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Publié le 20 Janvier 2018

Jephtha (Georg Friedrich Haendel)
Répétition générale du 11 janvier et représentation du 13 janvier 2018 - Palais Garnier

Jephtha Ian Bostridge
Storgé Marie-Nicole Lemieux
Iphis Katherine Watson
Hamor Tim Mead
Zebul Philippe Sly
Angel Valer Sabadus

Direction musicale William Christie
Chœur et Orchestre des Arts Florissants
Mise en scène Claus Guth (2016)

Coproduction De Nationale Opera, Amsterdam          
  Ian Bostridge (Jephtha) et Tim Mead (Hamor)

Après Moise et Aaron et Samson et Dalila, Jephtha est le troisième opéra biblique de la programmation de Stéphane Lissner – suivra Il Primo Omicidio la saison prochaine -, véritable rareté à Paris qui ne fut jouée que pour deux soirs, en octobre 1959, au Palais Garnier.

Auparavant, il y eut une version de Jephté composée par un musicien français, Michel Pignolet de Montéclair, qui fut créée à l’Académie Royale de Musique en 1732 et reprise pour 16 soirées en février et mars 1761. William Christie réussit à graver un splendide enregistrement de cet ouvrage pour Harmonia Mundi en 1992.

Ian Bostridge (Jephtha)

Ian Bostridge (Jephtha)

Dans la version de Haendel, le chœur est partie prenante de la première à la dernière scène de la tragédie. Chœur des Israélites, des vierges et des prêtres, c’est au moment où Jephté déplore qu’il ait condamné sa fille, que son peuple investit la scène avec une gestuelle soupirante et tout en torsion qui amplifie le sentiment d’errance et d’abandon de son air éperdu « How dark, O Lord, are The decrees ! ».

La remembrance du chœur « Patria oppressa ! »  écrit par Giuseppe Verdi pour Macbeth à ce moment précis n’est peut-être pas due au hasard, car l’œuvre et la dimension scénique de ce spectacle nous ramènent aussi bien aux thèmes issus du théâtre grec, Iphigénie en Tauride, Idomeneo, qu’au drame shakespearien. .

Philippe Sly (Zebul) et son enfant (Rôle muet)

Philippe Sly (Zebul) et son enfant (Rôle muet)

En effet, Claus Guth insère dès l’ouverture de brèves scénettes en flou obscur qui racontent la fin du père de Jephté et Zebul, l’arrivée au pouvoir de ce dernier, la mise à l’écart du second et la naissance de sa fille

Ce n’est donc pas le discours théologique qui intéresse Claus Guth dans cette œuvre, mais ce qu’il y a de fatal dans la volonté de pouvoir de l’homme, aussi bien en Zebul qu'en Jephté et Hamor, dont le goût pour la conquête et les honneurs les pousse dans une aventure guerrière qui va leur fait perdre l’être qui compte le plus pour eux, Iphis, celle qui était la source véritable de leur bonheur.

Ils ont voulu conquérir le monde, mais ils ont perdu leur âme.

Les ombres puissamment esthétiques d’un immense drapeau voguant dans le noir ne font que renforcer un peu plus cette vision politique de la destinée humaine.

Marie-Nicole Lemieux (Storgé)

Marie-Nicole Lemieux (Storgé)

Le symbolisme de sa mise en scène rappelle également la pureté des images que l’on peut retrouver dans le travail de Peter Sellars, une simple porte pour séparer deux mondes, un nuage pesant, la magnifique surface éclairée de la Lune jouant à cache-cache derrière les brumes, le fond d’arbustes qui évoque aussi bien une forêt que les piques d’une armée.

Et la qualité de la direction d’acteur prodigue nombre d’images signifiantes telle celle de Jephté marchant la main tendue en arrière vers Iphis tendant la sienne vers l’avant, comme s’il était Orphée tentant de ramener Eurydice du monde d'Hadès.

Salle du Palais Garnier, le soir de représentation de Jephtha, le 13 janvier 2018

Salle du Palais Garnier, le soir de représentation de Jephtha, le 13 janvier 2018

C’est donc un très beau spectacle visuel qui prend sa force au moment où la guerre contre le peuple d’Amon est déclarée, car l’enchaînement tragique qui s'en suit n’a de cesse de se dérouler dans une atmosphère musicale plaintive, grave et profondément attachante.

Sous les traits d’un vieux Roi mince et d’allure fragile, Ian Bostridge exprime de son visage émacié les désirs et les souffrances de Jephté d’une voix ferme, pas purement sensuelle mais d’une franchise qui campe l’assise charnelle de son personnage défait.

