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Publié le 25 Septembre 2023

Lohengrin (Richard Wagner – Weimar, le 28 août 1850)
Répétition générale du 18 septembre et

représentations du 23, 27, 30 septembre, 11, 18 et 27 octobre 2023
Opéra Bastille

Heinrich der Vogler Kwangchul Youn (18, 27/09 et 11, 18, 27/10)
                                 Tareq Nazmi (23/09)
Lohengrin Piotr Beczala (18, 23, 27/09 et 18, 27/10)
                  Klaus Florian Vogt (11/10)
Elsa von Brabant Johanni van Oostrum (23, 27/09 et 18/10)
                            Sinead Campbell Wallace (18, 30/09 et 11, 27/10)
Friedrich von Telramund Wolfgang Koch
Ortrud  Nina Stemme (18, 23, 27/09 et 11/10)
             Ekaterina Gubanova (18, 27/10)
Der Heerrufer des Königs Shenyang

Mise en scène Kirill Serebrennikov (2023)
Direction musicale Alexander Soddy
Nouvelle production

Diffusion en direct sur Paris Opera Play le 24 octobre 2023, en différé sur Medici.TV dès le 01 novembre 2023, et sur France Musique le 11 novembre 2023.

4e opéra le plus joué au Palais Garnier jusqu’au début du XXe siècle, ‘Lohengrin’ est depuis la Seconde Guerre mondiale bien moins représenté, comme tous les autres opéras de Richard Wagner, hormis ‘Le Vaisseau Fantôme’.

Mais avec cette nouvelle production confiée à Kirill Serebrennikov, il revient parmi les 50 titres les plus interprétés à l’Opéra national de Paris depuis les années Rolf Liebermann

En ce 23 septembre 2023, il en est ainsi à sa 667e représentation depuis son entrée au répertoire de l’institution le 16 septembre 1891.

Lohengrin (Soddy Serebrennikov Beczala van Oostrum Campbell Wallace Stemme Koch) Opéra de Paris

Souvent présenté comme cinéaste, Kirill Serebrennikov est avant tout un artiste qui a été le directeur du Centre Gogol de Moscou entre 2012 et 2021, un lieu qu’il avait transformé en un espace de liberté d’expression très prisé par la jeunesse moscovite, mais très mal vu du pouvoir. Depuis, ce théâtre est en reconversion pour revenir à des pièces plus conventionnelles.

Opposé à la guerre en Ukraine, le metteur en scène a quitté la Russie fin mars 2022 pour s’installer à Berlin, mais croit toujours qu’un jour son pays deviendra un beau pays.

Kirill Serebrennikov

Kirill Serebrennikov

Il est le créateur d’une production de ‘Parsifal’ conçue à distance pour l’opéra de Vienne au printemps 2021, en pleine restriction sanitaire, que l’on a pu voir en streaming sur Arte Concert.

La violence et l’humanité de l’univers carcéral y sont analysées autour d’une histoire de crime passionnel manœuvrant brillamment avec les interprétations possibles du livret.

Pour cette nouvelle production de ‘Lohengrin’ qui va s’inscrire durablement, et pour notre plus grand plaisir, au répertoire de l’Opéra de Paris, Kirill Serebrennikov s’appuie sur la nature politique du livret pour nourrir sa dramaturgie des conflits militaires dont nous avons tous en tête des images.

Kwangchul Youn (Henri l'Oiseleur) - Répétition générale

Kwangchul Youn (Henri l'Oiseleur) - Répétition générale

A l’origine, l’histoire se déroule à l’époque d’Henri l’Oiseleur, au cours de la première partie du Xe siècle, au moment où se forme l’unité du royaume de Germanie alors que des menaces se profilent sur les frontières orientales.

Comme annoncé lors de la première intervention d’Henri à l’acte I, le Brabant se prépare à déclarer la guerre aux Hongrois sous prétexte que ceux-ci s’armeraient – historiquement, l’armée Magyare sera effectivement défaite le 15 mars 933 dans le nord de la Thuringe -.

Lohengrin (Soddy Serebrennikov Beczala van Oostrum Campbell Wallace Stemme Koch) Opéra de Paris

En ouverture, le metteur en scène offre pourtant une scène d’une magnifique sensibilité et sensualité en montrant par une vidéo noir et blanc un beau jeune homme, tatoué d’ailes de cygne sur le dos et les bras, allant se baigner dans un lac sous le regard d’un être qui l’aime et qui l’admire. Les effets de contre-jour sont splendides, et la lenteur du film démultiplie l’effet poétique de cette séquence.

On imagine qu’il s’agit du souvenir idéalisé du frère d’Elsa désormais disparu. Il se rhabille cependant en treillis et sac à dos militaires.

Lohengrin (Soddy Serebrennikov Beczala van Oostrum Campbell Wallace Stemme Koch) Opéra de Paris

Par la suite, et à l’instar de la production viennoise de ‘Parsifal’, les 3 actes sont architecturés de la même façon : un ou plusieurs espaces scéniques sont délimités au sol, et 3 écrans vidéos situés en hauteur permettent d’accroître l’imprégnation sensible à l’esprit des scènes ou des protagonistes.

Par ailleurs, Elsa, Lohengrin, Telramund et Ortrud sont traités comme des principes, ou bien des âmes, c’est à dire qu’ils incarnent des valeurs qui n’agissent pas directement, et sont tous les quatre complétés par d’autres formes humaines qui les prolongent.

 Sinead Campbell Wallace (Elsa) - Répétition générale

Sinead Campbell Wallace (Elsa) - Répétition générale

Elsa est d’emblée une femme malade qui divague. Deux danseuses lui ressemblant expriment sa grâce et son délire intérieur, et une femme gribouille à l’infini sur les vidéos très sombres où apparaît le prénom ‘Gottfried’, le frère d’Elsa, c’est à dire littéralement la ‘Paix de Dieu’.

