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Publié le 7 Décembre 2023

Les Contes d’Hoffmann (Jacques Offenbach – Opéra Comique, 10 février 1881)
Répétition générale du 27 novembre et représentations du 06 et 24 décembre 2023
Opéra Bastille

Olympia Pretty Yende
Antonia Rachel Willis-Sørensen
Giulietta Antoinette Dennefeld
La Muse / Nicklausse Angela Brower
Hoffmann Benjamin Bernheim (27/11 et 06/12) / Dmitry Korchak (24/12)
Luther / Crespel Vincent Le Texier
Lindorf / Coppelius / Dr. Miracle Christian Van Horn
Nathanaël Cyrille Lovighi
Frantz Leonardo Cortellazzi
Hermann Christian Rodrigue Moungoungou
Spalanzani Christophe Mortagne
Schlemil Alejandro Baliñas Vieites
La voix de la Mère Sylvie Brunet-Grupposo

Direction Musicale Eun Sun Kim
Mise en scène Robert Carsen (2000)

Diffusion sur France Musique le 20 janvier 2024 à 20h dans l'émission de Judith Chaine, 'Un samedi à l'opéra'.

Depuis son entrée au répertoire de l’Opéra national de Paris le 28 octobre 1974 dans la mise en scène de Patrice Chéreau, ‘Les Contes d’Hoffmann’ fait partie des incontournables de l’institution, seul opéra français avec ‘Carmen’, un autre opéra créé à l’Opéra Comique au cours de la décennie qui suivit la fin du Second Empire, qui ait rejoint les 10 titres les plus régulièrement interprétés.

Benjamin Bernheim (Hoffmann)

Benjamin Bernheim (Hoffmann)

La particularité de la version proposée par Robert Carsen dans sa production présentée pour la première fois sur la scène Bastille au début du printemps de l’année 2000, est d’être une reprise musicale de la version du Festival de Salzbourg 1981 qui retenait le meilleur de deux versions officiellement reconnues aujourd’hui.

La première, celle de Choudens éditée en 1907, réintégrait une partie de l’acte de Giulietta, le septuor avec chœur (une nouveauté sans lien avec Offenbach composée sur une musique de Gunsbourg), et deux nouveaux airs pour Coppelius, ‘J’ai des yeux’, et Dapertutto, ‘Scintille diamant’.

En effet, Offenbach étant décédé avant la création, la version révélée au public à l’Opéra Comique en 1881 fut fortement tronquée par rapport à ses intentions, et ne comporta pas l’acte de Venise.

Christian Van Horn (Lindorf)

Christian Van Horn (Lindorf)

La seconde, celle élaborée en 1976 par le musicologue allemand Fritz Oeser, visait à revenir à l’original des ‘Contes d’Hoffmann’ de 1880 avec un acte de Venise le plus complet possible et un important travail de réorchestration.

La version de Robert Carsen en retient deux airs pour Nicklausse, ‘Voyez-là sous mon éventail‘ et ‘Vois sous l’archet frémissant’, le duetto Nicklausse/Hoffmann, le prologue, avec les couplets de la Muse, le Trio des yeux et l’apothéose finale ‘Des cendres de ton cœur’.

La Muse retrouve ainsi un rôle de premier plan.

Cette version qui réintègre tant de passages qui n’existaient pas à la création, ne comprend cependant pas tous les apports de l’édition critique de Michael Kaye basée sur des manuscrits découverts en 1984 et dont Kent Nagano a enregistré une version au disque avec Natalie Dessay et Roberto Alagna, mais de par son architecture composite, elle offre au public parisien une originalité musicale qu’il ne retrouvera pas sur d’autres scènes internationales.

Angela Brower (La Muse) et Benjamin Bernheim (Hoffmann)

Angela Brower (La Muse) et Benjamin Bernheim (Hoffmann)

On imagine ainsi mal l’Opéra de Paris se défaire de ce spectacle, d’autant plus que la scénographie du metteur en scène est somptueuse et insère une importante réflexion sur la place du théâtre dans le rapport de l’être humain à l’illusion.

Le spectateur voit ainsi son regard évoluer autour d’une scène de théâtre, où Stella chante dans ‘Don Giovanni’, en partant des coulisses jusqu’à la scène surmontée de la statue du commandeur, l’acte de Venise plaçant, par effet miroir, le public sur la scène dans des poses très acrobatiques.

L’intervention de la mère d’Antonia au second acte sera elle même une intrusion de la représentation de l’opéra de Mozart dans le récit d’Hoffmann.

Sylvie Brunet-Grupposo (La voix de la Mère)

Sylvie Brunet-Grupposo (La voix de la Mère)

On peut d’ailleurs remarquer que si les personnages sont contemporains, ceux du spectacle de ‘Don Giovanni’ participent à un spectacle ‘à l’ancienne’ avec costumes folkloriques, ce qui est aussi une amusante réflexion sur le passé des mises en scène, alors que certains, aujourd’hui, voudraient les ranimer.

Par ailleurs, l’intervention de la Muse, avec sa lyre, est une parfaite métaphore du rôle de la musique en tant que réconfort universel à la condition humaine, même si l’acte d’Antonia est aussi une réflexion sur le piège tendu par la société envers l’artiste qui le pousse à se consumer pour elle.

Habilement, Robert Carsen trouve un moyen de s’adresser à tous les publics, ce qui est une qualité rare. 

Eun Sum Kim et Benjamin Bernheim

Eun Sum Kim et Benjamin Bernheim

Et à l’occasion de cette neuvième série qui portera à plus de 80 le nombre de représentations de sa production des ‘Contes d’Hoffmann’, le public parisien découvre la cheffe d’orchestre Eun Sun Kim, directrice musicale de l’Opéra de San Francisco, dont la carrière internationale au sein des plus grands théâtres lyriques européens et américains est déjà bien étoffée.

Le style de sa direction est magnifiquement délié dès l’ouverture et sera préservé tout au long de la représentation. D’un excellent équilibre sonore entre la fosse d’orchestre et le plateau, fluide et entrelacée avec grande précision à l’action scénique, elle dispense nuances et mélanges de coloris métalliques et boisés rythmés avec un moelleux tonique, ce qui a pour effet d’accroire le sentiment de proximité du spectateur à la scène. 

Cette réalisation soignée et sans esbroufe est ainsi un support idéal pour les chanteurs, d’autant plus que nous tenons là une distribution de haut vol et d’une très belle homogénéité.

Angela Brower (Nicklausse), Christian Rodrigue Moungoungou (Hermann) et Benjamin Bernheim (Hoffmann)

Angela Brower (Nicklausse), Christian Rodrigue Moungoungou (Hermann) et Benjamin Bernheim (Hoffmann)

Après sa prise de rôle réussie à l’opéra de Hambourg en septembre 2021, Benjamin Bernheim retrouve sur la scène parisienne le personnage d’Hoffmann qui lui va naturellement comme un gant.

Il incarne une jeunesse romantique qui se laisse mener par les évènements, et sa voix assez légère au brillant très clair et son excellente diction ajoutent à son charme teinté d’idéalisme si bien que le classicisme de son personnage éclipse totalement le statut d’’étoile’ qui lui est de plus en plus associé. 

