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Publié le 1 Janvier 2024

Casse-Noisette (Piotr Ilitch Tchaïkovski – Théâtre Mariinsky de Saint-Pétersbourg, le 18 décembre 1892)
Représentation du 31 décembre 2023
Opéra Bastille

Clara Sae Eun Park
Drosselmeyer / Le Prince Germain Louvet
Luisa Bianca Scudamore
Fritz Antoine Kirscher
La Mère Anémone Arnaud
Le Père Sébastien Bertaud
La Grand-Mère Ninon Raux
Le Grand-Père Cyril Chokroun

Direction musicale Andrea Quinn
Chorégraphie Rudolf Noureev (19 décembre 1985), d’après Marius Petipa et Lev Ivanov

Avec les Étoiles, les Premières danseuses, les Premiers danseurs, le Corps de Ballet de l’Opéra national de Paris et la participation des élèves de l’École de danse.
Maîtrise des Hauts-de-Seine / Chœurs d’enfants de l’Opéra national de Paris.

Le 1er septembre 1983, alors âgé de 45 ans, Rudolf Noureev devient directeur de la plus ancienne compagnie de danse au monde, celle de l’Opéra de Paris fondée par Louis XIV en mars 1661. Une première proposition lui avait bien été faite en 1973, mais il souhaitait à cette époque poursuivre sa carrière de danseur international.

Sae Eun Park (Clara) et Germain Louvet (Le Prince)

Sae Eun Park (Clara) et Germain Louvet (Le Prince)

Au moment de sa nomination, l’institution ne connaît de lui, en tant que chorégraphe, que le 3e acte de ‘La Bayadère (Les Ombres)' et ‘Don Quichotte’, tous deux inspirés de Marius Petipa.

Viendront au Palais Garnier ‘Raymonda’ (novembre 1983), ‘La Tempête’ (mars 1984) sur une musique de Tchaïkovski, ‘Bach suite’ (avril 1984) en collaboration avec Francine Lancelot, ‘Roméo et Juliette’ (octobre 1984) sur une musique de Prokofiev, ‘Le Lac des Cygnes’ (décembre 1984), et ‘Washington Square’ (juin 1985) en association avec Jean-Claude Carrière.

Casse-Noisette (Eun Park Louvet Quinn Noureev) Opéra de Paris

L’opposition de culture entre son niveau d’exigence et sa dureté, d’une part, et le rythme encadré des artistes de la maison, d’autre part, sera source de fortes tensions, mais une adaptation réciproque entre son caractère et la mentalité administrative du système va se faire jour au début de la saison 1985-1986.

Cette confrontation au réel se retrouve ainsi en filigrane dans la nouvelle version de ‘Casse-Noisette’ qu’il présente en décembre 1985 à la veille de Noël, version retravaillée de ses précédentes productions créées successivement à Stockholm (1967), Londres (1968), Milan (1969), Buenos Aires (1971) et Berlin (1979).

Sae Eun Park (Clara), Antoine Kirscher (Fritz) et les enfants (Ecole de danse)

Sae Eun Park (Clara), Antoine Kirscher (Fritz) et les enfants (Ecole de danse)

Dans ce conte adapté par Alexandre Dumas de l’œuvre de E.T.A Hoffmann, Clara subit le soir de Noël les comportements et réflexions oppressants des adultes et enfants de son entourage qui l’empêchent de profiter naturellement de la joie qu’apporte Drosselmeyer avec ses cadeaux.

Et la nuit, la jeune fille en fait des cauchemars sous forme de rats, de chauve-souris et de danses, jusqu’à ce que son chevalier, l'incarnation de celui qui rend les choses possibles en écartant le monde bourgeois et son besoin de contrôle sur les autres, intervienne pour la rendre à ses rêves, une aspiration que vit en lui-même Noureev à travers l'élaboration de son art.

Un miroir, relativement adouci, est donc tendu à la société.

Sae Eun Park (Clara)

Sae Eun Park (Clara)

Pour cette 144e représentation jouée dans cette chorégraphie, nous retrouvons Germain louvet en Drosselmeyer et en Prince, un rôle qu’il avait dansé lors de la dernière reprise en décembre 2014, et Sae Eun Park qui se voit interpréter à Paris, avec une technique française, le premier ballet qu’elle vit sur scène grâce à son grand-père, où elle fait vivre avec beaucoup de vérité la lassitude d’un monde cloisonné, et l’idéal d’un autre monde plus beau et plus vaste.

La danseuse étoile coréenne est en effet de bout un bout un modèle de légèreté, une Clara intelligente par son sens de l’observation, par sa précision de geste, par l’extension des bras et des jambes mus avec une douceur caressante fortement attendrissante.

Germain Louvet (Le Prince) et Sae Eun Park (Clara)

Germain Louvet (Le Prince) et Sae Eun Park (Clara)

Elle trouve en Germain Louvet un partenaire fiable et très stable, en belle harmonie avec la ligne de mouvement de sa partenaire, dans un rôle où il fait preuve d’une certaine abnégation pour laisser Sae Eun Park exprimer en profondeur la grâce et le désir de bonheur de Clara.

Germain Louvet (Le Prince) et Sae Eun Park (Clara)

Germain Louvet (Le Prince) et Sae Eun Park (Clara)

En première partie, et avant que les solistes ne passent au premier plan, les grands ensembles menés par les élèves de l’École de danse, dans les rôles des enfants comme ceux des soldats et des rats, sont réjouissants par leur vitalité, et l’arrivée des chevaux-jupons conserve, malgré les ans, une magie souriante irrésistible

Florimond Lorieux et Camille Bon (Danse arabe)

Florimond Lorieux et Camille Bon (Danse arabe)

Au second acte, les danses arabes (excellents Camille Bon et Florimond Lorieux!), espagnoles et russes ont un pouvoir sensuel et des traits de vivacité toujours aussi prégnants, même si leur nature folklorique date beaucoup aujourd’hui, et les trois acrobates, Micah Levine (nouvel entrant dans le Corps de ballet), Samuel Akins (artiste invité) et Ryosuke Miwa (issu du CNDMSP), sont tous trois reliés par une bonne cohésion à travers leur chorégraphie impulsive et enjouée.

