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Publié le 14 Août 2021

Carmen (Georges Bizet - 1875)
Représentation du 12 août 2021
Soirées Lyriques de Sanxay

Carmen Ketevan Kemoklidze
Micaëla Adriana Gonzalez
Don José Azer Zada
Escamillo Florian Sempey
Frasquita Charlotte Bonnet
Mercédès Ahlima Mhamdi
Zuniga Nika Guliashvili
Moralès Yoann Dubruque
Le Dancaïre Olivier Grand
Le Remendado Alfred Bironien

Direction Musicale Roberto Rizzi-Brignoli
Mise en scène Jean-Christophe Mast
Chorégraphie Carlos Ruiz                                           
Ketevan Kemoklidze (Carmen)

La 3eme production de Carmen aux Soirées Lyriques de Sanxay, après celles de 2001 et 2011, est probablement la plus aboutie, et confirme que le Festival a dorénavant atteint un seuil de maturité que la crise pandémique de 2020 n'a aucunement ébranlé, bien au contraire.

Ketevan Kemoklidze (Carmen)

Ketevan Kemoklidze (Carmen)

Au creux du sanctuaire gallo-romain découvert en 1881, abrité dans un méandre de la Vonne au milieu d'une nature bucolique, 2000 spectateurs ont le plaisir d'assister chaque soir, et pour 3 représentations, les 10, 12 et 14 août 2021, à un spectacle d'une indéniable cohérence musicale jusque dans la réalisation de sa mise en scène.

En effet, pour sa seconde apparition à Sanxay après Aida en 2019, Jean-Christophe Mast a conçu un décor unique centré, en arrière plan, sur une arche de style hispano-mauresque qui surplombe une estrade dotée d'un double escalier latéral.

A l'avant scène, un large cylindre tronqué est incrusté sur les planches afin de diriger par un mouvement pivotant sa surface vers le public, ou de créer un point de vue surélevé, ce qui permet de réaliser des changements de configurations scéniques fluides.

Vue panoramique du sanctuaire gallo-romain de Sanxay

Vue panoramique du sanctuaire gallo-romain de Sanxay

Cette recherche de fluidité se retrouve également à travers les entrées et sorties des nombreux figurants (13), choristes (65) et chœur d'enfants (20) pour lesquels un soin est accordé à leur disposition très picturale sur le plateau afin de créer une composition d'un bel équilibre visuel à chacune de leurs interventions. Et leurs costumes sont tous conçus dans une tonalité claire, longs drapés fins, colorés et légers pour les femmes, costumes militaires ou de ville aux teintes blanches et jaunes pour les hommes, hormis Escamillo qui apparaitra dans son riche ensemble rouge et noir de toréador au dernier acte.

Le jeu de scène de l'ensemble des artistes reste classique mais vivant, et on remarque qu'il est cadré de manière à ne pas rendre vulgaire les attitudes des cigarières, y compris Carmen, ni outrer la montée de la violence en Don José.

Bien qu'il s'agisse d'une histoire qui vire au drame, ce qui, de façon prémonitoire, est annoncé à travers les thèmes de l'ouverture et retranscrit sur scène par une danse fatale entre un danseur et une danseuse vêtus de noir, le spectacle préserve un caractère enjoué et bon enfant, sauf pour Don José et Micaela qui sont les deux seuls personnages qui souffrent de ne pas trouver leur place dans ce jeu social.

Ketevan Kemoklidze (Carmen) et les danseuses de Flamenco

Ketevan Kemoklidze (Carmen) et les danseuses de Flamenco

Et invité une première fois en 2011, le chorégraphe Carlos Ruiz est de retour pour insérer des pas de Baile Flamenco avec 6 de ses danseurs, 3 femmes et 3 hommes, sur "Les tringles des sistres tintaient" et l'ouverture du quatrième acte. Les jeux sonores des pieds sont très bien réglés sur le rythme de la musique, et les formes des arabesques sont fidèles à l'imaginaire oriental que l'on peut avoir de l'Espagne passée.

Florian Sempey (Escamillo)

Florian Sempey (Escamillo)

La distribution réunie ce soir ne comprend pas moins de trois chanteurs originaires du Caucase méridional. 
Ketevan Kemoklidze, qui reprendra le rôle à Palerme à la rentrée dans la mise en scène de Calixto Bieito, interprète Carmen avec une excellente attention au texte, précise dans les inflexions, et avec une grande variété de couleurs, que ce soit dans les accents haut-parlés, sagaces et très clairs, que dans les intonations sombres, avec des transitions qui préservent l'unité de la texture vocale.  