Mais lorsqu’il se pose face à la salle et qu’il laisse s’épanouir sa voix qui se gorge d’un rayonnement puissant et d’un timbre chaleureux, l’effet pour l’auditeur est absolument sensationnel.

Pretty Yende (Olympia)

Pretty Yende (Olympia)

Moins noire et tourmentée que d’autres interprétations de l’amoureux malchanceux, son incarnation s’apparie facilement au timbre blond et ombré d’Angela Brower qui fait vivre Nicklausse avec une densité acérée, une évidente netteté d’expression et une projection plus mesurée.

Ainsi, vive et incisive, elle est un contrepoint d’esprit très cartésien face à la malléabilité du poète Hoffmann. Sa Muse, elle, est assez distanciée mais avec un cœur prégnant, et l’on éprouve à nouveau une émotion profonde dans l’immensité de l’espace vide et débarrassé de toutes les illusions de théâtre quand elle se présente pour consoler le héros accompagné par le chœur à l’apogée de son inspiration élégiaque.

Pretty Yende (Olympia) et Benjamin Bernheim (Hoffmann)

Pretty Yende (Olympia) et Benjamin Bernheim (Hoffmann)

Les trois femmes dont il s’est épris sont fortement différenciées par les qualités vocales de leurs interprètes, et c’est un grand plaisir que d’entendre Pretty Yende dans le rôle d’Olympia dont non seulement elle joue sans hésitations les tendances libertines, avec toutefois tempérance, mais de plus lui prodigue une agilité qu’elle panache de fantaisies grisantes et une plénitude de couleur qui résonnent sans peine dans la grande salle Bastille, même si Natalie Dessay a façonné ce rôle de façon indélébile par son abattage.

Le ravissement reste intact, et quand on est un spectateur qui connaît bien cette production, il est aussi très agréable de sentir la joie de ceux autour de soi qui découvrent une telle scène délurée qu’ils n’auraient sans doute pas imaginée.

Rachel Willis-Sørensen (Antonia)

Rachel Willis-Sørensen (Antonia)

Dans une tout autre tessiture, Rachel Willis-Sørensen, en Antonia, est douée d’une largeur de voix qui dispense un flot d’une profonde noirceur dramatique avec des aigus qu’elle libère puissamment, une ampleur traversée de lignes ténébreuses qui évoque, il est vrai, de grands personnalités lyriques comme on les rencontre chez Verdi ou Wagner.

Sa très forte personnalité en rend même la voix de sa Mère, interprétée par l’inimitable sincérité touchante de Sylvie Brunet-Grupposo, plus apaisée. 

Rachel Willis-Sørensen (Antonia) et Benjamin Bernheim (Hoffmann)

Rachel Willis-Sørensen (Antonia) et Benjamin Bernheim (Hoffmann)

Et avec une excellente homogénéité de timbre, Antoinette Dennefeld dépeint une Giulietta très élégante aux aigus très fiers qui assoient son assurance, ce qui accrédite ainsi l’idée que cette courtisane aurait pu être l’amour idéal d’Hoffmann. D’ailleurs, n’est ce pas le personnage dont l’acte a connu le plus de remaniements et de multiples reconstitutions possibles, même si, dans cette version, l’original voulu par Offenbach semble assez éloigné?

Benjamin Bernheim (Hoffmann) et Antoinette Dennefeld (Giulietta)

Benjamin Bernheim (Hoffmann) et Antoinette Dennefeld (Giulietta)

Fortement reconnaissable à son timbre éloquemment sombre et caractérisé par le relief prononcé de ses graves, Christian Van Horn, sous les traits des différents visages du diable, a toujours autant de prestance dans les airs menaçants, de manière similaire au rôle de Méphistophélès du ‘Faust’ de Gounod qu'il incarnait la saison dernière.

Quant à Vincent Le Texier, il apporte une teinte noire et dépressive au pauvre père d’Antonia de façon très émouvante.

Christian Van Horn (Docteur Miracle)

Christian Van Horn (Docteur Miracle)

Tous les autres petits rôles confiés à quatre artistes du chœur (Cyrille Lovighi, Leonardo Cortellazzi, Christian Rodrigue Moungoungou, Christophe Mortagne) et un membre de la troupe (Alejandro Baliñas Vieites) sont très bien tenus, Christian Rodrigue Moungoungou et Leonardo Cortellazzi se démarquant un peu plus nettement du fait de la mise en avant de leurs personnages respectifs, Hermann, le boute-en-train de la taverne, et Frantz, qui cherche ‘la méthode’ pour bien chanter, avec un très bel éclat.

Dmitry Korchak (Hoffmann) et Antoinette Dennefeld (Giulietta)

Dmitry Korchak (Hoffmann) et Antoinette Dennefeld (Giulietta)

Et pour la matinée du dimanche 24 décembre, c'est le ténor russe Dmitry Korchak qui succède à Benjamin Bernheim.

Il approfondit la désespérance d'Hoffmann en le faisant se consumer avec une intensité dramatique à cœur écorché qui se révèle fortement poignante. Grande clarté de timbre qui lui permet de faire passer beaucoup de douceur, puissance du souffle pour exprimer l'idéalisme héroïque du poète, et une intonation plaintive qui signifie constamment la détresse de son personnage, il a du charme et de l'énergie à revendre, et même si l'intelligibilité de son phrasé pourrait encore gagner en précision, il s'affirme comme un des meilleurs tenants du rôle sur cette scène.

Dmitry Korchak (Hoffmann)

Dmitry Korchak (Hoffmann)

Par ailleurs, lors de la représentation du 24 décembre en matinée, toutes et tous ses partenaires se montrent également à leur meilleur, Pretty Yende d'une très impressionnante finesse dans sa maitrise du personnage d'Olympia en la rendant plus amusante que vulgaire, Rachel Willis-Sørensen au lyrisme débordant, Antoinette Dennefeld au glamour d'une parfaite netteté, Christian van Horn décidément amoureux de la langue française qu'il peaufine à chaque fois avec beaucoup de caractère, et Angela Brower très agile dans ses expressions.

Angela Brower (La Muse) et Benjamin Bernheim (Hoffmann)

Angela Brower (La Muse) et Benjamin Bernheim (Hoffmann)

Ce spectacle d’une harmonieuse unité se présente déjà comme une grande version de l’ouvrage et un des grands succès populaires de la saison 2023/2024 de l’Opéra de Paris.