Les grands ensembles complexes et formels, ‘Les flocons’ et ‘La valse des fleurs’, sont eux aussi réussis avec ce pouvoir d’illustrer la magie de la musique qui est un grand moment de détente de l’esprit pour l’auditeur.

Les flocons

Les flocons

Mais le plus saisissant réside probablement dans la direction d’Andrea Quinn, cheffe britannique indépendante, ancienne directrice musicale du Royal Ballet de Londres et du New-York City Ballet, qui, avec beaucoup d’inspiration, insuffle de l’élan aussi bien aux danseurs qu’aux musiciens en déployant un formidable relief orchestral riche en contrastes et couleurs, tirant des traits d’une vivacité bien marquée et une souplesse de mouvement fastueuse, tout en faisant vivre une intensité en fosse d’une splendide sensualité.

Germain Louvet (Le Prince) et Sae Eun Park (Clara)

Germain Louvet (Le Prince) et Sae Eun Park (Clara)

Avec un grand sens de la vibration à fleur de peau elle ne lâche rien en tension scénique et musicale, mais elle sait aussi poser une solide assise dans les grands ensembles pour maintenir l’homogénéité collective, et une telle réussite que l’on ne rencontre pas toujours à l’occasion des ballets classiques, donne énormément envie de la réentendre à l’occasion d’une éventuelle reprise du diptyque 'Iolanta / Casse-Noisette' imaginé par Dmitri Tcherniakov pour le Palais Garnier en 2016.

Car revoir la conception de Noureev permet aussi de mesurer à quel point le travail de Tcherniakov avec cinq chorégraphes contemporains rend beaucoup plus de force au monde ‘petit-bourgeois’ de Clara, ainsi qu’au romantisme de sa relation au Prince, et cela avec beaucoup plus d’humour.

Andrea Quinn

Andrea Quinn

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Publié le 28 Décembre 2023

La Nuit de Noël (Nikolaï Rimski-Korsakov – Théâtre Mariinsky de Saint-Pétersbourg, le 28 novembre 1895)
Représentation du 25 décembre 2023
Opéra de Frankfurt

Tschub, vieux cosaque Inho Jeong
Oksana, sa fille Julia Muzychenko
Golova (Le Maire) Sebastian Geyer
Solocha Enkelejda Shkoza
Wakula, son fils Georgy Vasiliev
Panas Changdai Park
Ossip (Le Sacristain) Peter Marsh
Pazjuk Thomas Faulkner
Le Diable Andrei Popov
La Tsarine Bianca Andrew
Femme avec un nez ordinaire Barbara Zechmeister
Femme au nez violet Enkelejda Shkoza
L’Ours Pascu Ortí
Koljada (Déesse de la virginité) Eva Polne
Owsen (Dieu du Printemps) Gorka Culebras
Esclave de Pazjuk Irene Madrid
Monsieur Flic-Flac Guillaume Rabain
Odarka Clara Navarro
Le valet de la Tsarine Gabriele Ascani
Un gentleman portugais Guillermo de la Chica
Swerbigus Antonio Rasetta

Direction musicale Takeshi Moriuchi
Mise en scène Christof Loy (2021)

Grand classique du Théâtre national d'opéra et de ballet de Voronej et du Théâtre Mariinsky de Saint-Pétersbourg où il fut créé en 1895, ‘La Nuit de Noël’ de Nikolaï Rimsky-Korsakov bénéficie depuis le 05 décembre 2021 d’une production scénique en Europe de l’Ouest dont la qualité a valu à l’opéra de Frankfurt d’être récompensé par le magazine Opernwelt pour avoir présenté le meilleur spectacle lyrique de la saison 2021/2022.

Georgy Vasiliev (Wakula) et Julia Muzychenko (Oksana)

Georgy Vasiliev (Wakula) et Julia Muzychenko (Oksana)

Cet opéra, issu d’une intrigue racontée par Nikolaï Vassilievitch Gogol dans ‘Les Veillées du hameau près de Dikanka’ (1831-1832), reprend des éléments du folklore villageois et notamment les koliadki, chants de Noël traditionnels apparus dans la Rus’ de Kiev au 9e siècle après J.C.

Georgy Vasiliev (Wakula), Julia Muzychenko (Oksana) et le portrait de Gogol

Georgy Vasiliev (Wakula), Julia Muzychenko (Oksana) et le portrait de Gogol

Le romancier est en effet né à Sorotchintsy, village ukrainien situé au nord des territoires cosaques zaporogues – cosaques qui s’étaient illustrés pour avoir repoussé les Tatars -, et était fortement imprégné de sa culture locale. Il n’est pas encore l’auteur satirique qui, quelques années plus tard, va secouer, en toute innocence, les institutions russes.

Pour son cinquième opéra, parmi la quinzaine qu’il composera, Nikolaï Rimski-Korsakov ne s’est pas départi du contenu pittoresque de la nouvelle, ni de l'aspect trivial de la nature humaine, mais lui a ajouté une dimension merveilleuse à travers la musique. Le climax de cet envoûtement sonore se déroule à travers un impressionnant divertissement orchestral qui précède l’arrivée de Wakula à la cour de la Tsarine.

Enkelejda Shkoza (Solocha) et les astres de l'univers

Enkelejda Shkoza (Solocha) et les astres de l'univers

L’histoire, pleine de scènes vivantes, raconte les démêlés d’un jeune forgeron, Wakula, qui, pour séduire Oksana, la fille d’un vieux cosaque, pactise avec le diable afin qu'il l'emmène sur un destrier au palais de la Tsarine à Saint-Pétersbourg pour en obtenir les souliers que la jeune femme qu’il convoite lui demande.

