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Publié le 2 Juin 2022

Les Troyens ( Hector Berlioz – 1863)
Représentation du 26 mai 2022
Bayerische Staatsoper

Cassandre Marie-Nicole Lemieux
Hécube Emily Sierra
Ascagne Eve-Maud Hubeaux
Didon Ekaterina Semenchuk
Anna Lindsay Ammann
Soldat aus dem trojanischen Volk Daniel Noyola
Chorèbe Stéphane Degout
Priam Martin Snell
Hélénus Armando Elizondo
Enée Gregory Kunde
Panthée Sam Carl
Der Schatten von Hector Roman Chabaranok
Ein griechischer Heerführer Daniel Noyola
Narbal Bálint Szabó
Iopas Martin Mitterrutzner
Mercure Andrew Hamilton
Hylas Jonas Hacker
Erster trojanischer Soldat Theodore Platt
Zweiter trojanischer Soldat Andrew Gilstrap                
Marie-Nicole Lemieux (Cassandre)

Direction musicale Daniele Rustioni
Mise en scène Christophe Honoré (2022)
Bayerisches Staatsorchester

La nouvelle production des ‘Troyens’ de l’opéra de Munich est une déception dramaturgique au point qu’elle risquerait de relayer au second plan une réussite musicale portée par de très grands artistes.

L’approche de Christophe Honoré n’est en effet pas immédiatement compréhensible en première partie, malgré un décor assez évocateur qui donne l’impression de situer le drame sur les hauteurs d’une terrasse de Troie avec la vue sur la mer au loin qui domine les fortifications. Les pierres plaquées au sol sont à plusieurs endroits endommagées, stigmates les plus visibles du siège que mènent les Grecs depuis 10 ans.

Astyanax

Astyanax

Cassandre, vêtue de noir, débute seule, assez classiquement, mais survient très tôt un jeune enfant, Astyanax, le fil d’Hector et Andromaque, dont la présence continue se prolongera jusqu’à l’arrivée fantomatique de son père venu prévenir Enée de la défaite prochaine.

Les scènes de rituels nous projettent cependant dans un monde assez proche de nous, les années 70 possiblement, avec ces téléviseurs qui traînent au fond du décor, ces Troyens en costumes de soirée relativement figés, l’icône d’une Vierge Marie, des pots de fleurs en offrande, bref l’image d’un monde conventionnel qui tombe en décrépitude et en esclavage, et qui pourrait-être la métaphore d’une société croyante et patriarcale sur le déclin. Se pose alors la question, à la fin de cette première partie, du monde vers lequel est possible une nouvelle vie.

Reste que cette description d’une société qui s’effondre manque de vie et de tension et que l’on croit peu aux interactions et aux sentiments entre les protagonistes principaux. 

Le seul personnage dont le parcours est richement détaillé est celui de l’enfant, rôle muet, et l’on serait tenté d’y voir surtout une manière de s’interroger sur l’avenir de ce gamin entouré d’adultes qui ont perdu tout repère.

Marie-Nicole Lemieux (Cassandre) et Stéphane Degout (Chorèbe)

Marie-Nicole Lemieux (Cassandre) et Stéphane Degout (Chorèbe)

En seconde partie, l’ambiance est plus lumineuse. Carthage est un lieu de détente et de plaisirs où des hommes se prélassent nus dans un environnement bétonné et configuré par différents niveaux d’élévations qui dominent une bouche dans laquelle s’engouffre un escalier vers les sous-sols. 

La mer apparaît cette fois à travers une ouverture creusée dans le mur.

Les Tyriens ne semblent pas être au premier abord des travailleurs, et les entrées purement musicales sont coupées. Deux plans de vies se dessinent ainsi sans jamais se rencontrer, celui des chanteurs et celui des oisifs.

Gregory Kunde (Enée) et le Fantôme d'Hector (Roman Chabaranok)

Gregory Kunde (Enée) et le Fantôme d'Hector (Roman Chabaranok)

C’est véritablement au quatrième acte que le metteur en scène entraîne les spectateurs dans sa lecture très personnelle de la nuit d’orage en forêt parcourue de chasseurs, de chiens en laisse, de nymphes, satyres et autres faunes, et d’où les Carthaginois repousseront les armées numides.

Durant tout ce tableau et la marche des esclaves nubiennes, deux écrans projettent une filmographie crûment érotique qui met en scène des amours libres, des partouzes gay et des séances de scarification qui évoquent surtout à l’extrême l’élan de libération que connurent les années 70 et 80 avant que tout ne vire au drame, ce que Christophe Honoré figure au dernier acte en laissant gésir au sol ce monde anéanti alors que les fantômes de Troie réapparaissent.   