Antoinette Dennefeld, Rachel Willis-Sørensen, Christian Van Horn, Eun Sum Kim, Benjamin Bernheim et Angela Brower

Antoinette Dennefeld, Rachel Willis-Sørensen, Christian Van Horn, Eun Sum Kim, Benjamin Bernheim et Angela Brower

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Publié le 5 Avril 2016

La Juive (Jacques Fromental Halévy)
Représentation du 03 avril 2016
Opéra National de Lyon

Eléazar Nikolai Schukoff
Rachel Rachel Harnisch
Princesse Eudoxie Sabina Puértolas
Leopold Enea Scala
Cardinal Brogni Roberto Scandiuzzi
Ruggiero Vincent Le Texier
Albert Charles Rice

Direction musicale Daniele Rustioni
Mise en scène Olivier Py
Décor et costumes Pierre-André Weitz

Nouvelle coproduction avec l’Opera Australia, Sydney        Rachel Harnisch (Rachel)

A la veille de la Seconde guerre mondiale, tout un pan du grand répertoire romantique disparut de la scène du Palais Garnier. Lourds à monter, requérants une effectif orchestral important, les ouvrages d’Halevy, Meyerbeer, Reyer et même le Guillaume Tell de Rossini furent remplacés progressivement par les drames de Puccini, Verdi et Mozart.

Wagner résista un peu plus, et le compositeur allemand reste encore aujourd’hui l’un des cinq compositeurs les plus joués dans le monde.

Mais au cours de notre dernière décennie, le genre du Grand Opéra Français est de retour sur les scènes lyriques, à la faveur de metteurs en scène contemporains qui y trouvent des thèmes sensibles sur l’intolérance religieuse, et sur la violence qui en découle à l’égard de celles et ceux qui ne partagent pas les mêmes croyances.

La Juive (Schukoff-Harnisch-Puertolas-Scala-Rustioni-Py) Lyon

Et nous ressentons tous les jours cette intolérance, d’autant plus que dans nos sociétés occidentales elle n’est pas totalement assumée et œuvre à façonner son environnement sous la forme d’une force souterraine qui tente de reconstituer un bloc excluant.

La Juive est réapparue sur la scène de l’Opéra National de Paris en 2007, après 73 ans d’absence, dans une production de Pierre Audi, puis à l’Opéra des Flandres dans une production de Peter Konwitschny. Elle poursuit dorénavant sa renaissance avec de nouvelles productions à Lyon, Munich et Strasbourg.

En confiant sa mise en scène à Olivier Py, catholique revendiqué, l’Opéra de Lyon lui permet à nouveau de mettre le fanatisme religieux au centre de sa réflexion, après le succès de sa production des Huguenots en 2011 au Théâtre Royal de la Monnaie.

Rachel Harnisch (Rachel) et Enea Scala (Leopold)

Rachel Harnisch (Rachel) et Enea Scala (Leopold)

Et quand on connait la matière théâtrale qu’il aime utiliser, on comprend immédiatement, à la vision de cette forêt calcinée qui constitue le fond de scène permanent, qu’un destin apocalyptique pèse sur les scènes qui vont suivre.

Le décor monumental repose sur un grand escalier semblable à celui des Huguenots, et permet d’occuper l'entière verticalité du cadre de scène pour présenter les nombreux figurants de l’ouvrage, mais également pour projeter et isoler du monde les scènes intimes entre père et fille ou entre amants.

La tonalité noir-gris omniprésente accentue le sentiment sinistre prémonitoire, et, à travers plusieurs symboles, Olivier Py évoque autant la force de la foi spirituelle et intellectuelle juive - une splendide étoile de David fait face à la salle, une bibliothèque en fausse perspective s’évade vers l’infini -, que les évènements violents dont elle a été victime au XXème siècle, autodafés de 1933, fusillades et noyades dans le Danube une fois hommes et femmes déchaussés.

La Juive (Schukoff-Harnisch-Puertolas-Scala-Rustioni-Py) Lyon

La population catholique extrémiste, elle, est montrée avec ses travers contemporains – défilés de pancartes anti-étrangers revendicatrices d’une France catholique – et non plus avec la lourdeur des fastes et les ors qui l’opposaient aux protestants dans les Huguenots.

Eudoxie devient alors une femme assumant sa séduction et ses désirs, puissance du corps que sa religion n’a jamais occulté, ne serait-ce que dans les Arts.

Dans ce jeu théâtral d’une très grande force esthétique où les tableaux s’enchaînent harmonieusement, les chanteurs trouvent un espace qui leur permet de caractériser leurs personnages tout en mettant bien en valeur leurs voix.

Nikolai Schukoff est le premier à en tirer bénéfice, car cette production de La Juive révèle à quel point Eléazar est un rôle intégrant pour lui. Sa voix est d’une parfaite homogénéité depuis les graves grisonnants aux aigus qu’il prend plaisir à amplifier vers le public, avec une forme de rayonnement affectif qui préserve l’humanité de son chant.

Nikolai Schukoff (Eléazar)

Nikolai Schukoff (Eléazar)

Il y a de l’impulsivité en lui et une forme de sincérité directe qui ne peuvent que toucher chacun d’entre nous. Et la personnalité qu’il développe se trouve à mi-chemin entre père protecteur et amant bouleversé, ce qui rend très ambigu son positionnement par rapport à Leopold, le jeune amoureux de Rachel.

Enea Scala, annoncé souffrant pour la dernière représentation de ce dimanche, n’en profite pas moins pour montrer la vaillance de ses moyens, remporter le défi des aigus les plus viscéraux, et faire entendre que le répertoire rossinien coule naturellement dans ses veines. Un jeune amoureux enflammé et idéaliste qui ne met aucune limite à l’expression de ses sentiments.

Sabina Puertolas (Eudoxie)

Sabina Puertolas (Eudoxie)

Au côté de ces deux hommes, Rachel Harnisch (Rachel) et Sabina Puértolas (Eudoxie) incarnent deux femmes aux tempéraments totalement contraires.

La soprano suisse soigne l’intelligibilité de son chant, en colore les lignes dans une constante clarté, tout en laissant ressortir une sensibilité atteinte. La soprano espagnole, elle, joue de son abattage naturel pour se libérer sans complexe de ses envies de feux d’artifices vocaux, dont les sonorités de timbre parfois acides traduisent les tendances sulfureuses et manigancières du personnage qu’elle interprète avec joie.  Elle joue de ses effets scandaleux, et le public adore cela.

Et au rôle de Ruggiero, le salaud indéfendable, Vincent Le Texier prête sa gueule de faux-méchant et son timbre obscurément diffus pour le damner définitivement.

Roberto Scandiuzzi, en Cardinal Brogni, est bien plus complexe, sonore et bonhomme, magnanime même, ce qui atténue la dimension autoritaire qui aurait pu donner plus d’effet dans la célèbre scène où il jette l’anathème à Eléazar, Rachel et Léopold.

Nikolai Schukoff (Eléazar) , Rachel Harnisch (Rachel) et Vincent Le Tézier (Ruggiero)

Nikolai Schukoff (Eléazar) , Rachel Harnisch (Rachel) et Vincent Le Tézier (Ruggiero)

Mais il n’y a pas que la structure scénique pour porter cette équipe de solistes fortement soudée. Daniele Rustioni fait délicatement ressortir de magnifiques tissures orchestrales, des atmosphères de cordes immatérielles, un sens de la poétique très liée à la fragilité des chanteurs, et les passages grandiloquents sont toujours couverts par une souplesse sonore qui ne se laisse pas déborder par les percussions.