Ce diable, qui avait pour un temps fait disparaître la Lune afin d’empêcher le jeune villageois de rejoindre sa bien-aimée pour se venger de l’avoir peint en train d’être rossé de coups de bâtons, représente aussi les forces obscures de la vie promptes à contrecarrer les désirs d’autrui.

Quant à Solocha, la mère de Wakula, personnage à la fois surnaturel et maternel complice du diable, elle est fondamentalement une femme tentatrice pour la communauté des hommes du village.

Julia Muzychenko (Oksana) et le chœur de l'opéra de Frankfurt

Julia Muzychenko (Oksana) et le chœur de l'opéra de Frankfurt

Pour dépeindre cette fable, Christof Loy inscrit d’emblée dans son décor un reflet de l’immensité de l’univers. Sols et murs sont recouverts de dalles carrées percées de points lumineux d’intensité variable qui sont comme les étoiles merveilleuses et luminescentes du ciel nocturne.

Le rideau d’avant scène représente la galaxie d’Andromède cernée d’autres nébuleuses et accompagnée, de façon plus improbable, par la présence de la Lune. Le négatif du panache d’une queue de comète peinte sur le mur d’arrière scène reste, lui, omniprésent.

Georgy Vasiliev (Wakula)

Georgy Vasiliev (Wakula)

Ce drapé ouaté sert également à flouter les artifices des nombreux numéros de voltiges acrobatiques auxquels le Diable et Solocha, mais aussi d’autres figurants, vont se livrer à travers les multiples envols vers les cintres de la scène.

Un gigantesque morceau de Lune assombrie déborde aussi sur la gauche du plateau en référence à la malédiction qui pèse sur le village ukrainien. Et à un certain moment, les jeunes gens chantant des Koliadki sembleront même emportés dans l’espace.

Julia Muzychenko (Oksana)

Julia Muzychenko (Oksana)

Le metteur en scène allemand se révèle comme souvent symbolique dans la disposition des éléments de décors, se limitant à une simple lampe pendue au dessus d’une table pour la maison d’Oksana, ou bien à un canapé, une armoire, une théière dorée et quelques tapis chez Solocha.

Mais il concède un peu plus de faste pour les costumes de la cour du Palais de la Tsarine, avec un mélange de simplicité et de finesse intuitivement dosées.

Andrei Popov (Le Diable) et Enkelejda Shkoza (Solocha)

Andrei Popov (Le Diable) et Enkelejda Shkoza (Solocha)

Les éléments naturels tels la tempête de neige et tout ce qui se réfère à la dureté de l’environnement sont évacués, mais il n’élude aucune dimension de l’intrigue sociale, comme l’alcool mélancolique qui structure la vie de ce petit monde, et montre même les allusions sexuelles quand les hommes interviennent un à un chez la sorcière, tout en insufflant un comique de situation qui permette d’assurer que le spectacle reste adapté à tous les âges.

La chaleur humaine a ici plus d’importance que les rigueurs climatiques.

Ballerine et ours russe

Ballerine et ours russe

Le jeu d’acteur de la troupe est par ailleurs vivant avec un grand naturel, et le metteur en scène induit également une poésie d’expression très épurée au cours des beaux passages symphoniques du 3e acte où une ballerine et un ours, le symbole maladroit et brutal de la Russie, puis un acrobate venu des airs, se livrent à des mouvements chorégraphiques d’une légèreté qui se superpose idéalement aux étourdissements de la musique.

Et il prend soin à ce que chaque petit rôle, chaque choriste, montre un petit peu d’âme qui les particularise par des gestes très simples mais signifiants.

Inho Jeong (Tschub)

Inho Jeong (Tschub)

La distribution composée de chanteurs de la troupe de l’opéra de Frankfurt et d’artistes invités est d’une excellente unité avec des disparités en teintes et textures vocales qui forment des tableaux vifs et colorés.

Elle est identique à celle de la création en 2021 sauf pour les deux rôles de basse et basse baryton, Tschub et Panas, chantés cette fois par deux artistes coréens, respectivement Inho Jeong et Changdai Park. Le premier joue le rôle d’un père austère avec une franche résonance dans les graves, et le second apporte plus de moelleux lors de ses brèves interventions bonhommes.

Enkelejda Shkoza (Solocha) et Peter Marsh (Le Sacristain)

Enkelejda Shkoza (Solocha) et Peter Marsh (Le Sacristain)

Fortement caractérisé par une hargne qui se ressent à travers un timbre d’une clarté très expressive et agressive, Andrei Popov incarne un diable grinçant et déterminé qui ne s’économise pas pour étaler les torsions intérieures de cet être sans noblesse.

Sa complice, Solocha, est jouée par Enkelejda Shkoza – on se souvient que cette artiste albanaise fut la première Giulietta lors de création des ‘Contes d’Hoffmann’ montée par Robert Carsen en l’an 2000 à l’Opéra Bastille - qui se montre d’une très grande aisance scénique afin de traduire la vulgarité et la nature manipulatrice de cette femme qui mène tous les hommes du villages par le bout du nez. Son mezzo est corsé, bariolé de traits perçants, et mené avec bagout et beaucoup d’humour.

Georgy Vasiliev (Wakula) et Thomas Faulkner (Pazjuk)

Georgy Vasiliev (Wakula) et Thomas Faulkner (Pazjuk)

Les visiteurs qui se présentent chez elle lui donnent parfaitement le change, Sebastian Geyer en maire un peu austère qui a peur des ragots, et Peter Marsh qui dessine un sacristain libidineux au timbre très naturaliste qui va bien avec ce portrait pitoyable.

