Histoire de l'Opéra, vie culturelle parisienne et ailleurs, et évènements astronomiques. Comptes rendus de spectacles de l'Opéra National de Paris, de théâtres parisiens (Châtelet, Champs Élysées, Odéon ...), des opéras en province (Rouen, Strasbourg, Lyon ...) et à l'étranger (Belgique, Hollande, Allemagne, Espagne, Angleterre...).
Ballet en 7 tableaux :Signe du sourire, Loire du matin, Mont de Guilin, Les Moines de la Baltique, L’esprit du Bleu, Les couleurs de Maduraï, Victoire des signes.
Kader Belarbi et Marie Agnès Gillot
Avec ses décors et costumes d’une variété et d’une beauté exceptionnelles, l’onirisme de Signes est un incroyable stimulant de notre propre imaginaire.
L’humanité qui est figurée rivalise d’expressions mécaniques comme pour rythmer le temps qui passe, se prend de convulsions puis se laisse aller à une fluidité de mouvements jusqu’au tableau le plus romantique de « l’esprit du bleu. »
Marie Agnès Gillot (L'Esprit du Bleu)
S’y retrouve également un mélange de peintures paysagistes vivement colorées et de civilisations naïvement esthétisées, si nécessaires pourtant à une époque où les rêves œcuméniques menacent de s’effondrer.
L’écriture mélodique de René Aubry s’apparente à celle des musiques répétitives de Philip Glass et draine autant d'humour que de mystère.
Marie Agnès Gillot, Kader Belarbi et l’ensemble du corps de ballet y sont magnifiques.
Il n’y a que les artistes pour vivre ces départs incroyables sous confettis et applaudissements en compagnie de leurs proches. Cet après-midi, Kader Belarbi tirait sa révérence.
Don Carlo (Giuseppe Verdi) Représentation du 06 juillet 2008 à l’Opéra Bastille
Don Carlo Stefano Secco Elisabeth Tamar Iveri Rodrigue Dimitri Hvorostovsky La princesse Eboli Yvonne Naef Le roi d’Espagne Philippe II Ferruccio Furlanetto Le Grand Inquisiteur Mikhael Petrenko Un frère, Charles Quint Paul Gay Tebaldo Elisa Cenni
Direction musicale Teodor Currentzis Mise en scène Graham Vick
Le profond désespoir qui traverse « Don Carlo », les sentiments qui se fracassent aux rôles sociaux malgré la volonté de chaque protagoniste à conduire son destin, pourraient figurer l’âme de toute une vie.
Cette noirceur trouve une illustration parfaite dans l’atmosphère tamisée et les subtils éclairages voulus par Graham Vick.
Et c’est aussi un peu de nostalgie pour ceux qui découvrirent cette mise en scène il y a tout juste dix ans à l’Opéra Bastille.
Les points forts ne manquent pas. Stefano Secco se révèle d’entrée un Don Carlo juvénile, impulsif, volontaire et immature, avec une projection vocale absolument éclatante.
Elisa Cenni (Tebaldo) et Yvonne Naef (Eboli)
Cette énergie folle se heurte au vieux lion théâtralement parfait : Ferruccio Furlanetto.
Chaque échange est une confrontation tendue et cette voix puissamment caverneuse fait pâlir légèrement l’Inquisiteur défendu très honorablement parMikhael Petrenko,bien qu’un peu jeune pour maintenir constamment pareille intensité.
Dans le registre basse, Paul Gay est un moine très bon d'autant plus que situé en fond de scène il lui faut passer un orchestre gonflé à bloc.
Tamar Iveri, très touchante dans son duo avec Don Carlo est aussi d’une grande dignité et d’une grande intelligence pour libérer toute sa tension dans un « Tu che le vanità conoscesti del mondo» à la douleur prenante. Ailleurs la recherche de nuances la rend parfois confidentielle.
Reprendre le rôle d’Eboli après Dolora Zajick et Olga Borodina n’a également rien d’évident. Alors bien sûr Yvonne Naef n’a peut être pas l’agilité de la première et la sensualité de la seconde, mais l’agressivité et le tempérament (un peu trop outré) sont là. Tout le chant du haut médium au grave est d’une grande profondeur de souffle, ce qui lui permet même de maintenir très longtemps les piani de la chanson du voile.