Le duo d’amour entre Didon et Enée ménage un écrin presque totalement déchargé de cet entourage encombrant, et seul un couple d’hommes profite de cet instant au loin, dans l’ombre, pour vivre sa nuit.

Un nouveau monde conventionnel reprend finalement le dessus à l’arrivée du chœur, et Didon n’a plus qu’à se suicider misérablement après le départ de son amant.

Carthage

Carthage

Ce spectacle agit ainsi comme si la force de l’imaginaire du metteur en scène avait réussi à exploiter les images naïves du livret pour leur donner une vigueur sensuelle et violente, afin de les confronter sans raison à l’auditeur qui ne comprend pas en quoi cela pourrait le toucher aujourd’hui.

On ne peut ainsi s’empêcher d’y voir un cadeau d’enfant gâté fait par le directeur, Serge Dorny, à l’un de ses metteurs en scène fétiches, au détriment d’un ouvrage qui résonne pourtant fortement avec notre temps puisqu’il parle de destruction de peuple, de chute de civilisation, de quête d’une nouvelle terre et de répétition de l’histoire.

Martin Mitterrutzner (Iopas)

Martin Mitterrutzner (Iopas)

Mais les artistes font vivre cette épopée avec profondeur et courage et c’est bien là l’essentiel, à commencer par Daniele Rustioni qui compose énergiquement avec la chaleur du Bayerisches Staatsorchester, l’éclat crépusculaire de ses cuivres en fusion et la fluidité de ses cordes et bois dont il maîtrise la finesse ornementale poétique, ce qui procure une étrange sensation de confort de velours comme si les sonorités étaient nimbées d’un voile ouaté. On ne retrouve pas tout à fait les nervations vrillées inhérentes à l’esthétique sonore de Berlioz, mais le son de l’orchestre allemand gagne finalement en transparence.

Rythmiquement mesuré en première partie, le souffle prend ensuite son envol à Carthage et c’est peut-être aussi pour cette raison que le quatrième acte en devient aussi suffocant.

Gregory Kunde (Enée) et Ekaterina Semenchuk (Didon)

Gregory Kunde (Enée) et Ekaterina Semenchuk (Didon)

Déjà bien mise en valeur dans son enregistrement des ‘Troyens’ dirigé par John Nelson en 2017, la rondeur sombre du galbe vocal de Marie-Nicole Lemieux, qui pousse des incursions dans des graves très noirs, donne une solide assise solennelle à la personnalité de Cassandre plus maternelle et intériorisée que tragique, avec néanmoins une perte de linéarité vers quelques aigus, et le velouté idéal du chant de Stéphane Degout, également son partenaire au disque dans le rôle de Chorèbe, permet de former un alliage d’une très grande beauté ombreuse nourrissante pour les esprits contemplatifs.

Son intervention est certes courte, mais Eve-Maud Hubeaux a une présence immédiate qui permet d’apprécier la fraîcheur optimiste et bien timbrée de sa voix, Martin Mitterrutzner fait entendre plus loin un Iopas propice à la rêverie, alors que Lindsay Ammann décrit une Anna complexe griffée par la vie.

En revanche, les basses Roman Chabaranok et Bálint Szabó incarnent respectivement le fantôme d’Hector et le ministre de Didon sans faire résonner totalement la noirceur funeste qui les animent et qui pourrait accentuer la gravité de leurs prémonitions ou imprécations.

Gregory Kunde (Enée) et l'ombre d'Astyanax

Gregory Kunde (Enée) et l'ombre d'Astyanax

Il est difficile de ne pas penser à ce que peut éprouver Ekaterina Semenchuk à chanter dans l’immense espace de détente masculin dont elle est la souveraine, mais de même qu'à l’opéra Bastille trois ans auparavant, elle dépeint une reine d’un très grand tempérament, charismatique, n’hésitant pas à alléger de manière très acérée sa diction, et son charme naît autant de la souplesse de son rayonnement franc que des ses intonations désenchantées.

Ekaterina Semenchuk (Didon)

Ekaterina Semenchuk (Didon)

Mais le plus grand héros de la soirée est incontestablement Gregory Kunde - 68ans ! - inoubliable Enée au Théâtre du Châtelet en octobre 2003 que l’on retrouve ce soir avec une voix virile à la clarté poétique qui fait ressortir une jeunesse de cœur irrésistible. Le timbre vibre sensiblement, mais la musicalité n’en est que plus touchante d’authenticité.

Il incarne ici un homme qui finalement observe avec hargne un monde qui s’effondre, puis rencontre un autre monde auquel il fait mine d’apprécier les charmes de sa oisiveté pour finalement mieux le quitter, bref un homme entier qui traverse son époque sans s’accrocher à rien tout en restant intègre.