D’une appréciable sonorité caverneuse, la basse britannique Thomas Faulkner donne de l’impact au vieux Patziouk, sorte de Méphisto qui accepte d’aider Wakula en échange de son âme, et Bianca Andrew offre, à la Tsarine, noirceur brillante et bonne humeur d’une très belle présence.

Bianca Andrew (La Tsarine)

Bianca Andrew (La Tsarine)

Mais le deux rôles centraux sont aussi d’une charmante authenticité. Georgy Vasiliev a de cette fougue ombreuse et tourmentée qui dépeint avec vérité, héroïsme et mélancolie slave les sentiments du jeune Wakula, et Julia Muzychenko adore insufler du rayonnement et une énergie fortement positive à Oksana avec un beau timbre généreusement charnel.

Son grand air final, qui lui donne le plus de profondeur quand elle pense que son prétendant s’est suicidé, est d’ailleurs chanté avec une envoûtante sensibilité.

Julia Muzychenko (Oksana)

Julia Muzychenko (Oksana)

Et tant scéniquement que vocalement, les chœurs de l’opéra de Frankfurt sont fabuleux de cohésion dans tous les ensembles vivants et spirituels, créant ainsi une unité d’âme particulièrement exaltante en ce jour de Noël.

Prenant de plus en plus d’importance à la direction d’orchestre, Takeshi Moriuchi fait vibrer toute la chaleur et la splendide souplesse de son ensemble de musiciens dont la rondeur magnifie au plus haut point l’écriture de Rimski-Korsakov.

Julia Muzychenko (Oksana) et le chœur de l'opéra de Frankfurt

Julia Muzychenko (Oksana) et le chœur de l'opéra de Frankfurt

La ronde des astres dans le ciel, la rutilance des nappes orchestrales, mais aussi l’équilibre avec le plateau, sont très bien rendus et maintenus, mais il reste plus mesuré quand il s’agit de restituer le piquant des actions populaires, et la polonaise chez la Tsarine sonne un peu empesée.

Enkelejda Shkoza (Solocha) et les astres de l'univers

Enkelejda Shkoza (Solocha) et les astres de l'univers

En ce lundi 25 décembre, ce splendide spectacle affiche complet. Et le fait de voir des familles venues avec des enfants très jeunes, certains d’une dizaine d’années seulement, qui applaudissent à tout rompre un opéra russe que tout le monde découvre, vous emplit d’un optimisme qui démontre aussi qu’il y a bien en Allemagne une tradition musicale qui continue à se transmettre aux jeunes générations, ce qui devrait être un exemple pour le public et pour les politiques français qui ne soutiennent pas assez un art viscéralement attaché à l’identité culturelle et unificatrice du continent européen au sens large.

Andrei Popov, Sebastian Geyer, Peter Marsh, Inho Jeong, Georgy Vasiliev, Julia Muzychenko et Enkelejda Shkoza

Andrei Popov, Sebastian Geyer, Peter Marsh, Inho Jeong, Georgy Vasiliev, Julia Muzychenko et Enkelejda Shkoza

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Publié le 2 Janvier 2022

Don Quichotte (Marius Petipa / Ludwig Minkus – 1869)
Représentation du 31 décembre 2021
Opéra Bastille

Kitri (et Dulcinée) Sae Eun Park
Basilio Hugo Marchand
Espada Thomas Docquir
La danseuse de rue Célia Drouy
Don Quichotte Yann Chailloux
Sancho Pança Aurélien Gay
Gamache Cyril Chokroum
Lorenzo Mathieu Contat
Le gitan Antonio Conforti
La Reine des Dryades Camille Bon
Cupidon Marine Ganio

Corps de ballet de l’Opéra national de Paris

Chorégraphie Rudolf Noureev (1966) d’après Marius Petipa et Alexander Gorski
Décors Alexander Beliaev
Costumes Elene Rivkina

Musique Ludwig Minkus dans l’orchestration de John Lanchbery
Direction musicale Valery Ovsyanikov
Orchestre de l’Opéra national de Paris (Musique enregistrée)

Après Le Lac des Cygnes et La Belle au bois dormant montés respectivement pour l’Opéra de Vienne le 15 octobre 1964 et le 22 septembre 1966 pour la Scala de Milan, Don Quichotte est le troisième ballet de Marius Petipa que Rudolf Noureev adapta en s’inspirant principalement de la version d’Alexander Gorski (maître de ballet au Bolchoï en 1900) sur laquelle il avait dansé au Théâtre Mariinsky en 1959 et 1960, et qui avait pour point fort de développer la théâtralité de tous les danseurs plutôt que de miser principalement sur les effets visuels. 

Hugo Marchand (Basilio), Sae Eun Park (Kitri) et Yann Chailloux (Don Quichotte)

Hugo Marchand (Basilio), Sae Eun Park (Kitri) et Yann Chailloux (Don Quichotte)

Il ramena les cinq actes à trois actes et un prologue, et demanda au chef et compositeur anglo-australien John Lanchbery de réorchestrer la partition en même temps que l’argumentation était révisée. C’est cette version qui remporta un immense succès public à l’Opéra de Vienne le 01 décembre 1966, puis à l’Australian Ballet en 1970 avec lequel Rudolf Noureev réalisa une version filmée de son Don Quichotte. Ses talents de cinéaste se révélèrent, et ce goût pour le récit par le théâtre et le cinéma imprègnera plus tard ses futurs ballets tels Roméo et Juliette ou Cendrillon de Prokofiev.

Sae Eun Park (Kitri)

Sae Eun Park (Kitri)

C’est à l’invitation de Rosella Hightower, directrice de la danse à l’Opéra et fondatrice d’un centre de danse international à Cannes, que la production de Don Quichotte par Rudolf Noureev fait son entrée au Palais Garnier le 06 mars 1981 avec Elisabeth Platel dans le rôle de la Reine des Dryades, et Rudolf Noureev en Basilio lors de la seconde représentation.

