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Publié le 25 Septembre 2023

Lohengrin (Richard Wagner – Weimar, le 28 août 1850)
Répétition générale du 18 septembre et

représentations du 23, 27, 30 septembre, 11, 18 et 27 octobre 2023
Opéra Bastille

Heinrich der Vogler Kwangchul Youn (18, 27/09 et 11, 18, 27/10)
                                 Tareq Nazmi (23/09)
Lohengrin Piotr Beczala (18, 23, 27/09 et 18, 27/10)
                  Klaus Florian Vogt (11/10)
Elsa von Brabant Johanni van Oostrum (23, 27/09 et 18/10)
                            Sinead Campbell Wallace (18, 30/09 et 11, 27/10)
Friedrich von Telramund Wolfgang Koch
Ortrud  Nina Stemme (18, 23, 27/09 et 11/10)
             Ekaterina Gubanova (18, 27/10)
Der Heerrufer des Königs Shenyang

Mise en scène Kirill Serebrennikov (2023)
Direction musicale Alexander Soddy
Nouvelle production

Diffusion en direct sur Paris Opera Play le 24 octobre 2023, en différé sur Medici.TV dès le 01 novembre 2023, et sur France Musique le 11 novembre 2023.

4e opéra le plus joué au Palais Garnier jusqu’au début du XXe siècle, ‘Lohengrin’ est depuis la Seconde Guerre mondiale bien moins représenté, comme tous les autres opéras de Richard Wagner, hormis ‘Le Vaisseau Fantôme’.

Mais avec cette nouvelle production confiée à Kirill Serebrennikov, il revient parmi les 50 titres les plus interprétés à l’Opéra national de Paris depuis les années Rolf Liebermann

En ce 23 septembre 2023, il en est ainsi à sa 667e représentation depuis son entrée au répertoire de l’institution le 16 septembre 1891.

Lohengrin (Soddy Serebrennikov Beczala van Oostrum Campbell Wallace Stemme Koch) Opéra de Paris

Souvent présenté comme cinéaste, Kirill Serebrennikov est avant tout un artiste qui a été le directeur du Centre Gogol de Moscou entre 2012 et 2021, un lieu qu’il avait transformé en un espace de liberté d’expression très prisé par la jeunesse moscovite, mais très mal vu du pouvoir. Depuis, ce théâtre est en reconversion pour revenir à des pièces plus conventionnelles.

Opposé à la guerre en Ukraine, le metteur en scène a quitté la Russie fin mars 2022 pour s’installer à Berlin, mais croit toujours qu’un jour son pays deviendra un beau pays.

Kirill Serebrennikov

Kirill Serebrennikov

Il est le créateur d’une production de ‘Parsifal’ conçue à distance pour l’opéra de Vienne au printemps 2021, en pleine restriction sanitaire, que l’on a pu voir en streaming sur Arte Concert.

La violence et l’humanité de l’univers carcéral y sont analysées autour d’une histoire de crime passionnel manœuvrant brillamment avec les interprétations possibles du livret.

Pour cette nouvelle production de ‘Lohengrin’ qui va s’inscrire durablement, et pour notre plus grand plaisir, au répertoire de l’Opéra de Paris, Kirill Serebrennikov s’appuie sur la nature politique du livret pour nourrir sa dramaturgie des conflits militaires dont nous avons tous en tête des images.

Kwangchul Youn (Henri l'Oiseleur) - Répétition générale

Kwangchul Youn (Henri l'Oiseleur) - Répétition générale

A l’origine, l’histoire se déroule à l’époque d’Henri l’Oiseleur, au cours de la première partie du Xe siècle, au moment où se forme l’unité du royaume de Germanie alors que des menaces se profilent sur les frontières orientales.

Comme annoncé lors de la première intervention d’Henri à l’acte I, le Brabant se prépare à déclarer la guerre aux Hongrois sous prétexte que ceux-ci s’armeraient – historiquement, l’armée Magyare sera effectivement défaite le 15 mars 933 dans le nord de la Thuringe -.

Lohengrin (Soddy Serebrennikov Beczala van Oostrum Campbell Wallace Stemme Koch) Opéra de Paris

En ouverture, le metteur en scène offre pourtant une scène d’une magnifique sensibilité et sensualité en montrant par une vidéo noir et blanc un beau jeune homme, tatoué d’ailes de cygne sur le dos et les bras, allant se baigner dans un lac sous le regard d’un être qui l’aime et qui l’admire. Les effets de contre-jour sont splendides, et la lenteur du film démultiplie l’effet poétique de cette séquence.

On imagine qu’il s’agit du souvenir idéalisé du frère d’Elsa désormais disparu. Il se rhabille cependant en treillis et sac à dos militaires.