Et comme le chœur de l’Opéra de Lyon est à son meilleur, subtil quand il est en retrait et présent, sans force sur-jouée, quand il s’impose en avant-scène, l’interprétation musicale en devient nimbée d’une grâce pacifiante, malgré le drame de l'ultime scène glaçante.

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Publié le 15 Septembre 2013

L'Affaire Makropoulos (Leos Janacek)
Répétition générale du 14 septembre 2013 et représentation du 16 septembre 2013
Opéra Bastille

Direction musicale Susanna Mälkki
Mise en scène Krzysztof Warlikowski

Emilia Marty Ricarda Merbeth
Albert Gregor Attila Kiss-B
Jaroslav Prus Vincent Le Texier
Vítek Andreas Conrad
Krista Andrea Hill
Janek Ladislav Elgr
Maître Kolenaty Jochen Schmeckenbecher
Hauk-Sendorf Ryland Davies

Production créée en avril/mai 2007 à l’Opéra Bastille
Coproduction avec le Teatro Real de Madrid           Marilyn Monroe (ouverture de Věc Makropulos)


Des quatre productions réalisées par Krzysztof Warlikowski sous la direction de Gerard Mortier, l’Affaire Makropoulos est celle qui a obtenu l’unanime reconnaissance de la part du public et de la critique.
Toute sa mise en scène joue sur l’ambivalence des désirs humains et de leurs rapports à l’instinct animal, lorsqu’ils prennent pour objet une artiste mythique. Et l’on retrouve dans tout le livret de cet opéra des allusions à ces émotions fondamentales.

Ricarda Merbeth (Emilia Marty) et Attila Kiss-B (Albert Gregor)

Ricarda Merbeth (Emilia Marty) et Attila Kiss-B (Albert Gregor)

On reconnait ainsi dans le travail de Warlikowski cette formidable capacité à construire un spectacle à partir d’une lecture extrêmement détaillée du texte, et d’une analyse profondément humaine de la nature des personnages.

Ainsi, dès l’ouverture de l’Affaire Makropoulos, la musique de Janacek s’empare d’un univers cinématographique où se mêlent des extraits de films du divorce de Marilyn Monroe avec Joe DiMaggio, de sa rencontre avec ses fans, et de King Kong, symbole animal du désir du mystère

féminin.

Par la suite, les trois actes nous font passer de la Marilyn de « The seven Year Itch » (Billy Wilder 1955) à  Rita Hayworth, quand elle jouait  dans « Gilda » (Charles Vidor 1946), pour conclure sur le dernier film inachevé de Marilyn, « Something’s got to give » (George Cukor 1962), et la scène de la piscine.

Les transitions sont assurées par des extraits de « Sunset Boulevard » (Billy Wilder 1950) qui projettent les fascinantes expressions de Gloria Swanson, dans le rôle d’une actrice résolument attachée à vivre éternellement ses heures de gloire.


                                                                                      Andrea Hill (Krista)

 

Ce contexte psychologique, fortement sensuel, est ainsi magnifiquement projeté vers le spectateur, ce qui le rend en prise avec l’oeuvre même s’il ne comprend pas tout de cette intrigue complexe.
Pour la résumer, nous sommes au XXième siècle alors qu’un procès oppose Ferdinand Mc Gregor et Jaroslav Prus, descendants de deux familles qui se disputent l’héritage du Baron Prus, homme qui vécut au début du XIXème siècle.

Vincent Le Texier (Jaroslav Prus)

Vincent Le Texier (Jaroslav Prus)

La célèbre et mystérieuse chanteuse Emilia Marty semble s’intéresser de près à cette affaire, et tout le monde, hommes et femmes, est attiré par elle, même Ferdinand et Krista.

L’histoire va révéler que si cette femme est aussi froide, et pourtant attirante, c’est parce qu’elle a bu un élixir de vie qui l’a rendu immortelle. Elle en a perdu aussi son goût de la vie.

Son intérêt pour ce procès, lui, vient de la liaison qu’elle eut dans le passé avec le baron Prus, quand elle se nommait Elina Makropoulos. Elle recherche les preuves écrites de cette relation pour réparer l‘injustice envers Mc Gregor, mais également pour retrouver le remède qui pourrait la rendre à nouveau mortelle.

Ricarda Merbeth (Emilia Marty)

Ricarda Merbeth (Emilia Marty)

Depuis la dernière reprise, en 2009, la distribution est presque intégralement renouvelée.
Il n’est évidemment pas facile pour Ricarda Merbeth de succéder à Angela Denoke. Elle n’en a pas le glamour, et elle n’a jamais été une grande actrice.

Mais une fois passées les limites de l’incarnation de Marilyn Monroe, la soprano allemande trouve un moyen d’expression qui dessine d’une voix belle et troublante aux accents acides un portrait d’Emilia Marty hautain et un peu déjanté, ce qui souligne encore plus, par l’attraction que lui vouent les protagonistes, cette faculté que peut avoir l’être humain à s’éprendre d’un personnage qui méprise pourtant cet élan instinctif.

Ricarda Merbeth (Emilia Marty)

Ricarda Merbeth (Emilia Marty)

Surprenante, elle l'est aussi par la formidable adaptation au rôle qu'elle a acquise depuis la dernière répétition, lapidaire dans le geste et clairement plus spontanée.

Toute la scène finale est un immense chant à la vie, et elle l'offre sans la moindre retenue. Sa voix, resplendissante, résonne toujours dans la tête plusieurs heures après la fin de la représentation.

Scène, orchestre et "Boulevard du Crépuscule" (ouverture du IIIeme acte de l'Affaire Makropoulos)

Scène, orchestre et "Boulevard du Crépuscule" (ouverture du IIIeme acte de l'Affaire Makropoulos)

Attila Kiss-B, en Ferdinand McGregor, paraît dans un premier temps assez banal. Mais, à partir du duo intime avec Emilia, le moment clé où le drame s’humanise, il gagne en force et en intensité pour devenir un personnage dont la présence puisse s’opposer à celle de Vincent Le Texier.
Car ce dernier a l’habitude de travailler avec Krzysztof Warlikowski, et cela se voit. Il joue un extraordinaire Jaroslav Prus, implacable avec ses partenaires, c’est véritablement une très grande incarnation théâtrale. Sa voix est en plus génialement expressive.

Vincent Le Texier (Jaroslav Prus) et Ricarda Merbeth (Emilia Marty)

Vincent Le Texier (Jaroslav Prus) et Ricarda Merbeth (Emilia Marty)

Tous les seconds rôles, sans exception, sont très bien tenus et, comme toujours avec Warlikowski, totalement crédibles scéniquement. Ils sont liés par la force du théâtre.

Ainsi, Andrea Hill est merveilleuse de pétillance, et d'une douceur tout charmante, en Krista. Elle est accompagnée dans son grand air d'entrée par un magnifique ensemble d'entrelacements de cordes qui vise les sentiments les plus nostalgiques du coeur.