De façon plus difficile à interpréter, Elsa s’empare d’un amas informe, grisâtre et enchevêtré qui inspire confusion et déformation. Elle distribue au peuple du Brabant une petite partie de ces branchages tressés en forme de couronne, comme si elle leur communiquait ses propres névroses. Elle devient le symbole de l’esprit malade de toute une génération.

Piotr Beczala (Lohengrin)

Piotr Beczala (Lohengrin)

Lohengrin apparaît soudainement dans une lumière resplendissante habillé d’une tenue militaire très claire qui lui donne de l’allure. Deux hommes torse-nus aux ailes de cygnes ajoutent à son aura, et une très belle chorégraphie s’enclenche entre ces deux danseurs et les danseuses qui incarnent Elsa.

De même, le combat entre Lohengrin et Telramund est figuré par une opposition entre ces deux cygnes humains et quatre gardes fantomatiques surmontés d’un heaume noir totalement sphérique.

Lohengrin (Soddy Serebrennikov Beczala van Oostrum Campbell Wallace Stemme Koch) Opéra de Paris

Dès la victoire de Lohengrin, une croix chrétienne apparue peu avant le combat est chahutée au même moment que les branchages s'embrasent sur les vidéos. Quant au monde royal, il est brouillé et zébré de noir.

Cet acte crucial prend donc une valeur spirituellement inversée par rapport à l’esprit originel du texte, car la victoire de la foi est remise en question par le metteur en scène.

Wolfgang Koch (Telramund) et Nina Stemme (Ortrud)

Wolfgang Koch (Telramund) et Nina Stemme (Ortrud)

Au second acte, Ortrud et Telramund se retrouvent dans un charmant salon bibliothèque.

Il s’agit d’intellectuels un peu miteux et aigris – Telramund est lui-même devenu suicidaire -, mais capables d’analyser avec beaucoup de lucidité la situation.

Ortrud retrouve Elsa dans une autre pièce surmontée d’une très élégante décoration qui figure Zeus métamorphosé en Cygne venu séduire Leda, manière très esthétique et mystérieuse de dire l’obsession d’Elsa pour son frère. Des symboles de cette boucle temporelle qui n’en finit pas de tourner dans la tête sont d’ailleurs présents à chaque acte.

Mais un autre terme, sous forme d’injonction, va lui aussi devenir obsessionnel dans les vidéos, le ‘Nie’ de ‘Nie sollst du mich befragen’, ‘Tu ne devras Jamais me questionner’, ordonné par Lohengrin au premier acte.

Lohengrin (Soddy Serebrennikov Beczala van Oostrum Campbell Wallace Stemme Koch) Opéra de Paris

Dans son duo avec Elsa, Ortrud est présentée comme quelqu’un qui introduit le doute pour amener à l’éveil la jeune femme afin de lui faire comprendre que quelque chose cloche avec Lohengrin.
Comprenant la folie d’Elsa, elle la confie à des infirmières.

Mais lorsque Telramund annonce qu’’ainsi pénètre le malheur dans cette maison !’, il ne fait pas allusion aux conséquences de l’échange avec Ortrud mais bien à l’influence de Lohengrin sur le Brabant.

La transition est magnifiquement réalisée par un lent effet de travelling qui balaye un champ de bataille nocturne jonché de barbelés, ce qui, intuitivement, fait le lien entre l’esprit torturé d’Elsa qui a appelé Lohengrin, et la réalité de la guerre qui s’impose dorénavant.

Lohengrin (Soddy Serebrennikov Beczala van Oostrum Campbell Wallace Stemme Koch) Opéra de Paris

S’en suit un triptyque saisissant qui présente les trois étapes clés de la vie des militaires, leurs repas pris en caserne, leurs soins à l’hôpital une fois de retour à moitié estropiés, puis l’emballage de leurs corps inanimés avant leur transfert en chambre froide - les puristes seront peut-être désorientés par l’absence de cathédrale à cet acte -.
Image très médiatique, le Roi vient alors saluer les blessés et leur apporter son soutien, et le décor de chacune de ses pièces prend un aspect de plus en plus dégradé. 

Mais malgré les conséquences humaines fortement visibles, la rébellion d’Ortrud et Telramund contre la folie d’Elsa, qui est aussi la folie de tout un peuple, échoue.

Lohengrin (Soddy Serebrennikov Beczala van Oostrum Campbell Wallace Stemme Koch) Opéra de Paris

Et lorsque la pureté de Lohengrin commence à être mise en doute, une très belle image crépusculaire des corps nus et blafards des soldats morts se relevant pour aller au ciel sur les murmures du chœur et des solistes donne une dimension extraordinaire à ce passage, car l’on saisit de près la désolation du metteur en scène pour qui la guerre signifie la destruction tragique de la beauté de la vie.

Et cette fois c’est bien le temps de la guerre qui s’installe, car le troisième acte s’ouvre sur des vidéos très esthétiques de soldats partant aux combats, alors que le chant nuptial est utilisé pour montrer des scènes de fiançailles de militaires telles qu’on peut les voir chaque jour sur les réseaux sociaux à travers le conflit russo-ukrainien.

Lohengrin (Soddy Serebrennikov Beczala van Oostrum Campbell Wallace Stemme Koch) Opéra de Paris

Tout se passe dans un grand hangar, et Lohengrin n’est plus aussi solaire, car sa tenue est sombre et son apparence plus vulgaire. Elsa est toujours souffrante, et leur tête-à-tête, qui n’a rien de romantique, conduit au paroxysme de la folie de la jeune femme qui voit revenir tous ses fantômes.

Un léger flottement apparaît également dans la mise en scène car on ne voit pas Lohengrin tuer directement Telramund. C’est en fait pour mieux dénoncer un peu plus loin la responsabilité du leader pour tous les morts à la guerre quand il se retrouve face aux sacs des cadavres qui jonchent l’avant-scène.