Elle adore jouer ce personnage, cela se voit, et créer ainsi une proximité immédiate avec l'auditeur. Et elle est aussi en relation très étroite avec l'ensemble des artistes, comme si elle se nourrissait surtout des échanges avec tout le monde plutôt que d'une mise en avant très détachée. 

Azer Zada (Don José) et Yoann Dubruque (Moralès)

Azer Zada (Don José) et Yoann Dubruque (Moralès)

Azer Zada, qui chantait dans Tosca ici même en 2018, incarne un Don José d'une sensible homogénéité de timbre et d'une très grande tendresse. Son personnage est poétique et introverti, ce qui insuffle une fine délicatesse à son air central "La Fleur que tu m'avais jetée", et reste intègre jusqu'à la scène finale, sans dislocation noire et vériste, au moment où le sang le mène à tuer Carmen.

Et sous les traits du lieutenant Zuniga, Nika Guliashvili fait inévitablement penser, avec sa noirceur brillante et chantante, à un Méphisto qui pourrait mal inspirer un Don José trop rêveur. Il est d'ailleurs bien mis en avant par sa présence naturelle.

Florian Sempey, à gauche en Moralès (2011), et à droite en Escamillo (2021)

Florian Sempey, à gauche en Moralès (2011), et à droite en Escamillo (2021)

Auprès d'eux, Florian Sempey, dès qu'il apparait sur scène, est comme l'enfant prodige de la région qui vient retrouver son public - il a débuté sa formation de chant à Libourne, puis intégré le Conservatoire national de Bordeaux en 2007 -.

Il incarnait Moralès ici même en 2011 - rôle qui est repris cette année avec belle tenue par Yoann Dubruque - au moment où il faisait partie de l'Atelier lyrique de l'Opéra national de Paris, et se glisse dorénavant avec facilité dans la peau d'Escamillo, auquel il apporte une fougue et une jeunesse qui rendent le Toréador attachant. Souffle généreux, grain vocal chaleureux, il représente la vie au bonheur accompli à laquelle rien ne résiste. 

Adriana Gonzalez (Micaela)

Adriana Gonzalez (Micaela)

Adriana Gonzalez est aussi une artiste qui est passée par l'Atelier Lyrique, un peu plus récemment que Florian Sempey, entre 2014 et 2017. Elle succède à Asmik Grigorian, qui avait fait ses débuts en France en 2011 à cette occasion, pour interpréter une Micaela d'une musicalité naturelle qui exprime de vrais sentiments intimes.

Les subtiles vibrations lui donnent une touche mélancolique, ce qui ne manque pas de déclencher une intense ovation à la fin de "Je dis que rien ne m'épouvante".

Ahlima Mhamdi (Mercédès) et Charlotte Bonnet (Frasquita)

Ahlima Mhamdi (Mercédès) et Charlotte Bonnet (Frasquita)

Et les autres rôles s'insèrent avec la même fraicheur dans la scénographie, à l'image du duo entre Mercédès et Frasquita qui précède "Carreau, pique ... la mort!" où s'allient de manière complice la pétillance d'Ahlima Mhamdi et la spontanéité irrésistiblement démonstrative de Charlotte Bonnet. Et quelle intrépidité de la part de celle-ci!

Autour des solistes, les différents ensembles de chœurs hommes, femmes et enfants sont source d'harmonie et de grande clarté, et Roberto Rizzi-Brignoli, qui fait ses débuts à Sanxay, obtient une épatante limpidité de l'orchestre composé de plus de 60 musiciens. Il fait ressortir avec beaucoup de netteté les ornements des instruments, basson, cuivres, harpe, les fait chanter avec les solistes, donne de la brillances aux cordes, et entretien un influx musical souple auquel il ne déroge pas, même dans les attaques les plus théâtrales.

Ketevan Kemoklidze,  Roberto Rizzi-Brignoli et Adriana Gonzalez

Ketevan Kemoklidze, Roberto Rizzi-Brignoli et Adriana Gonzalez

Et en témoignage de la rencontre de la Terre qui croise au même moment le nuage de poussière laissé dans l'espace par la comète Swift-Tuttle en 1992, une magnifique perséide s'embrase dans le ciel, à droite de la scène, à l'instant où Don José et Carmen se retrouvent seuls après le grand défilé de la place de Séville.

