Hamlet (D.Bobée - Studio 7 -Théâtre d'Art Moscou) Gémeaux

Publié le 8 Mars 2014

Hamlet (William Shakespeare)
Représentation du 05 mars 2014
Théâtre des Gémeaux (Sceaux)

Hamlet Philipp Avdeev
Gertrude Irina Vybornova
Claudius Artur Beschastnyy
Polonius Aleksei Devotchenko
Ophélie Svetlana Mamresheva
Laërte Ilya Romashko
Horatio Harald Thompson Rosenstrom
Rosencrantz Alexandra Revenko
Guldenstern Ivan Fominov
Le role du Roi Vladdislav Sanotskiy
Le rôle de la Reine Sveltlana Asanova
Osric Artem Shevchenko
Le Fossoyeur Alexander Gorchilin
Fortinbras Roman Shmakov

Mise en scène et Scénographie David Bobée                 Philippe Avdeev (Hamlet)
Nouvelle traduction française Pascal Collin

Traduction russe d’après plusieurs sources Rimma Genkina

Avec les acteurs du Studio 7 du Théâtre d’Art de Moscou dirigé par Kirill Serebrennikov

C’est le choc du mois, la troupe du Studio 7 du Théâtre d’Art de Moscou est invitée à Paris afin de présenter trois spectacles : Le Songe d’un nuit d’été et Les Métamorphoses, au Théâtre National de Chaillot, et, pour débuter, Hamlet, au Théâtre des Gémeaux.

Cette troupe de jeunes acteurs russes a une telle présence que David Bobée lui a proposé de reprendre la mise en scène d’Hamlet qu’il avait créé pour les Subsistances - un lieu de création singulier installé à Lyon.

Irina Vybornova (Gertrude) et Artur Beschastnyy (Claudius)

Irina Vybornova (Gertrude) et Artur Beschastnyy (Claudius)

Il le dit lui-même, très modestement, au sortir du théâtre, son travail consiste surtout à canaliser l’énergie de ces artistes pour qu’ils restent, avant tout, eux mêmes.

Pour ce spectacle incroyablement physique, David Bobée a imaginé un univers glaçant dont la noirceur rappelle celle de nombre de scénographies d’Olivier Py – ce dernier a également monté le Hamlet d’Ambroise Thomas - : un seul espace représentant les diverses unités de lieu, une faille, au fond, par où surgira un Hamlet suicidaire, la dague pointée sous le menton, des cercueils encastrés dans les murs, des blocs de pierres tombales, une table de banquet.

Svetlana Mamresheva (Ophélie) et Philippe Avdeev (Hamlet)

Svetlana Mamresheva (Ophélie) et Philippe Avdeev (Hamlet)

Le spectre du père d’Hamlet, lui, apparaît au-devant d’une séparation d’avant-scène sur laquelle les lignes numériques d’un visage se déformant en permanence, empêchant ainsi toute identification, s’adresse au Prince avec une voix surnaturelle et fantomatique.

Après les premières célébrations de Gertrude et Claudius, entourés d’une cour où le regard s’accroche sur l’un des courtisans nonchalamment affublé de dreadlocks, l’acteur-acrobate Philipp Avdeev libère une personnalité violemment expressive, hurlant sa révolte et ses rancœurs avec un romantisme noir qui le rapproche beaucoup plus de l’adolescence de Roméo que de la spirale dépressive d’Hamlet telle qu’on l’imagine.

Philippe Avdeev (Hamlet)

Philippe Avdeev (Hamlet)

Il donne l'image d'une personnalité animée par une énergie vitale qui cherche à s’opposer aux forces obscures qui l’entraînent vers le fond, et cela peut se percevoir comme une envie de se heurter à la réalité pour la comprendre, la provoquer ou bien confirmer ce qu’il pressent.

On est admiratif de bout en bout par ce corps sensuel qui dit tout, prolonge les réflexions et les intentions d’Hamlet, par cette souplesse féline qui se faufile auprès d’Ophélie, par cette manière d’embrasser la vie pour s’en imprégner, par ce jeu intuitif qui ne laisse aucun répit. 
Il joue avec l’adhérence du sol, transforme ses courses en glissades, tombe et se relève dans le même mouvement, donnant l’impression d’une perte de maîtrise alors qu'au contraire il montre un art du contrôle instable ahurissant.

 Irina Vybornova (Gertrude)

Irina Vybornova (Gertrude)

Il n’est pas libre dans ses pensées, mais libre dans son corps. Et c’est cette manière de déclamer, bien loin de l’ennui que procurent les styles précieux que l’on peut trouver dans le théâtre français, qui fascine par sa vérité directe.

Au moment de l’exil d'Hamlet vers l'Angleterre, conséquence du meurtre de Polonius, le père d’Ophélie, se faufilent subrepticement des flaques d’eau qui finissent par envahir entièrement cet univers gothique. Les éclairages rasants accentuent le mystère rampant qui avance vers la salle, et il faut un peu de temps pour comprendre que toute la seconde partie va se dérouler constamment dans cette eau aux reflets saumâtres.
 

Puis, David Bobee a le coup de génie de transformer Hamlet en en faisant un Batman ruminant son retour vers la cité afin de venger le meurtre de son père – ce qui le rapproche à la fois d'un héro de référence plus actuel qui, lui aussi, a vécu le meurtre direct de ses parents - à travers une chorégraphie d’entrechocs entre corps et eau, eau d’argent rejaillissant dans laquelle se fond la toile de la cape noire qui l’englue plus qu’autre chose.
C’est d’une beauté sombre à couper le souffle, une envie de liberté qui ne peut aboutir. On pense alors aux techniques similaires d’Aurélien Bory.

Et la scène du crâne devient un jeu de démembrement d’un squelette humain qui s’amuse du vide vital de ces bribes d’os, faisant ainsi écho au goût morbide et mélancolique qu’une partie de l’adolescence, mais pas exclusivement, affiche par provocation et en rébellion face à un monde qu’elle ne supporte plus.
                                                                          Philippe Avdeev (Hamlet)

 Autre tableau impressionnant, la folie d’Ophélie est présentée avec une poésie magnifique quand elle se penche sur l’eau, la chevelure ondulée cachant son visage, les lumières prolongeant son corps et son reflet pour ne plus permettre de distinguer ce qui sépare le monde vivant et le monde sous les eaux.
                                                                     
L’art physique des comédiens est ensuite sollicité dans la grande scène du duel entre Hamlet et Laërte, sous forme d’une joute qui évoque l’art mythique du combat au sabre de Star Wars. Sauf que tout est vrai, aucune reprise n’est possible, et c’est étourdissant à voir.

Svetlana Mamresheva (Ophélie)

Svetlana Mamresheva (Ophélie)

Cette histoire physique, telle qu’elle est racontée, et traduite en russe, passe un peu au second plan, et suppose que le spectateur connaît déjà les grandes lignes de la tragédie. L’ambiance musicale, fondamentale, part d’un air de Purcell chanté par Ophélie, puis s’immerge dans l’univers musical d’aujourd’hui.

Et cette manière de jouer, qui nous touche en s’adressant à notre cœur adolescent, perce les cuirasses que l’expérience de la vie peut plus au moins avoir obligé à construire, et nous interroge sur notre manière de réagir face à des situations semblables. On en sort secoué, et fort conscient de nos propres limites.

Philippe Avdeev (Hamlet)

Philippe Avdeev (Hamlet)

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