Désespérée, Ortrud y reconnaîtra son mari. C’est la chute de l’aura de Lohengrin qui, finalement, ne vaut pas mieux que Prigojine.

Lohengrin (Soddy Serebrennikov Beczala van Oostrum Campbell Wallace Stemme Koch) Opéra de Paris

Et pour Elsa, c’est aussi une catastrophe lorsqu’elle réalise que le Comte de Brabant qui apparaît n’est qu’un soldat mortellement blessé, comme le fut son propre frère.

Si certains détails peuvent rester obscurs, l’approche générale de Kirill Serebrennikov est menée avec une intelligence rare qui fait que l’esprit de sa mise en scène reste lisible. Il met en avant l’épopée guerrière suggérée par le livret, alors que celle-ci est très souvent occultée ou considérée comme une trame de second plan.

Il conduit par la même une réflexion sur la condition humaine des soldats, et raccroche des thèmes de l’ouvrage de façon saisissante à la réalité de la guerre que l’on peut suivre en direct aujourd’hui.

Sinead Campbell Wallace (Elsa)

Sinead Campbell Wallace (Elsa)

Ce travail d’une très grande force émotionnelle est allié à une interprétation musicale de très haut niveau portée par la direction élancée d’Alexander Soddy qui accentue avec nuance l’élan dramaturgique de la musique. Les belles couleurs orchestrales tendent à incruster des accents explosifs et métalliques qui sont l’apanage des ensembles allemands - le flux reste d’ailleurs toujours délié et vitalisant -, mais le tranchant n’est pas employé systématiquement comme dans le duo entre Ortrud et Telramund au début du second acte où une certaine mesure est maintenue. 

Une attention soutenue est également apportée à l’équilibre avec les voix des solistes, et les chœurs, quand ils occupent tout l’avant scène, sont capables d’exprimer une clameur et une exaltation d’une puissance impressionnante qui semble être une des volontés très chère à leur cheffe Ching-Lien Wu.

Mais dans les moments plus élégiaques et insaisissables, ils retrouvent aussi cette forme d’évanescence qui élève avec inspiration les pensées de l’auditeur. 

 Johanni van Oostrum (Elsa)

Johanni van Oostrum (Elsa)

Deux titulaires du rôle d’Elsa se partagent les 9 représentations officielles, et toutes deux ont des atouts qui les différencient et rendent nécessaire de les entendre au moins une fois chacune.

Présente à la répétition du 18 septembre, Sinead Campbell Wallace donne l’impression d’être une wagnérienne aguerrie tant la flamme ample et chaleureuse est mise au service d’un sens du tragique poignant. Et pourtant, il s’agit, sauf erreur, de son premier grand rôle scénique wagnérien.

Piotr Beczala (Lohengrin)

Piotr Beczala (Lohengrin)

Et pour la première représentation, le public parisien découvre une artiste habituée d’un rôle qu’elle a chanté auprès de Klaus Florian Vogt dans deux productions différentes à Munich, Johanni van Oostrum.

Son timbre est d’une douce unité veloutée qu’elle rayonne avec une excellente projection nette et bien focalisée ce qui n’était pas assuré d’avance sur la scène Bastille. L’incarnation est entière avec des changements de personnalité qui ramènent à la spontanéité de l’adolescence.

Nina Stemme

Nina Stemme

Habitué de la scène de l’Opéra de Paris depuis plus de vingt ans où il y a chanté Mozart, Puccini, Verdi, Tchaïkovski, Smetana et même Massenet et Gounod, Piotr Beczala revient avec son personnage wagnérien privilégié qu’il met en avant sur les plus grandes scènes du monde de Vienne à New-York en passant par Bayreuth.

Il révèle une maturité virile qui convient particulièrement bien dans cette vision d’un être qui sait charmer tout en cachant une mentalité de gangster qui n’apparaît qu’à la toute fin. Il chante avec une unité infaillible, exprime même une sincérité très crédible dans la tessiture aiguë, et dose subtilement le mélange entre douceur attentionnée et assurance qui ne vire jamais au sentiment de supériorité. 

Piotr Beczala

Piotr Beczala

De retour elle aussi sur la scène Bastille qu’elle n’avait plus foulé depuis près de 10 ans, Nina Stemme ne fait qu’une bouchée du rôle d’Ortrud avec des couleurs vocales d’un airain vibrant qui font sensation.

D’une autorité animale que son allure scénique tend à contenir pour lui donner une dureté calculatrice qui n’en fait pas pour autant un monstre, sa magnificence d’élocution crée un constant saisissement quasi hypnotique, tout en laissant poindre le sentiment qu’elle en garde sous le pied pour les représentations suivantes. Il y aura au moins une soirée d’anthologie, à n’en pas douter.

Wolfgang Koch (Telramund)

Wolfgang Koch (Telramund)

Le Friedrich von Telramund est en terme de personnalité tout le contraire. Extraordinaire par la complexité de caractère qu’il articule avec un réalisme inégalable, Wolfgang Koch démontre à nouveau quel immense acteur de la vie il est, sa clarté vocale faisant apparaître avec netteté les moindres tressaillements qui font ressentir toutes les faiblesses et sombres doutes de son être.

Mais on l’entend toutefois avec un impact vocal qui s’évapore un peu trop en première partie, bien qu’il le consolide beaucoup plus dans la seconde partie du second acte au moment où il s’agit de mettre à jour l’identité de Lohengrin.

Ce grand habitué de l’excellente acoustique de la scène munichoise sait aussi surprendre d’un soir à l’autre, et il a la capacité de faire sienne l’empreinte Bastille.

Ching-Lien Wu et les chœurs de l'Opéra de Paris

Ching-Lien Wu et les chœurs de l'Opéra de Paris

Enfin, si Kwangchul Youn a eu le temps de montrer en répétition qu’il a toujours su préserver sa noblesse d’expression, son remplaçant à la première, Tareq Nazmi – le fameux Banco de la production de ‘Macbeth’ au festival de Salzbourg cet été -, brosse un portrait digne et d’une noirceur bien marquée, hautement conforme au symbole conventionnel que représente Henri l’Oiseleur, appuyé par Shenyang qui offre beaucoup de panache au Héraut du Roi.

