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Publié le 19 Novembre 2023

Cendrillon (Jules Massenet – Opéra Comique, le 24 mai1899)
Représentation du 14 novembre 2023
Opéra Bastille

Cendrillon Jeanine De Bique
Madame de la Haltière Daniela Barcellona
Le prince charmant Paula Murrihy
La fée Caroline Wettergreen
Noémie Emy Gazeilles
Dorothée Marine Chagnon
Pandolfe Laurent Naouri
Le roi Philippe Rouillon
Le Doyen de la faculté Luca Sannai
Le Surintendant des plaisirs Laurent Laberdesque
Le Premier Ministre Fabio Bellenghi
Six Esprits Corinne Talibart, So-Hee Lee, Stéphanie Loris, Anne-Sophie Ducret, Sophie Van de Woestyne, Blandine Folio Peres

Direction musicale Keri-Lynn Wilson                                 Keri-Lynn Wilson
Mise en scène Mariame Clément (2022)

18 mois seulement après son entrée au répertoire, ‘Cendrillon’ de Jules Massenet revient à l’opéra Bastille ce qui, au premier abord, parait un pari bien risqué.
C’est sans compter sur une approche artistique, commerciale et de communication fort originale qui n’avait jamais été mis en place auparavant.

Paula Murrihy (Le Prince) et Jeanine De Bique (Cendrillon)

Paula Murrihy (Le Prince) et Jeanine De Bique (Cendrillon)

En effet, alors que généralement le prix moyen affiché par place pour une production lyrique à l’opéra Bastille oscille entre 145 euros pour les grands tubes et 90 euros pour les œuvres plus difficiles, la reprise de ‘Cendrillon’ a été d’emblée proposée à un tarif moyen de 57 euros, sans qu’aucune place ne dépasse 95 euros.

Pas ailleurs, ont été distribués dans les rôles de Noémie et Dorothée deux membres de la nouvelle troupe de l’Opéra de Paris, Emy Gazeilles et Marine Chagnon, ainsi que trois membres des chœurs, Luca Sannai, Laurent Laberdesque et Fabio Bellenghi dans les rôles secondaires, en plus des six choristes qui avaient déjà été programmées l’année précédente pour interpréter les Six Esprits.

Marine Chagnon (Dorothée), Daniela Barcellona (Madame de la Haltière) et Emy Gazeilles (Noémie)

Marine Chagnon (Dorothée), Daniela Barcellona (Madame de la Haltière) et Emy Gazeilles (Noémie)

A cela, vous ajoutez une campagne de communication publique orientée vers le public jeune, et vous obtenez un spectacle sold-out et d’impressionnantes files d’attente à l’extérieur de la salle 15 minutes avant chaque représentation.

Cela rappelle ce qui était arrivé avec la production de ‘Don Quichotte’ de Jules Massenet en septembre 2000 qui avait été remontée 15 mois plus tard en atteignant 99% de taux de fréquentation.

Et même l’esprit en salle change, les spectateurs rajeunis s’enchantent de manière très communicative lors des précipités, car la mise en scène de Mariame Clément mêle habilement décors industriels qui s’illuminent poétiquement lors des interventions de la fée, surcharge la mise en scène en perruques bouclées et vêtements roses outrés qui ridiculisent les prétendantes et dont Cendrillon se débarrassera elle-même pour retrouver une relation authentique avec le Prince, et s’appuie aussi sur un surjeu qui invite à la comédie.

Jeanine De Bique (Cendrillon)

Jeanine De Bique (Cendrillon)

Pour cette reprise, Keri-Lynn Wilson, fondatrice et directrice musicale de l’Ukrainian Freedom Orchestra qui a engagé une tournée internationale en Europe et aux États-Unis contre la guerre de conquête menée par la Russie, fait ses débuts à l’Opéra national de Paris et concoure à l’enthousiasme soulevé par la soirée grâce à une magnifique direction qui fait vivre l'orchestre en communion avec l'allant des solistes et qui colore avec finesse et rutilance les lignes mélodiques.

La chef d’orchestre canadienne, qui a également des ascendants ukrainiens, montre un amour prévenant pour l’écriture de Jules Massenet et procède par touches très précises et enlevées en éclairant avec beaucoup de raffinement les structures orchestrales.

Paula Murrihy (Le Prince)

Paula Murrihy (Le Prince)

Les solistes réunis permettent de retrouver dans le rôle de Cendrillon Jeanine De Bique qui a déjà interprété récemment à l'Opéra de Paris Alcina (‘Alcina’ de Haendel) et Suzanne (‘Les Noces de Figaro’ de Mozart).

Douée pour incarner sensibilité et joie pétillante, la soprano trinidadienne donne au chant de l’héroïne une coloration très vibrée dans une tonalité sombre et ambrée assez atypique qui la démarque de son entourage. L’unité vocale qui en émane aspire cependant à lisser l’articulation du français qui se fond dans cette tessiture très fine.

En Prince charmant, Paula Murrihy, qui chantait Didon (‘Les Troyens’ de Berlioz) deux mois plus tôt à l’Opéra de Versailles, est mieux rodée à la langue française, et sa voix dramatique suggère dans son incarnation un tempérament beaucoup plus extraverti et moins dépressif comme un timbre plus ténébreux pourrait le faire ressentir.

Caroline Wettergreen (La fée)

Caroline Wettergreen (La fée)

Avec son abattage impayable et déjà une longue carrière belcantiste, Daniela Barcellona fait à nouveau sensation dans le rôle de Madame de la Haltière qui ne manque pas de faire sourire la salle au moment où elle témoigne toute son affection intéressée à Cendrillon lorsque le Prince la choisit officiellement, et Laurent Naouri, comme toujours très sonore et expressif avec ses accents indignés, est parfait en père attentionné.

Lumineuse, Caroline Wettergreen reprend le rôle de ses débuts lorsqu’elle interpréta pour la première fois au Komische Oper de Berlin en 2016 la fée de ‘Cendrillon’ dans la mise en scène de Damiano Michieletto, et se plaît avec aisance à faire rayonner le brillant et la netteté de ses aigus avec un effet surnaturel qui charme spontanément.