Tamar Iveri (Elisabeth)
Seules ses limites dans l’aigu l’obligent à les écourter et les adoucir pour privilégier la musicalité et limiter ses défauts de justesse.
Le duo avec Elisa Cenni (Tebaldo) est par ailleurs d’une grande gaîté.
C’est en fait la star du Metropolitan Opera qui aura un peu déçu.
Sans doute Dimitri Hvorostovsky compte t’il trop sur son charme pour limiter au minimum son investissement scénique. La voix porte souvent vers l’arrière, ne s’impose que de manière inégale, et finalement, le chanteur donne l’impression de tout miser sur la scène de la prison, qu’il chante avec une fluidité remarquable.
Stefano Secco (Don Carlo)
Avec le très jeune Teodor Currentzis (35 ans), Verdi ressuscite avec impertinence et fougue.
D’une gestique vive et ornementale, le chef se laisse porter par le lyrisme de la partition au point de soulever un flot dont émergent de ci de là quelques désynchronisations. Mais ce sont les risques nécessaires pour tenir la fosse dans une vitalité admirable, accélérant avec pertinence et rythmant puissamment les passages spectaculaires.
Et puis il y a ces sonorités éclatantes comme dans l’ouverture du dernier acte, où les motifs des cuivres sont considérablement amplifiés pour accroître la tension, ronflant là où les enregistrements ne signalent que des mouvements discrets.
C’est donc avant tout l’expression de la personnalité exubérante de Currentzis qui plaira ou pas.
Cette reprise de la version Milanaise de Don Carlo (1884) inclut une petite surprise musicale : la réintroduction du duo Philippe II / Don Carlo déplorant la mort de Rodrigue.
Ce passage supprimé dés la création de « Don Carlos » à Paris en 1867 est ici restitué en italien bien évidemment, à la fois en clin d’œil à la version parisienne et pour faire revivre l’hommage fort à l’ami des deux hommes.
Répétition générale du 17 juin 2008 à l’Opéra Bastille
LouiseMireille Delunsch JulienGregory Kunde La MèreJane Henschel Le PèreAlain Vernhes Un noctambule, le marchand d’habitsLuca Lombardo
Direction musicalePatrick Davin Mise en scèneAndré Engel Chef des chœursAlessandro Di Stefano
La manière dont les œuvres se répondent cette saison à l’Opéra National de Paris évoque un tissu musical complexe à travers lequel les thèmes se croisent. Cardillacse situait à la croisée des motifs de l’Opéra Allemand, de l’Opéra du XXème siècle et de la ville de Paris, et donc André Engelretrouve avec « Louise » la capitale française, ses toits décidément toujours aussi fréquentés, l’Opéra contemporain français bien entendu et à nouveau la condition d’une femme qui vit chez son père.
Mireille Delunsch (Louise)
Il paraît que l’on y entend un fleuve wagnérien chatoyant de délicatesses dignes de Massenet, et pourtant l’atmosphère du bonheur parental au second tableau vaut assurément la sereine euphorie du duo deRoméo et Julietteimaginé par Berlioz.
Patrick Davinn’a alors de cesse de dépeindre les lignes mélodiques en accordant un soin immense à l’harmonie avec les chœurs sans que la scène de fête n’en devienne assourdissante. Ce transport en est d’autant plus appréciable que le livret peine à passionner.
EnGregory Kunde, Louise trouve un Julien mature, un homme peut être plus solide que poète, mais qu’elle sait pouvoir suivre les yeux fermés, alors qu’Alain Vernhes, d’apparence père tranquille,offre un grand moment de théâtre lorsque sa colère éclate.
Mireille Delunsch (Louise)
Sans trop de surprise, Mireille Delunsch joue magnifiquement ce rôle de jeune fille un peu gauche et rêveuse, Jane Henschel est toujours aussi impeccable dans les rôles de femmes fortes et dirigistes, et, avec ses petits airs de fils idéal, Luca Lombardo offre une générosité d'âme évidente.
« Louise » fait écho à « La Bohème ». Alors qu'il y a deux ans l’atelier d’artistes de l’opéra de Puccini comportait une affiche de «Cardillac », Gerard Mortier nous rappelle cette fois de ne pas oublier d’aller voirl’Affaire Makropoulosl’année prochaine. Au passage de la station de métro "Montmartre",un irrésistible sens du message subliminal en somme!
