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Publié le 23 Février 2023

Achille in Sciro (Francesco Corselli – Real Colisea del Buen Retiro de Madrid, 8 décembre 1744)
Représentation du 19 février 2023
Teatro Real de Madrid

Lycomède Mirco Palazzi
Ulysse Tim Mead 
Deidamia Francesca Aspromonte 
Teagene Sabina Puértolas
Achille / Pyrrha Gabriel Díaz
Arcade Krystian Adam
Néarque Juan Sancho

Direction musicale et clavecin Ivor Bolton
Mise en scène Mariame Clément (2020)
Orquesta Barroca de Sevilla
Chœur titulaire du Teatro Real de Madrid

Coproduction Theater an der Wien
Œuvre reconstituée par l’Instituo Complutense de Ciencas Musicales (ICCMU) – Édition critique de Alvaro Torrente

En introduction du livret distribué au public venu assister à ’Achille in Sciro’ de  Francesco Corselli, Gregorio Marañon, le président du Teatro Real, rappelle que, le 17 mars 2020, la première de cette recréation fut douloureusement suspendue à cause de l’épidémie de covid-19.

Gabriel Díaz (Achille / Pyrrha) et Francesca Aspromonte (Deidamia)

Gabriel Díaz (Achille / Pyrrha) et Francesca Aspromonte (Deidamia)

3 ans plus tard, cet opéra créé sous le règne de Philippe V, petit fils de Louis XIV, peut être enfin redécouvert.
Francesco Corselli est un compositeur italien qui naquit à Piacenza en 1705 et écrivit son premier opéra ‘La venere placata’ pour Venise en 1731. Il intégra la cour d’Espagne en 1734 où il composa un grand nombre d’œuvres religieuses, puis présenta en 1738, à l’occasion du mariage de l’Infant Charles III et de Marie-Amélie de Saxe ,‘Alessandro nelle Indie’, son premier opéra qui soit basé sur un texte de Métastase.

Il y en aura cinq autres dont ‘Achille in Sciro’ qui fut d’abord mis en musique par Antonio Caldara en 1736, pour Vienne, puis par Dominico Natale Sarro pour l’inauguration de Teatro san Carlo de Naples le 4 novembre 1737.

Sur ce même texte, Francesco Corselli composa une nouvelle musique destinée à célébrer le mariage de l’Infante d'Espagne Maria Teresa Rafaela avec le Dauphin Louis de France (fils de Louis XV), et la création eut lieu au Real Colisea del Buen Retiro de Madrid, le 8 décembre 1744.

Tim Mead (Ulysse)

Tim Mead (Ulysse)

L’œuvre ne fut plus reprise en Espagne par la suite. Dans sa volonté de mettre en valeur une partie du patrimoine musical espagnol, le Teatro Real de Madrid lui offre ainsi un magnifique écrin dans une mise en scène et une interprétation musicale qui la servent très bien.

Métastase s’est inspiré d’un épisode qui n’est pas relaté dans l’Iliade mais bien plus tard par le poète napolitain Stace (40-96) à travers son épopée inachevée ‘Achilleis’, qui devait raconter l’enfance d’Achille jusqu’à la Guerre de Troie.
Il s’agit d’une réflexion enjouée sur le dilemme entre l’engagement amoureux et la conquête vers la gloire que l’environnement et la hiérarchie sociale font peser sur les hommes.

Francesca Aspromonte (Deidamia)

Francesca Aspromonte (Deidamia)

Thétis, Néréide et mère d’Achille, sachant que son fils mourra lors de la prise de Troie, l’envoie à la cour du Roi de Skyros, Lycomède, déguisé en femme de la cour sous le nom de Pyrrha (‘La rousse’ en grec ancien). Il tombe amoureux de la fille du Roi, Déidamie, mais l’arrivée d’Ulysse sur l’île va aboutir au dévoilement du travestissement du guerrier grec.
Dans sa première partie, l’œuvre produit un complexe mélange de sexes et de genres dans un esprit de mascarade inhérent à l’époque baroque, et l’on peut même voir dans cette production de Mariame Clément un chanteur incarnant un homme déguisé en femme, Achille, embrasser furtivement une chanteuse incarnant un homme, Teagene.

