments, et son héroïne rappelle beaucoup la Tatiana hypersensible qu'avait imaginée Tcherniakov dans 'Eugène Onéguine'. Spasmes de colère, torpeur, vérité de l'âme, terreur, elle réussit à montrer toutes les contradictions qui l’empêchent de vivre, saisissante image quand elle tente de s'évader, prise de panique, vers l'arrière scène dans le noir.

Elle n'est pas uniquement une attachante actrice, mais aussi une artiste totalement engagée qui défend l'humanité d'un texte chanté le cœur sur la main.

Anne Schwanewilms (Madame Lidoine)

Anne Schwanewilms (Madame Lidoine)

En revanche, la Mère Marie de Susanne Resmark est rarement compréhensible et très sombre.

Mais petit à petit, la logique du travail de Dmitri Tcherniakov se révèle. Ces sœurs, qui avaient trouvé un lieu où vivre en paix retranchées du monde dans le plus pur dépouillement, sont retrouvées par le peuple ainsi que par des policiers qui leur notifient un avis d'expulsion.

La maison commence à être barricadée, et l'appel du Geôlier est lancé à travers des haut-parleurs, laissant planer l'imminence d'un assaut.

Mais préférant la mort, les sœurs se sont enfermées et ont débuté un suicide collectif par asphyxie. Un périmètre de sécurité est érigé par les forces de l'ordre, et la population, le chœur, vient l'entourer comme pour assister avec effarement à un spectacle, sans que personne ne bouge pour autant.

Susanne Resmark (Mère Marie) et Christiane Karg (Blanche de la Force)

Susanne Resmark (Mère Marie) et Christiane Karg (Blanche de la Force)

Soudain, surgit de la foule Blanche, qui défonce la porte de la maison, sur le premier coup de guillotine, et sauve chacune des sœurs, avant d'y retourner et de périr dans une explosion impressionnante, qui libère ainsi un nuage s’élevant merveilleusement, une montée de l’âme vers l'infini. Dernière image à nouveau sublime.

Cette scène, littéralement modifiée par rapport au livret, n'en est pas moins émouvante, car elle magnifie l'humanité de la jeune fille.

Tcherniakov révèle ainsi le courage et la grâce naturelle de Blanche, par contraste avec la lâcheté et l'incompréhension du peuple. Il reste en cela fidèle à l'esprit de Poulenc dans le dépassement de la peur, et dans sa méfiance des grands mouvements populaires destructeurs - le musicien s'était en effet engagé politiquement contre le Front Populaire, à la fin des années 30, par crainte pour les libertés individuelles.

Sylvie Brunet-Grupposo (Madame de Croissy) au salut final

Sylvie Brunet-Grupposo (Madame de Croissy) au salut final

Dans la fosse, la lecture épique de Bertrand de Billy est tellement riche de couleurs qu'elle jure avec l'austérité dramaturgique et visuelle de l'oeuvre.

De la chaleur des cordes dominent des frémissements scintillants, de ce flux généreux les teintes se glacent parfois ou prennent une pâte plus brute, et la beauté des timbres des bois permettent de laisser glisser les sonorités vers les ambiances immatérielles émanant de 'Tristan et Isolde'.

Mais cet allant ne lui laisse pas toujours le temps de déployer les plus beaux élans orchestraux. La tonalité est ample et douce, et rejette la sévérité.

Très beau chœur, fin et subtil, comme très souvent à Munich.

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