Piotr Beczała, Alexander Soddy, Kirill Serebrennikov et Nina Stemme

Piotr Beczała, Alexander Soddy, Kirill Serebrennikov et Nina Stemme

C’est sur un grand entrelacement entre l’enthousiasme de spectateurs saisis par un spectacle puissant et très bien réfléchi, et le décontenancement d’une autre partie de spectateurs qui accepte moins que l’obscurité du monde soit autant mise en avant sur une scène lyrique, que tous les artistes ont été emportés aux saluts finaux par une énergie générale qui démontre l'importance de ces propositions si essentielles par les vérités qu'elles drainent et que l'on n'oublie pas avec le temps.

Klaus Florian Vogt (Lohengrin)

Klaus Florian Vogt (Lohengrin)

Représentation du 11 octobre 2023

Après 10 jours sans représentations, la série des 'Lohengrin' a repris avec un remplacement inattendu et au pied levé pour un soir le 11 octobre 2023, celui de Piotr Beczala, souffrant, par Klaus Florian Vogt.

Ce n'est pas la première fois que ce magnifique ténor wagnérien fidèle du Festival de Bayreuth incarne un chef militaire - c'était déjà le cas dans la production de 'Parsifal' de Uwe Eric Laufenberg -, si bien qu'il apparaît ce soir dans la continuité des rôles qu'il a toujours incarnés, sérieux d'allure, prévenants et attentionnés, mais prompts à s'irriter si les protagonistes ne sont pas à la hauteur de sa stature morale, même si dans cette production son personnage devient vite un symbole critique de l'esprit de guerre.

Klaus Florian Vogt (Lohengrin)

Klaus Florian Vogt (Lohengrin)

Depuis ses débuts dans le rôle de Lohengrin à l'opéra d'Erfurt en 2002, Klaus Florian Vogt ne cesse d'impressionner par la manière dont il a su préserver la candeur de son timbre de voix tout en l'enrichissant en chaleur et puissance.

Grande subtilité des nuances, magnificence des couleurs et splendide rayonnement toujours aussi souverain qui emportent l'auditeur dans un autre temps, il fait vivre aux spectateurs l'expérience de l'évocation d'une âme surnaturelle avec une telle intensité que son grand air 'In fernem land' devient un sidérant récit spirituel avec une capacité à exacerber la sensibilité de l'auditeur pour l'empreindre de sentimentalisme. C'est véritablement trop beau pour être décrit!

Klaus Florian Vogt (Lohengrin)

Klaus Florian Vogt (Lohengrin)

Par ailleurs, après quelques jours de repos, la distribution est à son meilleur, Kwangchul Youn parfait de par sa stature de chef d'Etat, Wolfgang Koch brillant dans ses expressions naturalistes et très théâtrales, Nina Stemme impressionnante par la somptuosité de ses graves et la pénétrance de ses aigus hallucinés, et Sinead Campbell Wallace vaillante en toutes circonstances.

Chœurs à nouveau inspirants et élégiaques, orchestre sous tension permanente par la main galvanisante d'Alexander Soddy, cordes qui développent des tissures évanescentes absolument fantastiques, cette soirée du 11 octobre restera gravée pour beaucoup dans les mémoires.

Nina Stemme, Klaus Florian Vogt, Kwangchul Youn et les choeurs

Nina Stemme, Klaus Florian Vogt, Kwangchul Youn et les choeurs

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Publié le 3 Mai 2021

Parsifal (Richard Wagner – 1882)
Représentation du 18 avril 2021 retransmise en direct sur Arte Concert
Opéra d’État de Vienne

Kundry Elina Garanča
Parsifal Jonas Kaufmann
Parsifal (rôle muet) Nikolay Sidorenko
Amfortas Ludovic Tézier
Gurnemanz Georg Zeppenfeld
Klingsor Wolfgang Koch
Titurel Stefan Cerny

Direction musicale Philippe Jordan
Mise en scène Kirill Serebrennikov (2021)
Co-metteur en scène Evgeny Kulagin
Dramaturgie Sergio Morabito
Nouvelle production    

Le compte-rendu ci-dessous est celui de la diffusion sur Arte Concert de la représentation de Parsifal jouée à l’Opéra de Vienne le dimanche 18 avril 2021 et ne saurait donc être celui de la représentation telle qu’elle pouvait être vécue en salle.

Pour sa première saison à la direction musicale de l’Opéra de Vienne, qui est aussi la première saison de son nouvel intendant profondément rénovateur, Bogdan Roščić, nous retrouvons Philippe Jordan, quelques mois après son interprétation mémorable de l’Anneau du Nibelung à l’Opéra de Paris, pour ses débuts wagnériens dans sa nouvelle résidence autrichienne dont il était jusqu’à présent un invité régulier pendant 20 ans depuis ses premières représentations de La Veuve Joyeuse jouées au mois d’août 1999 alors qu’il n’avait pas encore 25 ans.

Jonas Kaufmann (Parsifal)

Jonas Kaufmann (Parsifal)

Cette nouvelle production de Parsifal est l’aboutissement d’un travail de maturation sur l’ultime chef-d’œuvre de Richard Wagner qu’il entreprit au Festival de Bayreuth en 2012, dans la mise en scène inoubliable de Stefan Herheim, et s’enrichit à l’opéra Bastille en 2018.

Il est cette fois associé au metteur en scène Kirill Serebrennikov dont la mairie de Moscou vient de mettre un terme à plus de 8 ans de créations au Gogol Center, sa notoriété et son trop grand esprit d’ouverture étant mal vus du pouvoir.

