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Publié le 28 Décembre 2023

La Nuit de Noël (Nikolaï Rimski-Korsakov – Théâtre Mariinsky de Saint-Pétersbourg, le 28 novembre 1895)
Représentation du 25 décembre 2023
Opéra de Frankfurt

Tschub, vieux cosaque Inho Jeong
Oksana, sa fille Julia Muzychenko
Golova (Le Maire) Sebastian Geyer
Solocha Enkelejda Shkoza
Wakula, son fils Georgy Vasiliev
Panas Changdai Park
Ossip (Le Sacristain) Peter Marsh
Pazjuk Thomas Faulkner
Le Diable Andrei Popov
La Tsarine Bianca Andrew
Femme avec un nez ordinaire Barbara Zechmeister
Femme au nez violet Enkelejda Shkoza
L’Ours Pascu Ortí
Koljada (Déesse de la virginité) Eva Polne
Owsen (Dieu du Printemps) Gorka Culebras
Esclave de Pazjuk Irene Madrid
Monsieur Flic-Flac Guillaume Rabain
Odarka Clara Navarro
Le valet de la Tsarine Gabriele Ascani
Un gentleman portugais Guillermo de la Chica
Swerbigus Antonio Rasetta

Direction musicale Takeshi Moriuchi
Mise en scène Christof Loy (2021)

Grand classique du Théâtre national d'opéra et de ballet de Voronej et du Théâtre Mariinsky de Saint-Pétersbourg où il fut créé en 1895, ‘La Nuit de Noël’ de Nikolaï Rimsky-Korsakov bénéficie depuis le 05 décembre 2021 d’une production scénique en Europe de l’Ouest dont la qualité a valu à l’opéra de Frankfurt d’être récompensé par le magazine Opernwelt pour avoir présenté le meilleur spectacle lyrique de la saison 2021/2022.

Georgy Vasiliev (Wakula) et Julia Muzychenko (Oksana)

Georgy Vasiliev (Wakula) et Julia Muzychenko (Oksana)

Cet opéra, issu d’une intrigue racontée par Nikolaï Vassilievitch Gogol dans ‘Les Veillées du hameau près de Dikanka’ (1831-1832), reprend des éléments du folklore villageois et notamment les koliadki, chants de Noël traditionnels apparus dans la Rus’ de Kiev au 9e siècle après J.C.

Georgy Vasiliev (Wakula), Julia Muzychenko (Oksana) et le portrait de Gogol

Georgy Vasiliev (Wakula), Julia Muzychenko (Oksana) et le portrait de Gogol

Le romancier est en effet né à Sorotchintsy, village ukrainien situé au nord des territoires cosaques zaporogues – cosaques qui s’étaient illustrés pour avoir repoussé les Tatars -, et était fortement imprégné de sa culture locale. Il n’est pas encore l’auteur satirique qui, quelques années plus tard, va secouer, en toute innocence, les institutions russes.

Pour son cinquième opéra, parmi la quinzaine qu’il composera, Nikolaï Rimski-Korsakov ne s’est pas départi du contenu pittoresque de la nouvelle, ni de l'aspect trivial de la nature humaine, mais lui a ajouté une dimension merveilleuse à travers la musique. Le climax de cet envoûtement sonore se déroule à travers un impressionnant divertissement orchestral qui précède l’arrivée de Wakula à la cour de la Tsarine.

Enkelejda Shkoza (Solocha) et les astres de l'univers

Enkelejda Shkoza (Solocha) et les astres de l'univers

L’histoire, pleine de scènes vivantes, raconte les démêlés d’un jeune forgeron, Wakula, qui, pour séduire Oksana, la fille d’un vieux cosaque, pactise avec le diable afin qu'il l'emmène sur un destrier au palais de la Tsarine à Saint-Pétersbourg pour en obtenir les souliers que la jeune femme qu’il convoite lui demande.

Ce diable, qui avait pour un temps fait disparaître la Lune afin d’empêcher le jeune villageois de rejoindre sa bien-aimée pour se venger de l’avoir peint en train d’être rossé de coups de bâtons, représente aussi les forces obscures de la vie promptes à contrecarrer les désirs d’autrui.