Jeanine de Bique, Alessandro Di Stefano, Keri-Lynn Wilson, Paula Murrihy, Caroline Wettergreen et Laurent Naouri

Jeanine de Bique, Alessandro Di Stefano, Keri-Lynn Wilson, Paula Murrihy, Caroline Wettergreen et Laurent Naouri

Quant à Marine Chagnon et Emy Gazeilles, idéalement appariées, elles ne manquent ni d’entrain, ni de projection et d’intelligibilité dans les passages parlés, et font entendre une éloquence vocale bien timbrée qui leur vaut, elles aussi, un chaleureux retour de la part du public.

Et l’ensemble des artistes des chœurs distribués sont naturellement d’une musicalité ironique impeccable.

Un engouement pour cette soirée qui se vit avec beaucoup de plaisir et de légèreté!

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Publié le 6 Juillet 2023

Grisélidis (Jules Massenet – Opéra-Comique,
le 20 novembre 1901)
Version de concert du 04 juillet 2023
Théâtre des Champs-Elysées

Grisélidis Vannina Santoni
Alain Julien Dran
Le Marquis Thomas Dolié
Le Diable Tassis Christoyannis
Fiamina Antoinette Dennefeld
Bertrade Adèle Charvet
Le Prieur Thibault de Damas
Gondebaut Adrien Fournaison

Direction musicale Jean-Marie Zeitouni
Chœur et Orchestre de l’Opéra national Montpellier Occitanie

Avec 73 représentations au cours de la première partie du XXe siècle, ‘Grisélidis’ fait partie de ces œuvres de Jules Massenet créées à l’Opéra Comique qui connaitront un succès d’estime – il y aura également 8 représentations entre 1922 et 1923 à l’Opéra de Paris -.

Thomas Dolié (Le Marquis) et Vannina Santoni (Grisélidis)

Thomas Dolié (Le Marquis) et Vannina Santoni (Grisélidis)

L’œuvre, basée sur la pièce d'Armand Silvestre et d'Eugène Morand ‘Le Mystère de Grisélidis’ créée à la Comédie-Française le 15 mai 1891, est d’abord un témoignage de la longue amitié entre Jules Massenet et le poète Armand Silvestre, ancien élève de l’Ecole Polytechnique, qui écrivit nombre de poèmes pour les mélodies du compositeur.

Achevée fin 1894, 'Grisélidis' sera cependant mise en veille au profit de trois autres ouvrages de Massenet,  ‘La Navarraise’ (03 octobre 1895), ‘Sapho’ (24 novembre 1897) et ‘Cendrillon’ (24 mai 1899), si bien qu’après un profond remaniement, elle verra finalement le jour le 20 novembre 1901.

Julien Dran (Alain)

Julien Dran (Alain)

Ce conte lyrique est tiré d’un célèbre thème médiéval littéraire qui est une ode à la patience d’une pauvre bergère vivant à Saluzzo, une cité située au sud de Turin, qui dut endurer les pires épreuves, dont l’enlèvement de ses enfants, pour prouver sa fidélité à son mari, un riche marquis de la région.

L’opéra baroque et l'opéra classique italiens se sont emparés de ce sujet par le passé à de multiples reprises, à travers les versions de ‘Griselda’ composées par Antonio Maria Bononcini, Alessandro Scarlatti, Pietro Torri, Giovanni Bononcini, Francesco Bartolomeo Conti, Antonio Vivaldi ou bien Niccolo Piccini, si bien que l’on peut voir à travers ‘Grisélidis’ une résurgence directe d’un thème tant privilégié au XVIIIe siècle.

Thibault de Damas (Le Prieur) et Adrien Fournaison (Gondebaut)

Thibault de Damas (Le Prieur) et Adrien Fournaison (Gondebaut)

Pour la très large majorité du public venu ce soir au Théâtre des Champs-Elysées, il s’agit donc d’une découverte, et probablement peu de visages habituels du microcosme lyrique parisien sont absents.

L’art musical de Jules Massenet s’apprécie immédiatement par sa façon de faire vivre des ondes orchestrales avec beaucoup de souplesse et de délicatesse, tout en laissant se délier des lignes mélodiques bucoliques auxquelles s‘allient des ensembles de chœurs – excellente finesse du Chœur de l’Opéra national Montpellier Occitanie ! -  qui exaltent la foi chrétienne.

Tassis Christoyannis (Le Diable) et Adèle Charvet (Bertrade)

Tassis Christoyannis (Le Diable) et Adèle Charvet (Bertrade)

Jean-Marie Zeitouni donne du corps à la musique et entraine l’Orchestre de l’Opéra national Montpellier Occitanie dans un discours dramatique très appuyé et un style qui évite de trop fondre couleurs et matières.  L’oreille ne peut cependant s’empêcher de ressentir des modulations musicales et des chatoiements balbutiants qui seront plus tard magnifiquement développés avec majesté par Richard Strauss dans ses grands opéras tels ‘Die Frau ohne Schatten’.

Mais il est également assez déroutant de basculer de ce continuum sonore encore un peu âpre à une légèreté très vivante lorsque le Diable apparait. Tassis Christoyannis lui donne une jovialité mais également une très agréable subtilité expressive qui démultiplient les accents aux intentions ludiques.

Antoinette Dennefeld (Fiamina)

Antoinette Dennefeld (Fiamina)

A l’opposé, Thomas Dolié crée un portrait du Marquis vif et très torturé qui trouve auprès de lui une figure de la femme parfaite que Vannina Santoni tient haut la main avec une fière impassibilité. Grisélidis est surtout pour elle un personnage qui lui permet de canaliser ses grandes qualités de coloration, et de surmonter les tensions des lignes de chant pour leur donner une ornementation radieuse et éloquente.

Et à travers Bertrade, la suivante de Grisélidis, Adèle Charvet offre un beau portrait empreint de chaleur humaine et de plénitude veloutée qui vient plaisamment contrebalancer cet univers de tension constante.

Jean-Marie Zeitouni et Vannina Santoni

Jean-Marie Zeitouni et Vannina Santoni

Cette tension, justement, se retrouve d’emblée chez le pauvre Alain que Julien Dran incarne avec tendresse et sens du dolorisme, donnant de son chant un brin forcé, mais focalisé avec précision, une image de dignité désespérée très touchante.