Sabina Puértolas (Teagene)

Sabina Puértolas (Teagene)

Pour la petite histoire, cette légende d’Achille fut pour la première montée en opéra sous le titre ‘La finta pazza’ par Francesco Sacrati (Bologne, 1641), qui est considéré comme le premier opéra qui fut joué en France en 1645, à la salle du Petit Bourbon, à l’initiative du Cardinal Mazarin.

Quelques années plus tard, Giovanni Legrenzi composa également pour le Teatro di Santo Stefano de Ferrare, en 1663, ‘L’Achille in Sciro’.

C’est dire que ce thème a parcouru l’histoire de l’opéra baroque pendant un siècle jusqu’à l’ultime version de Francesco Corselli en passant même par le dernier opéra de Georg Friedrich Haendel, ‘Deidamia’, écrit pour Londres en 1741.

Francesca Aspromonte (Deidamia)

Francesca Aspromonte (Deidamia)

Pour son retour sur la scène du Teatro Real de Madrid où il interprétait ‘La Calisto’ de Cavalli en mars 2019, l’Orquesta Barroca de Sevilla rend à la musique de Corselli toute sa fougue, augmentée par une caractérisation très affûtée des instruments à vent, le poli des cuivres sonnant avec clarté et pureté, notamment. Les nombreux aria da capo ne sont pas sans laisser une impression de répétition, et il manque dans l’écriture de longues plages de respiration, ces magnifiques largo qu’Haendel, par exemple, savait composer.

Mais l’esprit est à l’action et à l’optimisme, et Ivor Bolton s’avère être un efficace maître du tempo et de enchevêtrement théâtral et musical. L’écoute de cette belle pâte sonore, nourrie et vivante, est par ailleurs un plaisir entêtant de l’instant qui dynamise l’intériorité de l’auditeur.

Achille in Sciro (Diaz Aspomonte Mead Bolton Clément) Madrid

Dans le rôle principal, Gabriel Díaz assure le remplacement de Franco Fagioli, souffrant, et apporte une coloration ample et sombre à Achille qui évoque un fort sentiment mélancolique et dépressif. L’endurance de ce jeune chanteur sévillan est fortement mise à l’épreuve et s’avère solide pour surmonter ses nombreux airs. 

Tim Mead, en Ulysse, bien que lui aussi guerrier, fait ressentir une tendresse un peu lunaire. Il n’a pas autant à chanter que Gabriel Diaz, mais il est assez séduisant de constater que ses interventions invitent à la rêverie. Le contraste entre ce qu’évoquent ces deux chanteurs et les personnages mythologiques qu’ils représentent est absolument déroutant.

Juan Sancho (Néarque) et Gabriel Díaz (Achille / Pyrrha)

Juan Sancho (Néarque) et Gabriel Díaz (Achille / Pyrrha)

Émouvante, excellente actrice, et douée d’une fraîcheur de timbre charmante qui s’apprécie dans les moments les plus délicats, Francesca Aspromonte colore de multiples états d’âme Deidamia, à la fois femme amoureuse, heureuse de vivre, mais aussi qui aspire à une grande liberté d’être. 

Cela permet aussi à Sabina Puértolas de s’affirmer en Teagene comme une étourdissante technicienne, à manier les trilles et la vélocité expressive qui déploient ainsi un personnage vaillant et d’apparence sans peur. Autant Francesca Aspromonte est d’approche mozartienne, autant la soprano espagnole est totalement impliquée dans la tonalité baroque, avec des petites intonations assombries, et fait preuve d’un panache à l’effet très réussi.

Gabriel Díaz (Achille / Pyrrha), Tim Mead (Ulysse) et Krystian Adam (Arcade)

Gabriel Díaz (Achille / Pyrrha), Tim Mead (Ulysse) et Krystian Adam (Arcade)

Deux ténors se présentent comme les reflets d’Achille et Ulysse. Néarque, le tuteur du premier, est interprété par Juan Sancho, chanteur à l’abatage certain qui a des qualités déclamatoires très expressive, mais Krystian Adam décrit un Arcade, le confident du second, plus posé, au timbre plus riche qui prend encore plus possession de la salle.

Enfin, Mirco Palazzi incarne un Lycomède adouci mais avec une élocution peu contrastée, ce qui rend son personnage trop monotone.