Et à l’issue de la soirée du 31 décembre 1998, Aurélie Dupont est nommée danseuse étoile à l’âge de 25 ans dans le rôle de Kitri avec pour partenaire un autre danseur étoile nommé dix ans plus tôt par Rudolf Noureev, Manuel Legris.

Hugo Marchand (Basilio)

Hugo Marchand (Basilio)

Enfin, lors du transfert de la production sur la scène Bastille le 15 avril 2002, les décors inspirés de Cervantès et Goya conçus par Nicholas Georgiadis sont remplacés par les nouveaux décors d’Alexander Beliaev et les costumes d’Elene Rivkina qui mêlent réalisme et raffinement des architectures du passé sous des lumières souvent plus sombres et intériorisées. Il s’agit toujours de la représentation d’une Espagne exotique, mais un peu moins artificielle que la version russe du Mariinski.

Hugo Marchand (Basilio), Sae Eun Park (Kitri) et le Corps de Ballet de l'Opéra de Paris

Hugo Marchand (Basilio), Sae Eun Park (Kitri) et le Corps de Ballet de l'Opéra de Paris

La représentation de ce 31 décembre 2021 relève du miracle, car en pleine dégradation de la situation sanitaire, quatre représentations (les 14, 24, 25 et 28 décembre) ont du être annulées ainsi que celle du 02 janvier 2022.

Et l’orchestre ayant connu trop de cas contacts, il est remplacé par un enregistrement sonore réalisé quelques jours auparavant.

Hugo Marchand (Basilio) et Sae Eun Park (Kitri)

Hugo Marchand (Basilio) et Sae Eun Park (Kitri)

La première surprise est que du point de vue de l’auditeur la restitution a un effet remarquablement naturel dans la salle, depuis le premier balcon en tout cas, et préserve très bien l’immersivité musicale du spectacle. Le moelleux et la fluidité de la direction orchestrale s’apprécient pleinement, mais les danseurs ne peuvent plus compter sur la présence d’un chef pour contrôler le rythme des musiciens et doivent donc en permanence rester caler sur la bande son.

Don Quichotte (Yann Chailloux), Aurélien Gay (Sancho Pança) et Cyril Chokroum (Gamache)

Don Quichotte (Yann Chailloux), Aurélien Gay (Sancho Pança) et Cyril Chokroum (Gamache)

La vitalité de la musique de Ludwig Minkus, descriptive et facile d’imprégnation, associée à une trame narrative compréhensible même pour les plus jeunes, et qui ne comprend qu’un seul tableau à la rigueur géométrique et formelle, en font un spectacle tout public au sens le plus large possible, et l’engouement de tous les danseurs et danseuses de l’Opéra à faire vivre un esprit festif et spontané contribue grandement à sa réussite. Les coloris des costumes extrêmement variés, verts flashy pour les toréadors, rouges, bleus, dorés, avec un esprit de fantaisie, révèlent aussi un goût pour les feux d’artifice, mais avec quand même des zones d’ombre lorsque le personnage de Don Quichotte, pur rêveur et observateur, survient. 

Sae Eun Park (Kitri)

Sae Eun Park (Kitri)

Nommée danseuse étoile le 10 juin 2021 à l’issue de la première représentation de Roméo et Juliette, Sae Eun Park a également réalisé sa prise de rôle de Kitri deux jours auparavant, le 29 décembre, et pour cette seconde soirée elle s’approprie un personnage avec une maîtrise éblouissante et une intrépidité souriante qui atteignent leur paroxysme lors de la dernière variation du troisième acte dansée avec une verticalité parfaite et des effets d’accélérations saisissants.

Subtilement taquine avec un très fort sens de son axe de vie, elle rivalise d’impétuosité sans donner le moindre sentiment de fragilité, et pourrait bien devenir une figure iconique de ce ballet.

Hugo Marchand (Basilio) et Alexandre Boccara et Milo Avêque (Les pêcheurs)

Hugo Marchand (Basilio) et Alexandre Boccara et Milo Avêque (Les pêcheurs)

Son partenaire, Hugo Marchand, majestueux par son envergure et l’ampleur de ses sauts, renvoie aussi une image de solidité souveraine et enjouée sur la scène. Il y a en lui comme une envie d’emmener l’autre dans sa vision d’un monde où tout est possible et rien n’est une menace, car lui même dégage un sentiment de sécurité et de confiance palpable.

Hugo Marchand (Basilio) et Sae Eun Park (Kitri)

Hugo Marchand (Basilio) et Sae Eun Park (Kitri)

La relation avec les danseurs qui incarnent les pêcheurs, comme Milo Avêque ou Alexandre Boccara – ce jeune danseur était l’enfant de Butterfly sur la scène Bastille en 2009 -, est aussi intéressante à suivre car ils jouent un rôle d’impulseurs et d’admirateurs du personnage de Basilio dans lesquels le spectateur peut se projeter.

Antonio Conforti (Le gitan)

Antonio Conforti (Le gitan)

Par ailleurs, si les personnages de Don Quichotte (Yann Chailloux) et Sancho Pança (Aurélien Gay) ne sont que des rôles secondaires, ils sont incarnés avec une vitalité assez rustique, et l’autre duo caricatural formé par Mathieu Contat et Cyril Chokroum en Lorenzo et Gamache s’inscrit dans ce même esprit, ce qui, évidemment, instaure encore plus le couple formé par Hugo Marchand et Sae Eun Park sur un piédestal.

Camille Bon (La Reine des Dryades)

Camille Bon (La Reine des Dryades)

Et lors de la fête sur la place publique, Célia Drouy est charmante de fluidité et idéale de douceur dans les danses espagnoles face à un partenaire, Thomas Docquir, qui campe un Espada fier et volontaire.

L’impression que reflète Antonio Conforti dans la scène des Gitans est tout autre. Ténébreux, tendu comme un arc en mouvement, il est un combattant flamboyant et solennel qui sculpte sa propre poésie intime.

