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Publié le 7 Juin 2024

Don Quichotte (Jules Massenet –
Opéra de Monte-Carlo, le 24 février 1910)
Représentations du 14, 29 mai et 05 juin 2024
Opéra Bastille

Don Quichotte Christian Van Horn (14&29/05)
                         Gábor Bretz            (05/06)
Dulcinée Gaëlle Arquez
Sancho Étienne Dupuis
Pedro Emy Gazeilles
Garcias Marine Chagnon
Rodriguez Samy Camps
Juan Nicholas Jones
Deux serviteurs Young-Woo Kim, Hyunsik Zee
Chef des bandits Nicolas Jean-Brianchon
Quatre bandits Pierre André, Bastien Darmon, Gabriel Paratian, Joan Payet

Direction musicale Patrick Fournillier
Mise en scène Damiano Michieletto (2024)

Retransmission en direct sur France TV / Culture Box le 23 mai 2024 à 19h30
Diffusion sur France Musique le samedi 29 juin 2024 à 20h dans l’émission ‘Samedi à l’opéra’ présentée par Judith Chaîne

Présenté au Palais Garnier pour la première fois dans son intégralité le 16 avril 1974 – il y eut auparavant une production à l’Opéra Comique en 1945 sous l’égide de la R.T.L.N –, ‘Don Quichotte’ de Jules Massenet a connu plusieurs mises en scène successives à l’Opéra national de Paris de la part de Peter Ustinov (1974), Piero Faggioni (1986) puis Gilbert Deflo (2000 et 2002).

Le livret n’est pas une adaptation directe du roman de Cervantès, mais celle du drame héroïque de Jacques Le Lorrain ‘Le Chevalier de la longue figure’, qui fut créé au Théâtre Victor Hugo (l’actuel Trianon situé sur le boulevard Marguerite-de-Rochechouart à Paris) le 30 avril 1904.

Gaëlle Arquez (Dulcinée) et Christian Van Horn (Don Quichotte)

Gaëlle Arquez (Dulcinée) et Christian Van Horn (Don Quichotte)

A l’instar de ‘Werther’ et ‘Manon’, l’ouvrage s’est imposé au répertoire de l’institution alors qu’il n’y a pas été créé – c’est la salle Garnier de l’Opéra de Monte-Carlo qui en eut le privilège, le 24 février 1910 – au point de faire partie des 60 ouvrages régulièrement repris ces dernières années, loin devant les opéras du compositeur stéphanois écrits spécifiquement pour l’Opéra, ‘Le Roi de Lahore’, ‘Le Cid’, ‘Le Mage’, ‘Thaïs’ ou ‘Ariane’.

Et pour cette nouvelle production, l’Opéra de Paris fait appel à l’un des directeurs scéniques les plus prolixes du moment, Damiano Michieletto.

Samy Camps (Rodriguez), Christian Van Horn (Don Quichotte), Nicholas Jones (Juan) et Marine Chagnon (Garcias)

Samy Camps (Rodriguez), Christian Van Horn (Don Quichotte), Nicholas Jones (Juan) et Marine Chagnon (Garcias)

Les incursions du metteur en scène vénitien dans les ouvrages en langue française sont d’ailleurs de plus en plus fréquentes depuis ‘Roméo et Juliette’ (Venise, 2009) jusqu’à ‘Carmen’ (Londres, 2024), en passant par 'Guillaume Tell’ (Londres, 2015), ‘Samson et Dalila’ (Opéra de Paris, 2016), ‘Cendrillon’ (Berlin, 2018) ou bien ‘Les Contes d’Hoffmann’ (Sydney, 2023).

Pour ce ‘Don Quichotte’, il reste sans surprise à distance de tout contexte historique ou folklorique, ce qui se révèle d’emblée frustrant dans l’ouverture Flamenco menée sans danse, avant de laisser place à la peinture d'un portrait intérieur d’une très grande sensibilité.

Il a conçu un décor modulable qui, en situation de repli, représente un salon d’intérieur simple et décoré d’un vert mélancolique, avec en arrière plan une petite cuisine, le plafond étant relativement bas afin de donner une impression panoramique et d’enfermement.