Et le moment où il chante ses regrets de devoir abandonner Carthage en se tenant simplement au dessus de l’orchestre est un splendide moment de communion avec le public, et rares sont les grands chanteurs capables d’établir une connexion aussi naturelle avec leur audience. Très grand moment d'émotion!

Tout au long de la soirée, les chœurs se révèlent d'une sobre et très agréable harmonie, mais les Troyennes pourraient afficher encore plus de volontarisme flamboyant avant que ne surgissent les Grecs.

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Publié le 20 Janvier 2018

Jephtha (Georg Friedrich Haendel)
Répétition générale du 11 janvier et représentation du 13 janvier 2018 - Palais Garnier

Jephtha Ian Bostridge
Storgé Marie-Nicole Lemieux
Iphis Katherine Watson
Hamor Tim Mead
Zebul Philippe Sly
Angel Valer Sabadus

Direction musicale William Christie
Chœur et Orchestre des Arts Florissants
Mise en scène Claus Guth (2016)

Coproduction De Nationale Opera, Amsterdam          
  Ian Bostridge (Jephtha) et Tim Mead (Hamor)

Après Moise et Aaron et Samson et Dalila, Jephtha est le troisième opéra biblique de la programmation de Stéphane Lissner – suivra Il Primo Omicidio la saison prochaine -, véritable rareté à Paris qui ne fut jouée que pour deux soirs, en octobre 1959, au Palais Garnier.

Auparavant, il y eut une version de Jephté composée par un musicien français, Michel Pignolet de Montéclair, qui fut créée à l’Académie Royale de Musique en 1732 et reprise pour 16 soirées en février et mars 1761. William Christie réussit à graver un splendide enregistrement de cet ouvrage pour Harmonia Mundi en 1992.

Ian Bostridge (Jephtha)

Ian Bostridge (Jephtha)

Dans la version de Haendel, le chœur est partie prenante de la première à la dernière scène de la tragédie. Chœur des Israélites, des vierges et des prêtres, c’est au moment où Jephté déplore qu’il ait condamné sa fille, que son peuple investit la scène avec une gestuelle soupirante et tout en torsion qui amplifie le sentiment d’errance et d’abandon de son air éperdu « How dark, O Lord, are The decrees ! ».

La remembrance du chœur « Patria oppressa ! »  écrit par Giuseppe Verdi pour Macbeth à ce moment précis n’est peut-être pas due au hasard, car l’œuvre et la dimension scénique de ce spectacle nous ramènent aussi bien aux thèmes issus du théâtre grec, Iphigénie en Tauride, Idomeneo, qu’au drame shakespearien. .

Philippe Sly (Zebul) et son enfant (Rôle muet)

Philippe Sly (Zebul) et son enfant (Rôle muet)

En effet, Claus Guth insère dès l’ouverture de brèves scénettes en flou obscur qui racontent la fin du père de Jephté et Zebul, l’arrivée au pouvoir de ce dernier, la mise à l’écart du second et la naissance de sa fille

Ce n’est donc pas le discours théologique qui intéresse Claus Guth dans cette œuvre, mais ce qu’il y a de fatal dans la volonté de pouvoir de l’homme, aussi bien en Zebul qu'en Jephté et Hamor, dont le goût pour la conquête et les honneurs les pousse dans une aventure guerrière qui va leur fait perdre l’être qui compte le plus pour eux, Iphis, celle qui était la source véritable de leur bonheur.

Ils ont voulu conquérir le monde, mais ils ont perdu leur âme.

Les ombres puissamment esthétiques d’un immense drapeau voguant dans le noir ne font que renforcer un peu plus cette vision politique de la destinée humaine.

Marie-Nicole Lemieux (Storgé)

Marie-Nicole Lemieux (Storgé)

Le symbolisme de sa mise en scène rappelle également la pureté des images que l’on peut retrouver dans le travail de Peter Sellars, une simple porte pour séparer deux mondes, un nuage pesant, la magnifique surface éclairée de la Lune jouant à cache-cache derrière les brumes, le fond d’arbustes qui évoque aussi bien une forêt que les piques d’une armée.

Et la qualité de la direction d’acteur prodigue nombre d’images signifiantes telle celle de Jephté marchant la main tendue en arrière vers Iphis tendant la sienne vers l’avant, comme s’il était Orphée tentant de ramener Eurydice du monde d'Hadès.

Salle du Palais Garnier, le soir de représentation de Jephtha, le 13 janvier 2018

Salle du Palais Garnier, le soir de représentation de Jephtha, le 13 janvier 2018

C’est donc un très beau spectacle visuel qui prend sa force au moment où la guerre contre le peuple d’Amon est déclarée, car l’enchaînement tragique qui s'en suit n’a de cesse de se dérouler dans une atmosphère musicale plaintive, grave et profondément attachante.