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Publié le 12 Août 2019

Aida (Giuseppe Verdi)
Représentation du 10 août 2019
Soirées lyriques de Sanxay

Aida  Elena Guseva    
Amnéris Olesya Petrova    
La Grande Prêtresse Sophie Marin-Degor    
Radamès Irakli Kakhidze    
Amonasro Vitaliy Bilyy    
Ramfis In-Sung Sim    
Le Roi Nika Guliashvili    
Le Messager Luca Lombardo    

Direction musicale Valerio Galli    
Mise en scène Jean-Christophe Mast    
Création lumières Pascal Noël    
Scénographie Jérôme Bourdin    
Chorégraphie Laurence Fanon    

                                                     Elena Guseva (
Aida) 

Si les trois représentations d’Aida qui avaient été jouées il y a exactement dix ans avaient remporté un beau succès, ce qui confirmait solidement la raison d’être des Soirées lyriques de Sanxay, l’édition 2019 représente un véritable sommet artistique pour le Festival qui, à l’occasion de l’anniversaire de ses 20 ans d’existence, a réuni une équipe artistique d’un excellent niveau international afin de faire de cette nouvelle production d’Aida un des spectacles les plus aboutis vus sur cette scène originale.

Elena Guseva  (Aida)

Elena Guseva  (Aida)

Visuellement, la conception des éléments de décors et des costumes soigne d’une luxuriance de couleurs scintillantes – les teintes bleues et or prédominent - une reconstitution imaginaire des palais et des temples égyptiens de l’antiquité, en appuyant la scénographie sur cinq imposantes colonnes palmiformes dont l’une, centrale, comporte à sa base plusieurs marches qui permettent de rehausser la dimension sacrale des interventions politiques ou religieuses. Cette même colonne pivote par ailleurs sur elle-même de façon à révéler une immense sculpture de Ptah, dont les traits mortifères sont accentués par les jeux d’ombres.

Irakli Kakhidze (Radamès)

Irakli Kakhidze (Radamès)

En arrière-plan, un simple mur parcellé de quelques entrées permet de fermer la scène et de projeter de très beaux faisceaux lumineux tout au long du spectacle, magnifiés par les irrégularités de surface des structures du décor, créant ainsi un constant plaisir pour les yeux. Car cette fantaisie de bon goût recherche également des effets magiques, comme lorsque Radamès trempe ses mains dans une jarre d’or liquide, où bien même lorsque le jeune couple affronte la mort à la toute fin.

Olesya Petrova (Amnéris),  Nika Guliashvili (Le Roi) et In-Sung Sim (Ramfis)

Olesya Petrova (Amnéris), Nika Guliashvili (Le Roi) et In-Sung Sim (Ramfis)

Si l’on ne peut s’attendre ici à une mise en scène qui s’éloigne des anciennes formes de représentations, ou qui recherche un jeu d’acteurs hyperréaliste, le metteur en scène Jean-Christophe Mast s’est toutefois allié à Laurence Fanon (la chorégraphe de La Veuve Joyeuse à l’Opéra de Paris) qui, comme pour Aida en 2009, a mis en valeur un groupe de danseurs noirs afin d’incarner la vitalité provocante et sauvage des esclaves nubiens. Leur sens de la liberté et la rigueur de leurs mouvements souples tout à la fois saccadés créent un contraste fort avec le statisme protocolaire de la cour d’Egypte, surtout que leur danse atteint son paroxysme au cours de la marche triomphale, alors que sur le mur frontal apparaît la croix de vie égyptienne.

Sophie Marin-Degor (La Grande Prêtresse)

Sophie Marin-Degor (La Grande Prêtresse)

Et si l’écrin visuel est réussi, la réalisation musicale l’est tout autant, à commencer par le travail orchestral des musiciens et de leur nouveau directeur, Valerio Galli, un habitué des grandes scènes italiennes. La densité théâtrale, l’alliage de l’énergie et du moelleux, la recherche du détail des nuances des cordes et du polissage des sons cuivrés, étincelés par les percussions, mettent en valeur l’écriture de Verdi et le mystère des ambiances d’Aida, et, surtout, le contrôle tendu du tissu instrumental respire naturellement avec les chanteurs qui sont ainsi parfaitement soutenus par leur chef. La direction du festival a tout intérêt à le garder pour les prochaines saisons.