Christian Van Horn (Don Quichotte)

Christian Van Horn (Don Quichotte)

Don Quichotte est un poète en mal d’inspiration, les chants de la foule résonnent dans sa tête, et les quatre amoureux surgissent des meubles pour moquer son amour passé pour Dulcinée, une sorte de maîtresse d’école dont le souvenir est projeté en vidéo sur le mur longitudinal.

Et lorsque ses pensées s’ouvrent sur ce passé et ses scènes imaginaires, les murs s’élargissent pour révéler un vaste espace en forme de chambre photographique qui s’étire et se rétrécit de manière circulaire comme pour donner une impression de puits sans fond. On assiste ainsi à une alternance entre le monde mental et la condition d’un homme seul, simplement accompagné par son serviteur.

Un amateur d’opéra pourrait faire une analogie avec la condition que connut Maria Callas en fin de carrière, vivant seule à Paris avec ses domestiques et revivant intérieurement son passé.

Don Quichotte (Van Horn Bretz Arquez Dupuis Fournillier Michieletto) Opéra de Paris

Les variations de lumières passant du blanc-vert franc aux teintes plus sombres et chaleureuses permettent d’amener doucement les transitions entre les différents niveaux d’états d’âme et de faire ressentir intuitivement au spectateur les changements d’état psychique.

Le lever d’aurore où apparaît dans les airs Dulcinée parmi des chevaux de manège est l'un des magnifiques moments de cette production, poésie qui se retrouve également dans la scène de fête chez la jeune femme où la musique invisible devient celle qu’écoute seul Don Quichotte, enivré par la magie d’une mélodie issue d’un casque.

Le metteur en scène a ensuite recours à des personnages vêtus de noirs pour imager les symptômes dépressifs qui envahissent la tête de celui qui se vit comme un chevalier. La lutte avec les géants devient ainsi une manifestation maladive de son cerveau perturbé, la vidéo venant y superposer des images de nuées de mouches noires pour accentuer ce mal-être intérieur. 

Gábor Bretz (Don Quichotte)

Gábor Bretz (Don Quichotte)

La scène clé se situe cependant très clairement au moment où le héros réussit à récupérer le collier pour sa belle, toujours dans une imagerie mentale, où sa foi chrétienne est simplement soulignée par une lumière jetée sur lui quand il tend la main vers le ciel, sur une musique d’orgue et sous la pression des bandits. Aucune main ne descend pour soulager sa douleur, et un des voleurs lui rend le bijou, illusion d’un sens déique. 

On peut alors se demander si la foi de Don Quichotte n’est pas une émanation visant à contrer son obscurité et ses tortures intérieures, et à lui rendre la vie plus supportable, tout simplement.

Et toutes ces questions sur la maladie mentale, les doutes de la foi, et la créativité que soulève la mise en scène de Damiano Michieletto en font véritablement un spectacle très attachant, d’autant plus que le burlesque de situation n’est pas oublié avec le personnage de Sancho Panza qu’il travestit amusement au second acte.

Reste que ce délire ‘sublime’ s’achève par un dur retour à la réalité et à la solitude humaine.

Patrick Fournillier

Patrick Fournillier

Ce spectacle ne doit pas seulement sa force à la puissance de la mise en scène, mais aussi à la manière dont Patrick Fournillier fait vivre la musique de Jules Massenet avec une passion généreuse et une somptuosité grisante. Hormis la direction d’un ‘Casse-Noisette’ au Palais Garnier en 1988, le chef d’orchestre français n’était plus revenu à l’Opéra de Paris, ce qui ne l’a pas empêché de développer une carrière internationale qui l’a amené de l’Opéra de Saint-Étienne à la direction musicale du Teatr Wielki de Varsovie.

Plusieurs enregistrements d’opéras rares de Jules Massenet détiennent sa signature, ‘Griselidis’, ‘La Vierge’, ‘Amadis’, ‘Esclarmonde’, ‘Cléopâtre’, et cet amour pour le compositeur s’entend par la manière dont le chef enlace l’orchestre de l’Opéra de Paris pour en tirer des sonorités gorgées de chaleur, un éclat opulent, des volumes sensuels et charnels, et une plasticité volubile inouïe qui a une grande capacité à envelopper l’auditeur dans une sensation de bien-être difficile à se défaire.

Et en même temps, tout est mené avec un art poétique ardent qui se retrouve même dans les beaux passages intimes qui singularisent l’art de chaque musicien, que ce soit à l’alto où à la harpe.