Sae Eun Park (Dulcinée), Marine Ganio (Cupidon) et Camille Bon (La Reine des Dryades)

Sae Eun Park (Dulcinée), Marine Ganio (Cupidon) et Camille Bon (La Reine des Dryades)

Le Rêve de Don Quichotte et ses teintes bleu-violacées est ensuite un moment plus académique et délicat qui permet d’apprécier non seulement la technique précise de Sae Eun Park, quand elle apparaît en Dulcinée, mais aussi son rapport attentif aux autres danseuses aux personnalités très différentes, que ce soit la présence éthérée de Camille Bon en Reine des Dryades ou bien le piquant offensif de Marine Ganio en Cupidon.

Sae Eun Park (Kitri) et Hugo Marchand (Basilio)

Sae Eun Park (Kitri) et Hugo Marchand (Basilio)

Et le retour au démonstratif athlétique lors de la scène de la taverne, et surtout celle du mariage, ouvre à nouveau sur une ambiance fougueuse dont Hugo Marchand et Sae Eun Park sont le puissant couple moteur, mélange d’aisance et de tension sans relâche qui tient le spectateur captif jusqu'au bouquet final. Ils seront la plus belle des images des dernières minutes de cette année 2021.

Sae Eun Park (Kitri) et Hugo Marchand (Basilio)

Sae Eun Park (Kitri) et Hugo Marchand (Basilio)

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Publié le 14 Juin 2021

Simon Boccanegra (Giuseppe Verdi – 1881)
Répétition générale du 09 juin 2021
Théâtre des Arts de Rouen

Simon Boccanegra Dario Solari
Jacopo Fiesco Jongming Park
Maria Boccanegra (Amelia) Klara Kolonits
Gabriele Adorno Otar Jorjikia
Paolo Albani Kartal Karagedik
Pietro André Courville

Direction musicale Antonello Allemandi
Mise en scène Philipp Himmelmann (2018)

Orchestre de l'Opéra Rouen Normandie
Choeur Accentuus / Opéra de Rouen Normandie
Coproduction Opéra de Dijon et Stadttheater Klagenfurt

                                        Otar Jorjikia (Gabriele Adorno)

A l’instar de l’Opéra Bastille, l’Opéra de Rouen n’avait plus joué d’opéra depuis 450 jours, mais avait pu, entre-temps, rouvrir pour représenter quelques concerts symphoniques.

Une répétition ouverte au public le jour même du report du couvre-feu à 23h constituait donc un jalon majeur pour la vie du Théâtre des Arts, car retrouver des spectateurs autour d’une œuvre lyrique redevenait enfin possible.

Simon Boccanegra est l’une des œuvres les plus sombres de Giuseppe Verdi où le compositeur représente les luttes des factions afin de faire naître chez les Italiens l’horreur des guerres fratricides. L’œuvre débute en 1339 au moment où Simon Boccanegra, corsaire au service de Gênes, eut une fille illégitime avec Maria, fille de son ennemi Fiesco, qui sera retrouvée morte. Vingt-cinq ans plus tard, le corsaire est devenu le premier doge à vie. Mais une conspiration redoutable est montée contre lui.

Choeur et solistes de Simon Boccanegra salués par l'orchestre installé au parterre.

Choeur et solistes de Simon Boccanegra salués par l'orchestre installé au parterre.

La fluidité des langueurs orchestrales est un élément essentiel de cet ouvrage qui semble créer une résonance entre la puissance évocatrice des paysages marins et les forces conspiratrices de la République.

Cette dimension est particulièrement bien menée par la direction d’Antonello Allemandi qui structure avec brio l'allant de l’orchestre dans les grands mouvements d'ensemble où cordes et cuivres fusionnent parfaitement. Cet alliage est très beau et abouti, et donne beaucoup d’allure et de nerfs tout en préservant une impression de force tranquille. On remarque également que les bois se détachent nettement, surtout les bois graves (basson).

Cette recherche de noirceur et de puissance soutient ainsi la mise en scène qui, toutefois, ne souligne ni les chatoyances ni les lueurs d'espoir contenues dans l’œuvre, que ce soit les lueurs du port de Gênes ou bien la mise en avant d’Adorno comme successeur prometteur de Simon Boccanegra.

Dario Solari (Simon Boccanegra)

Dario Solari (Simon Boccanegra)

Philipp Himmelmann joue en effet sur des impressions claustrophobiques à travers un décor fermé et réagençable autour d’une pièce en forme de cube où l’image sordide du suicide de Maria hante d’emblée le spectateur. La vision de la mer transparaît à travers un fin tableau allongé, et l’ombre du déplacement d’une pale de ventilation induit un sentiment dépressif latent.

Pas de bleu merveilleux ou de référence à une splendeur nouvelle, c’est en vérité l’intérieur éteint de Boccanegra qui est représenté. La mise en scène souffre cependant d’une faiblesse générale dans la direction d’acteur qui n’accentue aucunement les caractères des différents protagonistes alors que tous disposent de timbres bien caractéristiques impossibles à confondre.

De par sa haute tenue, Dario Solari fait belle impression avec un chant souple et charmeur, légèrement velouté, qui donne une crédible amplitude humaine et spirituelle au Doge de Gênes, alors que le Fiesco de Jongming Park résonne de noirceurs caverneuses qui évoquent le dragon Fafner imaginé par Wagner pour Siegfried, sans la moindre rudesse. Le jeu reste stéréotypé, mais la portée vocale profondément noble.

En Kartal Karagedik on peut retrouver les intonations verdiennes et les ambiguïtés d’un Macbeth, ce qui correspond parfaitement au personnage de Paolo Albani, mais là aussi le metteur en scène ne met pas suffisamment en exergue les ombres calculatrices de cet homme qui est le cerveau de la conspiration contre Simon.

