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Publié le 25 Septembre 2023

Lohengrin (Richard Wagner – Weimar, le 28 août 1850)
Répétition générale du 18 septembre et

représentations du 23, 27, 30 septembre, 11, 18 et 27 octobre 2023
Opéra Bastille

Heinrich der Vogler Kwangchul Youn (18, 27/09 et 11, 18, 27/10)
                                 Tareq Nazmi (23/09)
Lohengrin Piotr Beczala (18, 23, 27/09 et 18, 27/10)
                  Klaus Florian Vogt (11/10)
Elsa von Brabant Johanni van Oostrum (23, 27/09 et 18/10)
                            Sinead Campbell Wallace (18, 30/09 et 11, 27/10)
Friedrich von Telramund Wolfgang Koch
Ortrud  Nina Stemme (18, 23, 27/09 et 11/10)
             Ekaterina Gubanova (18, 27/10)
Der Heerrufer des Königs Shenyang

Mise en scène Kirill Serebrennikov (2023)
Direction musicale Alexander Soddy
Nouvelle production

Diffusion en direct sur Paris Opera Play le 24 octobre 2023, en différé sur Medici.TV dès le 01 novembre 2023, et sur France Musique le 11 novembre 2023.

4e opéra le plus joué au Palais Garnier jusqu’au début du XXe siècle, ‘Lohengrin’ est depuis la Seconde Guerre mondiale bien moins représenté, comme tous les autres opéras de Richard Wagner, hormis ‘Le Vaisseau Fantôme’.

Mais avec cette nouvelle production confiée à Kirill Serebrennikov, il revient parmi les 50 titres les plus interprétés à l’Opéra national de Paris depuis les années Rolf Liebermann

En ce 23 septembre 2023, il en est ainsi à sa 667e représentation depuis son entrée au répertoire de l’institution le 16 septembre 1891.

Lohengrin (Soddy Serebrennikov Beczala van Oostrum Campbell Wallace Stemme Koch) Opéra de Paris

Souvent présenté comme cinéaste, Kirill Serebrennikov est avant tout un artiste qui a été le directeur du Centre Gogol de Moscou entre 2012 et 2021, un lieu qu’il avait transformé en un espace de liberté d’expression très prisé par la jeunesse moscovite, mais très mal vu du pouvoir. Depuis, ce théâtre est en reconversion pour revenir à des pièces plus conventionnelles.

Opposé à la guerre en Ukraine, le metteur en scène a quitté la Russie fin mars 2022 pour s’installer à Berlin, mais croit toujours qu’un jour son pays deviendra un beau pays.

Kirill Serebrennikov

Kirill Serebrennikov

Il est le créateur d’une production de ‘Parsifal’ conçue à distance pour l’opéra de Vienne au printemps 2021, en pleine restriction sanitaire, que l’on a pu voir en streaming sur Arte Concert.

La violence et l’humanité de l’univers carcéral y sont analysées autour d’une histoire de crime passionnel manœuvrant brillamment avec les interprétations possibles du livret.

Pour cette nouvelle production de ‘Lohengrin’ qui va s’inscrire durablement, et pour notre plus grand plaisir, au répertoire de l’Opéra de Paris, Kirill Serebrennikov s’appuie sur la nature politique du livret pour nourrir sa dramaturgie des conflits militaires dont nous avons tous en tête des images.

Kwangchul Youn (Henri l'Oiseleur) - Répétition générale

Kwangchul Youn (Henri l'Oiseleur) - Répétition générale

A l’origine, l’histoire se déroule à l’époque d’Henri l’Oiseleur, au cours de la première partie du Xe siècle, au moment où se forme l’unité du royaume de Germanie alors que des menaces se profilent sur les frontières orientales.

Comme annoncé lors de la première intervention d’Henri à l’acte I, le Brabant se prépare à déclarer la guerre aux Hongrois sous prétexte que ceux-ci s’armeraient – historiquement, l’armée Magyare sera effectivement défaite le 15 mars 933 dans le nord de la Thuringe -.

Lohengrin (Soddy Serebrennikov Beczala van Oostrum Campbell Wallace Stemme Koch) Opéra de Paris

En ouverture, le metteur en scène offre pourtant une scène d’une magnifique sensibilité et sensualité en montrant par une vidéo noir et blanc un beau jeune homme, tatoué d’ailes de cygne sur le dos et les bras, allant se baigner dans un lac sous le regard d’un être qui l’aime et qui l’admire. Les effets de contre-jour sont splendides, et la lenteur du film démultiplie l’effet poétique de cette séquence.

On imagine qu’il s’agit du souvenir idéalisé du frère d’Elsa désormais disparu. Il se rhabille cependant en treillis et sac à dos militaires.

Lohengrin (Soddy Serebrennikov Beczala van Oostrum Campbell Wallace Stemme Koch) Opéra de Paris

Par la suite, et à l’instar de la production viennoise de ‘Parsifal’, les 3 actes sont architecturés de la même façon : un ou plusieurs espaces scéniques sont délimités au sol, et 3 écrans vidéos situés en hauteur permettent d’accroître l’imprégnation sensible à l’esprit des scènes ou des protagonistes.