Lohengrin (Soddy Serebrennikov Beczala van Oostrum Campbell Wallace Stemme Koch) Opéra de Paris

Par la suite, et à l’instar de la production viennoise de ‘Parsifal’, les 3 actes sont architecturés de la même façon : un ou plusieurs espaces scéniques sont délimités au sol, et 3 écrans vidéos situés en hauteur permettent d’accroître l’imprégnation sensible à l’esprit des scènes ou des protagonistes.

Par ailleurs, Elsa, Lohengrin, Telramund et Ortrud sont traités comme des principes, ou bien des âmes, c’est à dire qu’ils incarnent des valeurs qui n’agissent pas directement, et sont tous les quatre complétés par d’autres formes humaines qui les prolongent.

 Sinead Campbell Wallace (Elsa) - Répétition générale

Sinead Campbell Wallace (Elsa) - Répétition générale

Elsa est d’emblée une femme malade qui divague. Deux danseuses lui ressemblant expriment sa grâce et son délire intérieur, et une femme gribouille à l’infini sur les vidéos très sombres où apparaît le prénom ‘Gottfried’, le frère d’Elsa, c’est à dire littéralement la ‘Paix de Dieu’.

De façon plus difficile à interpréter, Elsa s’empare d’un amas informe, grisâtre et enchevêtré qui inspire confusion et déformation. Elle distribue au peuple du Brabant une petite partie de ces branchages tressés en forme de couronne, comme si elle leur communiquait ses propres névroses. Elle devient le symbole de l’esprit malade de toute une génération.

Piotr Beczala (Lohengrin)

Piotr Beczala (Lohengrin)

Lohengrin apparaît soudainement dans une lumière resplendissante habillé d’une tenue militaire très claire qui lui donne de l’allure. Deux hommes torse-nus aux ailes de cygnes ajoutent à son aura, et une très belle chorégraphie s’enclenche entre ces deux danseurs et les danseuses qui incarnent Elsa.

De même, le combat entre Lohengrin et Telramund est figuré par une opposition entre ces deux cygnes humains et quatre gardes fantomatiques surmontés d’un heaume noir totalement sphérique.

Lohengrin (Soddy Serebrennikov Beczala van Oostrum Campbell Wallace Stemme Koch) Opéra de Paris

Dès la victoire de Lohengrin, une croix chrétienne apparue peu avant le combat est chahutée au même moment que les branchages s'embrasent sur les vidéos. Quant au monde royal, il est brouillé et zébré de noir.

Cet acte crucial prend donc une valeur spirituellement inversée par rapport à l’esprit originel du texte, car la victoire de la foi est remise en question par le metteur en scène.

Wolfgang Koch (Telramund) et Nina Stemme (Ortrud)

Wolfgang Koch (Telramund) et Nina Stemme (Ortrud)

Au second acte, Ortrud et Telramund se retrouvent dans un charmant salon bibliothèque.

Il s’agit d’intellectuels un peu miteux et aigris – Telramund est lui-même devenu suicidaire -, mais capables d’analyser avec beaucoup de lucidité la situation.

Ortrud retrouve Elsa dans une autre pièce surmontée d’une très élégante décoration qui figure Zeus métamorphosé en Cygne venu séduire Leda, manière très esthétique et mystérieuse de dire l’obsession d’Elsa pour son frère. Des symboles de cette boucle temporelle qui n’en finit pas de tourner dans la tête sont d’ailleurs présents à chaque acte.

Mais un autre terme, sous forme d’injonction, va lui aussi devenir obsessionnel dans les vidéos, le ‘Nie’ de ‘Nie sollst du mich befragen’, ‘Tu ne devras Jamais me questionner’, ordonné par Lohengrin au premier acte.

Lohengrin (Soddy Serebrennikov Beczala van Oostrum Campbell Wallace Stemme Koch) Opéra de Paris

Dans son duo avec Elsa, Ortrud est présentée comme quelqu’un qui introduit le doute pour amener à l’éveil la jeune femme afin de lui faire comprendre que quelque chose cloche avec Lohengrin.
Comprenant la folie d’Elsa, elle la confie à des infirmières.

Mais lorsque Telramund annonce qu’’ainsi pénètre le malheur dans cette maison !’, il ne fait pas allusion aux conséquences de l’échange avec Ortrud mais bien à l’influence de Lohengrin sur le Brabant.

La transition est magnifiquement réalisée par un lent effet de travelling qui balaye un champ de bataille nocturne jonché de barbelés, ce qui, intuitivement, fait le lien entre l’esprit torturé d’Elsa qui a appelé Lohengrin, et la réalité de la guerre qui s’impose dorénavant.