Ricarda Merbeth (Emilia Marty)

Ricarda Merbeth (Emilia Marty)

Car la direction musicale est une très grande interprétation de ce chef-d'oeuvre. Susanna Mälkki travaille les couleurs et l’homogénéité d’ensemble en laissant de l’épaisseur et de l’âpreté aux cordes sans négliger pour autant le lyrisme de la musique. Les flûtes jaillissent et surprennent à la manière des jets d’eau des geysers, les cuivres, d’une rondeur chaude, sont fondus dans la masse avec éclat, et, malgré la complexité orchestrale, il règne une harmonie vivante très surprenante à écouter. On dirait que l'énergie de la moindre phrase se communique aux motifs qui lui succèdent comme dans une sorte d'allant sans cesse renouvelé. Il y a de la tension, même dans les moments les plus intimes.

Vincent Le Texier, Susanna Mälkki et Ricarda Merbeth

Vincent Le Texier, Susanna Mälkki et Ricarda Merbeth

Alors, au delà du plaisir que l'on éprouve à retrouver Krzysztof Warlikowski à l'Opéra National de Paris, de nombreux signes laissent penser que cette saison débute sur une voie immuablement mêlée d'excellence, d'intelligence et de profondeur. Et il faut espérer que ce spectacle trouve un public curieux, désireux de sortir du conformisme toujours plus puissant, pour découvrir une oeuvre et une musique qui ne le laisse pas indifférent.

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Publié le 22 Juin 2013

Pénélope (Gabriel Fauré)
Version de concert du 20 juin 2013
Théâtre des Champs Elysées

Pénélope Anna Caterina Antonacci
Ulysse Roberto Alagna
Eumée Vincent Le Texier
Eurymaque Edwin Crossler-Mercer
Antinoüs  Julien Behr
Ctésippe  Marc Labonnette
Léodès  Jérémy Duffau
Euryclée  Marina de Liso
Mélantho  Khatouna Gadelia
Cléone  Sophie Pondjiclis

Direction musicale Fayçal Karaoui
Chœur et orchestre Lamoureux

                                                                                                         Anna Caterina Antonacci (Pénélope)

 

Comme Benvenuto Cellini et le Sacre du printemps, Pénélope fait partie des ouvrages qui ont marqué l’ouverture du Théâtre des Champs Elysées au printemps 1913. Sa musique évoque la plénitude de la nature qui s’écoule avec le temps, dans une clarté bucolique heureuse, et les vents, et surtout les cuivres, dessinent des motifs poétiques languissants qui expirent depuis les ornements mélodiques de ce flot continu. On est dans un univers qui croise ceux de Claude Debussy ou bien d’Ernest Bloch, sans plonger dans leur expressivité mélancolique pour autant.

Cette conception de l’attente, telle que le vit Pénélope, est donc empreinte d’une sérénité qui peut surprendre, mais, malgré quelques imprécisions perceptibles, l’orchestre Lamoureux en restitue l’énergie de ses mouvements marins auxquels on se laisse prendre.

Anna Caterina Antonacci (Pénélope)

Anna Caterina Antonacci (Pénélope)

Anna Caterina Antonacci y est souveraine, unique, elle est la présence même. La lenteur et la sobriété de son jeu, la stature de tragédienne qui lui paraît tant naturelle, sa recherche d’un phrasé à la perfection classique qui s’épanouit si magnifiquement sans qu’elle ne soit contrainte par des tensions et des outrances impossibles, nous renvoie une vision entièrement unifiée, et un peu inaccessible, de cette artiste qui sait être là, simplement, par elle-même.

Alors, pour lui répondre, Roberto Alagna interprète Ulysse. Qui pourrait, aujourd’hui, offrir un chant aussi immédiat, un envahissement sonore impressionnant et viril qui vient chercher chaque spectateur comme pour le rallier à son propre personnage? Il est un monument à la voix de bronze dont le timbre, cependant, altère le charme de certaines voyelles appuyées, et les courbures de sa crinière, qu’il expose en se tournant légèrement de côté, font ressortir une image glamour de l’aventurier. Seulement, Ulysse est l'homme de la ruse et de l'intelligence, et non un caractère romanesque.

Roberto Alagna (Ulysse) et Anna Caterina Antonacci (Pénélope)

Roberto Alagna (Ulysse) et Anna Caterina Antonacci (Pénélope)

Roberto Alagna, artiste attachant par la nature adolescente qui lui est toujours aussi fortement ancrée, paraît en tel décalage avec sa partenaire qu’il ne fait que la distinguer encore plus, seule sur son piédestal, puisqu’elle apparaît comme la seule à comprendre la force de son propre personnage.

En regard de ce couple surhumain, il devient difficile, mais l’écriture vocale ne les met pas suffisamment en valeur, d’être pris par les artistes qui les accompagnent. Julien Behr, à l’évidence, fait entendre des exquises lumineuses et graves à la fois, sans esbroufes, comme une promesse pour l’avenir.

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Publié le 15 Décembre 2012

Médée (Cherubini)
Représentations du 10 et 16 décembre 2012
Théâtre des Champs Elysées

Médée Nadja Michael
Jason John Tessier
Néris Varduhi Abrahamyan
Créon Vincent Le Texier
Dircé Elodie Kimmel
Première servante Ekaterina Isachenko
Deuxième servante Anne-Fleur Inizan

Direction Musicale Christophe Rousset
Les Talens Lyriques

Scénographie Malgorzata Szczesniak
Mise en scène et dialogues parlés de Krzysztof Warlikowski

                                                                                                        Nadja Michael (Médée)

Alors que la nouvelle production de Carmen désespère un public bien en peine de retrouver à l’Opéra National de Paris un peu d’intelligence scénique, on n’ose même plus y poser l’attente d’un évènement culturel marquant, le Théâtre des Champs Elysées ouvre ses portes à un metteur en scène exclu des salles musicales parisiennes depuis plus de trois ans, Krzysztof Warlikowski.

Il eut été excitant de découvrir une création lyrique signée de son sceau théâtral mais, à défaut, la reprise de  Médée, un spectacle violent qui a frappé par deux fois le Théâtre de la Monnaie de Bruxelles, est livré pendant une semaine à des regards viscéralement identificateurs, souvent admiratifs, parfois imperméables, voir furieux, ou complètement ahuris.

Médée (N.Michael-C.Rousset-K.Warlikowski) Champs Elysées

Dans un décor unique aux parois réfléchissantes, renvoyant ainsi l’image des spectateurs tapis dans l’ombre du parterre et des balcons, Warlikowski imagine un monde glacé contemporain dominé par un machisme mafieux et formaté, avec Créon comme patriarche.

Les deux fils de Médée et Jason, Merméros et Phérès, vivent sous cette influence patriarcale, et leur ouverture d’esprit, confiante en la maturité de l’adulte, les rend perméables à un conditionnement qui leur fait croire que leur virilité se joue dans les stéréotypes tels que le goût pour l’alcool, la cigarette, et un mimétisme masculin indifférencié.
Ils apparaissent même insensibles à la violence qui est faite à leur mère.
 

En plaquant une problématique sociale actuelle sur cette pièce, il autorise, peut être sans s’en rendre compte, une interprétation qui voit dans l’infanticide une façon de détruire le produit d’un système pervers pour l’avenir et la place de la femme, ou de l'étranger, dans la société.

