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Publié le 27 Mars 2022

Cendrillon (Jules Massenet – 1899)
Représentations du 26 mars et 28 avril 2022
Opéra Bastille

Cendrillon Tara Erraught
Madame de la Haltière Daniela Barcellona
Le prince charmant Anna Stephany / Antoinette Dennefeld
La fée Kathleen Kim
Noémie Charlotte Bonnet
Dorothée Marion Lebègue
Pandolfe Lionel Lhote
Le roi Philippe Rouillon
Le Doyen de la faculté Cyrille Lovighi
Le Surintendant des plaisirs Olivier Ayault
Le Premier Ministre Vadim Artamonov
Six Esprits Corinne Talibart, So-Hee Lee, Stéphanie Loris, Anne-Sophie Ducret, Sophie Van de Woestyne, Blandine Folio Peres

Mise en scène Mariame Clément (2022)
Direction musicale Carlo Rizzi                                     
Carlo Rizzi
Nouvelle production et entrée au répertoire
Diffusion sur France Musique le 07 mai 2022 à 20h

Le 25 mai 1887, un incendie détruisit pour la seconde fois la salle Favart de l’Opéra Comique au cours d’une représentation de ‘Mignon’ d’Ambroise Thomas

10 ans plus tard, le 07 décembre 1897, la nouvelle salle Favart, celle que nous connaissons aujourd’hui place Boieldieu, fut inaugurée et devint la résidence définitive de l’Opéra Comique où Albert Carré présentera de nombreuses créations majeures telles ‘Louise’ de Gustave Charpentier (1900), ‘Pelléas et Mélisande’ de Claude Debussy (1902), ‘Ariane et Barbe-Bleue’ de Paul Dukas (1907), ‘Macbeth’ d’Ernest Bloch (1910) ou bien ‘L’heure espagnole’ de Maurice Ravel (1911).

Tara Erraught (Cendrillon)

Tara Erraught (Cendrillon)

La toute première création à succès sur cette scène aura cependant lieu le 24 mai 1899 avec la version de ‘Cendrillon’ composée par Jules Massenet entre 1894 et 1896 d’après le conte de Charles Perrault, dans une mise en scène réalisée par le directeur lui-même, et qui atteindra sa cinquantième représentation sept mois plus tard.

Cendrillon - Massenet (Erraught - Stephany - Kim - Rizzi - Clément) Opéra de Paris

Moins connue que les autres chefs-d’œuvre de Massenet, ‘Werther’, ‘Manon’, ‘Thais’ ou ‘Don Quichotte’, cette œuvre lyrique est pourtant un ravissement pour les amoureux de finesse orchestrale et de poésie ornementale, tant sa composition recèle une inventivité d’entrelacs de thèmes qui évoqueront pour certains l’enjouement des ‘Maîtres chanteurs’ de Richard Wagner, puis, plus loin, une réminiscence romantique de ‘La Walkyrie’, ou bien une composition pastorale comme dans ‘Mireille’ de Charles Gounod, et même quelqu’un qui n’a pas un tel vécu lyrique sera continument charmé par le renouvellement incessant des mouvements de la musique.

Il n’y a nulle passion torride à aucun endroit dans cet ouvrage, mais plutôt des atmosphères charmeuses et rêveuses, ou bien de grands emportements volubiles, qui font de la scène Bastille un lieu magnifique pour mettre en valeur l’ampleur grandiose de cet opéra qui fait son entrée au répertoire de l’Opéra de Paris.

Tara Erraught (Cendrillon), Charlotte Bonnet (Noémie), Marion Lebègue (Dorothée) et Daniela Barcellona (Madame de la Haltière)

Tara Erraught (Cendrillon), Charlotte Bonnet (Noémie), Marion Lebègue (Dorothée) et Daniela Barcellona (Madame de la Haltière)

A la direction musicale, Carlo Rizzi anime cette histoire avec un sens du relief généreusement coloré et un souffle narratif enthousiasmant comme s’il s’agissait d’une rencontre impétueuse entre une écriture orchestrale et le tempérament du chef. Les atmosphères diaphanes s’épanouissent merveilleusement, de fins liserés dansent littéralement le long du flot des cordes, et le geste sensuel du peintre se veut également passionné quitte à parfois rechercher une massivité explosive qui peut surprendre par moment. C’est une interprétation véritablement somptueuse qui est ainsi offerte aux auditeurs, infiniment supérieure au simple contenu du texte.

