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Publié le 6 Juillet 2023

Grisélidis (Jules Massenet – Opéra-Comique,
le 20 novembre 1901)
Version de concert du 04 juillet 2023
Théâtre des Champs-Elysées

Grisélidis Vannina Santoni
Alain Julien Dran
Le Marquis Thomas Dolié
Le Diable Tassis Christoyannis
Fiamina Antoinette Dennefeld
Bertrade Adèle Charvet
Le Prieur Thibault de Damas
Gondebaut Adrien Fournaison

Direction musicale Jean-Marie Zeitouni
Chœur et Orchestre de l’Opéra national Montpellier Occitanie

Avec 73 représentations au cours de la première partie du XXe siècle, ‘Grisélidis’ fait partie de ces œuvres de Jules Massenet créées à l’Opéra Comique qui connaitront un succès d’estime – il y aura également 8 représentations entre 1922 et 1923 à l’Opéra de Paris -.

Thomas Dolié (Le Marquis) et Vannina Santoni (Grisélidis)

Thomas Dolié (Le Marquis) et Vannina Santoni (Grisélidis)

L’œuvre, basée sur la pièce d'Armand Silvestre et d'Eugène Morand ‘Le Mystère de Grisélidis’ créée à la Comédie-Française le 15 mai 1891, est d’abord un témoignage de la longue amitié entre Jules Massenet et le poète Armand Silvestre, ancien élève de l’Ecole Polytechnique, qui écrivit nombre de poèmes pour les mélodies du compositeur.

Achevée fin 1894, 'Grisélidis' sera cependant mise en veille au profit de trois autres ouvrages de Massenet,  ‘La Navarraise’ (03 octobre 1895), ‘Sapho’ (24 novembre 1897) et ‘Cendrillon’ (24 mai 1899), si bien qu’après un profond remaniement, elle verra finalement le jour le 20 novembre 1901.

Julien Dran (Alain)

Julien Dran (Alain)

Ce conte lyrique est tiré d’un célèbre thème médiéval littéraire qui est une ode à la patience d’une pauvre bergère vivant à Saluzzo, une cité située au sud de Turin, qui dut endurer les pires épreuves, dont l’enlèvement de ses enfants, pour prouver sa fidélité à son mari, un riche marquis de la région.

L’opéra baroque et l'opéra classique italiens se sont emparés de ce sujet par le passé à de multiples reprises, à travers les versions de ‘Griselda’ composées par Antonio Maria Bononcini, Alessandro Scarlatti, Pietro Torri, Giovanni Bononcini, Francesco Bartolomeo Conti, Antonio Vivaldi ou bien Niccolo Piccini, si bien que l’on peut voir à travers ‘Grisélidis’ une résurgence directe d’un thème tant privilégié au XVIIIe siècle.

Thibault de Damas (Le Prieur) et Adrien Fournaison (Gondebaut)

Thibault de Damas (Le Prieur) et Adrien Fournaison (Gondebaut)

Pour la très large majorité du public venu ce soir au Théâtre des Champs-Elysées, il s’agit donc d’une découverte, et probablement peu de visages habituels du microcosme lyrique parisien sont absents.

L’art musical de Jules Massenet s’apprécie immédiatement par sa façon de faire vivre des ondes orchestrales avec beaucoup de souplesse et de délicatesse, tout en laissant se délier des lignes mélodiques bucoliques auxquelles s‘allient des ensembles de chœurs – excellente finesse du Chœur de l’Opéra national Montpellier Occitanie ! -  qui exaltent la foi chrétienne.

Tassis Christoyannis (Le Diable) et Adèle Charvet (Bertrade)

Tassis Christoyannis (Le Diable) et Adèle Charvet (Bertrade)

Jean-Marie Zeitouni donne du corps à la musique et entraine l’Orchestre de l’Opéra national Montpellier Occitanie dans un discours dramatique très appuyé et un style qui évite de trop fondre couleurs et matières.  L’oreille ne peut cependant s’empêcher de ressentir des modulations musicales et des chatoiements balbutiants qui seront plus tard magnifiquement développés avec majesté par Richard Strauss dans ses grands opéras tels ‘Die Frau ohne Schatten’.

Mais il est également assez déroutant de basculer de ce continuum sonore encore un peu âpre à une légèreté très vivante lorsque le Diable apparait. Tassis Christoyannis lui donne une jovialité mais également une très agréable subtilité expressive qui démultiplient les accents aux intentions ludiques.

Antoinette Dennefeld (Fiamina)

Antoinette Dennefeld (Fiamina)

A l’opposé, Thomas Dolié crée un portrait du Marquis vif et très torturé qui trouve auprès de lui une figure de la femme parfaite que Vannina Santoni tient haut la main avec une fière impassibilité. Grisélidis est surtout pour elle un personnage qui lui permet de canaliser ses grandes qualités de coloration, et de surmonter les tensions des lignes de chant pour leur donner une ornementation radieuse et éloquente.

Et à travers Bertrade, la suivante de Grisélidis, Adèle Charvet offre un beau portrait empreint de chaleur humaine et de plénitude veloutée qui vient plaisamment contrebalancer cet univers de tension constante.

Jean-Marie Zeitouni et Vannina Santoni

Jean-Marie Zeitouni et Vannina Santoni

Cette tension, justement, se retrouve d’emblée chez le pauvre Alain que Julien Dran incarne avec tendresse et sens du dolorisme, donnant de son chant un brin forcé, mais focalisé avec précision, une image de dignité désespérée très touchante.

En Fiamina, la femme du Diable, Antoinette Dennefeld se régale à décliner les facettes les moins sympathiques d’une femme séductrice mais fortement manipulatrice, et Thibault de Damas, en Prieur, révèle une très grande présence et de la jeunesse d’esprit.

Enfin, dorénavant régulièrement distribué au Théâtre des Champs-Elysées, Adrien Fournaison dépeint Gondebaut avec prestance et une noirceur de velours d'une grande noblesse.

Tassis Christoyannis, Adrien Fournaison, Julien Dran et Thibault de Damas

Tassis Christoyannis, Adrien Fournaison, Julien Dran et Thibault de Damas

Succès certain pour cette unique soirée qui met en valeur une distribution de chanteurs tous très engagés à défendre une œuvre au thème, certes, daté, mais qui est portée par une musique douée d’une évidente faculté d’imprégnation.

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