Par ailleurs, Elsa, Lohengrin, Telramund et Ortrud sont traités comme des principes, ou bien des âmes, c’est à dire qu’ils incarnent des valeurs qui n’agissent pas directement, et sont tous les quatre complétés par d’autres formes humaines qui les prolongent.

 Sinead Campbell Wallace (Elsa) - Répétition générale

Sinead Campbell Wallace (Elsa) - Répétition générale

Elsa est d’emblée une femme malade qui divague. Deux danseuses lui ressemblant expriment sa grâce et son délire intérieur, et une femme gribouille à l’infini sur les vidéos très sombres où apparaît le prénom ‘Gottfried’, le frère d’Elsa, c’est à dire littéralement la ‘Paix de Dieu’.

De façon plus difficile à interpréter, Elsa s’empare d’un amas informe, grisâtre et enchevêtré qui inspire confusion et déformation. Elle distribue au peuple du Brabant une petite partie de ces branchages tressés en forme de couronne, comme si elle leur communiquait ses propres névroses. Elle devient le symbole de l’esprit malade de toute une génération.

Piotr Beczala (Lohengrin)

Piotr Beczala (Lohengrin)

Lohengrin apparaît soudainement dans une lumière resplendissante habillé d’une tenue militaire très claire qui lui donne de l’allure. Deux hommes torse-nus aux ailes de cygnes ajoutent à son aura, et une très belle chorégraphie s’enclenche entre ces deux danseurs et les danseuses qui incarnent Elsa.

De même, le combat entre Lohengrin et Telramund est figuré par une opposition entre ces deux cygnes humains et quatre gardes fantomatiques surmontés d’un heaume noir totalement sphérique.

Lohengrin (Soddy Serebrennikov Beczala van Oostrum Campbell Wallace Stemme Koch) Opéra de Paris

Dès la victoire de Lohengrin, une croix chrétienne apparue peu avant le combat est chahutée au même moment que les branchages s'embrasent sur les vidéos. Quant au monde royal, il est brouillé et zébré de noir.

Cet acte crucial prend donc une valeur spirituellement inversée par rapport à l’esprit originel du texte, car la victoire de la foi est remise en question par le metteur en scène.

Wolfgang Koch (Telramund) et Nina Stemme (Ortrud)

Wolfgang Koch (Telramund) et Nina Stemme (Ortrud)

Au second acte, Ortrud et Telramund se retrouvent dans un charmant salon bibliothèque.

Il s’agit d’intellectuels un peu miteux et aigris – Telramund est lui-même devenu suicidaire -, mais capables d’analyser avec beaucoup de lucidité la situation.

Ortrud retrouve Elsa dans une autre pièce surmontée d’une très élégante décoration qui figure Zeus métamorphosé en Cygne venu séduire Leda, manière très esthétique et mystérieuse de dire l’obsession d’Elsa pour son frère. Des symboles de cette boucle temporelle qui n’en finit pas de tourner dans la tête sont d’ailleurs présents à chaque acte.

Mais un autre terme, sous forme d’injonction, va lui aussi devenir obsessionnel dans les vidéos, le ‘Nie’ de ‘Nie sollst du mich befragen’, ‘Tu ne devras Jamais me questionner’, ordonné par Lohengrin au premier acte.

Lohengrin (Soddy Serebrennikov Beczala van Oostrum Campbell Wallace Stemme Koch) Opéra de Paris

Dans son duo avec Elsa, Ortrud est présentée comme quelqu’un qui introduit le doute pour amener à l’éveil la jeune femme afin de lui faire comprendre que quelque chose cloche avec Lohengrin.
Comprenant la folie d’Elsa, elle la confie à des infirmières.

Mais lorsque Telramund annonce qu’’ainsi pénètre le malheur dans cette maison !’, il ne fait pas allusion aux conséquences de l’échange avec Ortrud mais bien à l’influence de Lohengrin sur le Brabant.

La transition est magnifiquement réalisée par un lent effet de travelling qui balaye un champ de bataille nocturne jonché de barbelés, ce qui, intuitivement, fait le lien entre l’esprit torturé d’Elsa qui a appelé Lohengrin, et la réalité de la guerre qui s’impose dorénavant.

Lohengrin (Soddy Serebrennikov Beczala van Oostrum Campbell Wallace Stemme Koch) Opéra de Paris

S’en suit un triptyque saisissant qui présente les trois étapes clés de la vie des militaires, leurs repas pris en caserne, leurs soins à l’hôpital une fois de retour à moitié estropiés, puis l’emballage de leurs corps inanimés avant leur transfert en chambre froide - les puristes seront peut-être désorientés par l’absence de cathédrale à cet acte -.
Image très médiatique, le Roi vient alors saluer les blessés et leur apporter son soutien, et le décor de chacune de ses pièces prend un aspect de plus en plus dégradé. 