On sent qu’il s’agit probablement d’un grand moment de reconnaissance pour Patrick Fournillier qui suscite l’envie de le retrouver prochainement dans ce répertoire.

Gábor Bretz (Don Quichotte)

Gábor Bretz (Don Quichotte)

Les solistes disposant ainsi d’un cadre avantageux pour faire vivre cet ouvrage avec soin et vitalité, on retrouve en alternance dans le rôle de Don Quichotte deux interprètes, Christian Van Horn et Gábor Bretz.

Le premier, taillé aux dimensions d’un Méphisto, possède une très grande résonance et une noirceur caverneuse qui ancrent solidement la présence du héros, et le chanteur américain, bon acteur par nature, rend émouvante sa déchéance mentale.

Son élocution manque cependant de définition, tant la largeur vocale est prédominante, et c’est donc Gábor Bretz, l’actuel Wotan du ‘Ring’ de La Monnaie, qui offre un timbre fumé et plus raffiné et une excellente élocution, mais sans la profondeur de basse qui caractérise si bien son confrère.

Sa projection dans la salle Bastille est très bonne, et son portrait retrouve une jeunesse qui est très bien mise en valeur au moment des retrouvailles douloureuses avec Dulcinée.

Gaëlle Arquez (Dulcinée)

Gaëlle Arquez (Dulcinée)

Dans ce personnage de maîtresse d’école un peu étrange pour l’ouvrage, Gaëlle Arquez est très à l’aise avec un timbre vibrant qui rend son chant vivant, ses couleurs vocales qui tirent vers le crème brillant, mais une certaine sévérité en émane aussi, car elle n’est pas dans un rapport de séduction avec son entourage. Le regard de Don Quichotte, tourné vers un portrait d’elle, influence aussi le regard porté sur cette Dulcinée ordinaire.

Quant à Étienne Dupuis, son élocution franche et la noblesse verdienne de son chant rehaussent le caractère de Sancho Panza en le distanciant d’une caricature bourrue, et le rajeunissent également, surtout lorsqu’il donne de grands coups d’éclat qui montrent la portée que peut avoir ce grand chanteur.

Étienne Dupuis (Sancho Panza)

Étienne Dupuis (Sancho Panza)

Les rôles secondaires sont très bien incarnés, Samy Camps particulièrement très charmeur, et parmi les figurants qui font vivre les bandits avec des allures de mauvais garçons contemporains, Nicolas Jean-Brianchon ne manque pas de se distinguer par son élocution très narquoise.

Chœur très bien dirigé et très impliqué scéniquement pour décrire ce monde conformiste et moderne qui se moque à outrance de Don Quichotte, l’ensemble contribue lui aussi à rendre ce spectacle tragique en accentuant la pression que subit une âme tourmentée poussée à la désocialisation.

Christian Van Horn, Gaëlle Arquez et Étienne Dupuis

Christian Van Horn, Gaëlle Arquez et Étienne Dupuis

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Publié le 24 Juin 2018

Don Pasquale (Gaetano Donizetti)
Représentation du 22 juin 2018
Palais Garnier

Don Pasquale Michele Pertusi
Dottor Malatesta Florian Sempey
Ernesto Lawrence Brownlee
Norina Nadine Sierra
Un notaro Frédéric Guieu

Direction musicale Evelino Pido
Mise en scène Damiano Michieletto

Entrée au répertoire

 

                             Nadine Sierra (Norina)

Alors que le premier chef-d’œuvre comique de Gaenato Donizetti, L’Elixir d’Amour, fait dorénavant partie des 30 ouvrages les plus joués à l’Opéra de Paris depuis la nouvelle production de Laurent Pelly arrivée sur la scène Bastille en mai 2006, son second chef-d’œuvre comique, Don Pasquale, fait seulement son entrée au répertoire aujourd'hui, alors qu’il est l'un des cinquante succès des grandes maisons d’opéra partout dans le monde.

Florian Sempey (Malatesta) et Nadine Sierra (Norina)

Florian Sempey (Malatesta) et Nadine Sierra (Norina)

Et il s’agit bien d’une renaissance parisienne, car c’est à Paris, au Théâtre des Italiens installé à la salle Ventadour entre 1841 et 1871 – ce bâtiment, devenu depuis propriété de la Banque de France, se situe à 400 mètres au sud du Palais Garnier - que Don Pasquale fut créé en 1843, puis intégré au répertoire de l’Opéra Comique en 1896.