L’environnement de ce nouveau Parsifal ne se déroule pas dans une forêt ombreuse et sévère, mais dans un lieu encore plus fermé, une prison, où vit recluse une communauté de prisonniers, ce qui fait de la confrérie un regroupement de criminels, et non pas de « cœurs pur s».

Cette prison réaliste est surmontée de trois écrans qui renforcent le visuel de scènes filmées pour la plupart en noir et blanc, et présentent aussi bien de forts beaux portraits individualisés sur la condition de ces prisonniers qu’une séquence mélancolique autour d’un vieil édifice religieux en ruine – serait-ce l’illustration d’un monde où la religion a perdu sa valeur sacrée ? - et d’une scène bien précise qui concerne la jeunesse de Parsifal.

Choristes et acteurs incarnent ces êtres aux regards endurcis, et Gurnemanz leur prodigue bienveillance par son habileté à faire de leur corps une œuvre d’art en leur tatouant des symboles religieux ou mythologiques. Le dessin stylisé d’une lance se love au creux de leur colonne vertébrale comme s’ils voulaient imprimer la marque d’une virilité dorénavant limogée par la perte de liberté.

Georg Zeppenfeld (Gurnemanz)

Georg Zeppenfeld (Gurnemanz)

Georg Zeppenfeld offre à Gurnemanz une stature de grand sage au discours bien marqué, directement adressé au cœur de l’auditeur, avec un timbre de voix de bronze clair très aéré, un jeu naturel et humain qui rend sa personnalité accessible et fort sympathique.

Dans cet univers où les gardiens contrôlent faits et gestes des prisonniers, le metteur en scène fait intervenir Parsifal sous les traits d’un jeune acteur, Nikolay Sidorenko, alors que Jonas Kaufmann représente le Parsifal plus âgé et mûr qui revit son passé et qui intervient dans l’action en tant que conscience aboutie pour tenter de réveiller, au sens spirituel du terme, son double plus jeune, mais que ce dernier n’écoute pas. Par ce jeu d’alternance passionnant, on pourrait presque croire à cette possibilité que, dans la vie, la voix intérieure qui cherche à nous raisonner serait celle de notre être futur.

Parsifal est ici présenté comme le meurtrier d’un jeune homme albinos, au dos tatoué de deux ailes de cygne, dont il rejette l’attirance sexuelle, et il rejoint donc de force cette communauté maudite. Kundry, elle, est une photographe enrôlée par une revue de mannequins, « Schloss », qui travaille pour le compte de Klingsor afin de mettre en valeur la beauté des modèles masculins, une métaphore de son obsession pour ses propres désirs sexuels.

Au fur et à mesure, le premier acte semble être un concentré de plusieurs ouvrages lyriques se déroulant dans des lieux durs, De La maison des morts, Fidelio ou Billy Budd, et une nette composante homo-érotique teinte les différents tableaux animés avec une précision et un réalisme fascinants.

Nikolay Sidorenko et Elina Garanča (Kundry)

Nikolay Sidorenko et Elina Garanča (Kundry)

Amfortas est introduit dans ce milieu par deux gardiens, et l’existence d’un passé trouble qui le lie à Kundry est montré par des jeux de regards et d’évitements.

Kirill Serebrennikov ne choisit cependant pas de représenter la moindre cérémonie du Graal, car la voix de Titurel est une voix intérieure culpabilisante, une voix des ancêtres qui prend le contrôle à distance d’Amfortas au point de le rendre fou et suicidaire. Pas de simulacre de Passion du Christ, car ce serait représenter une forme d’assassinat sous le regard de la communauté, mais une scène où les gardiens découvrent les objets envoyés aux prisonniers qui sont leur seul lien avec le monde extérieur. Par cette séquence, le désir de liberté fait office de Graal, et le début d’un sentiment de compassion de la part de Parsifal apparaît pour soutenir Amfortas dans ce moment de désespoir. Le metteur en scène humanise de fait la condition des pensionnaires et dénonce l’outrage intrusif de leurs gardiens. La scène se politise.

Ludovic Tézier est absolument phénoménal non seulement par la solidité affectée de son chant incisif, d’une belle homogénéité de timbre, austère et stable dans les aigus, véhément dans les moments de douleur mais toujours un peu adouci, mais aussi de par son niveau d’incarnation poignant, les sentiments torturés qu’il dessine sur son visage, et qu’il exprime si justement avec tout son corps tout en en préservant l’intériorité, atteignent en effet un niveau de vérité saisissant chez un chanteur qui est habituellement plus réservé scéniquement.

Ludovic Tézier (Amfortas)

Ludovic Tézier (Amfortas)

On pourrait trouver sinistre ces coloris gris et ces barreaux situés à tous les étages, et pourtant l’insertion de la vidéographie et de quelques effets poétiques dégage une beauté d’ensemble que la musique ne fait que magnifier.

Car Philippe Jordan est merveilleux de profondeur et de bienveillance grave, l’orchestre de l’opéra de Vienne le suit dans cet impressionnant écoulement noir aux mouvements finement sinueux et illuminés par les frémissements des cordes sur lequel luit le métal polis des cuivres. Et les palpitements des bois si perceptiblement rehaussés ajoutent une impression de surnaturel et d’effets magiques. Il faut enfin entendre comment les panaches orchestraux s’épanouissent sur le chant de Ludovic Tézier, une magnificence sonore qui pourrait presque suggérer un goût prononcé pour le prestige des soieries orientales.

La transition avec le second acte se met finalement en place, et c’est Kundry qui chante les quelques mesures de la voix d’alto « Il a vu souffrir. Il sait, il est l’innocent ! », alors qu’elle s’approche pour photographier le jeune Parsifal qui commence à poser sensuellement pour elle.