Mais malgré les conséquences humaines fortement visibles, la rébellion d’Ortrud et Telramund contre la folie d’Elsa, qui est aussi la folie de tout un peuple, échoue.

Lohengrin (Soddy Serebrennikov Beczala van Oostrum Campbell Wallace Stemme Koch) Opéra de Paris

Et lorsque la pureté de Lohengrin commence à être mise en doute, une très belle image crépusculaire des corps nus et blafards des soldats morts se relevant pour aller au ciel sur les murmures du chœur et des solistes donne une dimension extraordinaire à ce passage, car l’on saisit de près la désolation du metteur en scène pour qui la guerre signifie la destruction tragique de la beauté de la vie.

Et cette fois c’est bien le temps de la guerre qui s’installe, car le troisième acte s’ouvre sur des vidéos très esthétiques de soldats partant aux combats, alors que le chant nuptial est utilisé pour montrer des scènes de fiançailles de militaires telles qu’on peut les voir chaque jour sur les réseaux sociaux à travers le conflit russo-ukrainien.

Lohengrin (Soddy Serebrennikov Beczala van Oostrum Campbell Wallace Stemme Koch) Opéra de Paris

Tout se passe dans un grand hangar, et Lohengrin n’est plus aussi solaire, car sa tenue est sombre et son apparence plus vulgaire. Elsa est toujours souffrante, et leur tête-à-tête, qui n’a rien de romantique, conduit au paroxysme de la folie de la jeune femme qui voit revenir tous ses fantômes.

Un léger flottement apparaît également dans la mise en scène car on ne voit pas Lohengrin tuer directement Telramund. C’est en fait pour mieux dénoncer un peu plus loin la responsabilité du leader pour tous les morts à la guerre quand il se retrouve face aux sacs des cadavres qui jonchent l’avant-scène.

Désespérée, Ortrud y reconnaîtra son mari. C’est la chute de l’aura de Lohengrin qui, finalement, ne vaut pas mieux que Prigojine.

Lohengrin (Soddy Serebrennikov Beczala van Oostrum Campbell Wallace Stemme Koch) Opéra de Paris

Et pour Elsa, c’est aussi une catastrophe lorsqu’elle réalise que le Comte de Brabant qui apparaît n’est qu’un soldat mortellement blessé, comme le fut son propre frère.

Si certains détails peuvent rester obscurs, l’approche générale de Kirill Serebrennikov est menée avec une intelligence rare qui fait que l’esprit de sa mise en scène reste lisible. Il met en avant l’épopée guerrière suggérée par le livret, alors que celle-ci est très souvent occultée ou considérée comme une trame de second plan.

Il conduit par la même une réflexion sur la condition humaine des soldats, et raccroche des thèmes de l’ouvrage de façon saisissante à la réalité de la guerre que l’on peut suivre en direct aujourd’hui.

Sinead Campbell Wallace (Elsa)

Sinead Campbell Wallace (Elsa)

Ce travail d’une très grande force émotionnelle est allié à une interprétation musicale de très haut niveau portée par la direction élancée d’Alexander Soddy qui accentue avec nuance l’élan dramaturgique de la musique. Les belles couleurs orchestrales tendent à incruster des accents explosifs et métalliques qui sont l’apanage des ensembles allemands - le flux reste d’ailleurs toujours délié et vitalisant -, mais le tranchant n’est pas employé systématiquement comme dans le duo entre Ortrud et Telramund au début du second acte où une certaine mesure est maintenue. 

Une attention soutenue est également apportée à l’équilibre avec les voix des solistes, et les chœurs, quand ils occupent tout l’avant scène, sont capables d’exprimer une clameur et une exaltation d’une puissance impressionnante qui semble être une des volontés très chère à leur cheffe Ching-Lien Wu.

Mais dans les moments plus élégiaques et insaisissables, ils retrouvent aussi cette forme d’évanescence qui élève avec inspiration les pensées de l’auditeur. 

 Johanni van Oostrum (Elsa)

Johanni van Oostrum (Elsa)

Deux titulaires du rôle d’Elsa se partagent les 9 représentations officielles, et toutes deux ont des atouts qui les différencient et rendent nécessaire de les entendre au moins une fois chacune.

Présente à la répétition du 18 septembre, Sinead Campbell Wallace donne l’impression d’être une wagnérienne aguerrie tant la flamme ample et chaleureuse est mise au service d’un sens du tragique poignant. Et pourtant, il s’agit, sauf erreur, de son premier grand rôle scénique wagnérien.

Piotr Beczala (Lohengrin)

Piotr Beczala (Lohengrin)

Et pour la première représentation, le public parisien découvre une artiste habituée d’un rôle qu’elle a chanté auprès de Klaus Florian Vogt dans deux productions différentes à Munich, Johanni van Oostrum.