Achille in Sciro (Diaz Aspomonte Mead Bolton Clément) Madrid

Non sans un certain opportunisme, Mariame Clément insiste sur la dimension ‘queer’ de cet opéra baroque, et fait beaucoup appel à des coloris et des lumières dans les teintes rose-orangé, sans virer au kitsch pour autant. Elle choisit le cadre d’une grotte, qui évoque beaucoup la grotte de Vénus de Louis II Bavière, surtout lorsqu’ Ulysse approche de Skyros en barque. La présence une jeune aristocrate royale du XVIIIe siècle fait pencher pour l’interprétation d’un rêve dans un lieu qui sert de refuge.

Mariame Clément imprime un excellent rythme et beaucoup d’effets de surprise dans la gestion des apparitions des divers protagonistes, en faisant de cet opéra une brillante comédie de bon goût. Elle donne au chœur – qui n’a que trois interventions - une présence vivante et naturelle, et on voit qu’il s’agit d’une metteur en scène qui sait diffuser dans son spectacle sa propre personnalité avec finesse.

Gabriel Díaz, Francesca Aspromonte, Ivor Bolton, Gabriel Díaz et Sabina Puértolas

Gabriel Díaz, Francesca Aspromonte, Ivor Bolton, Gabriel Díaz et Sabina Puértolas

Pour montrer comment l’œuvre bascule de la confusion des genres inhérente à l’esprit du XVIIe siècle à un nouvel humanisme classique, des reproductions de statues sont insérées dans le décor, et une saisissante proue de navire apparaît au moment où l’heure du départ approche. On serait tenté de voir en Deidamia une autre Didon qui en veut à celui qui la quitte, mais ici, la rancœur est très passagère, et l’acceptation que le devoir est le plus fort est significatif de la morale que Corselli souhaitait présenter à la cour royale.

La démonstration qu’il s’agit d’un ouvrage qui sonne comme un adieu tout en sourire à une certaine époque est tout à fait convaincante, et de plus, il enrichit notre regard sur une légende qui a longtemps nourri l’histoire de l’opéra italien avant que de nouvelles formes musicales ne prennent la suite.

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Publié le 25 Décembre 2022

Giselle (Adolphe Adam – Académie Royale de Musique-Le Peletier, 28 juin 1841)
Ballet de l'Opéra de Kiev
Représentations du 21 (19h30) et 24 (15h00) décembre 2022
Théâtre des Champs-Élysées

Giselle Natalia Matsak
Albrecht Sergii Kryvokon
Myrtha Iryna Borysova
Hilarion Kostiantyn Pozharnytskyi
Berthe Kseniia Ivanenko
Avec Tymofiy Bykovets, Maksym Bilokrynytskyi, Daria Manoilo, Sergii Lytvynenko, Petro Markishev et le corps de ballet de l’Opéra national d’Ukraine

Chorégraphie Marius Petipa, d’après Jules Perrot et Jean Coralli
Décors et costumes originaux Tetiana Bruni
Costumes nouveau design Malva Verbytska (Maison Malva Florea)
Maître de Ballet Kostyantin Sergieiev
Direction musicale Dmytro Morozov
Orchestre Prométhée

Avec la reprise de ‘Giselle’ au Palais Garnier, en juin dernier, suivie, dès la rentrée au Théâtre des Champs-Élysées, par la version d’Akram Khan, et maintenant avec la venue du Ballet de l’Opéra national d’Ukraine en ce même théâtre, l’année 2022 aura donc été une année ‘Giselle’ pour Paris.

Natalia Matsak (Giselle) et Sergii Kryvokon (Albrecht)

Natalia Matsak (Giselle) et Sergii Kryvokon (Albrecht)

Et, en préambule de la première du mercredi 21 décembre, Michel Franck, le directeur du célèbre Théâtre de l’avenue Montaigne, a bien pris soin de décrire au public les conditions avec lesquelles les artistes ont du composer pour venir en toute sécurité à la capitale : le voyage en car depuis Kiev vers Varsovie, la tempête de neige et les défaillances de leur moyen de transport, leur rapatriement vers Cracovie où l’organisatrice de la tournée a pu trouver en urgence 100 billets d’avions pour les danseurs, certains venant avec leurs enfants pour échapper aux bombardements de leur ville.

Michel Franck et l'organisatrice de la Tournée du ballet national d'Ukraine

Michel Franck et l'organisatrice de la Tournée du ballet national d'Ukraine

Ils sont arrivés au théâtre 3 jours plus tôt, un dimanche, et Michel Franck, décrivant le stress d’une alerte à la bombe lorsque l’un des artistes ukrainiens eut oublié d’éteindre son téléphone portable, a rappelé à quel point ces circonstances remettaient à leur juste place nos petits problèmes quotidiens.