Quant à Solocha, la mère de Wakula, personnage à la fois surnaturel et maternel complice du diable, elle est fondamentalement une femme tentatrice pour la communauté des hommes du village.

Julia Muzychenko (Oksana) et le chœur de l'opéra de Frankfurt

Julia Muzychenko (Oksana) et le chœur de l'opéra de Frankfurt

Pour dépeindre cette fable, Christof Loy inscrit d’emblée dans son décor un reflet de l’immensité de l’univers. Sols et murs sont recouverts de dalles carrées percées de points lumineux d’intensité variable qui sont comme les étoiles merveilleuses et luminescentes du ciel nocturne.

Le rideau d’avant scène représente la galaxie d’Andromède cernée d’autres nébuleuses et accompagnée, de façon plus improbable, par la présence de la Lune. Le négatif du panache d’une queue de comète peinte sur le mur d’arrière scène reste, lui, omniprésent.

Georgy Vasiliev (Wakula)

Georgy Vasiliev (Wakula)

Ce drapé ouaté sert également à flouter les artifices des nombreux numéros de voltiges acrobatiques auxquels le Diable et Solocha, mais aussi d’autres figurants, vont se livrer à travers les multiples envols vers les cintres de la scène.

Un gigantesque morceau de Lune assombrie déborde aussi sur la gauche du plateau en référence à la malédiction qui pèse sur le village ukrainien. Et à un certain moment, les jeunes gens chantant des Koliadki sembleront même emportés dans l’espace.

Julia Muzychenko (Oksana)

Julia Muzychenko (Oksana)

Le metteur en scène allemand se révèle comme souvent symbolique dans la disposition des éléments de décors, se limitant à une simple lampe pendue au dessus d’une table pour la maison d’Oksana, ou bien à un canapé, une armoire, une théière dorée et quelques tapis chez Solocha.

Mais il concède un peu plus de faste pour les costumes de la cour du Palais de la Tsarine, avec un mélange de simplicité et de finesse intuitivement dosées.

Andrei Popov (Le Diable) et Enkelejda Shkoza (Solocha)

Andrei Popov (Le Diable) et Enkelejda Shkoza (Solocha)

Les éléments naturels tels la tempête de neige et tout ce qui se réfère à la dureté de l’environnement sont évacués, mais il n’élude aucune dimension de l’intrigue sociale, comme l’alcool mélancolique qui structure la vie de ce petit monde, et montre même les allusions sexuelles quand les hommes interviennent un à un chez la sorcière, tout en insufflant un comique de situation qui permette d’assurer que le spectacle reste adapté à tous les âges.

La chaleur humaine a ici plus d’importance que les rigueurs climatiques.

Ballerine et ours russe

Ballerine et ours russe

Le jeu d’acteur de la troupe est par ailleurs vivant avec un grand naturel, et le metteur en scène induit également une poésie d’expression très épurée au cours des beaux passages symphoniques du 3e acte où une ballerine et un ours, le symbole maladroit et brutal de la Russie, puis un acrobate venu des airs, se livrent à des mouvements chorégraphiques d’une légèreté qui se superpose idéalement aux étourdissements de la musique.

Et il prend soin à ce que chaque petit rôle, chaque choriste, montre un petit peu d’âme qui les particularise par des gestes très simples mais signifiants.

Inho Jeong (Tschub)

Inho Jeong (Tschub)

La distribution composée de chanteurs de la troupe de l’opéra de Frankfurt et d’artistes invités est d’une excellente unité avec des disparités en teintes et textures vocales qui forment des tableaux vifs et colorés.

Elle est identique à celle de la création en 2021 sauf pour les deux rôles de basse et basse baryton, Tschub et Panas, chantés cette fois par deux artistes coréens, respectivement Inho Jeong et Changdai Park. Le premier joue le rôle d’un père austère avec une franche résonance dans les graves, et le second apporte plus de moelleux lors de ses brèves interventions bonhommes.

Enkelejda Shkoza (Solocha) et Peter Marsh (Le Sacristain)

Enkelejda Shkoza (Solocha) et Peter Marsh (Le Sacristain)

Fortement caractérisé par une hargne qui se ressent à travers un timbre d’une clarté très expressive et agressive, Andrei Popov incarne un diable grinçant et déterminé qui ne s’économise pas pour étaler les torsions intérieures de cet être sans noblesse.