« Ce ne sont pas mes productions qui sont scandaleuses mais le public qui fait du scandale! », et c’est avec ce délicieux bon sens que Gerard Mortier défendait il y a encore quelques jours ses choix sur France Musique face à un Lionel Esparza absolument ravi.
Renate Jett (Iphigénie)
Car Iphigénie en Tauride dans la mise en scène de Krzysztof Warlikowski avait suscité une agitation rare à l’Opéra Garnier en juin 2006, houle de huées massive lors de la première, interruptions de la représentation, invectives, et nous pouvons imaginer la nature des courriers qui arrivèrent sur le bureau de la direction de l’Opéra National de Paris à la veille de l’été.
Il n’est donc pas inutile de rappeler le contexte de création de ce spectacle. Isabelle Huppert originalement prévue pour mettre en scène Iphigénie se décommanda cinq mois avant la première, ne laissant alors que deux mois àKrzysztof Warlikowski pour y réfléchir.
Et comme en juillet 2005, le metteur en scène polonais venait de triompher à Avignon avec la pièceKrum, il possédait déjà une matière lui permettant d’immerger le spectateur dans son univers et de s’intéresser à nouveau à un personnage qui a raté sa vie.
Mireille Delunsch (Iphigénie)
Krzysztof Warlikowski suppose, et il a raison, que le spectateur est intelligent et peut comprendre des dispositifs scéniques rapprochant passé et présent dans un même espace.
C’est ce qu’il fait en présentant Iphigénie comme une vieille dame s’accrochant jusqu’au dernier souffle à sa dignité (habillée en grande classe parmi les personnes âgées d’une maison de retraite) et se remémorant sa vie dramatiquement sacrifiée par sa famille.
Réapparaît alors une seconde Iphigénie, jeune cette fois, jouée en alternance par la soprano ou bien la fantastique actrice Renate Jett que nous avons revu dans Parsifal.
Le point de départ est le mariage d'Iphigénie avec Achille qui finalement n'aura pas lieu, la jeune fille se retrouvant sous l'emprise de Thoas une fois arrivée en Tauride.
Cette vision psychanalytique reconstitue l’enchaînement des pulsions criminelles qui conditionnent la famille des Atrides (meurtres d’Agamemnon par Clytemnestre, de Clytemnestre par Oreste et enfin d’Oreste par Iphigénie qui sera ici arrêté à temps).
Pour renforcer la violence de cette histoire et son caractère obsessionnel, Krzysztof Warlikowski manie des éclairages aussi bien rouge éclatant que vert crépusculaire.
Mais ce sont avant tout les miroirs semi réfléchissants qui permettent de disloquer le champ théâtral.
Selon l’angle d’attaque des lumières, la salle et l’avant scène se reflètent totalement, ou bien l’arrière scène se superpose aux reflets des glaces, comme nos propres images mentales peuvent interférer.
Yann Beuron (Pylade) et Franck Ferrari (Thoas)
Il faut reconnaître que la dimension confuse du dispositif peut égarer un peu le spectateur.
Il en ressort des scènes particulièrement malsaines, comme le meurtre de Clytemnestre par Oreste exécuté par un acteur totalement nu et frappant sa mère à chaque fois que le chœur reprend « il a tué sa mère ».
Ce sont également des images de solitude poignante et de vide affectif (Iphigénie tenant son coussin au moment de choisir l’homme qu’elle épargnera), et enfin l’apaisement final après le meurtre de Thoas qui libère la prêtresse d’un poids écrasant.
Il y a deux ans, Maria Riccarda Wesseling avait été une Iphigénie adéquate à cette vision et prenait plaisir à chanter dans des postures inhabituelles. Mireille Delunsch se plie également à la volonté de K.Warlikowski mais de manière plus mesurée et plus inégale vocalement dans sa projection sonore. Le timbre accentue un sentiment d’angoisse étriquée.
Yann Beuron paraît un peu las mais toujours aussi doux et c’est surtout Stéphane Degout qui porte le duo d’hommes dont la force émotionnelle des dialogues reste scéniquement traitée avec beaucoup de pudeur.
Frank Ferrari est un Thoas absolument parfait par sa noirceur et les réactions de rejet qu’il dégage, et si Ivor Bolton tire des couleurs parfois scintillantes de l’orchestre il se laisse aussi emporter par le drame sans trop penser aux chanteurs.