Olesya Petrova (Amnéris), un danseur (esclave nubien) et, de dos, Valerio Galli

Olesya Petrova (Amnéris), un danseur (esclave nubien) et, de dos, Valerio Galli

Radamès peut ainsi s’imposer d’emblée comme une évidence, interprété par un jeune ténor géorgien, Irakli Kakhidze, peu connu en France, mais qui devrait l’être au cours des prochaines années car, pendant toute la soirée, il était impossible de ne pas penser à la générosité et au style poétique de Roberto Alagna. Son chant est d’une intégrité parfaite, les variations de tessitures respectent les courbures de ligne et l’homogénéité des couleurs vocales, et les aigus s’épanouissent dans une plénitude si jouissive que l’on a hâte d’entendre ce chanteur à nouveau sur une scène parisienne.

L’Aida d’Elena Guseva est également l'idéale partenaire d’Irakli Kakhidze, dont elle partage la même noblesse de chant, un art subtil des fluctuations de timbre et un sens du drame introverti qui préservent de bout en bout la dignité de la jeune esclave sans verser dans le mélodrame pour autant. 
Ses qualités vocales sont de plus exaltées par une expressivité de geste et des traits du visage qui renforcent la crédibilité de son personnage tiraillé par les dilemmes sentimentaux.

In-Sung Sim (Ramfis) et Vitaliy Bilyy (Amonasro)

In-Sung Sim (Ramfis) et Vitaliy Bilyy (Amonasro)

Olesya Petrova, en Amnéris, lui oppose des teintes et des vibrations profondément graves, plus classique, sûrement, dans sa façon de faire vivre la princesse égyptienne, et se montre orgueilleusement à l’aise dans les grands élans dramatiques, si bien que son opposition avec Aida prend des allures de règlement de compte qui font penser avec une soudaine évidence au duo de la princesse de Bouillon et d’Adrienne Lecouvreur dans l’opéra de Francesco Cilea
Sans doute est-ce dû à la façon très bourgeoise de faire se confronter ces deux femmes sur scène.

Autre artiste particulièrement bien mise en avant dans la mise en scène, la Grande Prêtresse de Sophie Marin-Degor est fascinante de par ses incantations vibrantes qui donnent une véritable densité à un personnage qui n'apparaît que pour peu de temps.

Elena Guseva  (Aida) et Irakli Kakhidze (Radamès)

Elena Guseva  (Aida) et Irakli Kakhidze (Radamès)

Et parmi les voix masculines graves, le Ramfis d'In-Sung Sim impressionne par ses intonations creuses, alors qu’au contraire le Roi de Nika Guliashvili rejoint en homogénéité, certes plus sombre, celle de son compatriote Irakli Kakhidze.

Quant à Vitaliy Bilyy, que nous connaissons bien à travers ses interprétations sur les scènes parisiennes, il cristallise les noirceurs et les sentiments négatifs d’Amonasro, en en brossant un portrait univoque dédié à la vengeance; mais peut-être qu’un soupson de mélodrame compassionnel ajouterait à la complexité de son personnage.

Enfin, le chœur, séparé en deux grands groupes, fait parfois entendre les individualités qui le composent, et, bien qu’uni musicalement, on sent qu’il pourrait se libérer avec encore plus de force porté par la confiance du directeur musical. 

Elena Guseva  (Aida)

Elena Guseva  (Aida)

Malgré la fraîcheur montée avec l’humidité ambiante lors de la première représentation qui s’est achevée à une heure du matin, l’enthousiasme soulevé dans le cœur du public démontre que ce vingtième anniversaire célèbre un travail de fond qui propulse le festival avec joie dans la troisième décennie du XXIe siècle.

Et, lors des entractes, observer la scène illuminée au milieu des ruines du théâtre surplombées par les spectateurs ravis, et serties par des guirlandes de lumières disposées en pleine nature, reste un spectacle tout autant émouvant.

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Publié le 11 Août 2015

Turandot (Giacomo Puccini)
Représentation du 10 août 2015
Théâtre antique de Sanxay  

Direction musicale Eric Hull
Orchestre et Chœur des Soirées Lyriques de Sanxay
Chœur d’enfants de l’Académie de chant des Soirées Lyriques

Mise en scène Agostino Taboga
Costumes Shizuko Omachi

Calaf Rudy Park
Timur Wojtek Smilek
Altoum Ronan Nédélec
Turandot Anna Shafajinskaia
Liu Tatiana Lisnic
Le Mandarin Nika Guliashvili
Ping Armen Karapetyan
Pang Xin Wang
Pong Carlos Natale                   
                                
Rudy Park (Calaf) et le chef d’orchestre Eric Hull

Mathieu Blugeon, le président des Soirées Lyriques de Sanxay, peut en être heureux, la première des trois représentations de Turandot jouée sur les vestiges du site gallo-romain de Sanxay est une réussite musicale qui n’était véritablement pas gagnée d’avance.