Tara Erraught (Cendrillon)

Tara Erraught (Cendrillon)

La mise en scène de Mariame Clément comporte des éléments qui rappellent l’époque parisienne de la création de ‘Cendrillon’, notamment de par la ressemblance entre le palais du Prince et la verrière du Grand Palais qui fut inauguré en 1900. Dans le premier acte, la cheminée originelle devient une complexe machinerie d’usine triste dont certains containers s’ouvrent astucieusement par effet de surprise à l’arrivée de la fée sous des lumières bleutées plus sensibles. 

Anna Stephany (Le Prince charmant)

Anna Stephany (Le Prince charmant)

Et les différentes scènes sont interconnectées par un petit cadre de théâtre d’ombres animées qui rappelle qu’il s’agit bien d’un conte raconté dans un cadre réaliste.
Mariame Clément arrive par ailleurs à se détacher avec beaucoup d’habileté de la naïveté fantaisiste du livret par sa mise en valeur des rapports sincères entre Le Prince et Cendrillon, d’une part, et Cendrillon et son père, d’autre part.

Anna Stephany (Le Prince charmant) et Tara Erraught (Cendrillon)

Anna Stephany (Le Prince charmant) et Tara Erraught (Cendrillon)

La scène du bal est effectivement une débauche de plantureuses robes roses, mais, en même temps qu’elle fait vivre avec beaucoup d’entrain le monde superficiel de cette cour, Mariame Clément réserve un modeste écrin à la découverte du jeune homme et de la jeune femme qui est traité ici comme une rencontre entre deux adolescents d’aujourd’hui avec le plus de naturel possible. 

Kathleen Kim (La fée)

Kathleen Kim (La fée)

Jouée sous forme de pantonyme, cette rencontre est d’un charme fou car on voit Cendrillon troquer ses pantoufles de vair pour des baskets, libérer sa chevelure pour partager une bonne bouteille de vin en toute convivialité, la plus belle image du bonheur, si bien que l’on peut s’imprégner de cette scène intime en faisant abstraction de toute l’agitation autour.

Et, plus loin, les sentiments d’amour lors des retrouvailles au troisième acte s’expriment dans les sous-sols monumentaux et défraîchis du palais – la machinerie hydraulique de la scène Bastille est utilisée au maximum de ses capacités -, et un cœur réaliste vient rappeler crûment la fragilité de la vie.

Tara Erraught (Cendrillon) et Anna Stephany (Le Prince charmant)

Tara Erraught (Cendrillon) et Anna Stephany (Le Prince charmant)

La distribution réunie, bien que majoritairement non francophone, fait honneur au lyrisme romantique et exalté de l’œuvre et donne une très forte présence humaine à tous les personnages.

Tara Erraught, timbre ample et souffle vigoureux, incarne une Cendrillon avec beaucoup de mélancolie tout en lui attachant une dignité bien affirmée de par le velouté d’un chant qui préserve un brillant homogène et rayonnant dans les aigus. Anna Stephany, le Prince, fait énormément penser à la vaillance ombrée de Sophie Koch dans sa jeunesse, avec des couleurs de voix nocturnes, une belle souplesse de ligne et un volontarisme tout aussi triomphant, malgré les états d’âme de son personnage. Les duos de ces deux magnifiques interprètes invitent ainsi constamment à la rêverie avec une sensibilité féminine irrésistible.

Lionel Lhote (Pandolfe) et Tara Erraught (Cendrillon)

Lionel Lhote (Pandolfe) et Tara Erraught (Cendrillon)

Et Lionel Lhote, très agréable et naturel en Pandolfe, révèle un caractère en flamme quand il congédie Madame de la Haltière et ses deux filles en ayant recourt à une tonitruance dans les aigus inattendue et très spectaculaire. Ce rendu du basculement psychologique du père de Cendrillon est d’une fulgurance absolument saisissante.

Daniela Barcellona est évidemment impayable en Madame de la Haltière, et Charlotte Bonnet et Marion Lebègue forment un duo de sœurs vif aux coloris bien assortis. Quant à la fée de Kathleen Kim, parfaitement à l’aise dans les aigus sidérants, elle renvoie plutôt l’image d’un être surnaturel et magique, mais pas forcément celui d’une femme complexe.

Mariame Clément

Mariame Clément

Tous les autres rôles plus courts s’insèrent dans cet ensemble avec le même dynamisme et les teintes vocales qui leurs sont propres, et le chœur de l’Opéra de Paris se révèle à nouveau impactant et à l’unisson pour défendre une des grandes réalisations musicales de la saison. 