Corps de Ballet de l'Opéra national d'Ukraine (Fête au village)

Corps de Ballet de l'Opéra national d'Ukraine (Fête au village)

Cette venue était programmée avant le début de la guerre, c’est pourquoi ‘Casse-Noisette’ était initialement programmé, et du être remplacé par ‘La fille des neige’ afin de ne pas donner prise à la Russie de Vladimir Poutine qui utilise la culture comme moyen de propagande.

Mais avec les multiples coupures d’électricité dues aux attaques aériennes sur les installations civiles, la troupe manquait de temps pour monter le ballet de Michael Corder, si bien que les danseurs de Kiev ont choisi d’interpréter ‘Giselle’ d’Adolphe Adam qu’ils connaissent par cœur.

Natalia Matsak (Giselle) et Sergii Kryvokon (Albrecht)

Natalia Matsak (Giselle) et Sergii Kryvokon (Albrecht)

Ils sont donc très heureux d’être à Paris, mais pour eux, il est important de montrer la réalité de ce qu’ils vivent, et chacun est bien décidé à ne pas se laisser faire et à poursuivre sa mission. Certains danseurs et danseuses sont même allés au combat, et un ancien soliste, Alexander Chapoval, a été tué par les Russes dans l’est de l’Ukraine.

Kseniia Ivanenko (Berthe)

Kseniia Ivanenko (Berthe)

La toute première venue au Théâtre des Champs-Élysées de la troupe du Ballet de l’Opéra de Kiev date de 1964 où, dans le cadre du deuxième Festival International de Danse de Paris, elle fut consacrée meilleure Compagnie, ainsi que leurs solistes, Irma Loukachova et Vladimir Parsegoff, qui reçurent le Grand Prix de la Ville de Paris pour leur pas de deux d'’Esmeralda’

Puis, il faudra attendre décembre 2018 pour retrouver en ces lieux la Compagnie Ukrainienne à l’occasion de ses 150 ans d’existence. 

Kostiantyn Pozharnytskyi (Hilarion), Natalia Matsak (Giselle) et Sergii Kryvokon (Albrecht)

Kostiantyn Pozharnytskyi (Hilarion), Natalia Matsak (Giselle) et Sergii Kryvokon (Albrecht)

Hasard de l’Histoire, c’est au moment de la naissance de l’Opéra de Kiev que ‘Giselle’ disparut de l’affiche de l’Opéra de Paris. Car si la création du célèbre ballet d’Adolphe Adam eut lieu avec succès le 28 juin 1841 à la salle Le Peletier, c’est Jules Perrot, venu à Saint-Pétersbourg en 1849, puis Marius Petipa, qui vont contribuer à l’installer en Russie. ‘Giselle’ ne reviendra par la suite au Palais Garnier qu’en 1910.

Kostiantyn Pozharnytskyi (Hilarion)

Kostiantyn Pozharnytskyi (Hilarion)

La chorégraphie interprétée ce soir reste donc inspirée de l’original de Marius Petipa, d’après Jules Perrot et Jean Coralli, et elle se déroule dans un un décor très classique, adapté par la créatrice ukrainienne Malva Verbytska, qui comprend, côté jardin, la petite maison de Giselle, et en arrière plan, un château de Contes de fées qui évoque les origines aristocratiques d’Albrecht.

Tymofiy Bykovets (Un paysan virtuose)

Tymofiy Bykovets (Un paysan virtuose)

En seconde partie, des lumières bleutées diffusent une atmosphère nocturne et poétique au Royaume des ombres, sur fond d’une nature fantomatique.

La tension et la mélancolie sont perceptibles, mais cela ne va empêcher les artistes de défendre ce chef d’œuvre romantique, non sans gravité, mais avec l’envie de se faire plaisir et de faire plaisir au public.

Corps de Ballet de l'Opéra national d'Ukraine (Royaume des ombres)

Corps de Ballet de l'Opéra national d'Ukraine (Royaume des ombres)

La danseuse étoile Natalia Matsak est en effet éblouissante. Technique qui lui permet de réussir sans concession et sans la moindre marque de fléchissement les mouvements tournoyants sur pointe, et de tenir des poses avec grande allure et élégance, cette magnifique artiste rayonne d’une fraîcheur très mature qui, à la fois, traduit la sincérité de Giselle, mais aussi en fait une femme intérieurement profonde, dont la perte de raison fait aussi penser à celle de la Traviata lorsqu’elle révèle fatalement ses souffrances intérieures.