En Fiamina, la femme du Diable, Antoinette Dennefeld se régale à décliner les facettes les moins sympathiques d’une femme séductrice mais fortement manipulatrice, et Thibault de Damas, en Prieur, révèle une très grande présence et de la jeunesse d’esprit.

Enfin, dorénavant régulièrement distribué au Théâtre des Champs-Elysées, Adrien Fournaison dépeint Gondebaut avec prestance et une noirceur de velours d'une grande noblesse.

Tassis Christoyannis, Adrien Fournaison, Julien Dran et Thibault de Damas

Tassis Christoyannis, Adrien Fournaison, Julien Dran et Thibault de Damas

Succès certain pour cette unique soirée qui met en valeur une distribution de chanteurs tous très engagés à défendre une œuvre au thème, certes, daté, mais qui est portée par une musique douée d’une évidente faculté d’imprégnation.

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Publié le 10 Avril 2022

Thaïs (Jules Massenet – 1894)
Version de concert du 09 avril 2022
Théâtre des Champs-Élysées

Thaïs Ermonela Jaho
Athanaël Ludovic Tézier
Nicias Pene Pati
Palémon Guilhem Worms
Crobyle Cassandre Berthon
Myrtale Marielou Jacquard
Albine Marie Gautrot
Un serviteur Robert Jezierski

Direction musicale Pierre Bleuse
Orchestre National de France et Chœur de Radio France

Diffusion sur France Musique le 11 juin 2022 à 20h

                                               Ermonela Jaho (Thaïs)

 

Après ‘Manon’ donné en version de concert le 15 septembre 2021, le Théâtre des Champs-Élysées poursuit ce qui pourrait bien ressembler à un cycle Jules Massenet en présentant ce soir ‘Thaïs’, alors que sont déjà annoncés pour la saison prochaine deux autres ouvrages plus rares, ‘Hérodiade’ et ‘Grisélidis’. Et avec les représentations scéniques de ‘Cendrillon’ qui ont lieu au même moment à l’Opéra Bastille, les amoureux du compositeur français peuvent s’estimer comblés.

Ermonela Jaho (Thaïs)

Ermonela Jaho (Thaïs)

Créé au Palais Garnier le 16 mars 1894, mais remanié à plusieurs reprises pour aboutir à une version définitive le 13 avril 1898, ‘Thaïs’ est à ce jour le plus grand succès de Jules Massenet à l’Opéra de Paris où il fut joué plus de 650 fois jusqu’au milieu des années 1950. Le livret basé sur le roman éponyme d'Anatole France s’inspire de la légende de la pécheresse d’Égypte du même nom qui fut convertie par l’ermite Paphnuce, et dont on peut admirer un tableau de Philippe de Champaigne au Musée du Louvre ‘Paphnuce libérant Thaïs’ (1656).

‘Paphnuce libérant Thaïs’ de Philippe de Champaigne (1656) - © 2011 RMN-Grand Palais (Musée du Louvre)

‘Paphnuce libérant Thaïs’ de Philippe de Champaigne (1656) - © 2011 RMN-Grand Palais (Musée du Louvre)

Pour rendre justice à cette partition qui a repris de la vigueur au cours des années 2000 grâce à l’interprétation de Renée Fleming, la distribution réunie ce soir fait appel aux grands interprètes du répertoire français d’aujourd’hui que sont Ludovic Tézier (‘Werther’ et ‘Manon’ à l’Opéra Bastille, ‘Thaïs’ à l’Opéra de Monte Carlo et ‘Hamlet’ la saison prochaine à l’Opéra Bastille), Ermonela Jaho (‘Les Huguenots’ et ‘Faust’ à l’Opéra Bastille) et Pene Pati (éblouissant Roméo de ‘Roméo et Juliette’ de Charles Gounod à l’Opéra Comique’), garants d’une réussite qui repose aussi sur les qualités stylistiques de l’Orchestre National de France.

Pene Pati (Nicias) et Ludovic Tézier (Athanaël)

Pene Pati (Nicias) et Ludovic Tézier (Athanaël)

Avec son timbre âpre dont il creuse les effets caverneux de manière expansive, Guilhem Worms incarne un Palémon ambigu de par le contraste entre l’austérité vocale de son rôle et sa jeunesse d’âge, surtout quand il se tient auprès de Ludovic Tézier. Ce dernier est renforcé dans sa stature statique par le format qu'impose la version de concert avec partition, mais il donne beaucoup de conviction à ses sentiments profonds au fil de la représentation en extériorisant de plus en plus son chant sombre et minéral dont il révèle des clartés sévères quand il en accroît la puissance. 

Ludovic Tézier (Athanaël)

Ludovic Tézier (Athanaël)

Ermonela Jaho, elle, débute par un surjeu du caractère hautain et presque dédaigneux de Thaïs pour verser progressivement dans un dramatisme viscéral qui la rend si émouvante quand elle prolonge son vécu intérieur par une gestuelle ornementale impliquant tout son corps qui sied énormément à l’orientalisme raffiné de la musique. Et son chant est magnifiquement souple et délié avec une finesse spectaculaire quand ses aigus aux contours voilés et très agréablement vibrés se déploient à en serrer le cœur de plus d’un auditeur. Ce don émotionnel qu’elle a à faire vivre ses personnages en faisant ressortir les nœuds de l'âme les plus douloureux jusqu'à travers son regard est irrésistiblement attachant.

Marielou Jacquard, Cassandre Berthon, Marie Gautrot, Guilhem Worms, Pene Pati, Ludovic Tézier et Ermonela Jaho

Marielou Jacquard, Cassandre Berthon, Marie Gautrot, Guilhem Worms, Pene Pati, Ludovic Tézier et Ermonela Jaho

Quant à Pene Pati, sidérant de naturel et d’immédiateté dans le rendu du texte chanté, il a le rayonnement de la jeunesse, les charmes d’une diction parfaite et d’une clarté riante où tout paraît facile, ce qui valorise formidablement Nicias.