La production que lui dédie Damiano Michieletto pour cette renaissance tire avantage des techniques vidéographiques dorénavant courantes sur les scènes lyriques, et conditionne même la scénographie qui, afin de ne pas trop obstruer la vue sur l’écran d’arrière scène, représente de façon symbolique la maison de Don Pasquale, dont seule l’armature du toit, quelques portes et meubles isolés en dessinent les contours.

Michele Pertusi (Don Pasquale) et Florian Sempey (Malatesta)

Michele Pertusi (Don Pasquale) et Florian Sempey (Malatesta)

Si les chanteurs gagnent une plus grande liberté de mouvement, leurs voix, elles, ne bénéficient plus d’éléments qui pourraient par effet réfléchissant soutenir leur projection.

S’ajoutent à cela la trivialité des costumes bariolés et l’opposition entre l’univers misérable de Don Pasquale qui se transforme en appartement d’une blancheur éclatante où l’on voit circuler une voiture de luxe, et qui se conclut sur une triste désillusion dans la solitude d’une maison de retraite, comme s’il s’agissait d’une punition.

Norina n’a plus qu’à célébrer sa victoire avec Malatesta, eux deux se reconnaissant au dernier moment comme des personnalités de la même trempe, c'est-à-dire des manipulateurs nés.

Cette conclusion sauve donc l’âme de Don Pasquale et accable, après deux heures de comédie, une jeunesse guidée pas son intérêt ou pas son infantilisme (Ernesto).

Nadine Sierra (Norina) et Lawrence Brownlee (Ernesto)

Nadine Sierra (Norina) et Lawrence Brownlee (Ernesto)

On peut ne pas être d’accord avec cette vision, mais il devient difficile de résister à l’abattage scénique de Nadine Sierra, de bout en bout maîtresse d’une situation qu’elle domine avec une facilité décomplexée réjouissante. D’une patine vocale mat et brune émise comme d’un seul jet vif et transperçant, elle use d’une agilité libérée non dénuée de souplesse pour donner vie à un portrait haut-en-couleur, et est la première à profiter de la vidéo qui l’impose comme personnalité principale de cette comédie.

Amusant effet que ces images qui montrent sa jeunesse éprise de nature et de danses en discothèque et qui enchaînent sur le monde plus guindé et cérébral du public de l’opéra Garnier, soit auquel elle aspire, soit qui symbolise un avenir plus conventionnel et ennuyeux.

Par l’espièglerie de ses piqués et sa classe naturelle, Nadine Sierra donne ainsi l’impression d’incarner une Despina qui a réussi.

Nadine Sierra (Norina)

Nadine Sierra (Norina)

Lawrence Brownlee, dont le rôle d’Ernesto est totalement réduit à l’insignifiance dans cette mise en scène, doit compter sur sa bonhommie et la précision de son phrasé, et réserve un magnifique duo avec sa partenaire dont les couleurs de voix se mêlent naturellement. Et même si elle est fortement éloignée en coulisses, sa romance ‘Com’é gentil’ est un pur moment de rêverie musicale.

Florian Sempey, doué pour ponctuer spontanément chaque action de mimiques expressives qui commentent ce qui se déroule sur scène, laisser fuser le chaleureux rayonnement, viril et homogène, d’un timbre de voix qui a du corps et qu’il impose avec une impulsivité volontaire.

Sa personnalité ne fait que gagner en épaisseur au fil de l’histoire, surtout qu’il bénéficie d’une incarnation et d'une présence qui valorisent le cynisme de son personnage. Mais la célérité de ‘Bella Siccome un angelo’, son premier air d’introduction, ne lui permet pas d’en soigner autant l’ornementation comme il le fit lors de son passage au théâtre antique d’Orange, à l'occasion de la fête de la musique l'année dernière.

Nadine Sierra (Norina)

Nadine Sierra (Norina)

Enfin, Michele Pertusi, toujours d’une grande clarté de diction, donne un côté perpétuellement attachant à Don Pasquale, mais quand on est habitué à l’entendre dans des interprétations rossiniennes, verdiennes ou belliniennes plus sérieuses, quelque chose de sa noblesse de style manque dans ce portrait purement bouffe.

