Barbe-Bleue (Pina Bausch Tanztheater Wuppertal) Théâtre du Châtelet

Publié le 23 Juin 2022

Barbe-Bleue (Pina Bausch - 1977) Théâtre du Châtelet
Blaubart. Beim Anhören einer Tonbandaufnahme von Béla Bartóks Oper ‘Herzog Blaubarts Burg’
Représentation du 22 juin 2022
Théâtre du Châtelet – Théâtre de la ville

Musique Béla Bartok (1918)
Version du ‘Chateau de Barbe-Bleue’ enregistrée par l’Orchestre symphonique de la radio de Berlin en 1958 pour Deutsche Grammophon avec Dietrich Fischer-Dieskau et Hertha Topper sous la direction de Ferenc Fricsay

Judith Tsai-Chin Yu
Barbe-Bleue Reginald Lefebvre

Tanztheater Wuppertal
Mise en scène et chorégraphie Pina Bausch


Assister à une représentation de 'Barbe-Bleue' dans la chorégraphie créée le 08 janvier 1977 par Pina Bausch et sa compagnie, le Tanztheater Wuppertal, est une expérience toujours aussi éprouvante pour le spectateur d’aujourd’hui, car la violence des rapports entre hommes et femmes qui est mise en scène se double d’une utilisation de la musique enregistrée de l’opéra de Bartok qui est systématiquement interrompue et ramenée en arrière comme pour torturer le cerveau de l’auditeur qui ne souhaite pas ces altérations.

Tsai-Chin Yu (Judith)

Tsai-Chin Yu (Judith)

Le décor pourtant poétique baigne dans une lumière automnale sur un lit de feuilles mortes qui déborde jusqu’aux moindres interstices de la scène surplombée d’un arc doré, et les fenêtres mal lavées de la pièce principale laissent entrevoir un extérieur pourtant inaccessible.

Barbe-Bleue est ainsi le jeune maître de ce refuge et du temps qui s’y écoule, libre d’activer une platine pour laisser jouer la musique de Bartok et de l’arrêter quand elle ne s’inscrit plus dans l’humeur qui l’anime. D’où ces retours répétés alors qu’il est traîné au sol par Judith comme un fardeau qui recherche le réconfort sans se soucier du poids qui s’applique à l’autre

Reginald Lefebvre (Barbe-Bleue) et Tsai-Chin Yu (Judith)

Reginald Lefebvre (Barbe-Bleue) et Tsai-Chin Yu (Judith)

Un groupe d’hommes et de femmes survient, marchant lentement têtes baissées comme des zombies vidés de leurs envies, et Judith semble vouloir libérer ces femmes et les ranimer. Un véritable combat débute où les forces émotionnelles, les positionnements sexuels parfois fort agressifs, y compris de la part des femmes, et les élans de réconforts se mêlent dans une chorégraphie qui ne craint ni les chocs avec les murs de la réalité, ni les rires déployés ou les cris hystériques.

Tanztheater Wuppertal

Tanztheater Wuppertal

Et l’on assiste bouche bée à une diffraction des comportements humains des deux sexes qui peuvent se révéler très touchants, y compris dans les reflets de Barbe-Bleue quand l’un des danseurs s’écroule répétitivement dans un cri de douleur comme un homme au cœur brisé souffrant de son désir pour l’autre, tel un adolescent en pleine peine romantique.

Tsai-Chin Yu (Judith) et Reginald Lefebvre (Barbe-Bleue)

Tsai-Chin Yu (Judith) et Reginald Lefebvre (Barbe-Bleue)

Ce voyage dans la psyché humaine laisse éclore des moments plus légers quand il s’agit de moquer le conditionnement des hommes qui se croient obligés de singer des pauses masculines afin de se rassurer sur leur virilité, sans éviter les moments qui mettent le plus mal à l’aise quand une femme oppose une petite poupée à un Barbe-Bleue dominateur, comme si un conditionnement se mettait en place dès l’enfance et que le rapport de force était disproportionné.

La chevelure est un moyen puissamment esthétique de signifier la soumission de la féminité lorsqu'elle masque les visages, et la compassion est systématiquement exprimée par les femmes, comme si leur besoin de sauver l’autre était plus fort malgré de tels jeux pervers.

Barbe-Bleue (Pina Bausch Tanztheater Wuppertal) Théâtre du Châtelet

Tsai-Chin Yu est absolument bouleversante, bras levés au ciel, tout en laissant son corps s’effondrer pour, ensuite, retrouver une élasticité dans ses élans vers l’autre, poussée vers une irrésistible attirance pour le danger. Les tentatives de réconciliation tournent court, et le besoin d’écraser le second sexe est ici décrit au moyen d’un empilement par Barbe-Bleue des corps inanimés de trois femmes sur une même chaise 

Reginald Lefebvre (Barbe-Bleue)

Reginald Lefebvre (Barbe-Bleue)

Mais cet homme malade se laisse submerger. Et pour montrer qu’il rythme la vie des autres jusqu’au bout, même sans l'aide du moindre moyen technique, des couples parcourent dans tous les sens la pièce infernale en s’immobilisant à chaque claquement de ses mains, faisant se figer des poses facilement lisibles en 4 ou 5 tableaux différents qui se répètent inlassablement, alors que Judith, étouffée, se vide de sa substance.

Cette spirale itérative agit aussi sur les nerfs du spectateur qui se sent pris dans un mouvement infini inarrêtable.

Tanztheater Wuppertal

Tanztheater Wuppertal

Ce retour aux prémisses des grands mouvements féministes permet de mesurer comment la société a évolué jusqu’à aujourd’hui et de constater comment les questions sur la masculinité ont été surmontées depuis; Et appréhender ce spectacle pour ses qualités artistiques et ce qu’il exige des fantastiques danseurs et danseuses du Tanztheater Wuppertal est aussi un défi pour tous les spectateurs.

La reprise de 'Kontaktof' au Palais Garnier en décembre 2022, une pièce créée un an après en 1978, sera une manière de poursuivre cette exploration du langage de Pina Bausch formé d’entrelacs de mouvements dansés et de musiques enregistrées, qui sont exploités afin de bouleverser les codes de la représentation des relations humaines. 

Rédigé par David

Publié dans #Saison 2021-2022, #Ballet, #TdV, #Châtelet, #Bausch, #Bartok

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