Représentations du 24 et du 31 mai 2008
Opéra Bastille
Direction musicale Evelino Pidò
Mise en scène Robert Carsen
Giulietta Anna Netrebko (24 mai)
Patricia Ciofi (31 mai)
Romeo Joyce DiDonato
Tebaldo Matthew Polenzani
Lorenzo Mikhail Petrenko
Capellio Giovanni Battista Parodi
Il est fort peu probable que Bellini aurait imaginé que près de deux siècles plus tard sa version de « Romeo et Juliette » puisse recueillir un tel succès. Il ne reste pas grand-chose du drame de Shakespeare et donc tout repose sur le savoir faire mélodique du compositeur et surtout les qualités vocales des interprètes.
Car « Les Capulets et les Montaigus » est un opéra créé pour de belles voix.
La force des sentiments liant les amants s’y exprime d’une manière telle que les déclamations initiales de Tebaldo, pourtant vaillantes un instant, pâlissent et s’effacent définitivement lors de leur premier duo.
Anna Netrebko (Giulietta)
Anna Netrebko était donc très attendue pour sa première apparition à l’Opéra de Paris, et indéniablement nous avons eu droit à un festival vocal.
La souplesse et la pureté des lignes portent parfois préjudice à l’élocution mais il y a chez la soprano russe un plaisir évident à jouer d’une puissance qui surprend tout spectateur et lui rappelle ainsi qu’il n’entend pas un chant d’une soudaine ampleur tous les jours. Surtout que la dame n’est pas avare de petits ornements de ci de là effectués avec une aisance stupéfiante.
Sans doute cela réveille t-il aussi une certaine nostalgie d’une époque où des chanteuses et chanteurs spectaculaires galvanisaient un public au bord de l’hystérie.
Seulement, nonchalance et jeu scénique très prévisible contribuent aussi à diluer une impression d’indifférence et un état d’esprit tourné plus vers le démonstratif que vers l’identification à un personnage.
A cet égard, Joyce Di Donato, qui s’était déjà révélée une interprète idéale de la fougue adolescente
d’Idamante (Idomeneo), réédite une incarnation enflammée du rôle de Roméo avec une audace parfois très risquée. Elle est capable d’exprimer une variété de sentiments en une seule phrase traduisant ainsi le chaos intérieur des émotions au travers duquel l’élan chevaleresque et passionné du jeune homme reste imparable.
Les duos avec Giulietta sont à chaque fois des moments où le temps perd tout son sens à la manière des sensations d’enivrement. C’est très particulier et d’ailleurs dans cet opéra l’action importe peu.
A partir de l’endormissement de la fille de Capuleti, Joyce Di Donato devient affectée par une douleur incroyablement déchirante, le final où les deux femmes meurent étant un drame aussi bien pour l’œuvre elle-même que pour le spectateur qui se trouve privé de deux des plus belles voix qu’il ait entendu depuis longtemps.
Joyce Di Donato (Romeo)
Le triomphe fait aux deux chanteuses est sans appel.
Mais soyons juste, Matthew Polenzani est sans doute un des meilleurs ténors capables d’interpréter Tebaldo.
C’est très étrange, l’émission est très affirmée et s’appuie sur un souffle d’une grande profondeur, mais en même temps les vibrations du timbre lui donnent comme une sorte de fragilité qui le débarrasse de toute arrogance.
C’est à l’occasion deLucia di Lammermooril y a deux ans que le chanteur s’était petit à petit affirmé dans le rôle d’Edgar. La belle assurance affichée aujourd’hui confirme la voie choisie.
Mikhail Petrenko et Giovanni Battista Parodi sont tout à fait biens dans leurs rôles, et ce n’est pas moi qui critiquerait le style trépidant de la direction d’ Evelino Pidò, bien que tenir le rythme n’a pas toujours semblé évident pour les choristes.
Joyce DiDonato (Roméo) et Anna Netrebko (Juliette)
La mise en scène d’un Robert Carsen de jeunesse se concentre sur l’essentiel : le rouge des Capulets (parti des Guelfes lié au Pape), bras droit d’une religion oppressive et sanglante, s’oppose au noir, tout autant tragique, des Montaigus (parti des Gibelins lié à l’Empereur).