Wolfgang Koch (Klingsor)

Wolfgang Koch (Klingsor)

Après une ouverture exposée avec une grande charge énergique, fluide et émaillée d’éclats métalliques épiques mais discrets, le second acte s’ouvre sur l’une des salles du lieu où œuvre Klingsor – Wolfgang Koch est génialement crédible en directeur louche -, magnat du milieu de la mode masculine pour lequel travaille Kundry superbement interprétée par Elina Garanča. Son personnage de femme d’affaire dominante à la belle chevelure d’argent, « la crinière au vent » décrite au début de l’opéra, est aussi masculine que le jeune Parsifal venu la rejoindre est androgyne. Il y a chez elle une beauté extraordinaire à faire vivre aussi violemment un être avec un tel cœur qui rend si vrai tout ce qu’elle exprime, la fausse assurance, le désir de feu pour le corps du jeune homme, la fureur de la possession, les sentiments contradictoires qui font pleurer son visage.

Et quelle ampleur vocale! un luxueux galbe entêtant aux aigus glamour pleinement éclatants, une incarnation véritablement sensationnelle qui montre comment son travail avec des metteurs en scène modernes lui permet d’extérioriser ce que l’on pourrait penser être de véritables aspects de sa personnalité. Car sinon, comment expliquer un tel niveau de personnification qui va au-delà de ce que l’opéra peut produire habituellement ?

Elina Garanča (Kundry)

Elina Garanča (Kundry)

Si le corps d’éphèbe imberbe du jeune acteur Nikolay Sidorenko est dans cet acte pleinement exploité, les filles fleurs sont des assistantes ou des groupies en extase devant lui, et Jonas Kaufmann intervient dans l’action et se substitue parfois à son double. Mais lui aussi semble à son summum vocal comme peut-être on ne l’a plus entendu ainsi depuis son Werther à l’Opéra Bastille en 2010. Il incarne la sagesse, l’impuissance à changer le cours des choses – sauf au dernier moment -, et il chante cela avec ce timbre doucereusement ombré si distinctif auquel il donner corps avec une prévalence dramatique poignante. Et il joue avec une précision attachante et miraculeuse.

A travers l’apparition de trois vieilles femmes, les aïeules, Kirill Serebrennikov matérialise la culpabilité qui pèse sur le jeune Parsifal. Le détournement de la religion au cœur de cette agence est montré à partir d’une croix stylisée et luminescente utilisée pour la confondre avec la symbolique érotique du jeune Parsifal (c'est ce dernier qui déplace la croix pour poser devant elle, et on peut voir d'ailleurs, au début du IIIe acte, Kundry tenant un Christ dénudé en croix).

Jonas Kaufmann (Parsifal) et Nikolay Sidorenko

Jonas Kaufmann (Parsifal) et Nikolay Sidorenko

Mais le coup de génie scénique se présente lorsque Kundry se saisit d’une arme à feu pour menacer sa victime, est tentée de la pointer vers elle même sous l’emprise de ses propres pulsions de mort, puis, au point culminant, ne peut résister au regard déterminé du Parsifal de Jonas Kaufmann qui se trouve suffisamment persuasif pour que Kundry retourne l’arme contre Klingsor, une stupéfiante matérialisation de la lance se retournant contre son porteur.

A nouveau, les magnificences orchestrales subliment le chant de ces grands artistes charismatiques et font de cet acte un envoûtant moment d’hystérisation des désirs humains.

Nikolay Sidorenko, Elina Garanča (Kundry) et Jonas Kaufmann (Parsifal)

Nikolay Sidorenko, Elina Garanča (Kundry) et Jonas Kaufmann (Parsifal)

Le dernier acte revient dans une salle commune de la communauté carcérale alors que la filmographie montre le jeune Parsifal errant dans les ruines du vieux temple à la recherche probable d’un sens à son existence, le début possible d’une nouvelle spiritualité. Kundry est déchue et a rejoint le sort des prisonniers. Elle ne supporte pas les petites servantes qui sont le contraire de ce qu’elle a toujours été mais avec qui, petit à petit, elle va apprendre à prendre soin de l’autre.
L’orchestre est d’une onctuosité somptueuse à l’arrivée de Parsifal, et on a envie de croire que les accents cuivrés qui fusent de la musique sont issus du travail d’orfèvre réalisé par Philippe Jordan sur l’Anneau du Nibelung à l’Opéra de Paris.

La simplicité poétique de Jonas Kaufmann et la bonté confondante du chant de Georg Zeppenfeld épousent la finesse diaphane et scintillante de l’orchestre alors que le Parsifal mature est dorénavant devenu un autre homme, sacralisé par les servantes.

Philippe Jordan

Philippe Jordan

Le travail de fusion des timbres assombrit les couleurs dans un continuum puissant pour annoncer l’arrivée des prisonniers et le double cortège qui dégénère en rixe, avant qu’Amfortas ne paraisse avec une urne funéraire à la main qui symbolise enfin sa libération du poids du passé.

Chacun des protagonistes accède à une paix intérieure, et même Kundry retrouve dans un bref instant un regard apaisé face au souvenir du Parsifal jeune qu’elle embrasse plus tendrement que par faim pour enfin se tourner vers Amfortas et éprouver compassion pour lui.

La rédemption par le rédempteur sonne comme une libération de ceux qui ont su se libérer d’eux-mêmes.

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Publié le 31 Janvier 2016

Salomé (Richard Strauss)
Représentation du 30 janvier 2016
Opéra de Stuttgart

Herodes Matthias Klink
Herodias Claudia Mahnke
Salome Simone Schneider
Jochanaans Stimme Iain Paterson
Jochanaans Körper Yasin El Harrouk
Narraboth Gergely Németi
Ein Page Idunnu Münch

Direction musicale Georg Fritzsch
Mise en scène Kirill Serebrennikov

 

                                                                                             Simone Schneider (Salomé)

La place exceptionnelle laissée à l'Opéra dans la culture germanique - une représentation sur trois, dans le monde, est jouée en Allemagne -, ne découle pas exclusivement de son goût pour la musique chorale et symphonique, mais également de son besoin d'en exploiter la puissance théâtrale pour poser sur scène des problématiques du monde contemporain.