Son timbre est d’une douce unité veloutée qu’elle rayonne avec une excellente projection nette et bien focalisée ce qui n’était pas assuré d’avance sur la scène Bastille. L’incarnation est entière avec des changements de personnalité qui ramènent à la spontanéité de l’adolescence.

Nina Stemme

Nina Stemme

Habitué de la scène de l’Opéra de Paris depuis plus de vingt ans où il y a chanté Mozart, Puccini, Verdi, Tchaïkovski, Smetana et même Massenet et Gounod, Piotr Beczala revient avec son personnage wagnérien privilégié qu’il met en avant sur les plus grandes scènes du monde de Vienne à New-York en passant par Bayreuth.

Il révèle une maturité virile qui convient particulièrement bien dans cette vision d’un être qui sait charmer tout en cachant une mentalité de gangster qui n’apparaît qu’à la toute fin. Il chante avec une unité infaillible, exprime même une sincérité très crédible dans la tessiture aiguë, et dose subtilement le mélange entre douceur attentionnée et assurance qui ne vire jamais au sentiment de supériorité. 

Piotr Beczala

Piotr Beczala

De retour elle aussi sur la scène Bastille qu’elle n’avait plus foulé depuis près de 10 ans, Nina Stemme ne fait qu’une bouchée du rôle d’Ortrud avec des couleurs vocales d’un airain vibrant qui font sensation.

D’une autorité animale que son allure scénique tend à contenir pour lui donner une dureté calculatrice qui n’en fait pas pour autant un monstre, sa magnificence d’élocution crée un constant saisissement quasi hypnotique, tout en laissant poindre le sentiment qu’elle en garde sous le pied pour les représentations suivantes. Il y aura au moins une soirée d’anthologie, à n’en pas douter.

Wolfgang Koch (Telramund)

Wolfgang Koch (Telramund)

Le Friedrich von Telramund est en terme de personnalité tout le contraire. Extraordinaire par la complexité de caractère qu’il articule avec un réalisme inégalable, Wolfgang Koch démontre à nouveau quel immense acteur de la vie il est, sa clarté vocale faisant apparaître avec netteté les moindres tressaillements qui font ressentir toutes les faiblesses et sombres doutes de son être.

Mais on l’entend toutefois avec un impact vocal qui s’évapore un peu trop en première partie, bien qu’il le consolide beaucoup plus dans la seconde partie du second acte au moment où il s’agit de mettre à jour l’identité de Lohengrin.

Ce grand habitué de l’excellente acoustique de la scène munichoise sait aussi surprendre d’un soir à l’autre, et il a la capacité de faire sienne l’empreinte Bastille.

Ching-Lien Wu et les chœurs de l'Opéra de Paris

Ching-Lien Wu et les chœurs de l'Opéra de Paris

Enfin, si Kwangchul Youn a eu le temps de montrer en répétition qu’il a toujours su préserver sa noblesse d’expression, son remplaçant à la première, Tareq Nazmi – le fameux Banco de la production de ‘Macbeth’ au festival de Salzbourg cet été -, brosse un portrait digne et d’une noirceur bien marquée, hautement conforme au symbole conventionnel que représente Henri l’Oiseleur, appuyé par Shenyang qui offre beaucoup de panache au Héraut du Roi.

Piotr Beczała, Alexander Soddy, Kirill Serebrennikov et Nina Stemme

Piotr Beczała, Alexander Soddy, Kirill Serebrennikov et Nina Stemme

C’est sur un grand entrelacement entre l’enthousiasme de spectateurs saisis par un spectacle puissant et très bien réfléchi, et le décontenancement d’une autre partie de spectateurs qui accepte moins que l’obscurité du monde soit autant mise en avant sur une scène lyrique, que tous les artistes ont été emportés aux saluts finaux par une énergie générale qui démontre l'importance de ces propositions si essentielles par les vérités qu'elles drainent et que l'on n'oublie pas avec le temps.

Klaus Florian Vogt (Lohengrin)

Klaus Florian Vogt (Lohengrin)

Représentation du 11 octobre 2023

Après 10 jours sans représentations, la série des 'Lohengrin' a repris avec un remplacement inattendu et au pied levé pour un soir le 11 octobre 2023, celui de Piotr Beczala, souffrant, par Klaus Florian Vogt.

Ce n'est pas la première fois que ce magnifique ténor wagnérien fidèle du Festival de Bayreuth incarne un chef militaire - c'était déjà le cas dans la production de 'Parsifal' de Uwe Eric Laufenberg -, si bien qu'il apparaît ce soir dans la continuité des rôles qu'il a toujours incarnés, sérieux d'allure, prévenants et attentionnés, mais prompts à s'irriter si les protagonistes ne sont pas à la hauteur de sa stature morale, même si dans cette production son personnage devient vite un symbole critique de l'esprit de guerre.

Klaus Florian Vogt (Lohengrin)

Klaus Florian Vogt (Lohengrin)

Depuis ses débuts dans le rôle de Lohengrin à l'opéra d'Erfurt en 2002, Klaus Florian Vogt ne cesse d'impressionner par la manière dont il a su préserver la candeur de son timbre de voix tout en l'enrichissant en chaleur et puissance.