Tous les personnages qui entourent les chanteurs principaux sont également très bien rendus, qu’il s’agisse de l’Albine introvertie de Marie Gautrot ou des esclaves rayonnantes de Cassandre Berthon et Marielou Jacquard, et l’Orchestre National de France mené par un Pierre Bleuse enthousiaste et effronté donne du corps qui induit une grande proximité à la musique tout en réussissant à créer une unité harmonique qui dégage une lumière frémissante et une souplesse de mouvement dont on s’imprègne facilement. Et le souffle du chœur se fond dans cet ensemble avec un charme discret. 

Une interprétation de grande valeur dont le ravissement de tous est la récompense.

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Publié le 27 Mars 2022

Cendrillon (Jules Massenet – 1899)
Représentations du 26 mars et 28 avril 2022
Opéra Bastille

Cendrillon Tara Erraught
Madame de la Haltière Daniela Barcellona
Le prince charmant Anna Stephany / Antoinette Dennefeld
La fée Kathleen Kim
Noémie Charlotte Bonnet
Dorothée Marion Lebègue
Pandolfe Lionel Lhote
Le roi Philippe Rouillon
Le Doyen de la faculté Cyrille Lovighi
Le Surintendant des plaisirs Olivier Ayault
Le Premier Ministre Vadim Artamonov
Six Esprits Corinne Talibart, So-Hee Lee, Stéphanie Loris, Anne-Sophie Ducret, Sophie Van de Woestyne, Blandine Folio Peres

Mise en scène Mariame Clément (2022)
Direction musicale Carlo Rizzi                                     
Carlo Rizzi
Nouvelle production et entrée au répertoire
Diffusion sur France Musique le 07 mai 2022 à 20h

Le 25 mai 1887, un incendie détruisit pour la seconde fois la salle Favart de l’Opéra Comique au cours d’une représentation de ‘Mignon’ d’Ambroise Thomas

10 ans plus tard, le 07 décembre 1897, la nouvelle salle Favart, celle que nous connaissons aujourd’hui place Boieldieu, fut inaugurée et devint la résidence définitive de l’Opéra Comique où Albert Carré présentera de nombreuses créations majeures telles ‘Louise’ de Gustave Charpentier (1900), ‘Pelléas et Mélisande’ de Claude Debussy (1902), ‘Ariane et Barbe-Bleue’ de Paul Dukas (1907), ‘Macbeth’ d’Ernest Bloch (1910) ou bien ‘L’heure espagnole’ de Maurice Ravel (1911).

Tara Erraught (Cendrillon)

Tara Erraught (Cendrillon)

La toute première création à succès sur cette scène aura cependant lieu le 24 mai 1899 avec la version de ‘Cendrillon’ composée par Jules Massenet entre 1894 et 1896 d’après le conte de Charles Perrault, dans une mise en scène réalisée par le directeur lui-même, et qui atteindra sa cinquantième représentation sept mois plus tard.

Cendrillon - Massenet (Erraught - Stephany - Kim - Rizzi - Clément) Opéra de Paris

Moins connue que les autres chefs-d’œuvre de Massenet, ‘Werther’, ‘Manon’, ‘Thais’ ou ‘Don Quichotte’, cette œuvre lyrique est pourtant un ravissement pour les amoureux de finesse orchestrale et de poésie ornementale, tant sa composition recèle une inventivité d’entrelacs de thèmes qui évoqueront pour certains l’enjouement des ‘Maîtres chanteurs’ de Richard Wagner, puis, plus loin, une réminiscence romantique de ‘La Walkyrie’, ou bien une composition pastorale comme dans ‘Mireille’ de Charles Gounod, et même quelqu’un qui n’a pas un tel vécu lyrique sera continument charmé par le renouvellement incessant des mouvements de la musique.

Il n’y a nulle passion torride à aucun endroit dans cet ouvrage, mais plutôt des atmosphères charmeuses et rêveuses, ou bien de grands emportements volubiles, qui font de la scène Bastille un lieu magnifique pour mettre en valeur l’ampleur grandiose de cet opéra qui fait son entrée au répertoire de l’Opéra de Paris.

Tara Erraught (Cendrillon), Charlotte Bonnet (Noémie), Marion Lebègue (Dorothée) et Daniela Barcellona (Madame de la Haltière)

Tara Erraught (Cendrillon), Charlotte Bonnet (Noémie), Marion Lebègue (Dorothée) et Daniela Barcellona (Madame de la Haltière)

A la direction musicale, Carlo Rizzi anime cette histoire avec un sens du relief généreusement coloré et un souffle narratif enthousiasmant comme s’il s’agissait d’une rencontre impétueuse entre une écriture orchestrale et le tempérament du chef. Les atmosphères diaphanes s’épanouissent merveilleusement, de fins liserés dansent littéralement le long du flot des cordes, et le geste sensuel du peintre se veut également passionné quitte à parfois rechercher une massivité explosive qui peut surprendre par moment. C’est une interprétation véritablement somptueuse qui est ainsi offerte aux auditeurs, infiniment supérieure au simple contenu du texte.

Tara Erraught (Cendrillon)

Tara Erraught (Cendrillon)

La mise en scène de Mariame Clément comporte des éléments qui rappellent l’époque parisienne de la création de ‘Cendrillon’, notamment de par la ressemblance entre le palais du Prince et la verrière du Grand Palais qui fut inauguré en 1900. Dans le premier acte, la cheminée originelle devient une complexe machinerie d’usine triste dont certains containers s’ouvrent astucieusement par effet de surprise à l’arrivée de la fée sous des lumières bleutées plus sensibles. 

Anna Stephany (Le Prince charmant)

Anna Stephany (Le Prince charmant)

Et les différentes scènes sont interconnectées par un petit cadre de théâtre d’ombres animées qui rappelle qu’il s’agit bien d’un conte raconté dans un cadre réaliste.
Mariame Clément arrive par ailleurs à se détacher avec beaucoup d’habileté de la naïveté fantaisiste du livret par sa mise en valeur des rapports sincères entre Le Prince et Cendrillon, d’une part, et Cendrillon et son père, d’autre part.