Lohengrin (Soddy Serebrennikov Beczala van Oostrum Campbell Wallace Stemme Koch) Opéra de Paris

S’en suit un triptyque saisissant qui présente les trois étapes clés de la vie des militaires, leurs repas pris en caserne, leurs soins à l’hôpital une fois de retour à moitié estropiés, puis l’emballage de leurs corps inanimés avant leur transfert en chambre froide - les puristes seront peut-être désorientés par l’absence de cathédrale à cet acte -.
Image très médiatique, le Roi vient alors saluer les blessés et leur apporter son soutien, et le décor de chacune de ses pièces prend un aspect de plus en plus dégradé. 

Mais malgré les conséquences humaines fortement visibles, la rébellion d’Ortrud et Telramund contre la folie d’Elsa, qui est aussi la folie de tout un peuple, échoue.

Lohengrin (Soddy Serebrennikov Beczala van Oostrum Campbell Wallace Stemme Koch) Opéra de Paris

Et lorsque la pureté de Lohengrin commence à être mise en doute, une très belle image crépusculaire des corps nus et blafards des soldats morts se relevant pour aller au ciel sur les murmures du chœur et des solistes donne une dimension extraordinaire à ce passage, car l’on saisit de près la désolation du metteur en scène pour qui la guerre signifie la destruction tragique de la beauté de la vie.

Et cette fois c’est bien le temps de la guerre qui s’installe, car le troisième acte s’ouvre sur des vidéos très esthétiques de soldats partant aux combats, alors que le chant nuptial est utilisé pour montrer des scènes de fiançailles de militaires telles qu’on peut les voir chaque jour sur les réseaux sociaux à travers le conflit russo-ukrainien.

Lohengrin (Soddy Serebrennikov Beczala van Oostrum Campbell Wallace Stemme Koch) Opéra de Paris

Tout se passe dans un grand hangar, et Lohengrin n’est plus aussi solaire, car sa tenue est sombre et son apparence plus vulgaire. Elsa est toujours souffrante, et leur tête-à-tête, qui n’a rien de romantique, conduit au paroxysme de la folie de la jeune femme qui voit revenir tous ses fantômes.

Un léger flottement apparaît également dans la mise en scène car on ne voit pas Lohengrin tuer directement Telramund. C’est en fait pour mieux dénoncer un peu plus loin la responsabilité du leader pour tous les morts à la guerre quand il se retrouve face aux sacs des cadavres qui jonchent l’avant-scène.

Désespérée, Ortrud y reconnaîtra son mari. C’est la chute de l’aura de Lohengrin qui, finalement, ne vaut pas mieux que Prigojine.

Lohengrin (Soddy Serebrennikov Beczala van Oostrum Campbell Wallace Stemme Koch) Opéra de Paris

Et pour Elsa, c’est aussi une catastrophe lorsqu’elle réalise que le Comte de Brabant qui apparaît n’est qu’un soldat mortellement blessé, comme le fut son propre frère.

Si certains détails peuvent rester obscurs, l’approche générale de Kirill Serebrennikov est menée avec une intelligence rare qui fait que l’esprit de sa mise en scène reste lisible. Il met en avant l’épopée guerrière suggérée par le livret, alors que celle-ci est très souvent occultée ou considérée comme une trame de second plan.

Il conduit par la même une réflexion sur la condition humaine des soldats, et raccroche des thèmes de l’ouvrage de façon saisissante à la réalité de la guerre que l’on peut suivre en direct aujourd’hui.

Sinead Campbell Wallace (Elsa)

Sinead Campbell Wallace (Elsa)

Ce travail d’une très grande force émotionnelle est allié à une interprétation musicale de très haut niveau portée par la direction élancée d’Alexander Soddy qui accentue avec nuance l’élan dramaturgique de la musique. Les belles couleurs orchestrales tendent à incruster des accents explosifs et métalliques qui sont l’apanage des ensembles allemands - le flux reste d’ailleurs toujours délié et vitalisant -, mais le tranchant n’est pas employé systématiquement comme dans le duo entre Ortrud et Telramund au début du second acte où une certaine mesure est maintenue. 

Une attention soutenue est également apportée à l’équilibre avec les voix des solistes, et les chœurs, quand ils occupent tout l’avant scène, sont capables d’exprimer une clameur et une exaltation d’une puissance impressionnante qui semble être une des volontés très chère à leur cheffe Ching-Lien Wu.

Mais dans les moments plus élégiaques et insaisissables, ils retrouvent aussi cette forme d’évanescence qui élève avec inspiration les pensées de l’auditeur. 