Klara Kolonits (Amelia)

Klara Kolonits (Amelia)

Le Gabriele Adorno d’Otar Jorjikia devient vocalement un solide opposant avec une personnalité puissante et virile, relativement homogène sur toute la tessiture, qui fait de lui un être à la hauteur des dirigeants génois.  D’ailleurs, une telle consistance semble encore plus le prédestiner à des répertoires italiens post-verdiens et réalistes, ou au répertoire slave post-romantique du XXe siècle.

Philipp Himmelmann amoindrit cependant son rôle politique en ne lui donnant pas la possibilité de se substituer à Boccanegra – Adorno reste physiquement indifférencié au final -, et on trouve aussi un assombrissement mélancolique d’Amelia par un traitement assez noir de son caractère malgré l’aisance de Klara Kolonits à soutenir des aigus sans peine, mais qui naturalise trop la fille du doge dans la tessiture médiane.

Le chœur est d’une précision d'élocution, d'une clarté et d’un ton chantant absolument magnifiques de bout en bout, comme un précieux collier de perles omniprésent au cours de ce spectacle sans doute trop pessimiste, mais qui ne l’est pas plus que la version de Calixto Bieito que nous connaissons à Paris.

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Publié le 11 Août 2015

Turandot (Giacomo Puccini)
Représentation du 10 août 2015
Théâtre antique de Sanxay  

Direction musicale Eric Hull
Orchestre et Chœur des Soirées Lyriques de Sanxay
Chœur d’enfants de l’Académie de chant des Soirées Lyriques

Mise en scène Agostino Taboga
Costumes Shizuko Omachi

Calaf Rudy Park
Timur Wojtek Smilek
Altoum Ronan Nédélec
Turandot Anna Shafajinskaia
Liu Tatiana Lisnic
Le Mandarin Nika Guliashvili
Ping Armen Karapetyan
Pang Xin Wang
Pong Carlos Natale                   
                                
Rudy Park (Calaf) et le chef d’orchestre Eric Hull

Mathieu Blugeon, le président des Soirées Lyriques de Sanxay, peut en être heureux, la première des trois représentations de Turandot jouée sur les vestiges du site gallo-romain de Sanxay est une réussite musicale qui n’était véritablement pas gagnée d’avance.

En effet, l’ultime et inachevé opéra de Puccini, donné dans sa version complétée par Franco Alfano, mobilise un impressionnant effectif orchestral et choral qui peut paraître un peu surdimensionné pour ce festival jeune et au modèle économique fragile, malgré le soutien de la région et des 230 personnes bénévoles.

Anna Shafajinskaia (Turandot)

Anna Shafajinskaia (Turandot)

Pourtant, Eric Hull, le nouveau directeur musical depuis l’année dernière, obtient de l’orchestre composé de près de 80 musiciens une atmosphère expansive sombre et surnaturelle due autant au pouvoir hypnotique des cordes et de leur légèreté, que des vents aux sonorités les plus menaçantes. Les percussions sont en surtension, sans brutalité, et les aspects les plus spectaculaires avec le chœur sont, eux, en revanche, plus humanisés et plus proches de la déploration que du cri de rage. Les cuivres pourraient être également plus fulgurants.

Armen Karapetyan (Ping), Carlos Natale (Pong) et Xin Wang (Pang)

Armen Karapetyan (Ping), Carlos Natale (Pong) et Xin Wang (Pang)

Sur scène, l’impérialité est habillée de haillons, car Rudy Park, qui avait chanté le rôle de Calaf à Nancy deux ans auparavant, incarne un Prince d’une redoutable assurance, avec une très grande homogénéité du timbre aussi sombre que celui du ténor russe Vladimir Galouzine, mais sans dureté et avec un sens de la noblesse austère et de l’affirmation personnelle splendide. Si l’équipe du festival envisage, un jour, de monter l’Otello de Verdi, elle sait sur qui compter dorénavant.

Rudy Park (Calaf)

Rudy Park (Calaf)

Anna Shafajinskaia, qui fut une Tosca incendiaire pour quelques soirs en ouverture de saison 2003/2004 à l’opéra Bastille – sous la direction de Marcello Viotti, a une voix qui ressemble beaucoup, en plus clair, à celle de sa compatriote ukrainienne de naissance, Maria Guleghina.

La noirceur lui fait certes défaut, mais elle tient ses aigus vaillamment, d’un trait, donne une couleur opaline à son chant, parsemé de microcoupures régulières, et se départit d’une interprétation rigide et cruelle. Folle de joie et entrainante au rideau final, la muraille qu’elle construit pour son personnage n’est en fait pas si solide, et son cœur se perçoit très tôt dans la seconde partie. Elle aussi rend, à sa manière, cette Turandot humaine.

Tatiana Lisnic (Liu) et Wojtek Smilek (Timur)

Tatiana Lisnic (Liu) et Wojtek Smilek (Timur)

Magnifique Tatiana Lisnic, au tempérament fort et au chant si sensible, qui sort Liu de son rôle trop souvent mélodramatique pour lui donner une dimension volontaire et écorchée saisissante de vérité.

Parmi les personnages secondaires, le trio Ping, Pang et Pong est musicalement uni, même si Carlos Natale a le rayonnement vocal le plus franc des trois ministres, et Wojtek Smilek joue un Timur profondément défaitiste.

Le Chœur d’enfants de l’Académie de chant des Soirées Lyriques

Le Chœur d’enfants de l’Académie de chant des Soirées Lyriques

Très bien mis en valeur en avant-scène, la perle de la soirée, le chœur d’enfants de l’Académie de chant est un ravissement dont ils peuvent tous être très fiers, autant que de leur accueil exultant de joie pour saluer tous les artistes.