Enfin, la direction musicale d’Evelino Pido, énergique et ample, rend l’entière majesté à une partition dont il soigne les modulations et le lustre en insufflant un rythme voué à l’impact théâtral, richesse de l’orchestration qu’il dégage avec élégance et qui permet à chacun de dépasser l’hétéroclisme du décor. Le charme des couleurs de l'orchestre en est d'autant relevé.

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Publié le 5 Octobre 2016

Samson et Dalila (Camille Saint-Saëns)
Répétition générale du 28 septembre et représentation du 04 octobre 2016
Opéra Bastille

Dalila Anita Rachvelishvili 
Samson Aleksandrs Antonenko 
Le Grand Prêtre de Dagon Egils Silins 
Abimélech Nicolas Testé 
Un Vieillard hébreu Nicolas Cavallier 
Un Messager philistin John Bernard 
Premier Philistin Luca Sannai 
Deuxième Philistin Jian-Hong Zhao 

Direction musicale Philippe Jordan
Mise en scène Damiano Michieletto (2016)

Coproduction avec le Metropolitan Opera, New York
Diffusion sur Arte Concert dès le 14 octobre 2016.            
 Philippe Jordan

Malgré une entrée tardive au répertoire de l'Opéra National de Paris - le chef-d’œuvre de Camille Saint-Saëns dut attendre 15 ans pour faire son entrée au Palais Garnier en 1892 -, 'Samson et Dalila' devint, pendant près d'un demi-siècle, l'opéra le plus joué par l'institution parisienne après le 'Faust' de Charles Gounod.

Mais depuis la seconde guerre mondiale, l'oeuvre a entamé un lent déclin pour disparaître totalement des planches depuis la prise en main de la scène Bastille par Hugues Gall en 1995.

Anita Rachvelishvili (Dalila)

Anita Rachvelishvili (Dalila)

A l'instar de 'Rigoletto', la saison passée, et de 'Lohengrin', l'hiver prochain, la nouvelle production de 'Samson et Dalila' est donc, avant tout, un hommage à la mémoire des oeuvres d'avant-guerre les plus représentées à l'Opéra de Paris.

On peut même y voir une continuité avec la nouvelle production de ‘Moïse et Aaron’ créée à l’Opéra Bastille en octobre dernier, qui donne le sentiment que les œuvres bibliques vont s’inscrire en filigrane dans la programmation de Stéphane Lissner.

Et en confiant la direction orchestrale d’une œuvre aussi symphonique à Philippe Jordan, la promesse d’une lecture puissante qui accorde la part belle à la clarté, aux reflets de métal, à la délicatesse des motifs réminiscents, et qui réserve des passages d’une intemporalité sublime, est implacablement tenue.

 Aleksandrs Antonenko (Samson)

Aleksandrs Antonenko (Samson)

Cet art de l’envoutement atteint naturellement son paroxysme quand il se lie à l’expressivité du chœur ou à l’élégie d’un artiste.

Ainsi, rien que le premier acte est d’une beauté à couper le souffle au moment où des vieillards viennent soutenir le très émouvant Nicolas Cavallier dans son invocation à la révolte, et surtout lorsqu’il s’achève sur la rêverie de Dalila, ‘Printemps qui commence, portant l’espérance’ chantée par une Anita Rachvelishvili merveilleuse de finesse. 

Son air est non seulement d’une irréalité hypnotisante, mais allié de cette manière aux tissures frémissantes et immatérielles de l’orchestre, l’auditeur est immanquablement transporté hors de lui-même en toute inconscience.

Nicolas Cavallier (Un Vieillard Hébreu)

Nicolas Cavallier (Un Vieillard Hébreu)

Philippe Jordan ne perd cependant pas prise avec le théâtre musical, et sa lecture gradue les enchaînements dramatiques, nuance les transitions et colore la peinture harmonique d’une patine cuivrée qui ne recouvre pas la boiserie des cordes, mais qui s’y mêle pleinement. 

Les grandes fresques majestueuses de l’opéra russe ne sont plus très loin.

Et même l’agitation de la bacchanale exalte la sensualité des ornements et une intensité tumultueuse où chaque percussion résonne avec une netteté magnifique.

Le directeur musical est en compagnie d’une équipe qu’il apprécie, et cela se voit.