Iryna Borysova (Myrtha)

Iryna Borysova (Myrtha)

Son partenaire, Sergii Kryvokon, est un splendide danseur, très grand est d’une physionomie qui figure à la fois la noblesse et la dominance souveraine d’Albrecht, avec énormément de sensibilité.
Grands élans aériens, expressivité romantique, assurance dans toutes les portées, nous sommes avec lui transportés dans le monde de l’indomptable fierté slave, et c’est absolument fascinant à admirer.

Natalia Matsak (Giselle) et Sergii Kryvokon (Albrecht)

Natalia Matsak (Giselle) et Sergii Kryvokon (Albrecht)

En seconde partie, Iryna Borysova donne également une leçon d‘exigence dans son incarnation de la blanche Myrtha, dans une attitude sévère mais consciente, et le rival d’Albrecht, Kostiantyn Pozharnytskyi, habillé comme il se doit en tenue de chasseur qui lui donne un aspect perçant, est tout aussi sensible, lui qui révèle dans la majesté et la célérité de ses impeccables postures une authenticité teintée subtilement d’ombre.

Kostiantyn Pozharnytskyi (Hilarion) et Natalia Matsak (Giselle)

Kostiantyn Pozharnytskyi (Hilarion) et Natalia Matsak (Giselle)

Dans la scène des danses paysannes, Tymofiy Bykovets est lui aussi brillant de par son aplomb et sa précision de mouvement, tout en affichant une certaine exigence dans sa relation au public, et le corps de ballet réussit à conserver une bonne cohésion d’ensemble, d’abord par sa vitalité joyeuse mais départie de tout superficialité excessive, en première partie, puis par sa quiétude recueillie en seconde partie, qui devient inévitablement fort inspirante pour l’auditeur.

Sergii Kryvokon (Albrecht)

Sergii Kryvokon (Albrecht)

Et dans la fosse d’orchestre, Dmytro Morozov, directeur musical de l’Opéra de Kharkiv, obtient de l’ensemble ‘Prométhée’ un très beau délié fluide et inspirant auquel on se laisse aller en toute sérénité, avec une tension juste qui soutient une théâtralité chaleureuse où les percussions sont sollicitées sans réserve. Très agréable poésie des vents, également, qui magnifie la belle gestuelle des solistes et des ensembles.

Dmytro Morozov (directeur musical de l'Opéra de Kharkiv)

Dmytro Morozov (directeur musical de l'Opéra de Kharkiv)

La soirée s’est achevée en standing ovation à la première, comme ce fut aussi le cas en matinée trois jours plus tard, avec plus de détente sans doute à la veille de Noël, les artistes étant heureux d’avoir retrouvé toutes leurs marques en quelques jours.

Et le fait de se montrer forts touchés par cet accueil s’est vraiment lu en eux, ce samedi après-midi. Un enchantement régnant parmi les spectateurs s'entendait ainsi à la sortie du Théâtre.

Natalia Matsak (Giselle), Sergii Kryvokon (Albrecht) et Kostiantyn Pozharnytskyi (Hilarion)

Natalia Matsak (Giselle), Sergii Kryvokon (Albrecht) et Kostiantyn Pozharnytskyi (Hilarion)

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Publié le 15 Octobre 2022

Giselle (Akram Khan – 2016)
Représentation du 12 octobre 2022
Théâtre des Champs-Elysées

Giselle Tamara Rojo
Albrecht Isaac Hernández
Hilarion Ken Saruhashi
Myrtha Stina Quagebeur

Chorégraphie Akram Khan (2016)
Conception sonore Vincenzo Lamagna

English National Ballet

d’après la trame originale d’Adolphe Adam

La venue de l’English National Ballet au Théâtre des Champs-Elysées est une occasion de découvrir comment une référence du ballet romantique de la première moitié du XIXe siècle peut être adaptée pour séduire un public d’aujourd’hui.

