Andrea Chénier (M.Alvarez - M.Carosi - S.Murzaev) à Bastille
Publié le 3 Décembre 2009
Andrea Chénier (Umberto Giordano)
Répétition générale du 30 novembre 2009
Opéra Bastille
Andrea Chénier Marcelo Alvarez
Maddalena di Coigny Micaela Carosi
Carlo Gérard Sergei Murzaev
La Mulatta Bersi Varduhi Abrahamyan
La Contessa di Coigny Stefania Toczyska
Madelon Maria José Montiel
Roucher André Heyboer
Incredibile Carlo Bosi
Direction musicale Daniel Oren
Mise en scène Giancarlo Del Monaco
"André Chénier" est l'une des rares œuvres de l'art lyrique qui soit consacrée aux évènements de la révolution française, et à la période de la terreur en particulier.
La littérature offre plus précisément matière à réflexion avec "La Mort de Danton" de Georg Büchner (l'auteur de Woyzeck) et "La persécution et l'assassinat de Jean Paul Marat" de Peter Weiss.
L'idéal révolutionnaire cède le pas à la réalité d'une population affamée, se libérant dans une sorte d'orgie vitale et criminelle où l'âme humaine s'exalte hors de toute moralité.
La vie s'y montre dans son essence même, sans la couverture des oripeaux bourgeois.
Récemment, le théâtre de la Colline mettait en scène "Notre Terreur", création de Sylvain Creuzevault qui s'interrogeait sur Robespierre et la République des Décemvirs.
Qui étaient ces hommes qui choisirent la Terreur comme arme garante de la Vertu, afin de promouvoir un homme nouveau débarrassé de toute médiocrité? Que valaient-ils finalement ?
Une fois cette situation bien imaginée, l’approche de l’opéra de Giordano devient passionnante car Luigi Illica, le librettiste, utilise ses connaissances historiques pour reconstituer un climat révolutionnaire crédible, pas du tout avantageux pour la population française de l’époque. Le peuple se réjouit des décapitations, fornique, répand un désordre inouï parmi lequel les personnages principaux semblent surnager du mieux qu’ils peuvent.
Pour mettre en scène « André Chénier », Nicolas Joel a fait appel à Giancarlo Del Monaco, le fils d‘un des plus grands interprètes du rôle : Mario Del Monaco.
Le spectacle n’est pas une nouveauté, puisqu’il s’agit de la reprise d’un travail qui a parcouru l’Europe de Bologne jusqu’à Helsinki.
Micaela Carosi (Maddalena) et Sergei Murzaev (Gérard). 4 ans plus tard, en 1900, Puccini créera Tosca.
Les moyens dispendieux de l’Opéra Bastille sont utilisés pour reprendre et enrichir les décors, comme au premier tableau où l’aristocratie de Province est grimée en un monde de morts vivants, sorte de bal des vampires aux costumes outrés. Visuellement, cela sonne plus étrange qu’intéressant.
Changement d’atmosphère par la suite, quatre ans et des poussières plus tard, après l’assassinat de Marat. Les drapeaux français sont encore à bandes horizontales, avant qu’elles ne deviennent verticales selon le dessin de Jacques-Louis David depuis le 15 février 1794.
Chénier est un lecteur assidu de « L’Ami du peuple », journal créé par Jean-Lambert Tallien, défenseur de Marat puis opposant à Robespierre.
Tout le drame se déroule dans la pénombre, sans doute l’élément le plus saisissant que la musique souligne dans cet engrenage de complots.
Cependant, cette richesse de détails qui stimule notre intérêt pour une période clé de l’Histoire de France (un modèle romantique pour l’Italie de Giordano en recherche d’unité) ne masque pas le rendu théâtral peu travaillé par le metteur en scène.
Le malheureux Sergei Murzaev ne peut aucunement réussir son entrée menaçante, coincé dans un costume saugrenu, et cela malgré une présence vocale qui va se déployer avec force au fur et à mesure du déroulé du drame.
Mais quelque part, on sent immédiatement que son personnage va se situer dans un registre plutôt sensible et intériorisé, ce que « Nemico della patria » à l’acte III confirme, tant nous sommes loin de la caricature d’un Scarpia. C’est toujours le passage le plus fort du baryton.
C’est donc une première à l’Opéra de Paris pour Micaela Carosi, et l’interprétation qu’elle fait de Maddalena di Coigny devrait logiquement créer le désir de la réentendre à nouveau.
Voix large et dramatique, riche en couleurs sombres et en aigus amples, la soprano dépasse les instabilités initiales pour brosser un portrait sans doute très conventionnel de la jeune aristocrate, mais qu’elle a le bon goût de tirer de la légèreté vers la tragédie, et non pas vers le mélo larmoyant.
« La mamma morta » est ainsi une pure leçon de dignité finement assurée.
Surtout qu’elle est à la hauteur d’un Marcelo Alvarez vaillant et lumineux, extrêmement nerveux, et auquel ne manqueraient que quelques nuances noires, caractéristiques des personnages romantiques.
Sans trop de surprise, le chanteur est là avant tout pour se mettre en valeur, ses gestes - main sur le cœur, point menaçant, regard questionnant - restent très stéréotypés et ne le rendent pas attachant, ce qui donne une faible impression d' interaction avec les partenaires.
Parmi eux, André Heyboer et Carlo Bosi n’imposent pas véritablement une forte personnalité à Roucher et Incredibile, mais Maria José Montiel s’empare sans complexe de l’air de Madelon fait pour pleurer.
C’est un peu le problème avec l’œuvre de Giordano, l’auditeur est amené d’airs en duo magnifiques du début à la fin, en passant par des phases transitoires où l’action confuse le perd un peu.
Ces artistes sont ainsi soutenus par un Daniel Oren très attentif à la finesse du tissu musical qu’il leur offre, quitte à retenir un peu trop prudemment les tensions dans l’acte I.
Soi-disant opéra vériste, « André Chénier » montre ici des facettes teintées de préciosité.
Aujourd'hui, en France, dans le climat douteux « d’identité nationale », la débauche de drapeaux français et de Marseillaise stylisée peut agacer, mais le portrait tyrannique de la Révolution qui sacrifie un poète vient en contrepoint noircir cet héritage.