Comme pour Nabucco l’année précédente, Agostino Taboga prend prétexte de l’œuvre légendaire pour imaginer un univers de personnages fantaisistes et multicolores dont on relève quelques images marquantes, des gardes au visage voilé de noir qui évoquent des combattants extrémistes du Moyen Orient, ou bien ce peuple vêtu de noir et acculé au travail forcé et répétitif dans les ateliers de la princesse chinoise.

Les costumes de Shizuko Omachi, fins, colorés et sans surcharge, font la valeur esthétique de cette scénographie.

Anna Shafajinskaia (Turandot) et Rudy Park (Calaf)

Anna Shafajinskaia (Turandot) et Rudy Park (Calaf)

Et c’est dans un ciel constellé d’étoiles et traversé de part en part par la Voie Lactée, que se sont élevées des lanternes chinoises aux lueurs orangées, dispersées par le vent dans la nuit pour célébrer la noce finale.

Prochaines représentations : le 12 et le 14 août 2015.

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Publié le 7 Mars 2015

Le Chant de la Terre – Das Lied von der Erde (Gustav Mahler)
Représentation du 06 mars 2015

Palais Garnier

PROLOGUE  Dorothée Gilbert, Sae Eun Park, Mathieu Ganio, Vincent Chaillet
2 Hommes 1er mouvement  Mathieu Ganio, Vincent Chaillet
3 Couples solistes  Sae Eun Park, Léonore Baulac, Juliette Hilaire, Fabien Revillion, Marc Moreau, Alexis Renaud
COUPLE 2è mouvement  Dorothée Gilbert, Mathieu Ganio
HOMME 3è mouvement  Mathieu Ganio
COUPLE 3è mouvement  Léonore Baulac, Fabien Revillion
TRIO 4è mouvement  Sae Eun Park, Juliette Hilaire, Vincent Chaillet
5è mouvement  Nolwenn Daniel, Marc Moreau, Karl Paquette
TRIO 6è mouvement  Dorothée Gilbert, Mathieu Ganio, Vincent Chaillet

Ténor Burkhard Fritz
Baryton Paul Armin Edelmann
                                                                                        
Dorothée Gilbert et Mathieu Ganio
Chorégraphie John Neumeier              
Direction musicale Patrick Lange

Ballet de l'Opéra National de Paris

Das Lied von der Erde est une œuvre qui marque la renaissance créative de Gustav Mahler à quelques années de la fin de sa vie. La découverte de Die chinesische Flöte ("La Flûte chinoise"), le nouveau livre de Hans Bethge – un poète allemand fasciné par la culture orientale -, devient pour lui une source d’inspiration et de ressourcement.

Il en extrait six poèmes, tous réadaptés d’écrivains de la période Tang (VIIIème siècle Après J.C), et compose une musique qui puisse traduire son envie de retrouver un goût pour la vie alors que la mort approche.

Vincent Chaillet

Vincent Chaillet

La traduction scénique qu’en fait John Neumeier pour la grande salle du Palais Garnier est d’une symbolique très lisible. Un fantastique disque surplombe l’arrière scène, évoquant une Terre ombrée ceinte du fin liseré bleu de son atmosphère, et qui change de couleurs métalliques au fur et à mesure que la noirceur dépressive se transforme en états d’âme joyeux.

Un jeune homme, Mathieu Ganio, se remémore sa jeunesse, son ami d’enfance, incarné par Vincent Chaillet, leur tendresse, et leur distance lorsque le premier se laisse séduire par une femme pour plonger dans une vie normée à l’instar des autres couples qu’il côtoie.
Le second, lui, reste en retrait, fidèle à ses sentiments, mais réapparaît à plusieurs reprises comme les réminiscences de cette amitié passée.

Mathieu Ganio et Sae Eun Park

Mathieu Ganio et Sae Eun Park

Une cérémonie orientale se déroule en arrière-plan, sur les tons rouges et orangés d’un soleil couchant, et la simplicité de ce rituel se retrouve dans la chorégraphie de John Neumeier. Un certain formalisme dans les rapports entre les êtres, une fluidité qui bannit la moindre tension, une opposition nette avec la culture occidentale qui est cependant évoquée quand les jeunes danseurs apparaissent en costumes de cowboys.
Le groupe de danseurs masculins est beau à voir, bien que rien ne surprenne, et les pas dans les duos masculin-féminin et masculin-masculin créent des rapports effleurant plein de non-dits.

Dorothée Gilbert et Mathieu Ganio

Dorothée Gilbert et Mathieu Ganio

Et le final, magnifique sur la disparition progressive du soleil, se conclut par un long silence que le public respectera autant que ceux qui ponctuent les changements de scène au cours de la représentation.

Cependant, malgré l'orchestration enchanteresse de Gustav Mahler, ce spectacle manque de souffle par la trop grande précaution réservée à l’interprétation musicale et vocale.

Patrick Lange ne semble à aucun moment vouloir libérer l’énergie exaltée de l’orchestre, tout est mesuré, dépressif et intimiste jusqu’au-boutiste, purement poétique, et sans romantisme.

Mathieu Ganio et Vincent Chaillet

Mathieu Ganio et Vincent Chaillet

Burkhard Fritz, le Parsifal de Bayreuth 2012 dans la dernière reprise de la production de Stefan Hereim, est malheureusement sans séduction, bien que vaillant, et seul Paul Armin Edelmann apporte un peu de chaleur humaine et une dimension vocale à la hauteur du désespoir qui lutte en musique.

Les danseurs principaux sont irréprochables, excellent Vincent Chaillet dans son personnage noir et introspectif, Mathieu Ganio et son éternelle innocence, Dorothée Gilbert fine et joliment souriante, Sae Eun Park idéalement mystérieuse.
Se ressent cependant un petit manque de conviction parmi les ensembles de danseurs.

Le Chant de la Terre (Neumeier-Gilbert-Chaillet-Ganio-Park) Garnier

C’est donc un spectacle qu’il faudra revoir à sa reprise avec toute la flamme humaine que sa musique et son chant peuvent induire sur la danse.

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