Tim Mead (Hamor)

Tim Mead (Hamor)

Et c’est en Tim Mead que l’on peut entendre un galbe de voix plus rond et aux résonances éthérées avec des couleurs ambrées qui traduisent la jeunesse de ce guerrier amoureux qu’est Hamor.

Formidable de détermination, il l’est lorsqu’il brandit en avant-scène son âpre ardeur qui l’a guidé au combat, comme sa nature abattue et désespérée l’est tout autant au dernier acte sacrificiel.

Philippe Sly est sans doute le plus terrestre de ces personnages, il donne en effet à Zebul une force théâtrale digne d’un Roi Lear, mais Marie-Nicole Lemieux avec de splendides graves bien timbrés et la volupté énergique de ses accents, qui rejoint la sensualité mimétique des deux contre-ténors, libère une présence dramatique juste, et rend attendrissant son rôle de mère touchée par la perte.

Katherine Watson (Iphis)

Katherine Watson (Iphis)

Quant à l’Iphis de Katherine Watson, gracile et introvertie, tout en elle exprime à la fois l’innocence et la résignation aux désirs de son entourage.

L’arrivée de Valer Sabadus, contre-ténor mélodieux dont le timbre fait entendre des nuances adolescentes encore plus désincarnées et pathétiques que Tim Mead, est une parfaite correspondance avec l’âme complètement hors du temps de la fille de Jephté.

Valer Sabadus, Marie-Nicole Lemieux, Katherine Watson, Ian Bostridge, Tim Mead

Valer Sabadus, Marie-Nicole Lemieux, Katherine Watson, Ian Bostridge, Tim Mead

Et c’est bien entendu la musicalité céleste et pleureuse du chœur des Arts Florissants qui concentre à chaque intervention l’intensité émotionnelle de l’œuvre. William Christie colore ainsi de son orchestre les aspirations et les langueurs de cette histoire, avec une exigence de tension et un esprit funèbre qui soutiennent une atmosphère sévère mais attentive à chaque artiste et chaque musicien.

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Publié le 11 Octobre 2015

Theodora (Georg Friedrich Haendel)
Représentation du 10 octobre 2015
Théâtre des Champs Elysées

Theodora Katherine Watson
Irène Stéphanie d’Oustrac
Didyme Philippe Jaroussky
Septime Kresimir Spicer
Valens Callum Thorpe
Le Messager Sean Clayton

Mise en scène Stephen Langridge
Direction musicale William Christie

Orchestre et chœur des Arts Florissants

 

                                                                                  Katherine Watson (Theodora)

Rarement représenté sur scène, Theodora a connu une production d’une très grande force au Festival de Glyndebourne, en 1996, sous la direction de Peter Sellars et de William Christie.

Filmé – la production est accessible en DVD et sur Youtube - et ayant même voyagé en France (Strasbourg), ce spectacle se focalisait sur le processus d’exécution, la peine capitale, et prenait une valeur politique cinq ans avant l’ouverture du Camp de Guantanamo.

Stéphanie d'Oustrac (Irène) et Katherine Watson (Theodora)

Stéphanie d'Oustrac (Irène) et Katherine Watson (Theodora)

La même année, le Festival commandait également au compositeur Stephen Lunn et à son librettiste Stephen Plaice un opéra pour enfants, Misper, dont la mise en scène était confiée au jeune Stephen Langridge.

Depuis, cet artiste qui s’est confronté à la vie dans les centres de détention britanniques est régulièrement invité à travers toute l’Europe, mais n’est convié que pour la première fois à Paris.

Son travail sur l’un des derniers oratorios de Haendel lui permet ainsi de croiser deux thèmes qui lui sont chers, le sentiment religieux et son oppression, et la violence de l’univers carcéral.

Stéphanie d'Oustrac (Irène) et Philippe Jaroussky (Didyme)

Stéphanie d'Oustrac (Irène) et Philippe Jaroussky (Didyme)

Nous découvrons alors, sur scène, son magnifique sens de la fluidité et des transitions qui donne aux éclairages un rôle majeur dans cette conception esthétique bienveillante et apaisante.

En effet, tout son travail consiste à maintenir une symbiose avec la lenteur inspirante du flot musical et son climat spirituel, afin que le spectateur soit toujours en empathie avec la situation dramatique des personnages et leur force intérieure, plutôt que sur l’horreur de ce qu’ils vivent.

Ainsi, les exécutions ne sont pas montrées, seules quelques traces de sang sur un mur les suggèrent, et les deux mondes en opposition, celui des Romains et celui des Chrétiens, sont respectivement identifiés par, d’une part, les costumes gris et noirs d’une junte militaire, et, d’autre part, l’humble ligne de vêtements clairs et d’une tonalité pure et unie.