Anita Rachvelishvili ne réalise pas seulement une inoubliable démonstration de sensibilité lorsqu’elle incarne la Dalila séductrice – subtiles descentes chromatiques d’un charme fou -, mais se révèle totalement terrestre et d’une violence passionnelle saisissante quand elle se livre à ses intentions manipulatrices et vengeresses au début du second acte.

Anita Rachvelishvili (Dalila)

Anita Rachvelishvili (Dalila)

Sa tessiture projette une noirceur sauvage qui s’oppose à sa douceur initiale, comme si elle levait brutalement un voile sur sa personnalité. Véritablement, elle est un animal scénique fascinant.

Son partenaire, Aleksandrs Antonenko, a un timbre moins séducteur, mais il tire son charisme d’un intense engagement dramatique, d’aigus pénétrants, et d’une détresse qui d’emblée lui donne une dimension tragique. Sa confrontation vocale avec le chœur est donc toujours triomphante, et ses intonations de bête mortellement blessée portent une âme inévitablement touchante au dernier acte.

Le Grand Prêtre de Dagon, incarné par Egils Silins, rappelle beaucoup son Wotan autoritaire mais quelque peu agité pour installer une stature solide, malgré quelques interactions théâtrales fortes avec Dalila, au second acte.

 Aleksandrs Antonenko (Samson)

Aleksandrs Antonenko (Samson)

Et Nicolas Testé, dans une mise en scène qui accentue l’inhumanité d’Abimélech, sert un portrait encore plus insoutenable du satrape de Gaza.

D’une coproduction avec le Metropolitan Opera de New York on pouvait s’attendre à une mise en scène peu évocatrice, le travail de Damiano Michieletto réussit pourtant à actualiser un propos qu’il n’est pas évident d’illustrer à partir d’un livret au contenu faiblement dramaturgique.

Le premier acte ouvre sur une muraille éclairée d’une lumière bleu-gris acier, derrière laquelle les chœurs israélites se lamentent, et apparaissent vêtus d’habits pauvres.  Samson est leur lueur d’espoir, et ils sont très bien dirigés afin de communiquer visuellement cette attente qu’ils posent sur lui.

Chœur israélite

Chœur israélite

Les soldats Philistins, en noir et armés de fusils d’assaut, brutalisent à outrance ce peuple, et la danse des prêtresses est utilisée pour jouer un rêve prémonitoire, véritable mise en garde pour le héros.

Dalila, elle, apparaît dans une chambre dont la forme en parallélépipède rappelle celle de Lady Macbeth de Mzensk’ dans la mise en scène érotique de Martin Kusej.  Mais le mobilier luxueux et les adolescents qu’incarne le chœur des Philistines la font plutôt apparaître comme la femme d’un dictateur, vivant à l’écart de la violence de ses exactions.

Damiano Michieletto donne beaucoup d’intensité et de tendresse à la rencontre entre Samson et Dalila, mais il fait également évoluer leur personnalité au cours du drame.

 Aleksandrs Antonenko, Anita Rachvelishvili et Philippe Jordan - Répétition générale

Aleksandrs Antonenko, Anita Rachvelishvili et Philippe Jordan - Répétition générale

Ainsi, Samson se détruit lui-même en se coupant les cheveux après avoir évité le (faux) suicide de Dalila, armée d’un couteau. 

Et dans le troisième acte, c’est Dalila qui, prise de remord, prépare l’incendie du temple.

Le temple de Dagon est par la suite envahi par le chœur des Philistins qui se laisse aller à une fête dionysiaque richement habillée et colorée, petit monde qui n’est obsédé que par l’or et l’argent. 

A la déviance de Samson vis-à-vis de son Dieu israélite, le metteur en scène oppose ainsi l’unique Dieu que connaissent les philistins, l’argent, argent sous lequel ils finiront tous recouverts lors du cataclysme final.  Il s’agit ici de l’évocation d’une société actuelle matérialiste qui ne croit plus en rien. 

Anita Rachvelishvili et Aleksandrs Antonenko - Première représentation

Anita Rachvelishvili et Aleksandrs Antonenko - Première représentation

Le couple, lui, finit enlacé dans une ultime image qui évoque une inévitable Rédemption.

Et le chœur, puissant acteur, aura été de bout-en bout passionnant d’expressivité, volontaire dans les envolées épiques, et profondément poétique dans ses moments de douceurs.