Grande subtilité des nuances, magnificence des couleurs et splendide rayonnement toujours aussi souverain qui emportent l'auditeur dans un autre temps, il fait vivre aux spectateurs l'expérience de l'évocation d'une âme surnaturelle avec une telle intensité que son grand air 'In fernem land' devient un sidérant récit spirituel avec une capacité à exacerber la sensibilité de l'auditeur pour l'empreindre de sentimentalisme. C'est véritablement trop beau pour être décrit!

Klaus Florian Vogt (Lohengrin)

Klaus Florian Vogt (Lohengrin)

Par ailleurs, après quelques jours de repos, la distribution est à son meilleur, Kwangchul Youn parfait de par sa stature de chef d'Etat, Wolfgang Koch brillant dans ses expressions naturalistes et très théâtrales, Nina Stemme impressionnante par la somptuosité de ses graves et la pénétrance de ses aigus hallucinés, et Sinead Campbell Wallace vaillante en toutes circonstances.

Chœurs à nouveau inspirants et élégiaques, orchestre sous tension permanente par la main galvanisante d'Alexander Soddy, cordes qui développent des tissures évanescentes absolument fantastiques, cette soirée du 11 octobre restera gravée pour beaucoup dans les mémoires.

Nina Stemme, Klaus Florian Vogt, Kwangchul Youn et les choeurs

Nina Stemme, Klaus Florian Vogt, Kwangchul Youn et les choeurs

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Publié le 31 Janvier 2023

Peter Grimes (Benjamin Britten – 7 juin 1945 - Sadler’s Well Theater, Londres)
Répétition générale du 23 janvier et représentations du 26 janvier et 07 février 2023
Palais Garnier

Peter Grimes Allan Clayton
Ellen Orford Maria Bengtsson
Captain Balstrode Simon Keenlyside
Auntie Catherine Wyn-Rogers
First Niece Anna-Sophie Neher
Bob Boles John Graham-Hall
Swallow Clive Bayley
Mrs. Sedley Rosie Aldridge
Reverend Horace Adams James Gilchrist
Ned Keene Jacques Imbrailo
Hobson Stephen Richardson

Direction musicale Alexander Soddy
Mise en scène Deborah Warner (2021, Madrid)

Coproduction avec le Teatro Real, Madrid, le Royal Opera House Covent Garden, Londres et le Teatro dell'Opera, Rome
Diffusion le 25 février à 20 h sur France Musique dans le cadre de l’émission « Samedi à l’Opéra », présentée par Judith Chaine.

Compositeur privilégié d’Hugues Gall, le directeur de l’Opéra de Paris de 1995 à 2004 qui représenta trois séries de ‘Billy Budd’ et deux séries de ‘Peter Grimes’ au cours de son mandat, Benjamin Britten n’avait plus été programmé qu’une seule fois par la suite, à l’occasion d’une reprise de ‘Billy Budd’, sous la direction de Nicolas Joel.

Une nouvelle production de ‘Death in Venice’ sera par la suite annulée, et la production de ‘Billy Budd’ par Deborah Warner, un temps programmée par Stéphane Lissner, fut, elle aussi, supprimée.

Allan Clayton (Peter Grimes)

Allan Clayton (Peter Grimes)

Le retour de ‘Peter Grimes’ à l’Opéra de Paris est donc un immense évènement qui traduit le volontarisme de son nouveau directeur, Alexander Neef, afin d’ouvrir plus largement le répertoire aux compositeurs anglo-saxons.

Cette reprise de la production créée à Madrid en avril 2021 permet d’accueillir, pour la première fois sur la grande scène lyrique nationale, une metteuse en scène britannique bien connue en Europe, Deborah Warner.

Elle est cependant loin d’être inconnue à Paris, puisqu’elle y fit ses débuts en 1989 avec ‘Titus Andronicus’ de Shakespeare au Théâtre des Bouffes du Nord, puis avec ‘King Lear’ joué au Théâtre de l’Odéon en 1990.

Plus récemment, l’Opéra Comique programma en 2012 sa version de ‘Didon et Enée’ d’Henry Purcell, et le Théâtre des Champs-Elysées présenta son interprétation de ‘La Traviata’ en 2018.

Clive Bayley (Swallow), Allan Clayton (Peter Grimes) et le choeur de villageois

Clive Bayley (Swallow), Allan Clayton (Peter Grimes) et le choeur de villageois

S’emparer d’un sujet aussi sombre que celui de ‘Peter Grimes’, c’est à la fois revenir au thème de la marginalité qu’elle avait abordé à travers sa première mise en scène d’opéra, ‘Wozzeck’, jouée au Grand Théâtre de Leeds en 1993, qu’évoquer Alban Berg pour lequel Benjamin Britten nourrissait une vive admiration – il entendra en intégralité ‘Wozzeck’, en 1934, lors d’une retransmission radiophonique -.