Il ne décrit pas uniquement la douleur de Médée face à l’infidélité de Jason, et la mémoire du corps dont elle ne peut se débarrasser, dépeinte ainsi avec une force extraordinaire par Nadja Michael

Le volcanisme magnétique et agressif de la soprano est imparablement fascinant, mais on perçoit assez nettement, et le souvenir de sa performance à Bruxelles est encore proche, que le tranchant de ses aigus s’est transformé en cris puissants bien moins aiguisés et donc un peu plus durs à absorber.

Elodie Kimmel (Dircée)

Privilégiant un fauvisme théâtral sans pudeur, cette authenticité farouche et sensuelle néglige couramment la précision des mots, ce que nombres de puristes auront facilement relevé.

Et pourtant, que de couleurs noires, que de galbes d’airain, un débordement vocal qui pousse Jason aux limites de sa suffisance. John Tessier paraît un peu frêle lorsqu’il apparaît avec Elodie Kimmel, puis sa personnalité s’affirme à travers un chant clair, plus sincère que dramatique, immédiat, et montre un homme qui ne fait que se tourner vers une femme plus ordinaire qui lui conviendra mieux.

Nadja Michael (Médée)

Nadja Michael (Médée)

En Dircée, la toute jeune chanteuse se trouve en prise avec un des personnages les plus impliquant de sa vie, se rôdant ainsi à la tragédie avec une agilité vocale aérienne, mais un timbre peu caractérisé et des irrégularités incessantes.

Pour le chant le plus stylisé, il faudra entendre la tristesse monotone de Varduhi Abrahamyan, une contralto très présente à Paris depuis l‘arrivée de Nicolas Joel, mais qui n‘a pas encore abordé dans la capitale de rôle majeur.

John Tessier (Jason)

John Tessier (Jason)

La stature physique de Vincent Le Texier, un homme de glace, est bien connue, sa profondeur lugubre également, mais l’on connaissait moins son sens nonchalant de l’improvisation qui nous aura tous bien amusés lorsque, interrompu par quelques personnes se prétendant détentrices du bon goût lyrique, et qui déclenchèrent un ensemble de réactions dans la salle se faisant écho plus ou moins vulgairement, le chanteur dû très posément proposer un « oui, c‘est une bonne idée de sortir, sortez! » repris par un « dehors les conformistes!» ou « restez chez vous devant la télé!» de la part de spectateurs énervés au milieu d’applaudissements à cœurs perdus, enthousiastes et spontanés.

 Nadja Michael (Médée)

Nadja Michael (Médée)

A ce moment précis, une bouffée d’oxygène euphorisante s’est libérée dans tout le théâtre, rappelant ce que la vie dans les salles lyriques était du temps de Gerard Mortier, avant que ne tombe la torpeur sur l‘Opéra de Paris et ses sordides histoires de bénéfices financiers.

Mais ce spectacle est un tout et, comme en 2008 et 2011 à Bruxelles, Christophe Rousset et les Talens Lyriques font totalement corps avec le théâtre qui se joue sur scène.
Ce flux incessant de sonorités violines bigarrées débute sensiblement sec, puis, sans que l’on s’en rende compte, une énergie fusionne petit à petit avec le drame et s’élève avec une intensité extraordinaire, comme dans la confrontation entre Médée et Jason.
Parfois, en contraste total, une flûte délie un motif serpentin joliment poétique.

Nadja Michael (Médée) et les deux enfants

Nadja Michael (Médée) et les deux enfants

Mais chaque soir est unique, et l'on sait trop bien que les énergies sur scène et dans la salle sont différentes d'un soir à l'autre, alors les imprécisions et sécheresses de la direction à la première se sont envolées à la dernière représentation, les Talens Lyriques jouant avec une qualité de son, une finesse de détails, une modernité de sonorité magnifiques - et quel orage magnétique au troisième acte! Très en forme également, Nadja Michael a bien mieux maitrisé ses aigus, et laissé le Théâtre des Champs Elysées - où des étudiants littéraires étaient venus en nombre après avoir abordé le thème de Médée en classe - sur un enthousiasme dithyrambique qui a valu à l'ensemble de l'équipe une des plus longues ovations entendues dans ces lieux.

On ne peut que remercier Michel Franck, le directeur de ce théâtre, de redonner un vrai sens au mot "culture".

Reste à savoir si ce spectacle pourra être repris avec une autre chanteuse et un autre chef, car ils en sont, avec la mise en scène,  la force irremplaçable.

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Publié le 2 Juillet 2012

L'Amour des trois oranges (Sergueï Prokofiev)
Représentation du 23 juin 2012
Opéra Bastille

Le Roi de Trèfle Alain Vernhes
Le Prince Charles Workman
La Princesse Clarice Patricia Fernandez
Léandre Nicolas Cavallier
Trouffaldino Eric Huchet
Pantalon Ignor Gnidii
Tchélio Vincent Le Texier
Fata Morgana Marie-Ange Todorovitch
Linette Carol Garcia
Nicolette Alisa Kolosova
Ninette Amel Brahim-Djelloul
 La Cuisinière Hans-Peter Scheidegger
Sméraldine Lucia Cirillo
Farfarello Antoine Garcin

Direction musicale Alain Altinoglu
Mise en scène Gilbert Deflo (2005)                            Marie-Ange Todorovitch (Fata Morgana)

L'Amour des trois oranges est l'œuvre lyrique la plus accessible au très jeune public de par la série de péripéties loufoques, l'adaptation en français du livret d'origine, et l'inventivité ironique de la musique.

On se souvient encore des rires des enfants invités par Gerard Mortier à la répétition générale précédant la création de ce spectacle, ils rendaient aussi vivants le parterre et les balcons que ne l'étaient la scène et la fosse d'orchestre.
Et lorsque l’on y assiste en compagnie d’un enfant, on en adopte alors le regard rajeuni et insouciant qui rénove notre

Eric Huchet (Trouffaldino)

Eric Huchet (Trouffaldino)

De fait, la mise en scène conçue par Gilbert Deflo est sans nul doute la meilleure dont dispose l'Opéra de Paris de sa part, et pour cause, ce régisseur a tendance à se laisser guider uniquement par la musique, singulièrement stimulante par ses contrastes rythmiques et ses changements de couleurs dans cet opéra.
Sa connaissance de la Commedia dell'Arte italienne y rencontre également un univers où s'accomplir, avec numéros de cirque, déguisements multicolores, et effets pyrotechniques.

Le Prince prend ainsi un regard de Pierrot, pour lequel Charles Workman aura marqué le rôle jusqu'à aujourd'hui avec sa gestuelle légère et ample, son timbre blessé mâtiné de blanc, et quelques fissures vocales qui n'en réduisent en rien l'authenticité.