Sa complice, Solocha, est jouée par Enkelejda Shkoza – on se souvient que cette artiste albanaise fut la première Giulietta lors de création des ‘Contes d’Hoffmann’ montée par Robert Carsen en l’an 2000 à l’Opéra Bastille - qui se montre d’une très grande aisance scénique afin de traduire la vulgarité et la nature manipulatrice de cette femme qui mène tous les hommes du villages par le bout du nez. Son mezzo est corsé, bariolé de traits perçants, et mené avec bagout et beaucoup d’humour.

Georgy Vasiliev (Wakula) et Thomas Faulkner (Pazjuk)

Georgy Vasiliev (Wakula) et Thomas Faulkner (Pazjuk)

Les visiteurs qui se présentent chez elle lui donnent parfaitement le change, Sebastian Geyer en maire un peu austère qui a peur des ragots, et Peter Marsh qui dessine un sacristain libidineux au timbre très naturaliste qui va bien avec ce portrait pitoyable.

D’une appréciable sonorité caverneuse, la basse britannique Thomas Faulkner donne de l’impact au vieux Patziouk, sorte de Méphisto qui accepte d’aider Wakula en échange de son âme, et Bianca Andrew offre, à la Tsarine, noirceur brillante et bonne humeur d’une très belle présence.

Bianca Andrew (La Tsarine)

Bianca Andrew (La Tsarine)

Mais le deux rôles centraux sont aussi d’une charmante authenticité. Georgy Vasiliev a de cette fougue ombreuse et tourmentée qui dépeint avec vérité, héroïsme et mélancolie slave les sentiments du jeune Wakula, et Julia Muzychenko adore insufler du rayonnement et une énergie fortement positive à Oksana avec un beau timbre généreusement charnel.

Son grand air final, qui lui donne le plus de profondeur quand elle pense que son prétendant s’est suicidé, est d’ailleurs chanté avec une envoûtante sensibilité.

Julia Muzychenko (Oksana)

Julia Muzychenko (Oksana)

Et tant scéniquement que vocalement, les chœurs de l’opéra de Frankfurt sont fabuleux de cohésion dans tous les ensembles vivants et spirituels, créant ainsi une unité d’âme particulièrement exaltante en ce jour de Noël.

Prenant de plus en plus d’importance à la direction d’orchestre, Takeshi Moriuchi fait vibrer toute la chaleur et la splendide souplesse de son ensemble de musiciens dont la rondeur magnifie au plus haut point l’écriture de Rimski-Korsakov.

Julia Muzychenko (Oksana) et le chœur de l'opéra de Frankfurt

Julia Muzychenko (Oksana) et le chœur de l'opéra de Frankfurt

La ronde des astres dans le ciel, la rutilance des nappes orchestrales, mais aussi l’équilibre avec le plateau, sont très bien rendus et maintenus, mais il reste plus mesuré quand il s’agit de restituer le piquant des actions populaires, et la polonaise chez la Tsarine sonne un peu empesée.

Enkelejda Shkoza (Solocha) et les astres de l'univers

Enkelejda Shkoza (Solocha) et les astres de l'univers

En ce lundi 25 décembre, ce splendide spectacle affiche complet. Et le fait de voir des familles venues avec des enfants très jeunes, certains d’une dizaine d’années seulement, qui applaudissent à tout rompre un opéra russe que tout le monde découvre, vous emplit d’un optimisme qui démontre aussi qu’il y a bien en Allemagne une tradition musicale qui continue à se transmettre aux jeunes générations, ce qui devrait être un exemple pour le public et pour les politiques français qui ne soutiennent pas assez un art viscéralement attaché à l’identité culturelle et unificatrice du continent européen au sens large.