Se distingue une belle idée qui consiste à laisser Giulietta endormie après avoir bu le breuvage somnifère, tandis que les soldats morts se lèvent pour se réconcilier au cours d’un bref passage dans le monde des esprits.
Mais maintenant il reste à entendre la Giulietta de Patricia Ciofi , tragédienne née.
De retour donc à l’Opéra Bastille, une semaine plus tard, pour retrouver la chanteuse italienne remplaçante d’Anna Netrebko pour au moins trois soirs.
L’amateur de vérité humaine ne peut que sortir convaincu de cette représentation, tant Patricia Ciofi possède le talent de rendre son personnage émouvant. D’aucun soulignera sans doute que sa Giulietta ressemble à Lucia ou Traviata, mais la manière dont l’auditeur est pris par l’interprétation diffère fortement du vécu le jour de la première.
Patricia Ciofi (Giulietta)
Si la soprano Russe jouait sur le pouvoir psychique de sa puissance virtuose et de sa beauté glamour, avec madame Ciofi le sentimentalisme de chacun est bien plus sollicité par la délicatesse de la voix, des gestes et de son regard tragiquement illuminé.
Toute la légèreté de l’aigu envahit la salle et révèle une pureté d’âme qui touche au cœur.
Le jeu avec Joyce di Donato (à nouveau passionnément exaltée) en est également plus caressant et sensuel.
Joyce DiDonato (Roméo) et Patricia Ciofi (Juliette)
Ce soir, Matthew Polenzani affiche encore plus de subtilité et laisse un peu de côté son caractère incisif.
L'intensité vécue par les spectateurs n'est que très justement retournée vers les artistes au rideau final en remerciement pour cette soirée mémorable.
Violetta Urmana (Salle Pleyel)
Récital du 20 mai 2008
Richard WagnerWesendonck-Lieder Sergueï RachmaninovKak mne bol’no, Vocalise, Dissonans, Zdes’ khorosho, Vesennije vodv Richard StraussFrühlinsgedränge, Wasserrose, Wir beide wollen springen, Belfreit, Zueignung, Mit deinen blauen Augen, Schlechtes Wetter Giacomo PucciniVissi d’Arte Amilcare PonchielliSuicidio Giuseppe VerdiPace, Pace
En voilà une découverte ! La soprano lituanienne possède des moyens qui lui permettraient de réussir un long vol dans les grands rôles italiens sans trop se poser de questions.
Et bien elle est venue ce soir montrer l’étendue de son répertoire et de ses affinités avant d’incarner Lady Macbeth à Bastille.
Violetta Urmana
Car son timbre un brin acide suggère comme une sorte de lucidité, une émotion maîtrisée adéquate aux mélodies du XXième siècle, les aigus sidérants d’aplomb ne l’entravant même pas lorsqu’il faut aller chercher les graves les plus sombres du « Suicidio ».
Violon de Poulenc, Cäcilie de Strauss, Coplas de Curro Dulce d'Obradors et une chanson folklorique lituanienneen bis généreux, rares aujourd’hui sont les chanteuses capables d’offrir de telles étendues musicales (et l’on repense à Julia Varady).
Angels in America (Tony Kushner)
Représentation du 17 mai 2008 (Théâtre du Rond Point)
Durée 5H45 mn (dont un entracte)
Andrzej ChyraRoy M.Cohn Tomasz Tyndyk Prior Walter Jacek Poniedzialek Louis Ironson Maciej Stuhr Joe Porter Pitt Maja Ostaszewska Harper Amaty Pitt Danuta Stenka Ethel Rosenberg Boguslawa SchubertHannah Porter Pitt Rafal Mackowiak Belize Magdalena Cieleckathe Angel Zygmunt Malanowicz Martine Heller
Mise en scène Krzysztof Warlikowski
Après le téléfilm de près de 6h réalisé par Mike Nichols en 2003, d’où jaillit un fantastique magnifique, puis l’opéra de Peter Eötvös mis en scène de manière fort émouvante au Châtelet en 2004, voici dont la version Warlikowski.
Tomasz Tyndyk (Prior Walter)
Aucun apitoiement ici ; le style est toujours aussi direct, violemment contradictoire lorsqu’il s’agit d’opposer les pulsions de Joe Porter Pitt à sa morale mormone, de montrer la nature oppressive du parti républicain ou d’exposer des êtres de chair.