Nombres d’œuvres sont donc détournées par certains metteurs en scène avec une radicalité qui ne les serve pas toujours.

La mise en scène de Salomé par Kirill Serebrennikov n'échappe pas à cette logique, et le spectacle se transforme en une analyse sociale sur la relation des Allemands aux migrants des zones de conflits du Moyen-Orient, et de l'influence des vidéos de propagandes violentes terroristes sur le mental des jeunes.

Claudia Mahnke (Hérodias)

Claudia Mahnke (Hérodias)

Nous y voyons, en fond de scène, pléthore de vidéos des chaînes d'information internationales,  les discours d'Angela Merkel, les flux de migrants, les massacres terroristes.

Et dans un décor noir et blanc d'une riche famille décadente d'aujourd'hui, un migrant est arrêté et séquestré - il est ainsi la doublure de Jochanaan -, sous le regard de Salomé, une jeune fille rebelle gothique, qui va se laisser conditionner par des images violentes, devant les divers écrans de la maison, pour en venir à désirer la cruauté de la décollation du Prophète.

Le cinéaste russe pointe ainsi du doigt une obsession médiatique, et invite à ne pas laisser la propagande terroriste perturber le regard de notre société sur les réfugiés.

L'intention est louable, dans un pays qui a accueilli près d'un million de migrants l'année dernière, et dans un théâtre situé à quelques mètres de la Schlossplatz où, tous les jours, de nombreux réfugiés viennent expliquer le monde d'où ils viennent.

Simone Schneider (Salomé)

Simone Schneider (Salomé)

Seulement, la force du livret de Salomé, la description de la montée d'un désir intrinsèquement monstrueux et la beauté des vers d'Oscar Wilde sont totalement éludées au seul profit de ce parti-pris théâtral.

Reste un excellent travail de direction d'acteurs, et certaines scènes montrent parfois avec justesse certains aspects de la dégénérescence du couple royal évoqués dans le livret - la nymphomanie d'Hérodias par exemple.

On déplore, certes, un tel écart avec l'histoire, mais Kirill Serebrennikov suit cependant la musique, qu'il utilise pour sa teneur dramatique, instrumentalisée néanmoins comme un support de film à suspens.

Les artistes s'investissent à fond dans ce concept, Matthias Klink étant celui qui en tire le maximum de profit. Jeu terrifiant, proche de la folie, chant déclamatoire puissant et d'une agressivité saisissante, son incarnation d'Hérodes est extraordinairement nerveuse et théâtrale.

Salomé (Klink-Mahnke-Schneider-Serebrennikov-Fritzsch) Stuttgart

Simone Schneider, en Salomé, laisse tomber, elle aussi, toute retenue pour se vouer à cette petite fille dont le timbre de voix rappelle beaucoup celui de Natalie Dessay, mais avec une toute autre couleur vocale dans les graves. Ce sont ces inflexions noires qui suggèrent le monstre sous l'apparence juvénile, et rendent ainsi crédible une vie capable d'afficher des incantations puissantes et longues de souffle.

Claudia Mahnke, Fricka de la nouvelle production du Ring de Bayreuth, est plus réservée, mais aligne quelques injonctions mémorables.

En revanche, Iain Paterson est desservi par la production , puisqu'il est à plusieurs reprises sonorisé hors de scène. Et quand il y est présent, c'est pour chanter en retrait, alors que son double, Yasin El Harrouk, est le véritable acteur et la victime sur scène.

Très bon Narraboth, fier et doué d'une excellente projection, Gergely Németi forme avec le page de Idunnu Münch un couple qui va durer tout au long de la soirée - le Jeune Syrien ne se suicide finalement pas - et suivre le sens décadent de ce milieu riche mais sans âme.

Matthias Klink (Hérodes)

Matthias Klink (Hérodes)

Enfin, l'interprétation orchestrale est comme soulevée en permanence par un courant violent sur lequel la scène pourrait presque se briser, telle un bateau au bord du naufrage. Les chanteurs n'en émergent pas toujours, d'autant plus que les cuivres sont particulièrement insolents, surprenants par la fulgurance de leurs attaques, et que les percussions entretiennent un tumulte très présent bardé d'éruptions éclatantes.

Georg Fritzsch joue le drame théâtral et cinématographique, les cordes, elles, sont comme prises par un mouvement de fond qui ne leur permet pas toujours de faire entendre leurs chatoyances mystérieuses et glacées.

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Publié le 8 Mars 2014

Hamlet (William Shakespeare)
Représentation du 05 mars 2014
Théâtre des Gémeaux (Sceaux)

Hamlet Philipp Avdeev
Gertrude Irina Vybornova
Claudius Artur Beschastnyy
Polonius Aleksei Devotchenko
Ophélie Svetlana Mamresheva
Laërte Ilya Romashko
Horatio Harald Thompson Rosenstrom
Rosencrantz Alexandra Revenko
Guldenstern Ivan Fominov
Le role du Roi Vladdislav Sanotskiy
Le rôle de la Reine Sveltlana Asanova
Osric Artem Shevchenko
Le Fossoyeur Alexander Gorchilin
Fortinbras Roman Shmakov

Mise en scène et Scénographie David Bobée                 Philippe Avdeev (Hamlet)
Nouvelle traduction française Pascal Collin

Traduction russe d’après plusieurs sources Rimma Genkina

Avec les acteurs du Studio 7 du Théâtre d’Art de Moscou dirigé par Kirill Serebrennikov

C’est le choc du mois, la troupe du Studio 7 du Théâtre d’Art de Moscou est invitée à Paris afin de présenter trois spectacles : Le Songe d’un nuit d’été et Les Métamorphoses, au Théâtre National de Chaillot, et, pour débuter, Hamlet, au Théâtre des Gémeaux.