Diffusion au cinéma le 13 octobre, sur Arte Concert à partir du 14 octobre, et sur France Musique le 23 octobre.

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Publié le 1 Novembre 2014

Florian Sempey (Figaro)
Florian Sempey (Figaro)

Le Barbier de Séville (Gioacchino Rossini)

Représentation du 28 octobre 2014
Opéra Bastille
Il Conte d’Almaviva Edgardo Rocha
Bartolo Paolo Bordogna
Rosina Marina Comparato
Figaro Florian Sempey
Basilio Carlo Cigni
Fiorello Tiago Matos
Berta Cornelia Oncioiu
Un Ufficiale Lucio Prete

Direction musicale Carlo Montanaro
Mise en scène Damiano Michieletto (2010)

Production originale du Grand Théâtre de Genève

Quand fut annoncée l’arrivée de la production de Damiano Michieletto en remplacement de la version moyen-orientale de Coline Serreau, le sentiment qu’il n’était pas nécessaire, à une époque où la création artistique manque de moyens, de dépenser pour le superflu s’est naturellement imposé. Et la vision de cette immense façade d’un quartier populaire sévillan des années 70, fascinant, sûrement, par sa complexité qui évoque l’art miniature des maisons de poupées, ici grandeur nature, n’en a que véritablement confirmé le luxe inutile.


Barbier-02.jpg   Florian Sempey (Figaro) et Edgardo Rocha (Il Conte d'Almaviva)

 

A ce choix, s’est ajoutée une première distribution vocalement peu raffinée, et ce Barbier de Séville est immédiatement apparu comme un spectacle à oublier.

Sauf qu’une seconde distribution est apparue depuis mi-octobre, bouleversant la perception initiale de l’œuvre et de son interprétation.

Car Edgardo Rocha, Paolo Bordogna, Florian Sempey et Marina Comparato forment à eux quatre une équipe d’excellents chanteurs, d’excellents acteurs, qui, en fusion parfaite avec la vitalité musicale de l’orchestre et de son chef, transforment la superficialité apparente de ce spectacle en un formidable élan de  vie, qui ne peut être que le résultat d’un travail considérable, éblouissant de par la lumière personnelle même  de chaque artiste.

Barbier-04.jpg   Marina Comparato (Rosina) et Edgardo Rocha (Il Conte d'Almaviva)

 

Et c’est toute la crédibilité de leur lien humain sur scène qui en fait le ravissement.

Dès son arrivée crâneuse et, en apparence, si facile, Florian Sempey est à fondre de frissons d’admiration. Son chant est une défiance pleine et aérienne à la vie, un charme d’insouciance juvénile sous lequel on devine la gentillesse, et ce magnifique garçon joue avec un naturel incroyable. On peut d’ailleurs passer toute la soirée à ne regarder que lui, car même lorsqu’il ne chante pas, il a toujours quelque chose à exprimer avec malice.
On le retrouvera, bientôt, dans la nouvelle production de La Chauve-souris à l’Opéra-Comique, entouré de Stéphane Degout, Sabine Devieilhe et Frédéric Antoun.

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   Florian Sempey (Figaro)

 

Edgardo Rocha, en Comte, est lui aussi encore très jeune. Son interprétation est, comme pour Florian Sempey, entière et très touchante. Il vit son personnage d’amoureux légèrement tragique avec profondeur et sincérité, le discours vocal est vaillant, fin et agile, une très belle découverte sur scène.

Quant à l’héroïne, Marina Comparato, elle partage avec ses partenaires la même homogénéité de timbre, une excellente musicalité, des couleurs qui pourraient être, certes, plus contrastées, et elle investit son personnage d’adolescente réfugiée dans un univers couvert de photographies de Johnny Depp et Jim Morisson avec la même folie déjantée.

Barbier-05.jpg   Marina Comparato (Rosina)

 

Mais il y a également la frime lourde, mais volontaire, de Paolo Bordogna, et sa tessiture fumée séduisante. Cornelia Oncioiu, elle, réussit le brillant air de Berta avec un panache inattendu.

Et tout ce monde est très bien accompagné par Carlo Montanaro, avec lequel l’orchestre est à la fois souple et fluide, non pas vif et piqué, mais d’une richesse de nuances et de chair musicale pleine de charme.

 

Lire également Le Barbier de Séville (Gioacchino Rossini)

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