Anna Stephany (Le Prince charmant) et Tara Erraught (Cendrillon)

Anna Stephany (Le Prince charmant) et Tara Erraught (Cendrillon)

La scène du bal est effectivement une débauche de plantureuses robes roses, mais, en même temps qu’elle fait vivre avec beaucoup d’entrain le monde superficiel de cette cour, Mariame Clément réserve un modeste écrin à la découverte du jeune homme et de la jeune femme qui est traité ici comme une rencontre entre deux adolescents d’aujourd’hui avec le plus de naturel possible. 

Kathleen Kim (La fée)

Kathleen Kim (La fée)

Jouée sous forme de pantonyme, cette rencontre est d’un charme fou car on voit Cendrillon troquer ses pantoufles de vair pour des baskets, libérer sa chevelure pour partager une bonne bouteille de vin en toute convivialité, la plus belle image du bonheur, si bien que l’on peut s’imprégner de cette scène intime en faisant abstraction de toute l’agitation autour.

Et, plus loin, les sentiments d’amour lors des retrouvailles au troisième acte s’expriment dans les sous-sols monumentaux et défraîchis du palais – la machinerie hydraulique de la scène Bastille est utilisée au maximum de ses capacités -, et un cœur réaliste vient rappeler crûment la fragilité de la vie.

Tara Erraught (Cendrillon) et Anna Stephany (Le Prince charmant)

Tara Erraught (Cendrillon) et Anna Stephany (Le Prince charmant)

La distribution réunie, bien que majoritairement non francophone, fait honneur au lyrisme romantique et exalté de l’œuvre et donne une très forte présence humaine à tous les personnages.

Tara Erraught, timbre ample et souffle vigoureux, incarne une Cendrillon avec beaucoup de mélancolie tout en lui attachant une dignité bien affirmée de par le velouté d’un chant qui préserve un brillant homogène et rayonnant dans les aigus. Anna Stephany, le Prince, fait énormément penser à la vaillance ombrée de Sophie Koch dans sa jeunesse, avec des couleurs de voix nocturnes, une belle souplesse de ligne et un volontarisme tout aussi triomphant, malgré les états d’âme de son personnage. Les duos de ces deux magnifiques interprètes invitent ainsi constamment à la rêverie avec une sensibilité féminine irrésistible.

Lionel Lhote (Pandolfe) et Tara Erraught (Cendrillon)

Lionel Lhote (Pandolfe) et Tara Erraught (Cendrillon)

Et Lionel Lhote, très agréable et naturel en Pandolfe, révèle un caractère en flamme quand il congédie Madame de la Haltière et ses deux filles en ayant recourt à une tonitruance dans les aigus inattendue et très spectaculaire. Ce rendu du basculement psychologique du père de Cendrillon est d’une fulgurance absolument saisissante.

Daniela Barcellona est évidemment impayable en Madame de la Haltière, et Charlotte Bonnet et Marion Lebègue forment un duo de sœurs vif aux coloris bien assortis. Quant à la fée de Kathleen Kim, parfaitement à l’aise dans les aigus sidérants, elle renvoie plutôt l’image d’un être surnaturel et magique, mais pas forcément celui d’une femme complexe.

Mariame Clément

Mariame Clément

Tous les autres rôles plus courts s’insèrent dans cet ensemble avec le même dynamisme et les teintes vocales qui leurs sont propres, et le chœur de l’Opéra de Paris se révèle à nouveau impactant et à l’unisson pour défendre une des grandes réalisations musicales de la saison. 

Tara Erraught (Cendrillon) et Antoinette Dennefeld (Le Prince charmant)

Tara Erraught (Cendrillon) et Antoinette Dennefeld (Le Prince charmant)

Et pour la dernière représentation du 28 avril, Antoinette Dennefeld remplace Anna Stephany souffrante, et c'est une heureuse surprise, car la mezzo-soprano n'avait jusqu'à présent connu que des petits rôles sur la scène Bastille depuis 2016. Douée d'une coloration vocale au brillant net et projeté avec vigueur, son approche se révèle moins baudelairienne qu'Anna Stephany, mais il y a dans son rayonnement un éclat qui exhale la fureur de vivre, et qui fait penser un peu à la manière dont Karine Deshayes avait été découverte dans 'Rusalka' ou 'L'Affaire Makropoulos', il y a quinze à vingt ans de cela.

Antoinette Dennefeld

Antoinette Dennefeld

La fraicheur et la juvénilité d'Antoinette Dennefeld ne font que donner envie de la retrouver dans des interprétations de premier plan sur la scène nationale.

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Publié le 12 Mars 2020

Manon (Jules Massenet - 1884)
Répétition générale du 24 février 2020 et représentations du 04 et 07 mars 2020
Opéra Bastille

Manon  Pretty Yende (04/03)
             Amina Edris  (07/03)
Des Grieux Benjamin Bernheim (04/03)
                    Stephen Costello (07/03)
Lescaut Ludovic Tézier
Le comte des Grieux Roberto Tagliavini
Guillot de Morfontaine Rodolphe Briand
Monsieur de Brétigny Pierre Doyen
Poussette Cassandre Berthon
Javotte Alix Le Saux
Rosette Jeanne Ireland
l'hôtelier Philippe Rouillon
deux gardes Julien Joguet, Laurent Laberdesque
Joséphine Danielle Gabou

Direction musicale Dan Ettinger
Mise en scène Vincent Huguet (2020)

Nouvelle production                                                                   Danielle Gabou (Joséphine)
Diffusion en direct sur Culture box le 17 mars 2020
Interlude musical C'est lui, musique de Georges Van Parys, paroles de Roger Bernstein, interprété par Joséphine Baker (extrait du film Zouzou, 1934).

Après l'échec en janvier 2012 de la production de Manon réalisée par Coline Serreau sous la direction de Nicolas Joel, l'Opéra de Paris ne disposait plus d'une mise en scène à la hauteur d'un des ouvrages les plus touchants de Jules Massenet. C’était d’autant plus dommage que, tout comme Les Contes d’Hoffmann, Manon fait partie de ces ouvrages créés à l’Opéra Comique sous la Troisième République, peu après l’ouverture en 1875 du Palais Garnier, un des symboles du Second Empire.