Tamara Rojo (Giselle)

Tamara Rojo (Giselle)

‘Giselle’ d’Adolphe Adam a été créé à la salle Le Peletier de l’Académie Royale de Musique le 28 juin 1841 sur une chorégraphie de Jean Coralli et Jules Perrot qui est toujours au répertoire de l’Opéra national de Paris. Il s’agit toutefois d’une version qui fut adaptée par Patrice Bart et Eugène Polyakov au moment où ce ballet mythique fit son retour sur la scène du Palais Garnier, le 25 avril 1991, et elle enregistre dorénavant 170 représentations sur les 30 dernières années.

La version de ‘Giselle’ qu’a imaginé Akram Khan pour l’English National Ballet a été créée au Palace Theatre de Manchester le 27 septembre 2016. La musique a été composée par un musicien italien installé à Londres, Vincenzo Lamagna, musique électronique répétitive qui s’avère souvent dure et monumentale, comme pour évoquer la lourde machinerie du monde industriel moderne.

Tamara Rojo (Giselle) et Isaac Hernández (Albrecht)

Tamara Rojo (Giselle) et Isaac Hernández (Albrecht)

On se retrouve ainsi saisi par un univers sonore qui rappelle celui de grands films épiques ou d’anticipation (‘Blade Runner’, ‘Dune’), mais des motifs de la musique d’Adolphe Adam s’insèrent également avec un traitement acoustique et spatial grandiose qui leur donne une dimension futuriste obsédante. 

Le mystère et la méditation sont loin d’être absents, surtout en seconde partie, et c’est un plaisir béat que de se laisser porter par les rythmes et la gestuelle orientalisantes du Kathak, danse indienne dont Akram Khan est un interprète reconnu, qui s’immiscent dans la chorégraphie pour mettre en valeur la vitalité et les magnifiques mouvements d’ensembles ornementaux et plein d’allant du corps de ballet.

Tamara Rojo (Giselle) et Isaac Hernández (Albrecht)

Tamara Rojo (Giselle) et Isaac Hernández (Albrecht)

Le décor se limite à un immense mur pivotant autour d’un axe central situé en hauteur et parallèle à la longueur de la scène, sur lequel sont imprimées les traces des mains des danseurs. L’ambiance est sombre, et l’on ressent que ces femmes et hommes avec lesquels Giselle vit sont enfermés dans un monde oppressant qui restreint leur liberté.

Ken Saruhashi (Hilarion) et les danseurs de l'English National Ballet

Ken Saruhashi (Hilarion) et les danseurs de l'English National Ballet

Tamara Rojo dessine une Giselle aux émotions parfaitement contrôlées, souple et naturelle dans ses poses arquées, forte et déterminée sur pointes au royaume des Willis. En Albrecht, le riche noble, Isaac Hernández est un partenaire bienveillant mais aussi assez lisse, moins marquant que le redoutable Ken Saruhashi qui brosse un portrait remarquablement anguleux, fort et sincère d’Hilarion par son amour sombre pour la jeune fille, avec une célérité et une précision de mouvement splendides.

Tamara Rojo (Giselle) et Ken Saruhashi (Hilarion)

Tamara Rojo (Giselle) et Ken Saruhashi (Hilarion)

Stina Quagebeur, très sollicitée sur ses pointes omniprésentes qui traduisent bien la nature acérée du tempérament de Myrtha, offre une vision insaisissable de cette créature vengeresse, sous des lumières bleutées, comme dans le ballet classique. Toutefois, dans cette seconde partie, la musique n’exprime pas la même délicatesse à fleur de peau que celle d’Adolphe Adam, et les affectations se ressentent moins. La chorégraphie, très épurée, esthétise surtout une danse de la mort entre Albrecht et Giselle pour sublimer l’harmonie qui lie les deux êtres.

Tamara Rojo (Giselle) et les Willis

Tamara Rojo (Giselle) et les Willis

Et si la modernité de la musique associée à un univers fantastique est un facteur immersif important capable d’emporter l’adhésion d’une large audience, et que la chorégraphie use de langages très divers pour exprimer les sentiments des personnages, on retrouve dans ce spectacle un défaut qui parcoure beaucoup d’œuvres cinématographiques aujourd’hui en ce qu’il ne représente pas de personnalités suffisamment fortes qui dépassent la propre trame dramatique de l'ouvrage.

Tamara Rojo (Giselle) et Isaac Hernández (Albrecht)

Tamara Rojo (Giselle) et Isaac Hernández (Albrecht)

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