Tara Erraught (Cendrillon) et Antoinette Dennefeld (Le Prince charmant)

Tara Erraught (Cendrillon) et Antoinette Dennefeld (Le Prince charmant)

Et pour la dernière représentation du 28 avril, Antoinette Dennefeld remplace Anna Stephany souffrante, et c'est une heureuse surprise, car la mezzo-soprano n'avait jusqu'à présent connu que des petits rôles sur la scène Bastille depuis 2016. Douée d'une coloration vocale au brillant net et projeté avec vigueur, son approche se révèle moins baudelairienne qu'Anna Stephany, mais il y a dans son rayonnement un éclat qui exhale la fureur de vivre, et qui fait penser un peu à la manière dont Karine Deshayes avait été découverte dans 'Rusalka' ou 'L'Affaire Makropoulos', il y a quinze à vingt ans de cela.

Antoinette Dennefeld

Antoinette Dennefeld

La fraicheur et la juvénilité d'Antoinette Dennefeld ne font que donner envie de la retrouver dans des interprétations de premier plan sur la scène nationale.

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Publié le 16 Septembre 2019

La Traviata (Giuseppe Verdi – 1853)
Représentations du 12 et 15 septembre 2019
Palais Garnier

Violetta Valery Pretty Yende
Flora Bervoix Catherine Trottmann
Annina Marion Lebègue
Alfredo Germont Benjamin Bernheim
Giorgio Germont Ludovic Tézier
Gastone Julien Dran
Il Barone Douphol Christian Helmer
Il Marchese d’Obigny Marc Labonnette

Direction musicale Michele Mariotti
Mise en scène Simon Stone (2019)

Nouvelle production en coproduction avec le Wiener Staatsoper
                                                                                       Benjamin Bernheim (Alfredo Germont)

Bien que, depuis l’arrivée en 1973 de Rolf Liebermann à la direction de l’Opéra de Paris, La Traviata ne soit que la 8e œuvre la plus jouée du répertoire, elle a dorénavant rejoint Tosca, Don Giovanni et La Bohème en tête sur les 20 dernières années, le carré d’as des opéras qui totalisent plus de 110 représentations chacun depuis la saison 1999/2000.

Pretty Yende (Violetta Valery)

Pretty Yende (Violetta Valery)

Mais elle est la seule œuvre à connaitre sa 4e mise en scène sur cette double décennie, ayant été victime du coup de froid que jeta l’arrivée de Nicolas Joel et de son dramaturge Christophe Ghristi à la suite de la direction de Gerard Mortier. Au travail profondément mélancolique et poétique de Christoph Marthaler, qui faisait de Violetta une Edith Piaf incroyablement touchante sous les ors du Palais Garnier, succéda à Bastille une production de Benoit Jacquot soignée mais statique et purement destinée à constituer un joli écrin visuel.

Par conséquent, en confiant une nouvelle production à Simon Stone, metteur en scène australien invité depuis cinq ans sur les scènes théâtrales européennes, Stéphane Lissner entend bien instaurer une version qui s’ancrera durablement sur la scène de l’Opéra de Paris.

Pretty Yende (Violetta Valery) et Benjamin Bernheim (Alfredo Germont)

Pretty Yende (Violetta Valery) et Benjamin Bernheim (Alfredo Germont)

L’accueil enthousiaste du public réservé lors de la première représentation est le signe que ce travail artistique devrait vivre au cours de nombreuses reprises.

Car Simon Stone offre un portrait contemporain crédible d’une femme vivant à travers les réseaux sociaux, et qui fréquente une société de luxe que l’on imagine s'amuser dans le quartier du Ritz et de la place Vendôme. Violetta traine sa solitude près de la statue équestre de Jeanne d’Arc, statue qui fut érigée sur la place des Pyramides quelques mois avant l’ouverture du Palais Garnier, et doit sacrifier son amour pour Alfredo dont le père, Giorgio, est mis sous pression afin de ne pas provoquer de scandale, car sa fille doit épouser un prince saoudien.

Benjamin Bernheim (Alfredo Germont)

Benjamin Bernheim (Alfredo Germont)

Le premier acte est mené tambour battant. L’orchestre et le chœur, ainsi que tous les solistes, sont emportés par l’élan irrépressible de la main sûre, caressante et énergique de Michele Mariotti qui, tout au long de la représentation, fait ressortir les magnifiques motifs racés des premiers violonistes, les soudains frémissements des altistes, un balancement tout en nuances qui en fait une des plus grandes directions vives de l’ouvrage entendues à ce jour.