Le metteur en scène réussit très bien à lier l’évolution du couple d’hommes et du couple mormon, en entrelaçant leurs vies sur scène et leurs dialogues pour mieux montrer les forces communes qui les animent.
La rencontre entre Roy M Cohn et Ethel Rosenberg est un admirable parallèle avec la scène hallucinatoire d’Hermann
face à la Comtesse dans « La Dame de Pique », et la transformation de Prior en Jésus à la chevelure enlaidie en dit long sur la manière dont la religion catholique peut faire porter toute sa propre culpabilité sur celui qu’elle juge comme le symbole du péché.
Et puis, il y a cette ambiance sonore qui semble installer un faux confort, mais dont nous sommes parfois sortis de manière brutale comme cet hymne américain version Metal et très agressif qui nous fait comprendre trop bien le sentiment de révolte envers l’Amérique républicaine.
Andrzej Chyra (M. Cohn) et Danuta Stenka (Ethel)
L’insertion des surtitres est en revanche moins bien réussie que dans les autres pièces de Warlikowski (beaucoup trop surélevés), et peut être aurait-il mieux valu couper du texte écrit pour permettre de lire l’essentiel.
Mais quelle vie sur scène !
Un grand moment de frisson restera l’intervention de l’Ange avec sa voix surnaturelle et mystique.
Maciej Stuhr (Joe Porter) et Maja Ostaszewska (Harper Amaty)
De ce monde qui semble si vrai et chaotique, Prior Walter réssuscite enfin en costume bleu ciel et étincellant comme un grand soulagement.
Après Krum,Parsifal etIphigénie en Tauridedans quelques jours, la saison 2007-2008 place Krzysztof Warlikowski au centre de la vie Théâtrale parisienne.
Profitons en car il semblerait que Nicolas Joël, futur directeur de l’Opéra de Paris compte se débarrasser de toutes les productions de l’artiste polonais. Pour le bonheur d’un public traditionnel, craintif et avide de confort sans doute.
D'après "deux impromptus à loisir" de René de Obaldia
Représentation du 11 mai 2008
Avec Elsa Hammane, Olivier Nikolcic, Thomas Villani
Mise en scène Aurélie Schenert-Nardelli
Après avoir vu ce spectacle d'une heure et demie, il apparaît que le mode fantaisiste choisi par Aurélie Schenert-Nardelli convient parfaitement bien au récit extravagant de ces deux femmes qui cherchent à donner sens à leur vie autour du "Défunt".
Alors il est vrai que la transition avec la deuxième Impromptue, "L'Azote", ne paraît pas évidente.
Mais petit à petit, lorsque l'on prend conscience de son sujet, les inepties de la guerre, il est impossible de ne pas penser à la mise en scène récente deParsifalpar Krzysztof Warlikowski à l'Opéra Bastille.
En effet le deuxième acte se concluait dans une absurdité totale où Parsifal, prenant conscience de sa force après le baiser de Kundry, provoquait en toute innocence la destruction du monde de Klingsor, spectacle insensé se déroulant sous les yeux ahuris d'un enfant.
Dans les deux cas nous y voyons le danger de la glorification d'une certaine virilité par la guerre.
Et dans les deux cas également, la dénonciation des "Jeux d'enfants" de ces héros inconscients et de leurs conséquences, s'achève sur la réhabilitation des valeurs d'amour et de tendresse.
De ce jeu de masques qui évoque tant Glenn Close se démaquillant lors de la scène finale des "Liaisons dangereuses" (Stephen Frears),Elsa Hammane trouve des expressions du visage réjouissantes et sans cesse variées, tandis que ses deux partenaires masculins,Olivier Nikolcic et Thomas Villani, doivent composer avec des rôles totalement à contre emploi : une femme et une brute épaisse.
Du drôle sur des sujets graves en somme.
En avril et mai 2008, le samedi à 17H00, et le dimanche à 19H30
Représentation du 05 mai 2008 (Théâtre des Champs Elysées)
Veronica Cangemi, Morasto Sandrine Piau, Licori Philippe Jaroussky, Osmino Barbara di Castri, Giunone, Elpina Topi Lehtipuu, Narete Lorenzo Regazzo, Eolo, Oralto
Ensemble Matheus
Jean-Christophe Spinosi, direction
C’est avec un sens immense de la nuance, un raffinement proche de la préciosité, que Jean Christophe Spinosi et l’ensemble Matheus nous ont installé d’emblée dans un état d’esprit béat.