Cette troupe de jeunes acteurs russes a une telle présence que David Bobée lui a proposé de reprendre la mise en scène d’Hamlet qu’il avait créé pour les Subsistances - un lieu de création singulier installé à Lyon.

Irina Vybornova (Gertrude) et Artur Beschastnyy (Claudius)

Irina Vybornova (Gertrude) et Artur Beschastnyy (Claudius)

Il le dit lui-même, très modestement, au sortir du théâtre, son travail consiste surtout à canaliser l’énergie de ces artistes pour qu’ils restent, avant tout, eux mêmes.

Pour ce spectacle incroyablement physique, David Bobée a imaginé un univers glaçant dont la noirceur rappelle celle de nombre de scénographies d’Olivier Py – ce dernier a également monté le Hamlet d’Ambroise Thomas - : un seul espace représentant les diverses unités de lieu, une faille, au fond, par où surgira un Hamlet suicidaire, la dague pointée sous le menton, des cercueils encastrés dans les murs, des blocs de pierres tombales, une table de banquet.

Svetlana Mamresheva (Ophélie) et Philippe Avdeev (Hamlet)

Svetlana Mamresheva (Ophélie) et Philippe Avdeev (Hamlet)

Le spectre du père d’Hamlet, lui, apparaît au-devant d’une séparation d’avant-scène sur laquelle les lignes numériques d’un visage se déformant en permanence, empêchant ainsi toute identification, s’adresse au Prince avec une voix surnaturelle et fantomatique.

Après les premières célébrations de Gertrude et Claudius, entourés d’une cour où le regard s’accroche sur l’un des courtisans nonchalamment affublé de dreadlocks, l’acteur-acrobate Philipp Avdeev libère une personnalité violemment expressive, hurlant sa révolte et ses rancœurs avec un romantisme noir qui le rapproche beaucoup plus de l’adolescence de Roméo que de la spirale dépressive d’Hamlet telle qu’on l’imagine.

Philippe Avdeev (Hamlet)

Philippe Avdeev (Hamlet)

Il donne l'image d'une personnalité animée par une énergie vitale qui cherche à s’opposer aux forces obscures qui l’entraînent vers le fond, et cela peut se percevoir comme une envie de se heurter à la réalité pour la comprendre, la provoquer ou bien confirmer ce qu’il pressent.

On est admiratif de bout en bout par ce corps sensuel qui dit tout, prolonge les réflexions et les intentions d’Hamlet, par cette souplesse féline qui se faufile auprès d’Ophélie, par cette manière d’embrasser la vie pour s’en imprégner, par ce jeu intuitif qui ne laisse aucun répit. 
Il joue avec l’adhérence du sol, transforme ses courses en glissades, tombe et se relève dans le même mouvement, donnant l’impression d’une perte de maîtrise alors qu'au contraire il montre un art du contrôle instable ahurissant.

 Irina Vybornova (Gertrude)

Irina Vybornova (Gertrude)

Il n’est pas libre dans ses pensées, mais libre dans son corps. Et c’est cette manière de déclamer, bien loin de l’ennui que procurent les styles précieux que l’on peut trouver dans le théâtre français, qui fascine par sa vérité directe.

Au moment de l’exil d'Hamlet vers l'Angleterre, conséquence du meurtre de Polonius, le père d’Ophélie, se faufilent subrepticement des flaques d’eau qui finissent par envahir entièrement cet univers gothique. Les éclairages rasants accentuent le mystère rampant qui avance vers la salle, et il faut un peu de temps pour comprendre que toute la seconde partie va se dérouler constamment dans cette eau aux reflets saumâtres.
 

Puis, David Bobee a le coup de génie de transformer Hamlet en en faisant un Batman ruminant son retour vers la cité afin de venger le meurtre de son père – ce qui le rapproche à la fois d'un héro de référence plus actuel qui, lui aussi, a vécu le meurtre direct de ses parents - à travers une chorégraphie d’entrechocs entre corps et eau, eau d’argent rejaillissant dans laquelle se fond la toile de la cape noire qui l’englue plus qu’autre chose.
C’est d’une beauté sombre à couper le souffle, une envie de liberté qui ne peut aboutir. On pense alors aux techniques similaires d’Aurélien Bory.

Et la scène du crâne devient un jeu de démembrement d’un squelette humain qui s’amuse du vide vital de ces bribes d’os, faisant ainsi écho au goût morbide et mélancolique qu’une partie de l’adolescence, mais pas exclusivement, affiche par provocation et en rébellion face à un monde qu’elle ne supporte plus.
                                                                          Philippe Avdeev (Hamlet)

 Autre tableau impressionnant, la folie d’Ophélie est présentée avec une poésie magnifique quand elle se penche sur l’eau, la chevelure ondulée cachant son visage, les lumières prolongeant son corps et son reflet pour ne plus permettre de distinguer ce qui sépare le monde vivant et le monde sous les eaux.
                                                                     
L’art physique des comédiens est ensuite sollicité dans la grande scène du duel entre Hamlet et Laërte, sous forme d’une joute qui évoque l’art mythique du combat au sabre de Star Wars. Sauf que tout est vrai, aucune reprise n’est possible, et c’est étourdissant à voir.

Svetlana Mamresheva (Ophélie)

Svetlana Mamresheva (Ophélie)

Cette histoire physique, telle qu’elle est racontée, et traduite en russe, passe un peu au second plan, et suppose que le spectateur connaît déjà les grandes lignes de la tragédie. L’ambiance musicale, fondamentale, part d’un air de Purcell chanté par Ophélie, puis s’immerge dans l’univers musical d’aujourd’hui.

Et cette manière de jouer, qui nous touche en s’adressant à notre cœur adolescent, perce les cuirasses que l’expérience de la vie peut plus au moins avoir obligé à construire, et nous interroge sur notre manière de réagir face à des situations semblables. On en sort secoué, et fort conscient de nos propres limites.

Philippe Avdeev (Hamlet)

Philippe Avdeev (Hamlet)

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