Andrei Popov, Sebastian Geyer, Peter Marsh, Inho Jeong, Georgy Vasiliev, Julia Muzychenko et Enkelejda Shkoza

Andrei Popov, Sebastian Geyer, Peter Marsh, Inho Jeong, Georgy Vasiliev, Julia Muzychenko et Enkelejda Shkoza

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Publié le 14 Octobre 2019

Guillaume Tell (Gioacchino Rossini – 1829)
Représentation du 13 octobre 2019
Opéra de Lyon

Guillaume Tell Nicola Alaimo
Hedwige Enkelejda Shkoza
Jemmy Jennifer Courcier
Jemmy (enfant) Martin Falque 
Arnold John Osborn
Gesler Jean Teitgen
Melcthal Tomislav Lavoie
Mathilde Jane Archibald
Rodolphe Grégoire Mour
Walter Furst Patrick Bolleire
Ruodi, un pêcheur Philippe Talbot
Leuthold Antoine Saint-Espes
Un Chasseur Kwang Soun Kim

Direction musicale Daniele Rustioni
Mise en scène Tobias Kratzer (2019)

Avec La Muette de Portici, composé par Daniel-François-Esprit Auber en 1828, Guillaume Tell est l’une des deux pierres angulaires du genre du grand opéra français, genre caractérisé par une veine historique déployée sur 4 à 5 actes, des lignes mélodiques écrites pour le goût français du XIXe siècle, et un grand ballet central.

Arrivé à Paris en 1823 pour diriger le Théâtre des Italiens, Gioacchino Rossini avait déjà pu y représenter douze de ses opéras, et créer à la salle Le Peletier, prédécesseur du Palais Garnier, deux adaptations françaises de ses ouvrages italiens, Le Siège de Corinthe et Moïse et Pharaon.

Malgré sa durée, Guillaume Tell va alors devenir son plus grand chef-d’œuvre, et sera joué sur la scène de l'Opéra de Paris plus de 800 fois durant un siècle, mais parfois réduit d'un acte ou deux.

Ouverture de Guillaume Tell - © Bertrand Stofleth

Ouverture de Guillaume Tell - © Bertrand Stofleth

La version présentée ce soir comprend inévitablement des coupures, mais avec une durée totale de 3h30 elle se situe dans les standards qui préservent le mieux l’intégrité de la musique.

Surtout que l’interprétation portée par l’orchestre de l’Opéra de Lyon et Daniele Rustioni rend hommage à la finesse et à l’ardeur de l’écriture rossinienne, souplesse et patine lustrée s’alliant en un courant fluide parcellé d’effets miroitants constamment charmants.

Et l’excellente imprégnation orchestrale avec le chœur qui, dans ce spectacle, joue un rôle de premier plan qui l’engage théâtralement parlant, est aussi à porter au crédit d'une réalisation qui marie idéalement les timbres des choristes en mettant en valeur leur unité grisante et leur amour de la déclamation précise.

Tomislav Lavoie (Melcthal) - © Bertrand Stofleth

Tomislav Lavoie (Melcthal) - © Bertrand Stofleth

Tobias Kratzer offre en effet au chœur une magnifique façon d’être sur scène en le représentant comme une communauté réunie quelque part dans les montagnes pour vivre sa passion pour les arts raffinés du chant, de la danse et de la grande musique, une communauté habile et élégante d’expression. Loin de prendre des poses stéréotypées, les chanteurs renvoient une image de spontanéité et un sentiment de vie naturel qui renforce la crédibilité de leur destin. 

Les teintes austères gris-noir-blanc dominent cet ensemble, et lorsque les Autrichiens apparaissent en blanc, vêtus d’un chapeau melon noir et équipés de battes de baseball, à l’instar de la bande d’Alex DeLarge dans « Orange Mécanique » de Stanley Kubrick (1971), la violence planante sur ce petit monde humain relié par une culture forte dépasse le sort de la confédération helvétique et fait immédiatement penser à un autre spectacle récent, Salomé mis en scène par Krzysztof Warlikowski à Munich, qui évoque une communauté juive encerclée par l’ennemi.

Ainsi, le choix de la référence à « Orange Mécanique », outre que l’ouverture de Guillaume Tell est utilisée dans le film au cours d’une scène de viol, installe une tension aiguë et instantanée à chaque apparition de ce groupe sadique dont on pressent la violence éruptive à tout moment.