Et c’est au cours de la même année 1974 que Les Contes d’Hoffmann et Manon ont fait leur apparition au Palais Garnier, portés tous deux par un ample mouvement de fond visant à intégrer le patrimoine de la salle Favart au répertoire de l’Opéra de Paris. Œuvre sentimentalement inspirée de Manon de l’Abbé Prévost, celle-ci fait dorénavant partie des 20 ouvrages les plus joués de l’Opéra.

Pretty Yende (Manon) et Benjamin Bernheim (Des Grieux)

Pretty Yende (Manon) et Benjamin Bernheim (Des Grieux)

D’aucun pourrait cependant trouver la scène Bastille surdimensionnée pour rendre sensible l’entrelacement amoureux et inconséquent qui lie les deux principaux protagonistes, Manon et Des Grieux, mais lorsque l’on entend ce que Dan Ettinger arrive à obtenir de la formation orchestrale des musiciens, l’ivresse de ces magnifiques ondes striées de nervures frémissantes, les qualités d’évanescence et de luminosité du fin tissu de cordes, et cette puissante ligne emphatique qui vient parfois se fracasser dans la fosse avec tonitruance mais souplesse, Massenet semble comme transcendé par l’interprétation qui lui rend si bien hommage. Surtout, un inexorable sentiment d’infini émane de la musique d’où surgit par moment les élans d’un Prokofiev ou bien les couleurs rutilantes de Puccini, et le chœur, porté par son enthousiasme et un large souffle libérateur, couronne une réalisation passionnante.

Pretty Yende (Manon) entourée des invités de Guillot de Mortfontaine

Pretty Yende (Manon) entourée des invités de Guillot de Mortfontaine

Stéphane Lissner s’est donc engagé à proposer une nouvelle production, soutenue par le Cercle Berlioz et The American Friends of the Paris Opera & Ballet, pour redonner un visage digne de Manon à l'Opéra de Paris. Vincent Huguet, ancien assistant de Patrice Chéreau, reconstitue un décor assez éloigné du Paris humble du XVIIIe siècle, qui reflète la période Art-déco des années 1925.

Façades intérieures sculptées, vitraux abstraits, colonnades en arrière plan sur fond lumineux tamisé, tout évoque le Paris moderne du bord de Seine près de la Tour Eiffel. Les scènes de vie reconstruites fonctionnent assez bien, ce qui profite aux personnages de Brétigny (Pierre Doyen), Guillot de Morfontaine (Rodolphe Briand) et l'hôtelier (Philippe Rouillon), tous trois formidables chanteurs engagés dans un jeu d’une fraîcheur réjouissante.

Danielle Gabou (au centre) et ses partenaires

Danielle Gabou (au centre) et ses partenaires

La direction d’acteur n’évite cependant pas les conventions, se révèle peu vivante dans l’utilisation du chœur notamment, mais les scènes intimes sont touchantes et simplement humaines. Les interventions scéniques et chorégraphiques de Danielle Gabou (Joséphine), danseuse qu'il sera possible de revoir à Chaillot au mois de juin dans 'Moi, Titubas sorcière... Noire de Salem', s’insèrent avec humour et émerveillement dans la scénographie tout en accompagnant les lourds changements de décors, et son évocation de la meneuse de revue Joséphine Baker crée un lien entre son admiration pour Manon de celle de la Comtesse Gerschwitz pour Lulu (Alban Berg).

« La Lutte de Jacobs avec l’Ange » (Eugène Delacroix)

« La Lutte de Jacobs avec l’Ange » (Eugène Delacroix)

Un Paris décadent transparaît dès le début, qui se cristallise à la scène de jeu où les échanges d’argent achètent corps et fantasmes de cuir. Mais la véritable jonction artistique se produit à Saint-Sulpice, au cours d’un tableau qui convoque deux fresques monumentales d’Eugène Delacroix exposées à la Chapelle des Saints-Anges de l’église, « La Lutte de Jacobs avec l’Ange » et « Héliodore chassé du temple », qui, sans être écrasants, illustrent le conflit de l’homme avec ses aspirations spirituelles, et sa volonté d’en découdre avec lui.

Benjamin Bernheim (Des Grieux)

Benjamin Bernheim (Des Grieux)

Dès l’ouverture de cette scène au son de l’orgue, l’obscurité pénétrante qui révèle petit à petit, par des faisceaux lumineux d’arrière scène, les colonnades du temple, se charge d’une intensité extraordinaire, elle même préparée par l’air solitaire de Des Grieux suivi de l’arrivée de Manon. La sublimation imprimée aux musiciens par Dan Ettinger approche une irréalité mystique extrêmement sensible et qui touche au cœur.

Tout, scéniquement, vocalement et musicalement, se confond de façon esthétique et fort émouvante à cet instant là.

Et rien que pour ce tableau chanté magnifiquement par deux distributions entièrement engagées, grand tableau d’opéra que Guillot de Morfontaine ne saura offrir à Manon, il faut assister à ce spectacle qui ne possède aucune faiblesse musicale.

Benjamin Bernheim (Des Grieux) et Pretty Yende (Manon)

Benjamin Bernheim (Des Grieux) et Pretty Yende (Manon)

Après Alfredo en septembre, et avant Rodolfo en juin, Benjamin Bernheim, irrésistiblement tendre et élégiaque en Des Grieux, incarne à Bastille son deuxième rôle d'amoureux parisien de la saison, capable de toucher avec un chant à cœur délivré tant sincère, rayonnant dans toute la salle comme aucun autre interprète invité sur cette scène pour chanter ce même rôle n’a su le faire depuis la fin de l'ère Gall. Il renvoie ainsi une image d’impulsivité retenue et de charisme désirant et désiré fabuleuse.

Pretty Yende (Manon)

Pretty Yende (Manon)

Pretty Yende joue et chante avec une spectaculaire virtuosité son personnage de princesse, un modèle de nuances lumineuses et de délicatesse, mais est plus confidentielle dans les scènes plus simples, où même Danielle Gabou montre plus d’impact vocal dans les passages parlés.

Sûrement, la soprano sud-africaine connaît ses points forts, mais fait de son personnage, en première partie, une femme simplement gentille, comme s’il s’agissait d’une comédie sans arrière pensée, le type de personnalité dont raffole le public américain, ce qui crée un décalage avec l’esprit de Massenet. Toutefois, elle a une façon de concentrer ses tensions internes dans un soudain déchirement de nerfs qui théâtralise au juste moment ses prises de pouvoir sur l’audience.