On retrouve au cours de ces tableaux le sens de l’épure, mais aussi le goût pour le réalisme, de Deborah Warner dans cette production qui souligne l’immense solitude du héros et l’ombre d’une malédiction qui plane sur lui.

L'apprenti et Maria Bengtsson (Ellen)

L'apprenti et Maria Bengtsson (Ellen)

La première image, fort belle, le représente dormant seul au centre d’un large espace vide, surplombé par une barque qui pourrait évoquer un cercueil, mais surtout la fin tragique à laquelle il est prédestiné. La communauté environnante est, elle, constamment animée dans des zones d'ombre, au premier et dernier acte.

Les lumières bleu-vert stylisées, plus intenses à l’horizon, décrivent une vision éthérée du temps et de l’espace, mais la maison de cet être solitaire n’est qu’un éparpillement de restes d’embarcations disparates, jonchant une scène en pente, ouvertement mise à nue.  A contrario, les villageois se retrouvent au second acte dans une taverne enfoncée dans le sol, tous parqués à l’avant-scène devant une façade qui les abrite de l'extérieur, et où une unique porte permet des entrées précipitées.
Peter Grimes (Clayton Bengtsson Keenlyside Soddy Warner) Opéra de Paris

Enfin, en fond de scène, une toile aux légers reflets irisés offre la vision d’une vue sur la mer prise depuis les hauteurs d’une falaise. L'évocation reste symbolique, et ne met pas l'accent sur l'atmosphère marine et mouvementée de ces côtes tumultueuses, probablement pour donner plus d'impact à la violence intérieure nourrie par la population, le véritable danger en ce lieu.

Deborah Warner fait ainsi vivre les relations entre individus avec un grand sens du détail et de l’interaction vivante afin de montrer toutes les facettes, peu reluisantes, de ce peuple qui juge et veut la perte de Grimes. Leur rapport à Dieu est dominé par la peur - une petite pancarte le rappelle -, et ces gens apparaissent comme ayant inconsciemment besoin de trouver un bouc émissaire pour se laver de leurs propres travers.

Simon Keenlyside (Balstrode) et Allan Clayton (Peter Grimes)

Simon Keenlyside (Balstrode) et Allan Clayton (Peter Grimes)

La scène la plus marquante se déroule au dernier acte où tous s'excitent, lors d'un rituel païen, à détruire un mannequin fabriqué à l'image de Peter Grimes, afin d'évacuer leur propre violence. C'est d'ailleurs au cours de ce même tableau de lynchage que la sensualité de plusieurs jeunes hommes - torses nus - est exaltée. A contrario, la scène où ce solitaire s'emporte face à Ellen est montrée comme un geste brusque et impulsif qui propulse la maîtresse d'école à terre. Le geste est simplement accidentel.

'Peter Grimes' est donc bien une dénonciation du conformisme et de l'hypocrisie sociale, mais Deborah Warner n'oublie pas de mettre en avant la question du devenir de l'enfant orphelin. Sa mise en scène sollicite les plus profonds sentiments pour le jeune garçon balloté dans cet univers trop préoccupé par ses propres névroses pour s'intéresser aux plus démunis.
Une telle force de caractérisation ne peut s'incarner qu'une fois confiée à de grands artistes, et tous, sans exception, participent à cette immense réussite.

Peter Grimes (Clayton Bengtsson Keenlyside Soddy Warner) Opéra de Paris

Allan Clayton, qui est attaché à cette production depuis sa création à Madrid et sa reprise à Londres, est absolument lumineux, tendre et irradiant de finesse, comme s'il était doué pour révéler la pureté d'âme mêlée à la rudesse de Peter Grimes. Confronté à la voix agréablement ouatée, et d'une parfaite homogénéitée, de Maria Bengtsson, ils tendent tous deux à souligner les qualités mozartiennes de l'écriture de Benjamin Britten, ce que la direction souple et raffinée d'Alexander Soddy ne fait que renforcer. 

Le chef d'orchestre britannique maintient tout au long de la représentation une atmophère intime et chambriste qui attire l'auditeur dans un univers soyeux et superbement ouvragé, où la noirceur mystérieuse des interludes ne se départit jamais d'un art du raffinement merveilleusement enjôleur. L'orchestre ne prend d'ailleurs pas le dessus sur les solistes et les choristes, ces derniers étant à l'unisson de l'esprit envoutant choisi pour cette interprétation.

Maria Bengtsson (Ellen) et l'apprenti

Maria Bengtsson (Ellen) et l'apprenti

Fascinant par sa retenue et la profondeur de sa présence, Simon Keenlyside, qui fut un inoubiable Wozzeck à Bastille, il y a 15 ans, prête au Capitaine Balstrode de la sagesse, un charisme vocal d'une grande maturité, et une aura humaniste fort touchante, même s'il devra suggérer au pêcheur, acculé par les villageois, de préférer prendre la mer et de couler sa barque. On verra ainsi Grimes, résigné, s'enfoncer lentement dans la mer.