Veronica Cangemi
Il y eut bien sûr les subtiles coloratures de Sandrine Piau, la légèreté des envolées de Topi Lehtipuu, les vocalises à n’en pas finir de Veronica Cangemi, porteuse également d’une intensité dramatique d’une vérité toujours touchante, l’inaltérable candeur de Philippe Jaroussky, mais surtout une présence énigmatique, une âme qui fait corps entre tous les artistes et le public pour aboutir à cette sorte d’enchantement qui laisse chacun encore tout étourdi au sortir du théâtre.
Mort à Venise (chorégraphie de John Neumeier)
Une danse Macabre librement adaptée de la nouvelle de Thomas Mann
Représentation du 19 avril 2008 (Théâtre du Châtelet)
Ballet de Hambourg Gustav von AschenbachLloyd Riggins (Américain)
TadzioEdvin Revazov(Ukrainien)
La mère de Tadzio Joëlle Boulogne (Française)
L’ami de Tadzio Arsen Megrabian (Arménien)
Frédéric le Grand Dario Franconi (Argentin) La BarbarinaHélèneBouchet (Française)
Aschenbach Adolescent Konstantin Tselikov (Ukrainien)
PianoElizabeth Cooper
C’est une chance extraordinaire de pouvoir admirer en vrai ce ballet qu’Arte avait diffusé en 2005 lors d’une captation du Festspielhaus de Baden Baden ; elle est d’autant plus grande que les danseurs principaux sont les mêmes.
Loyd Riggins (Aschenbach) et Edvin Revazov (Tadzio)
Certes, il ne s’agit plus exactement de la fascination d’un écrivain vieillissant pour la beauté d’un adolescent, dans un monde qui tombe en décrépitude.
Aschenbach, chorégraphe en mal d’inspiration, s’accroche pourtant à son univers conventionnel et rationnel que suggère la musique de Bach.
Nous comprenons bien que le personnage de Frédéric le Grand lui pose problème et étend son emprise sur sa conscience.
Et puis surviennent les premiers accords wagnériens au piano, comme un écho au « Ludwig » de Visconti et aux tourments du Roi de Bavière.
Il y a bien tentative de maîtrise intellectuelle mais le créateur a de plus en plus de mal à résister à ses émotions.
John Neumeier nous offre alors une magnifique image de l'amour de jeunesse de Gustav à travers un jeune couple vivant, heureux et s’enlaçant au fil des motifs de l’ouverture de Tristan et Isolde avec une étourdissante fraîcheur.
Suivant son destin, Aschenbach part pour Venise et arrive à la réception de l’Hôtel du Lido ; élégance et légèreté s’estompent à l’apparition de Tadzio sur les notes du duo d'amour de Tristan.
Edvin Revazov est un bel éphèbe sans doute mais d’une grande force également qui s’exprime à travers une portée qui renverse totalement son admirateur avant de le livrer à la sensualité irrésistible des jeunes hommes jouant sur la plage.
La Bacchanale
Mais lorsque le malheureux se laisse aller aux songes, le pouvoir suggestif de la musique de Wagner se manifeste à nouveau par la bacchanale de Tannhäuser et enveloppe les pulsions les plus animales de ses rêves dans une scène d’orgie qui ne lui laisse finalement qu’aversion.
Vient la tentative de rajeunissement, la rencontre avec les saltimbanques en musiciens de rock macabres et ridicules, puis cette scène où Aschenbach endosse les habits de Frédéric le Grand pour exprimer l’intensité qui liait l’Empereur à son ami Keith sur le thème de la mort d’Isolde fort émouvante au moment de l’enlacement imaginaire avec Tadzio.
Loyd Riggins (Aschenbach) et Edvin Revazov (Tadzio)
Tout cela mis en scène dans une chorégraphie belle par sa sensibilité, ses traits de joies et de tristesses, la délicatesse du piano d’Elizabeth Cooper, les éclairages subtils, ces danseurs splendides, et le regard pathétique de Loyd Riggins.