Amina Edris (Manon)

Amina Edris (Manon)

Ce n’est cependant pas la même impression que laisse Amina Edris, interprète de Manon dans la seconde distribution, qui découvre d’emblée un personnage plus ambigu, fragile en apparence mais avec des ombres dans le regard et un charme taquin qui lui convient parfaitement. L’incarnation est cette fois entière, et comme elle est associée à Stephen Costello, plus torturé et défait dans sa façon de chanter et de jouer que Benjamin Bernheim, elle est la véritable découverte de ce début de série. Manon redevient le personnage central, l’homogénéité de la tessiture et des vibrations vocales de cette artiste, en pleine éclosion devant le public parisien et international, la rendent captivante à tout instant, et elle démontre en plus une éloquence et une parfaite clarté d'élocution en français absolument essentielle dans ce répertoire. Amina Edris aura ainsi marqué cette unique soirée de façon tout à fait mémorable, et pour longtemps.

Amina Edris (Manon)

Amina Edris (Manon)

Ludovic Tézier est aussi quelqu’un d’inévitable par l’aisance d’intonation bien affirmée et la présence à poigne qu’il impose, tout en assumant un Lescaut plus mondain qu’intégralement ancré dans une stature autoritaire. Et c’est donc Roberto Tagliavini qui offre cette image paternelle traditionnelle, mais si porteuse d’intégrité en comte des Grieux, d’autant plus que sont intervention à Saint-Sulpice se déroule au pied de la « La Lutte de Jacobs avec l’Ange ».

Tout dans sa voix d’ancien au port noble coïncide avec cette vie paternelle et droite, perméable aux épanchements humains.

Ludovic Tézier (Lescaut) et Pretty Yende (Manon)

Ludovic Tézier (Lescaut) et Pretty Yende (Manon)

La dernière image de ce drame a beau être détournée par Vincent Huguet pour créer un final sévère par l’exécution de Manon sous les yeux de son amour, elle ne fait pas pour autant oublier le fort beau travail esthétique scénique d'ensemble, qui est à la hauteur d’une réalisation musicale d’exception.

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Publié le 10 Janvier 2012

Manon (Massenet)
Répétition générale du 07 janvier 2012
Opéra Bastille

Manon Natalie Dessay
Des Grieux Giuseppe Filianoti
Lescaut Franck Ferrari
Le Comte Des Grieux Paul Gay
Guillot Luca Lombardo
De Brétigny André Heyboer
Poussette Olivia Doray
Jarvotte Carol Garcia
Rosette Alisa Kolosova

Direction musicale Evelino Pido
Mise en scène Coline Serreau

 

 

Natalie Dessay (Manon) et Franck Ferrari (Lescaut)

 

La nouvelle production de Manon arrive à l’Opéra National de Paris après une succession de créations navrantes, et elle apparaît comme un pied de nez de plus à la face de théâtres nationaux et européens qui se débattent avec de bien moindres moyens financiers pour monter des œuvres, parfois rares, de façon intelligente.

Bien que le féminisme de Coline Serreau se soit exprimé avec pertinence et humour dans  Le Barbier de Séville, transposé dans un monde oriental quelque part vers l’Afghanistan, elle prend prétexte de Manon pour railler la vision conformiste de la femme dans l’imaginaire de DesGrieux (le rêve américain), transformer ce dernier en un prêtre séducteur à Saint Sulpice, faire du monde de Lescaut un univers Punk pour lequel la femme est un moyen arriviste, et de De Brétigny un amateur de techniques de domination sadomasochiste dérivées de traditions japonaises.

Natalie Dessay (Manon) et Giuseppe Filianoti (DesGrieux)

Natalie Dessay (Manon) et Giuseppe Filianoti (DesGrieux)

Le problème est que cette approche évite de dresser un portrait psychologique de l‘héroïne, d‘en montrer l‘idéal caché derrière une apparente légèreté.
On peut d’ailleurs remarquer qu’Andrei Serban, metteur en scène roumain, avait abordé le sujet de l’oppression et de la domination masculine dans  Lucia di Lammermoor, mais, dans ce cas là, le livret le permettait, Lucia étant une pure victime, ce que Manon n‘est absolument pas.
 

Une fois passé un premier acte très bien mené, quand les personnages se présentent par les nombreuses entrées, par et sous le grand escalier, on en arrive à un spectacle surchargé et lourd, à sourire de certaines idées comme de ces femmes en patins à roulettes qui déambulent entre les imposants piliers de l’église, avant que ne nous envahisse une grande impression de n’importe quoi.
Et ce sont les spectatrices, le regard perdu ne sachant plus comment réagir, qui trouvent cela, elles mêmes, complètement ridicule.
Il paraîtrait qu’il s’agisse d’offrir des images qui suivent le sens et les couleurs de la musique, qu‘il s‘agisse de nous la rendre plus sensible. Pourtant, que de rires pendant le rêve de DesGrieux.

     Natalie Dessay (Manon)

Sur le plan musical, avec les réserves que l’on doit envers l’exécution d’une dernière répétition, Evelino Pido arrive à sublimer les passages les plus fins de l’ouvrage, mais pas à créer la tension que la violence des élans romantiques requière.

Dans ce rôle où elle n’est plus que bousculée par les évènements, Natalie Dessay reste toute fine et fragile jusqu’au bout, ni Manon sensuelle et voluptueuse, ni Manon émue et épleurée, mais libre de livrer ses effets coloratures étourdissants.
 

Et Giuseppe Filianoti, le cœur qui clame par la voix une triste et vaillante espérance, rend attachant DesGrieux lorsque qu’il n’est pas trop sollicité dans les forte aigus pour que la sensualité de son timbre médium-grave exprime, de manière touchante, la profondeur de ses souffrances.
Excellent acteur, Franck Ferrari compose surtout un personnage à forte valeur théâtrale, et Paul Gay se contente de tenir sa stature autoritaire, un peu déconcertée, face à un fils déboussolé.