Simon Keenlyside (Balstrode)

Simon Keenlyside (Balstrode)

Parmi les autres caractères, on retrouve John Graham-Hall en Bob Boles, lui qui incarna un inoubliable Aschenbach à La Monnaie de Bruxelles, en 2009, dans la production de 'Death in Venice' de Deborah Warner, avec un timbre dorénavant oscillant mais toujours expressif, et Jacques Imbrailo, qui rehausse le naturel grossier de Ned Keene par un chant séduisant et très naturel.

Allan Clayton

Allan Clayton

La cohésion scénique de l'ensemble de la distribution se prolonge avec une vérité démonstrative à travers les interprétations de Catherine Wyn-Rogers (Auntie), Rosie Aldridge, terrible en Mrs Sedley Bayley, les deux nièces qui se ressemblent par Anna-Sophie Neher et Ilanah Lobel-Torrez, le jeu de Clive Bayley qui n'éprouve aucune hésitation à dépeindre le ridicule de Swallow, et enfin James Gilchrist et Stephen Richardson, eux-aussi très convaincants.

Ching-Lien Wu (cheffe des choeurs)

Ching-Lien Wu (cheffe des choeurs)

Avec la disparition indifférente de Peter Grimes à la toute fin, réapparait pour la dernière fois, et poétiquement, son obsession pour la jeunesse des apprentis qui ont tous disparu, à travers un acrobate se muant avec légèreté dans les airs. Deborah Warner sait offrir aux jeunes artistes des occasions pour animer avec talents ses productions, et après un tel accueil du public et des professionnels pour ce poignant 'Peter Grimes', reprendre en ce même lieu celle de 'Billy Budd' par la même metteuse en scène, primée en 2018, semble aller de soi, tant le succès et la reconnaissance de tous sont assurés.

Alexander Soddy, Deborah Warner, Allan Clayton et l'apprenti

Alexander Soddy, Deborah Warner, Allan Clayton et l'apprenti

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Publié le 27 Juillet 2019

Pelléas et Mélisande (Claude Debussy)
Représentation du 24 juillet 2019
NationalTheater Mannheim

Pelléas Raymond Ayers
Mélisande Astrid Kessler
Golaud Joachim Goltz
Arkel Patrick Zielke
Genevieve Kathrin Koch
 Yniold Fridolin Bosse
Un médecin, Un berger Mathias Tönges

Direction musicale Alexander Soddy
Mise en scène Barry Kosky (2017)

Coprodution Komischen Oper Berlin
                                                          Astrid Kessler (Mélisande) et Raymond Ayers (Pelléas)

Pour cette production invitée à l'Opéra National du Rhin à l'automne 2018 avant d'être jouée à l'Opéra de Mannheim qui en est le coproducteur en association avec le Komischen Oper de Berlin, le théâtre de Barry Kosky exacerbe une vision des rapports humains qui resserre les acteurs du drame de Maurice Maeterlinck dans une complexe toile névrotique, dont la cruauté et les cris d'angoisse font songer à la dureté du regard de Michael Haneke au cinéma.

Raymond Ayers (Pelléas) et Astrid Kessler (Mélisande)

Raymond Ayers (Pelléas) et Astrid Kessler (Mélisande)

Les amoureux de la poésie de Maeterlinck regretteront inévitablement la disparition du climat vaporeux si communément mis en scène à l'opéra en écho à l'atmosphère profondément ésotérique du chef-d’œuvre de Claude Debussy, mais aucunement le mystère n'est absent de ce travail sans concession.

La scénographie représente une chambre photographique aux parois gris-noir qui évoque immédiatement la structure froide et géométrique d'une scène lyrique moderne, structure elle même enchâssée dans le cadre d'un rideau d'avant-scène d'un ancien théâtre, dont les replis se devinent à l'ombre des faisceaux de lumière.

Patrick Zielke (Arkel)

Patrick Zielke (Arkel)

Le dispositif au sol repose également sur plusieurs anneaux concentriques qui pivotent en sens inverse de manière à pouvoir faire apparaître et disparaître les personnages sans qu'ils n'aient à bouger, et tout en suivant l'écoulement fluide de la musique.

L'ensemble peut cependant sembler bien confiné sur la scène en format cinémascope du Théâtre de Mannheim, mais c'est l'ampleur de la musique et de l'interprétation orchestrale qui gagne en emphase.

Astrid Kessler (Mélisande)

Astrid Kessler (Mélisande)

Barrie Kosky obtient ainsi de tous les chanteurs un engagement d'un expressionnisme captivant et poignant dont il devient impossible d'être distrait un seul instant, car il entretient chez chacun un mystère psychologique qui interroge et stimule la perception du spectateur.