Charles Workman (Le Prince) et Amel Brahim-Djelloul (Ninette)

Charles Workman (Le Prince) et Amel Brahim-Djelloul (Ninette)

Comme tout le monde y retrouve - des spectateurs aux chanteurs - la légèreté de l‘enfance, l'ensemble de la distribution interagit avec naturel et amusement.
Elle est variée en couleurs depuis le Tchélio sonore de Vincent Le Texier - avec bien peu d'efforts d'élocution – à la toute fragile Amel Brahim-Djelloul, et se distingue un chanteur, Eric Huchet, jusqu'à présent limité à des rôles mineurs, qui aura montré sa capacité à imposer une présence physique et vocale très assurée.

Sous la direction transparente et bien équilibrée, mais un peu trop sage, d'Alain Altinoglu, l'opéra s'achève sur le grand éclat de la célèbre Marche, reprise volontairement pour voir défiler une dernière fois chanteurs et comédiens, et finir sur une note festive et énergique bienvenue.

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Publié le 15 Septembre 2009

Wozzeck (Alban Berg)
Répétition générale du 14 septembre 2009
Opéra Bastille

Direction musicale Harmut Haenchen

Mise en scène Christoph Marthaler

Wozzeck Vincent Le Texier
Marie Waltraud Meier
Le Tambour-major Stefan Margita
Le Capitaine Andreas Conrad
Le Docteur Kurt Rydl
Margret Ursula Hesse von den Steinen
Andres Xavier Moreno

Vous voulez vivre les débordements sentimentaux de la vie. Alors Mireille est pour vous, à condition que vous arriviez à obtenir une entrée à l’Opéra Garnier.

A moins que ce ne soit un autre aspect de la vie qui vous intéresse, sa violence et la manière dont elle se diffuse et se restitue, sans qu’au bout du compte l’on sache qui est victime ou bien bourreau.

Rien que pour vous Harmut Haenchen pousse l’Orchestre de l’Opéra de Paris dans ses dimensions les plus extrêmes, comme un corps grand ouvert d’où battent les pulsations d’un cœur à vif dans une direction, se fracassent ailleurs des matériaux métalliques d‘une intensité qui tente de saturer l‘auditeur, puis émergent des sonorités frémissantes, une pâte sonore large qui vous agrippe et ne cherche nullement à charmer.

Sylvain Cambreling avait paru bien lyrique lors de la création, il y a deux ans.
Aujourd’hui il s’agit également d’harceler le spectateur.

Vincent Le Texier (Wozzeck)

Vincent Le Texier (Wozzeck)

Vincent Le Texier n’est plus un Wozzeck intériorisé. Il renvoie sa souffrance, semble plus proche d’une déchéance spirituelle et physique immédiate, son sort est déjà réglé. Le timbre n’est pas aussi beau que Simon Keenlyside, mais nous avons ici un rôle encore plus crédible, où pitié et malaise se mélangent.

Du côté des méchants, Kurt Rydl est un docteur absolument sordide, lorsque le vibrato de son chant, combiné à la musique, conduit vers le mal au cœur.
Que ce soit Andreas Conrad, aux aigus inhumainement saillants, ou bien Stefan Margita d’une liberté expressive surprenante, c’est un entourage infernal qui enserre le pauvre marginal.

Waltraud Meier est à cette occasion dans une forme vocale que certains n’attendent sans doute pas. Entendez simplement son cri « Rühr’ mich nicht an! (Ne me touche pas!) ». Demain il résonnera encore.

Elle a ici la dimension d’une femme mûre, bien moins inconsciente que ne l’incarnait Angela Denoke à la création, mais paraît aussi un peu étrangère à cette vie sans espoir autour d’elle. 

Waltraud Meier (Marie)

Waltraud Meier (Marie)

Cette reprise de la production de Christoph Marthaler qui repose sur plusieurs points forts - le rapport vitalité des enfants/vitalité de la musique, l’exclusion qui se détermine dès l’enfance, la complexité du décor unique et de ses éclairages, le pianiste qui fuit subitement l'hystérie générale - est à nouveau d’une force phénoménale, un prolongement plus que nécessaire du travail théâtral qu’a effectué Gerard Mortier pendant cinq ans. 

Lire également la présentation de Wozzeck.

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Publié le 3 Mai 2009

L'Affaire Makropoulos (Janacek)
Répétition générale du 02 mai 2009
Opéra Bastille

Direction musicale Tomas Hanus
Mise en scène Krzysztof Warlikowski

Emilia Marty Angela Denoke
Albert Gregor Charles Workman
Jaroslav Prus Vincent Le Texier
Vítek David Kuebler
Krista Karine Deshayes
Janek Ales Briscein
Maître Kolenaty Wayne Tigges
Hauk-Sendorf Ryland Davies

Production créée en avril/mai 2007
Coproduction avec le Teatro Real
de Madrid

 

                  Angela Denoke (Emilia Marty)

Reprenons de manière simple la trame de cette affaire :

Au début du XVIIième siècle, une jeune femme, Elina Makropoulos, absorbe un breuvage qui rallonge pour des siècles sa vie.
Tous les 60/70 ans, elle doit changer d'identité, mais s’arrange pour conserver ses initiales.

Angela Denoke (Emilia Marty) et Charles Workman (Albert Mc Gregor)

Angela Denoke (Emilia Marty) et Charles Workman (Albert Mc Gregor)

En 1820, sous le nom de Elian Mac Gregor, Elina a un fils, Ferdinand (non reconnu officiellement), né de sa relation avec le baron Prus.

A la mort du baron, l'héritage est transmis à son cousin, jusqu'à ce qu'un dénommé Mc Gregor vienne réclamer sa part.

S'en suit un procès Mc Gregor/Prus qui va durer un siècle.

Au XXième siècle, Elina Makropoulos devient Emilia Marty, une célèbre chanteuse.

Impliquée dans l'affaire, Emilia Marty cherche à récupérer des documents auprès de l'avocat Koleanaty, puis de Jaroslav Prus, qui pourraient être la preuve de la filiation de Ferdinand Mc Gregor.

                             Angela Denoke (Emilia Marty)

Ils contiendraient également le secret de l’Elixir de vie.

Pour compliquer la chose, Albert Mc Gregor (le descendant) courtise Emilia, elle même prise en admiration par la jeune Krista dont le fiancé Janek, qui n'est autre que le fils de Prus, va finalement craquer pour cette artiste éternelle.
Même Jaroslav Prus est attiré par la chanteuse.

A l’exception de Paul Gay remplacé par David Kuebler en Vítek, la distribution qui avait si bien défendu l’ouvrage en 2007 est intégralement reconduite.

Angela Denoke s‘immerge tout autant dans la peau de la chanteuse (devenue actrice dans la mise en scène), avec ce quelque chose de glacial et d’acéré dans le regard, et avec une désinhibition totale devant le rôle provocant qu’elle doit tenir.
Vocalement, elle est éblouissante.

Il y avait bien des réserves pour son Fidelio à Garnier en novembre 2008, mais ici il faut imaginer un timbre galbé qui l’humanise tout en exprimant une sorte de gravité désespérée, des couleurs dorées, une ampleur impressionnante.

Karine Deshayes (Krista)

Karine Deshayes (Krista)

Chaque année, Karine Deshayes surprend d’avantage. Elle gagne encore en présence, en impact et sensualité vocale, une joie de vivre pleine de sincérité.