Le choeur (Scène d'orgie)

Le choeur (Scène d'orgie)

Tous sont baignés par une ambiance lumineuse chaleureuse, sauf dans l’univers froid de la prison où ombres et couleurs verdâtres et glacées prédominent.

Seuls quelques panneaux latéraux glissent pour créer de multiples configurations de salles et de lieux ouvertes et fermées.

Ainsi, au premier acte, l'apparition de la communauté chrétienne prend une forme impressive quand on la découvre sous la lueur floue d’un rétroéclairage imageant un Soleil ou une présence divine, impalpable. On voit alors hommes et femmes reformer ce symbole parfait, en répartissant au sol un ensemble de recueils religieux.

Kresimir Spicer (Septime)

Kresimir Spicer (Septime)

Dans le second acte, la grande scène de solitude de Theodora, abandonnée sur son lit, sépare deux lieux, celui de sa cellule, et celui des gardes, alors que l’espace se resserre vers l’avant-scène. Puis, revient le chœur associé à d'autres symboles chrétiens, les cierges, qui invoquent les flammes d’une croyance inaltérable.

Le dernier acte représente la conversion simple mais totale de Didyme à cet idéal, la mise à genoux de Septime plié de compassion – Kresimir Spicer exprime ce tressaillement de façon très poignante -, et l’image symbolique du crime final.

L’ensemble du jeu des acteurs et du chœur est parcouru d’une évidence naturelle qui ne creuse certes pas leur force viscérale, mais ne les enferme pas non plus dans un statisme de convention.

Il s'agit véritablement d'un très beau travail qui fait ressentir la chaleur qui devrait toujours émaner de la force d’une foi.

Katherine Watson (Theodora)

Katherine Watson (Theodora)

Tous les chanteurs sont de plus en totale harmonie avec l’œuvre et sa représentation scénique.

Katherine Watson (Theodora) et Stéphanie d’Oustrac (Irène) sont d’une présence fascinante, et sont l’égale l’une de l’autre par l’émotion qu’elles suscitent.

L’art de la première est d’une clarté plaintive traversée d’une affectation qui préserve l’intégrité de sa ligne vocale, et n’entraîne aucun effet de surpuissance doloriste.

La scène de la prison est celle qui révèle le mieux sa capacité à unifier chant, justesse et force théâtrales. Le mystère de l’expression émotionnelle à travers la pure musicalité.

Philippe Jaroussky (Didyme)

Philippe Jaroussky (Didyme)

Sa partenaire y ajoute la profondeur des couleurs plus sombres et mâtinées d’un feutre doux, dont elle sait furtivement s’extraire pour révéler des intonations humaines, avec un sens identique de l’intériorité trop beau pour le décrire.

Kresimir Spicer – jeune Idomeneo à l’Opéra de Lille en début d’année – aborde un rôle idéal pour lui, car son personnage est jeune, ancré dans l'instant, mais également sensible à une communauté oppressée. Or, sa voix évoque cette jeunesse débordante, mais également un trouble, et non pas une autorité posée et droite. Ses modulations trahissent les agitations du cœur, et le timbre, une douceur humaine.

Le Choeur des Arts Florissant surmonté des portraits de Katherine Watson (Theodora) et Philippe Jaroussky (Didyme)

Le Choeur des Arts Florissant surmonté des portraits de Katherine Watson (Theodora) et Philippe Jaroussky (Didyme)

Et après un premier acte un peu timide, Philippe Jaroussky dépeint dès la seconde partie un Didyme évidemment pur et angélique, mais traversé de cette sensibilité révoltée qu’il sait libérer dans les moments clés.

Enfin, Callum Thorpe, dans le rôle ingrat de Valens, joue un personnage vocalement bien canalisé, et Sean Clayton (Le messager) – un des ténors des Arts des Florissants –, malgré sa brève intervention, a en lui la volonté de marquer la mémoire des auditeurs d’une présence prégnante.

Stéphanie d'Oustrac et Stephen Langridge

Stéphanie d'Oustrac et Stephen Langridge

Solos d’instruments d’une profondeur et d’une poésie envoutantes, magnificence des scintillements du clavecin, richesse harmonique et fluidité des lignes renforcées par les ondes sombres et métalliques des basses, homogénéité et sérénité d’un chœur d’une calme spiritualité, l’ensemble des Arts Florissants et William Christie sont toujours au sommet de l’interprétation musicale baroque, et au service d'un sens théâtral éblouissant.

 

Diffusion, en direct, sur Concert ARTE le vendredi 16 octobre 2015.

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