John Osborn (Arnold) et Jane Archibald (Mathilde) - © Bertrand Stofleth

John Osborn (Arnold) et Jane Archibald (Mathilde) - © Bertrand Stofleth

Par la suite, les interactions avec le groupe communautaire tournent régulièrement à l’humiliation, danses légères forcées, travestissement en costumes folkloriques colorés, coups cassants au fur et à mesure que la tension monte, et les tortures sur Melcthal sont montrées de façon insoutenables, obligeant Guillaume Tell à abréger ses souffrances.

Mais le metteur en scène n’a recours à la violence directe que sporadiquement et, dans la première partie, la manière dont il chorégraphie les ballets souligne la délicatesse de la musique qui les anime et ne la ringardise jamais.

S’il obtient de tous les chanteurs un brillant réalisme de jeu, il ne cherche cependant pas à remplir les scènes intimes plus longues dans la seconde partie, et reste très simple dans sa direction au cours de ces passages dramatiquement faibles, surtout qu’il dispose d’un atout, le personnage de Jemmy, fils de Tell, chanté par Jennifer Courcier mais joué tout le long de l’ouvrage par un jeune enfant haut comme trois pommes, Martin Falque. Ce garçon assume une présence constante pensée pour attendrir et solliciter les sentiments du spectateur, et Tobias Kratzer attend les dernières mesures du chœur final pour signifier un peu trop soudainement comment les persécutions et la réaction de la communauté, qui brise ses instruments de musique pour en faire des armes tranchantes, auront frappé la psyché de cet enfant proche de devenir un futur persécuteur.

Guillaume Tell, Acte III - © Bertrand Stofleth

Guillaume Tell, Acte III - © Bertrand Stofleth

Pourtant, d’aucun n’aurait imaginé, en le dépouillant de sa légende historique, que Guillaume Tell puisse à ce point évoquer les conflits communautaires d'aujourd’hui.

Les solistes réussissent tous à rendre cette vision poignante, chacun filant de son art les plus beaux aspects de sa voix. Nicola Alaimo, physiquement imposant et appuyant une présence stabilisatrice pour sa communauté, chante avec un soyeux fort poétique, une ligne musicale jamais inutilement affectée, devenant un peu moins sonore dans les aigus tout en préservant homogénéité et continuité de sa tessiture.

Enkelejda Shkoza, une Hedwige forte, possède des moyens considérables qui donnent de l’ampleur à la femme de Guillaume Tell, et le galbe rond d’un noir profond de sa voix laisse poindre un tempérament volontaire et ombré qui n’est pas sans rappeler celui de Lady Macbeth.

Martin Falque et Jennifer Courcier

Martin Falque et Jennifer Courcier

Et John Osborn, qui doit constamment affronter une écriture impossible dans les suraigus, surmonte toutes les difficultés un peu artificielles d’Arnold, tout en lui donnant un petit côté écorché-vif qui accentue le réalisme de son personnage d’une diction impeccable.

La surprise vient cependant de Jane Archibald que l’on n’avait plus revu depuis sa dernière Zerbinetta à Bastille en 2010. Son français est certes moins précis, son interprétation de Mathilde un peu trop mélodramatique, mais le timbre est dorénavant plus corsé, plus riche en couleurs dans le médium, et sa technique lui permet de réaliser des effets de coloratures absolument sidérants.

Nicola Alaimo, Daniele Rustioni, Jane Archibald

Nicola Alaimo, Daniele Rustioni, Jane Archibald

Quant à Jean Teitgen, son portrait de Gesler n’autorise aucune ambiguïté, tant il le couvre d’une noirceur malfaisante à la hauteur de son caractère odieux, et parmi les seconds rôles Jennifer Courcier dépeint une agréable image de fraîcheur inquiète, Philippe Talbot ouvre l’opéra sur un air inspirant qu’il tient fièrement, et Tomislav Lavoie rend à Melcthal un naturel bienveillant.

Il y a grand risque à ouvrir une saison sur du grand opéra, le pari est pourtant remporté aussi bien sur le plan dramaturgique que musical, car les images visuelles - telles ces larmes d'encre noire qui déferlent sur le paysage des Alpes enneigées - et sonores laissent, bien après coup, des empreintes obsessionnelles émotionnellement saillantes.

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