Mélisande n'a ainsi de cesse de changer d'apparence, comme si nous assistions aux métamorphoses de tous les visages possibles de la femme, depuis l'être léger et brillant à la femme enceinte et prête à devenir mère, en passant par l'être étrange, hybride entre femme et élément naturel, et ces changements d'état se succèdent à un rythme étourdissant.

Kathrin Koch (Genevieve)

Kathrin Koch (Genevieve)

Pelléas apparaît comme un jeune homme un peu gauche, nullement sublimement poétique, fasciné par une personnalité qui a le pouvoir de le faire sortir de sa condition conventionnelle, et Golaud ressemble à un homme mûr, puissant, dont le problème serait plutôt d'arriver à dominer et posséder l'insaisissable étrangeté de Mélisande. Arkel n'est alors plus qu'un vieux patriarche boiteux décadent, dont le traitement libidineux se rapproche de ce que Peter Sellars avait décrit dans sa version semi-scénique à la Philharmonie de Berlin.

Joachim Goltz (Golaud) et Raymond Ayers (Pelléas)

Joachim Goltz (Golaud) et Raymond Ayers (Pelléas)

Les scènes d'une grande force expressive abondent, telle celle effrayante d'Yniold s'agitant comme un pantin sur les épaules de Golaud, et dont les ombres de tous deux prennent une allure fantomatique,ou bien celle décrivant la relation ambiguë teintée d'allusions homosexuelles entre Golaud et Pelléas dans la grotte obscure,  ou bien celle macabre qui évoque le massacre de Mélisande lors de son enfantement et la disparition de son corps comme un simple objet inerte.

Le metteur en scène  réalise un portrait terriblement noir de l'évolution de la masculinité, ses passages ombrageux, et sa dégénérescence violente.

Joachim Goltz (Golaud) et Fridolin Bosse (Yniold)

Joachim Goltz (Golaud) et Fridolin Bosse (Yniold)

Pour soutenir ce spectacle incroyable, le jeune chef d'orchestre Alexander Soddy joue aussi bien sur les variations de textures et de couleurs des cordes, d'une soierie légèrement austère virant de la clarté aiguë et oppressante aux noirceurs sous-jacentes et subconscientes, tout en imprimant de grands mouvements descriptifs qui soulignent les interventions de chaque protagoniste, rappelant la force des motifs théâtraux que Richard Wagner développa dans l'Anneau du Nibelung. Les puristes Debussystes pourraient avec raison reprocher ce retour à Wagner dont le musicien français cherchait à se détacher, mais comment ne pas être séduit par la puissance du monde qui s'en dégage, et ne pas s'en étonner dans un monde musical germanique?

Raymond Ayers (Pelléas) et Astrid Kessler (Mélisande)

Raymond Ayers (Pelléas) et Astrid Kessler (Mélisande)

Par ailleurs, le métal des cuivres sonne toujours avec éclat, miroite sporadiquement dans l'espace de toute la salle, et laisse aux cordes la prévalence des sombres mouvements sourds.

L'ensemble de la distribution, en partie constituée de membres de la troupe de l'opéra de Mannheim, réussit à préserver l'intelligibilité du texte de façon fort appréciable, le meilleur étant sans conteste Joachim Goltz, un baryton clair d'un excellent mordant qui rend à Golaud un tempérament passionnel et menaçant au point que son rôle concentre une tension maximale dans le déroulé de ce drame familial.

Fridolin Bosse, Joachim Goltz, Astrid Kessler,  Alexander Soddy et Raymond Ayers

Fridolin Bosse, Joachim Goltz, Astrid Kessler, Alexander Soddy et Raymond Ayers

Astrid Kessler, qui a des allures de Barbara Hannigan animée par la même folie du jeu de scène, est épatante de spontanéité et de fraicheur, timbre attachant et impressionnante capacité de projection dans les moments de fébrilité, ce portrait réaliste se départit cependant des interprétations habituellement plus mélancoliques et abstraites ce qui connecte totalement Mélisande à la féminité contemporaine.

Et ceci est encore plus vrai pour Raymond Ayers qui, bien moins précis dans sa diction, dépeint un Pelléas encore plus éloigné des interprétations évanescentes et intemporelles, pour au contraire approcher son versant naturaliste qui tranche au départ, mais se fond de mieux en mieux dans l'approche crue du metteur en scène. Le chanteur est par ailleurs très crédible dans sa façon de montrer son désarroi et ses torpeurs.

 Alexander Soddy

Alexander Soddy

Étonnant Arkel de Patrick Zielke, d'une force démonstrative qui révèle également de fins allègements dans ses ports de voix, belle Genevieve de Kathrin Koch, un modèle d'intégrité, et surtout formidable Yniold de Fridolin Bosse, au français impeccable, qui donne au jeune enfant une présence et une vitalité rarement vues sur scène, complètent cet ensemble qui aura permis de vivre cet ouvrage avec une force d'une poignance telle que l'on en accepte l'écart avec l'irréalité et la poésie qui lui est naturellement attachée.

Accueil triomphal de la part du public que l'on sentait attentif et entièrement saisi.

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