Il serait quand même temps de lui proposer de vrais premiers rôles. Et bien justement, sa Rosine dans la reprise du Barbier de Séville à l’automne prochain, va rendre nécessaire de se déplacer à Bastille.

 

Plus besoin de présenter le ténor Charles Workman. On est, ou l’on est pas, sensible à une voix qui suggère une âme emplie de mélancolie très identifiable.

C’est également un acteur rodé aux metteurs en scène chers à Gerard Mortier (Deflo, Engel, Warlikowski).

Vincent Le Texier (futur Jochanaan la saison prochaine), se démarque surtout par sa fermeté.

Pour Krzysztof Warlikowski, l’Affaire Makropoulos est une superbe occasion de projeter le mythe des grandes actrices du cinéma américain des années 30 à 60 sur le personnage d’Elina Makropoulos

L'espace scénique est une alternance entre un studio cinéma décoré de bakélite, et l'intimité des salles d'eau où se déroulent les échanges les plus forts entre les protagonistes.

 

Charles Workman (Albert Mc Gregor)

La Marilyn Monroe de « The seven Year Itch » (Billy Wilder 1955) se transforme en Rita Hayworth dans « Gilda » (Charles Vidor 1946), pour redevenir la Marilyn de « Something’s got to give » (George Cukor 1962) qui inspire la dernière scène où Emilia disparaît au fond d’une piscine.

L'Affaire Makropoulos (reprise 2009) msc K. Warlikowski à Bastille

Chaque acte est précédé de projections video contribuant aussi bien à l'immersion dans ce monde cinématographique qu'à la cohérence de cette transposition.

L'ouverture sur les images de Marilyn Monroe véhicule une merveilleuse nostalgie, alors que la descente pathétique du grand escalier par Gloria Swanson dans « Sunset Boulevard » (Billy Wilder 1950), aboutit sur le dénouement du dernier acte.

Angela Denoke (Emilia Marty)

Angela Denoke (Emilia Marty)

Ces femmes, auxquelles hommes et femmes vouent un amour éternel, sont également objet d’un désir sauvage et animal.

Cet aspect primitif se retrouve dans la musique (l'emploi des timbales) et également dans tout le livret, « On se prend à flairer comme un animal sauvage, vous éveillez quelque chose d’effrayant. » cède Mac Gregor à Emilia Marty.

Ainsi, parmi les chefs d’œuvres du cinéma américain, vient s’incruster « King Kong » (1933), restitué sous forme d’un colossal buste, les yeux rouges de désir, et d’une main possessive d’où s’extrait Emilia.

Krzysztof Warlikowski ose toutes les scènes suggérant cette animalité ambiante (Mac Gregor reniflant les sous-vêtements de l’actrice).

Il y a bien le vieux Hauk-Sendorf, dans les bras duquel l'actrice retrouve une sincère affection, mais cette femme fascinante n'ayant pas réussie à être aimée pour elle même, laisse tomber son désir d'éternité qui l'a rendue malheureuse.

La jeune Krista, prête à l'imiter, ne récupère pas le secret de l'élixir, ce qui lui évitera les mêmes désillusions.

Sur le plan visuel, on remarque un soucis que le metteur en scène a à chaque fois qu’il monte ses pièces de Théâtre (en langue polonaise) : l’incrustation du texte sur le décor, qui permet à l’auditeur de suivre le fil sans détourner l’attention de la scène.

C’est toujours très réfléchi, mais à Bastille le dispositif semble souffrir d’un contraste insuffisant par rapport à la luminosité de la scène.

L'ensemble baigne dans les couleurs un peu metalliques que tire Tomas Hanus d'un orchestre dirigé vers un accord théâtral parfait.

Alors si l'on ne peut s'empêcher de faire des rapprochements entre la Salomé de Strauss et Elina Makropoulos, ne serait ce que par les allusions à sa perversité, il en va tout autant des phrases musicales, si souvent belles sous la baguette du chef tchèque, et si riches dans leur complexité.

Ce spectacle prodigieux, le plus beau résultat (en attendant le Roi Roger) de la confiance manifeste de Gerard Mortier envers un artiste doué, est une coproduction avec le Teatro Real de Madrid.

Angela Denoke (Emilia Marty)

Angela Denoke (Emilia Marty)

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Publié le 6 Juillet 2007

L'Affaire Makropoulos (Leos Janacek)
Répétition générale du mercredi 25 avril 2007 (Bastille)


Direction musicale Tomas Hanus
Mise en scène Krzysztof Warlikowski

Emilia Marty Angela Denoke
Albert Gregor Charles Workman
Jaroslav Prus Vincent Le Texier
Vítek David Kuebler
Krista Karine Deshayes
Janek Ales Briscein
Maître Koleanaty Paul Gay
Hauk-Sendorf Ryland Davies

Représentations du 27 avril au 18 mai.

Avant la répétition générale de mercredi soir, j'avais jugé utile de me faire un petit résumé de l'histoire pour ne pas être trop perdu. Je le restitue ci dessous.

Au début du XVIIème siècle, un élixir prolonge pour des siècles la vie d' Elina Makropoulos.
Tous les 60/70 ans elle doit donc changer d'identité, mais peut conserver ses initiales.

En 1820, sous le nom de Elian Mac Gregor, elle a un fils, Ferdinand (non reconnu officiellement), né de sa relation avec le baron Prus.
A la mort de ce dernier, l'héritage est transmis à son cousin, jusqu'à ce qu'un dénommé Mc Gregor vienne réclamer sa part.
S'en suit un procès "Mc Gregor/Prus" qui va durer un siècle.

Au XXème siècle, Elina Makropoulos s'appelle dorénavant Emilia Marty, une célèbre chanteuse.
Impliquée dans cette affaire, Emilia Marty cherche à récupérer des documents auprès de l'avocat Koleanaty, puis auprès de Prus, qui pourraient être aussi bien le secret de l'élixir de vie que la preuve que Ferdinand Mc Gregor est bien son fils.

Pour compliquer la chose, Albert Mc Gregor (le descendant) courtise Emilia qui est elle même prise en admiration par la jeune Krista dont le fiancé Janek, qui n'est autre que le fils de Prus, va finalement craquer pour cette artiste éternelle.

Cette œuvre est une aubaine pour Krzyzstof Warlikowski, car elle lui permet de projeter sa passion pour l'univers du cinéma Américain des années 30-50 et pour les vedettes immortelles auxquelles hommes et femmes peuvent vouer un amour éternel. 
King Kong semble ici employé pour symboliser cet amour infini et impossible.

L'espace scénique est une alternance entre un studio cinéma décoré de bakélite et l'intimité des salles d'eau où se déroulent les échanges les plus forts entre les protagonistes. 
Chaque acte est précédé de projections vidéo contribuant aussi bien à l'immersion dans ce monde cinématographique qu'à la cohérence de cette transposition. 
 
L'intensité vocale et la performance d'actrice d'Angela Denoke ne devrait laisser personne indifférent.

Lire également les impressions plus détaillées de la reprise de l'Affaire Makropoulos en 2009.

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