En effet, l’ultime et inachevé opéra de Puccini, donné dans sa version complétée par Franco Alfano, mobilise un impressionnant effectif orchestral et choral qui peut paraître un peu surdimensionné pour ce festival jeune et au modèle économique fragile, malgré le soutien de la région et des 230 personnes bénévoles.

Anna Shafajinskaia (Turandot)

Anna Shafajinskaia (Turandot)

Pourtant, Eric Hull, le nouveau directeur musical depuis l’année dernière, obtient de l’orchestre composé de près de 80 musiciens une atmosphère expansive sombre et surnaturelle due autant au pouvoir hypnotique des cordes et de leur légèreté, que des vents aux sonorités les plus menaçantes. Les percussions sont en surtension, sans brutalité, et les aspects les plus spectaculaires avec le chœur sont, eux, en revanche, plus humanisés et plus proches de la déploration que du cri de rage. Les cuivres pourraient être également plus fulgurants.

Armen Karapetyan (Ping), Carlos Natale (Pong) et Xin Wang (Pang)

Armen Karapetyan (Ping), Carlos Natale (Pong) et Xin Wang (Pang)

Sur scène, l’impérialité est habillée de haillons, car Rudy Park, qui avait chanté le rôle de Calaf à Nancy deux ans auparavant, incarne un Prince d’une redoutable assurance, avec une très grande homogénéité du timbre aussi sombre que celui du ténor russe Vladimir Galouzine, mais sans dureté et avec un sens de la noblesse austère et de l’affirmation personnelle splendide. Si l’équipe du festival envisage, un jour, de monter l’Otello de Verdi, elle sait sur qui compter dorénavant.

Rudy Park (Calaf)

Rudy Park (Calaf)

Anna Shafajinskaia, qui fut une Tosca incendiaire pour quelques soirs en ouverture de saison 2003/2004 à l’opéra Bastille – sous la direction de Marcello Viotti, a une voix qui ressemble beaucoup, en plus clair, à celle de sa compatriote ukrainienne de naissance, Maria Guleghina.

La noirceur lui fait certes défaut, mais elle tient ses aigus vaillamment, d’un trait, donne une couleur opaline à son chant, parsemé de microcoupures régulières, et se départit d’une interprétation rigide et cruelle. Folle de joie et entrainante au rideau final, la muraille qu’elle construit pour son personnage n’est en fait pas si solide, et son cœur se perçoit très tôt dans la seconde partie. Elle aussi rend, à sa manière, cette Turandot humaine.

Tatiana Lisnic (Liu) et Wojtek Smilek (Timur)

Tatiana Lisnic (Liu) et Wojtek Smilek (Timur)

Magnifique Tatiana Lisnic, au tempérament fort et au chant si sensible, qui sort Liu de son rôle trop souvent mélodramatique pour lui donner une dimension volontaire et écorchée saisissante de vérité.

Parmi les personnages secondaires, le trio Ping, Pang et Pong est musicalement uni, même si Carlos Natale a le rayonnement vocal le plus franc des trois ministres, et Wojtek Smilek joue un Timur profondément défaitiste.

Le Chœur d’enfants de l’Académie de chant des Soirées Lyriques

Le Chœur d’enfants de l’Académie de chant des Soirées Lyriques

Très bien mis en valeur en avant-scène, la perle de la soirée, le chœur d’enfants de l’Académie de chant est un ravissement dont ils peuvent tous être très fiers, autant que de leur accueil exultant de joie pour saluer tous les artistes.

Comme pour Nabucco l’année précédente, Agostino Taboga prend prétexte de l’œuvre légendaire pour imaginer un univers de personnages fantaisistes et multicolores dont on relève quelques images marquantes, des gardes au visage voilé de noir qui évoquent des combattants extrémistes du Moyen Orient, ou bien ce peuple vêtu de noir et acculé au travail forcé et répétitif dans les ateliers de la princesse chinoise.

Les costumes de Shizuko Omachi, fins, colorés et sans surcharge, font la valeur esthétique de cette scénographie.

Anna Shafajinskaia (Turandot) et Rudy Park (Calaf)

Anna Shafajinskaia (Turandot) et Rudy Park (Calaf)

Et c’est dans un ciel constellé d’étoiles et traversé de part en part par la Voie Lactée, que se sont élevées des lanternes chinoises aux lueurs orangées, dispersées par le vent dans la nuit pour célébrer la noce finale.

Prochaines représentations : le 12 et le 14 août 2015.

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