Et l’on en vient à regretter la sobre lecture de Gilbert Deflo, écartée et pourtant plus récente que les productions de Salomé, Cosi fan tutte, Tosca, Rigoletto toujours reprises, et à se demander qui comptabilise ces dépenses inutiles.

                                                                                                         Natalie Dessay (Manon)

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Publié le 24 Janvier 2010

Werther (Massenet)
Représentation du  23 janvier 2010
Opéra Bastille

Werther Jonas Kaufmann
Albert Ludovic Tézier
Charlotte Sophie Koch
Sophie Anne-Catherine Gillet
Le Bailli Alain Vernhes
Schmidt Andreas Jäggi

Direction musicale Michel Plasson
Décors et lumières Charles Edwards
Mise en scène Benoît Jacquot

 

Sophie Koch (Charlotte) et Anne-Catherine Gillet (Sophie)

La saison précédente, la mise en scène de Jürgen Rose faisait de l’univers mental de Werther, obsessionnel et torturé, le centre de l’ouvrage. Le poète était présent en permanence.

Ne pouvant reprendre ce spectacle reparti pour Munich, Nicolas Joël a choisi de monter la production de Benoît Jacquot, créée à Londres en 2004.

Werther ne nous apparaît plus vu de l’intérieur, mais tel que le perçoit Charlotte, une incarnation du poète sensible et intériorisé.

Jonas Kaufmann (Werther)

Jonas Kaufmann (Werther)

Les émois de la jeune fille, dont la force croissante ne lui permet pas de les maîtriser dans le temps, sont subtilement exprimés par des regards détournés, des gestes de repli trahissant la sensibilité au contact physique, et Benoît Jacquot semble très attentif à l’imaginaire féminin.

Cela est d’autant plus facile que Jonas Kaufmann projette une vision parfaite du sombre amoureux, triste mais sans violence apparente. A chacun de considérer à quel point cette image reflète sa propre perception du personnage…

On peut trouver les deux premiers actes ennuyeux, il y a une convergence de retenue entre le style de la direction d’orchestre et le poids des convenances sociales qui se ressent sur le jeu d’acteurs, mais les deux suivants, par leur nature plus dramatique, rappellent l’atmosphère tchékhovienne d’Eugène Onéguine dans la mise en scène de Dmitri Tcherniakov.

Jonas Kaufmann (Werther)

Jonas Kaufmann (Werther)

Théâtralement, le geste reste convenu, les poses sont prises avec un calcul trop apparent, cependant la profondeur humaine que fait vivre la voix de Sophie Koch suffit à nous laisser impressionné.

Anne-Catherine Gillet assume simplement la naïveté de Sophie, et Ludovic Tézier est ici glacial.

Avec un goût pour l'illustration contemplative, les décors en perspective de Charles Edwards couvrent les saisons du printemps à l’hiver.

Jonas Kaufmann (Werther) et Sophie Koch (Charlotte)

Jonas Kaufmann (Werther) et Sophie Koch (Charlotte)

Lente, claire, ne laissant aucun détail s‘échapper trop loin de la masse homogène, la direction de Michel Plasson vire à une noirceur plaintive et discrète à la fois.

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Publié le 10 Mars 2009

Werther (Massenet)
Représentation du 09 mars 2009
Opéra Bastille

 

Werther Ludovic Tezier
Charlotte Susan Graham
Sophie Adriana Kucerova
Albert Franck Ferrari
Le Bailli Alain Verhnes

Direction Kent Nagano
Mise en scène Jürgen Rose
Production du Bayerische Staatsoper, Munich

On se doutait que le caractère scénique de Ludovic Tezier se glissait aisément sous la nature introvertie de Werther, mais la très grande interprétation qu'il en a donné lundi soir offre un bel éclat à la version transposée pour baryton.

Dans l'immense salle de Bastille, pensée pour valoriser la fosse d'orchestre, le chanteur s'empare de l'espace de façon simple et convaincante, flatte ses lignes de chants très pures, les éclaircit même, variant ses mouvements d'âme en offrant une richesse d'expressions extrêmement vivantes : citons de rares moments d'esprit au repos, puis les névroses, les hallucinations, l'introspection.

Ludovic Tezier (Werther)

Ludovic Tezier (Werther)

Mais il est bien entendu que le Werther de Massenet ne peut être comparé à celui de Goethe, ce dernier sombrant dans le romantisme le plus violent, et nous prenant au piège de l'univers mental obsessionnel du jeune homme.

Jürgen Rose essaye de décrire cet état psychique avec son décor écrasé par les pensées de Werther, d'où émerge de toutes parts à la fin, le prénom de Charlotte. Cet univers clos s'articule autour du fameux rocher, refuge hors du temps, mais aussi épicentre du monde réel qui entoure le héros.

Chez Massenet, Werther est un homme en souffrance, qui trouve en l'image de Charlotte, un reflet qui le calme, un Hollandais Volant, lui aussi condamné pour l'éternité.

Susan Graham (Charlotte)

Susan Graham (Charlotte)

Mais l'on ne peut pas dire que Susan Graham rende force compassionnelle au personnage de Charlotte. La voix est certes puissante, mais rien ne touche. Elle devient une sorte de mère un peu distanciée à l'air triste et affligé.

Franck Ferrari souffre de la comparaison avec Ludovic Tézier dont il n'a pas la même luminosité, l'austérité du timbre et la maturité physique en font tout de même un honnête Albert.

Ludovic Tezier dans Werther à l'Opéra Bastille

Pimpante et pleine d'entrain, Adriana Kucerova nous fait parfois sourire avec son français slavisé, et Alain Verhnes reste décidément un interprète qui donne beaucoup de personnalité à ses rôles (le Père de Louise aura été le plus attachant ces dernières années).

Avec Kent Nagano, les couleurs des préludes orchestraux se ternissent légèrement, peut être parce qu'il s'agit de maintenir une unité de la structure orchestrale, et de la déployer sans couvrir les chanteurs. D'ailleurs dans les deux derniers actes (les plus noirs), l'orchestre passe souvent au premier plan, capte l'auditeur pas ses pulsations et ses contrastes soudainement plus marqués, l'inertie d'ensemble paraissant lente mais fort majestueuse.

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