Le dispositif tournoyant de la mise en scène fait défiler sur mur vidéographique les amusantes et décalées conversations entre Violetta et Alfredo au cours de leurs airs amoureux, puis passe de l’entrée d’un club branché à l’intérieur stylisé d’une salle de fête dominée par une pyramide de verres de champagne, et enfin bascule sur une banale arrière-cour et les ruelles d’un quartier populaire.

Pretty Yende (Violetta Valery)

Pretty Yende (Violetta Valery)

Et c’est par mail, puis courrier, que la jeune fille reçoit autant les avertissements financiers de sa banque pour des centaines de milliers d’euros de dépassement, que l’annonce de la récidive de son cancer.

Nous sommes dans un monde qui se nourrit du regard de l’autre, de l’exposition de soi, d’une richesse financière hors du commun, et dans ce monde étourdissant et superficiel, Pretty Yende révèle une aisance de jeu, un goût pour le glamour et une expressivité sincère immédiatement touchante.

Le timbre de la voix a le charme des coloris sombres et métissés, les aigus piqués brillent d’un éclat purement cristallin, et son chant généreusement vibrant sourit comme s’il apportait le bonheur en contrepoint du drame sentimental souligné par la maladie.

Benjamin Bernheim (Alfredo Germont)

Benjamin Bernheim (Alfredo Germont)

Benjamin Bernheim, jeune Alfredo insouciant, solide et belle-gueule, a le charme de la légèreté confiante, fait montre d’une impressionnante longueur de souffle qui lui permet de rayonner la clarté des couleurs crème de sa voix, et c’est dans les moments les plus intenses, ou bien les plus lents et délicats, qu’elle prend le pouvoir sur le temps.

Dans la seconde partie, Simon Stone fait d’Alfredo, comme dans la version de Christoph Marthaler, un bourgeois parisien qui rêve d’un bonheur simple à la campagne, et nous le voyons s’amuser à chanter tout en pressant le raisin, pieds nus, dans un baquet. Violetta s’essaye à la traite d’une véritable vache, et lorsque Germont intervient pour la dissuader de rester auprès de son fils, une petite chapelle dérisoire figure ce qu’il reste de la croyance en Dieu.

Ces petits tableaux s’enchaînent sur un fond maculé de blanc, comme de petites images illustratives disjointes, sans la continuité de lieu qui paraissait plus évidente au premier acte.

La Traviata (Yende-Bernheim-Tézier-Mariotti-Stone) Garnier

La transition vers le tableau qui se déroule dans le salon de Flora, toujours conduit par la vidéographie de manière émouvante, nous entraîne alors dans l’univers des clubs échangistes parisiens, illustré par des images animées de néons colorés qui suggèrent ce qui s’y passe, et le chœur, d’abord féminin, apparaît costumé de toutes les couleurs, avant que les hommes n’arrivent et ne cherchent à compléter les couples. Cependant, Simon Stone les maintient dans un relatif statisme, probablement afin de ne pas trop en faire, et se limite à une description grotesque et dérisoire, bien loin des angoisses du film de Stanley Kubrick ‘Eyes wide shut’.

Au cours de cette partie, Ludovic Tézier brosse un portrait implacable de Germont, une froideur noire sans la moindre faiblesse sentimentale, alors que le personnage d’Alfredo se dilue dans l’alcool et l’insignifiance, maintenant que Violetta a perdu toute authenticité.

Ludovic Tézier (Giorgio Germont) et Pretty Yende (Violetta Valery)

Ludovic Tézier (Giorgio Germont) et Pretty Yende (Violetta Valery)

Mais le dernier acte est celui de la fin de vie où tous les artifices tombent. Nous retrouvons Pretty Yende parmi des malades sur leur lit d’hôpital et sous perfusion, ‘Addio del Passo’ est chanté de façon bouleversante, le regard tant désespéré, alors que les souvenirs d’un bonheur adolescent défilent sur les murs qui circulent en boucle.

Simon Stone verse pour un temps dans la nostalgie, mais retrouve très vite son regard inflexible pour entraîner, au moment de mourir, Violetta dans une immense chambre blanche emplie de fumée, une fin clinique et sans âme digne de Don Giovanni.

Pretty Yende (Violetta Valery)

Pretty Yende (Violetta Valery)

Ce spectacle d’une force intégrale, qui intéresse toujours par son effet miroir sur le public parisien, doit son succès non seulement aux solistes formidablement crédibles, mais aussi au phénoménal jeu de correspondance entre la direction orchestrale et le chœur qui se répondent et s’harmonisent dans une ferveur théâtrale exaltante.

Rarement aura-t-on entendu l’orchestre de l’Opéra de Paris résonner aussi pleinement et offrir une telle verve verdienne dans la fosse du Palais Garnier.

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