Sous les traits d’un vieux Roi mince et d’allure fragile, Ian Bostridge exprime de son visage émacié les désirs et les souffrances de Jephté d’une voix ferme, pas purement sensuelle mais d’une franchise qui campe l’assise charnelle de son personnage défait.

Tim Mead (Hamor)

Tim Mead (Hamor)

Et c’est en Tim Mead que l’on peut entendre un galbe de voix plus rond et aux résonances éthérées avec des couleurs ambrées qui traduisent la jeunesse de ce guerrier amoureux qu’est Hamor.

Formidable de détermination, il l’est lorsqu’il brandit en avant-scène son âpre ardeur qui l’a guidé au combat, comme sa nature abattue et désespérée l’est tout autant au dernier acte sacrificiel.

Philippe Sly est sans doute le plus terrestre de ces personnages, il donne en effet à Zebul une force théâtrale digne d’un Roi Lear, mais Marie-Nicole Lemieux avec de splendides graves bien timbrés et la volupté énergique de ses accents, qui rejoint la sensualité mimétique des deux contre-ténors, libère une présence dramatique juste, et rend attendrissant son rôle de mère touchée par la perte.

Katherine Watson (Iphis)

Katherine Watson (Iphis)

Quant à l’Iphis de Katherine Watson, gracile et introvertie, tout en elle exprime à la fois l’innocence et la résignation aux désirs de son entourage.

L’arrivée de Valer Sabadus, contre-ténor mélodieux dont le timbre fait entendre des nuances adolescentes encore plus désincarnées et pathétiques que Tim Mead, est une parfaite correspondance avec l’âme complètement hors du temps de la fille de Jephté.

Valer Sabadus, Marie-Nicole Lemieux, Katherine Watson, Ian Bostridge, Tim Mead

Valer Sabadus, Marie-Nicole Lemieux, Katherine Watson, Ian Bostridge, Tim Mead

Et c’est bien entendu la musicalité céleste et pleureuse du chœur des Arts Florissants qui concentre à chaque intervention l’intensité émotionnelle de l’œuvre. William Christie colore ainsi de son orchestre les aspirations et les langueurs de cette histoire, avec une exigence de tension et un esprit funèbre qui soutiennent une atmosphère sévère mais attentive à chaque artiste et chaque musicien.

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Publié le 20 Avril 2011

Pelléas et Mélisande (Claude Debussy)
Version concert du 17 avril 2011
Théâtre des Champs Elysées

Pelléas Simon Keenlyside
Mélisande Natalie Dessay
Golaud Laurent Naouri
Geneviève Marie-Nicole Lemieux
Arkel Alain Vernhes
Yniold Khatouna Gadelia
Le Médecin Nahuel di Pierro

Direction musicale Louis Langrée
Orchestre de Paris

 

                                                Laurent Naouri (Golaud)

Après  Parsifal et  Ariane et Barbe-Bleue, c’est avec une version concert de Pelléas et Mélisande que s’achèvent ces quelques jours consacrés, au hasard du calendrier, à Wagner et son influence dans la musique française.

Sous la direction de Louis Langrée, les musiciens de l’Orchestre de Paris livrent une lecture rigoureuse et compacte qui, au fil de soirée, gagne en limpidité.
Si dans les passages les plus vivants la poésie se défait sensiblement, la profondeur de la musique, lorsqu’elle travaille les mouvements les plus sombres, devient flot mystérieux et inquiétant, et cela particulièrement lorsque Golaud intervient.

Or, Laurent Naouri est a lui seul, immensément, naturellement, et en toute évidence, l’interprète choc de la représentation. Il chante magnifiquement, le verbe est précis, superbement lié et détaché à la fois, sur fond d’un timbre mûr et que l'on pourrait croire affectueux au premier abord.

Alors évidemment Simon Keenlyside joue sur deux registres, des étincelles d’innocentes clartés et une assurance virile, Natalie Dessay trouve une lumineuse présence dans "Mes long cheveux descendent jusqu’au seuil de la tour", mais nulle subtile mélancolie ou sentiment d'urgence ne traverse ce duo par ailleurs tenu à distance sur scène. Rien ne se passe en fait.
Même Alain Vernhes paraît trop attentif à soigner son chant.

Ceci est cependant un avant goût de la passionnante confrontation qui s’annonce la saison prochaine entre le Teatro Real de Madrid (L.Naouri-Y.Beuron-C.Tilling direction S.Cambreling) et l’Opéra de Paris (V.Le Texier-S.Degout-E.Tsallagova direction P.Jordan) , le chef d’œuvre de Debussy devant y être représenté dans la même mise en scène de Bob Wilson.

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