 Johanni van Oostrum (Elsa)

Johanni van Oostrum (Elsa)

Deux titulaires du rôle d’Elsa se partagent les 9 représentations officielles, et toutes deux ont des atouts qui les différencient et rendent nécessaire de les entendre au moins une fois chacune.

Présente à la répétition du 18 septembre, Sinead Campbell Wallace donne l’impression d’être une wagnérienne aguerrie tant la flamme ample et chaleureuse est mise au service d’un sens du tragique poignant. Et pourtant, il s’agit, sauf erreur, de son premier grand rôle scénique wagnérien.

Piotr Beczala (Lohengrin)

Piotr Beczala (Lohengrin)

Et pour la première représentation, le public parisien découvre une artiste habituée d’un rôle qu’elle a chanté auprès de Klaus Florian Vogt dans deux productions différentes à Munich, Johanni van Oostrum.

Son timbre est d’une douce unité veloutée qu’elle rayonne avec une excellente projection nette et bien focalisée ce qui n’était pas assuré d’avance sur la scène Bastille. L’incarnation est entière avec des changements de personnalité qui ramènent à la spontanéité de l’adolescence.

Nina Stemme

Nina Stemme

Habitué de la scène de l’Opéra de Paris depuis plus de vingt ans où il y a chanté Mozart, Puccini, Verdi, Tchaïkovski, Smetana et même Massenet et Gounod, Piotr Beczala revient avec son personnage wagnérien privilégié qu’il met en avant sur les plus grandes scènes du monde de Vienne à New-York en passant par Bayreuth.

Il révèle une maturité virile qui convient particulièrement bien dans cette vision d’un être qui sait charmer tout en cachant une mentalité de gangster qui n’apparaît qu’à la toute fin. Il chante avec une unité infaillible, exprime même une sincérité très crédible dans la tessiture aiguë, et dose subtilement le mélange entre douceur attentionnée et assurance qui ne vire jamais au sentiment de supériorité. 

Piotr Beczala

Piotr Beczala

De retour elle aussi sur la scène Bastille qu’elle n’avait plus foulé depuis près de 10 ans, Nina Stemme ne fait qu’une bouchée du rôle d’Ortrud avec des couleurs vocales d’un airain vibrant qui font sensation.

D’une autorité animale que son allure scénique tend à contenir pour lui donner une dureté calculatrice qui n’en fait pas pour autant un monstre, sa magnificence d’élocution crée un constant saisissement quasi hypnotique, tout en laissant poindre le sentiment qu’elle en garde sous le pied pour les représentations suivantes. Il y aura au moins une soirée d’anthologie, à n’en pas douter.

Wolfgang Koch (Telramund)

Wolfgang Koch (Telramund)

Le Friedrich von Telramund est en terme de personnalité tout le contraire. Extraordinaire par la complexité de caractère qu’il articule avec un réalisme inégalable, Wolfgang Koch démontre à nouveau quel immense acteur de la vie il est, sa clarté vocale faisant apparaître avec netteté les moindres tressaillements qui font ressentir toutes les faiblesses et sombres doutes de son être.

Mais on l’entend toutefois avec un impact vocal qui s’évapore un peu trop en première partie, bien qu’il le consolide beaucoup plus dans la seconde partie du second acte au moment où il s’agit de mettre à jour l’identité de Lohengrin.

Ce grand habitué de l’excellente acoustique de la scène munichoise sait aussi surprendre d’un soir à l’autre, et il a la capacité de faire sienne l’empreinte Bastille.

Ching-Lien Wu et les chœurs de l'Opéra de Paris

Ching-Lien Wu et les chœurs de l'Opéra de Paris

Enfin, si Kwangchul Youn a eu le temps de montrer en répétition qu’il a toujours su préserver sa noblesse d’expression, son remplaçant à la première, Tareq Nazmi – le fameux Banco de la production de ‘Macbeth’ au festival de Salzbourg cet été -, brosse un portrait digne et d’une noirceur bien marquée, hautement conforme au symbole conventionnel que représente Henri l’Oiseleur, appuyé par Shenyang qui offre beaucoup de panache au Héraut du Roi.

Piotr Beczała, Alexander Soddy, Kirill Serebrennikov et Nina Stemme

Piotr Beczała, Alexander Soddy, Kirill Serebrennikov et Nina Stemme

C’est sur un grand entrelacement entre l’enthousiasme de spectateurs saisis par un spectacle puissant et très bien réfléchi, et le décontenancement d’une autre partie de spectateurs qui accepte moins que l’obscurité du monde soit autant mise en avant sur une scène lyrique, que tous les artistes ont été emportés aux saluts finaux par une énergie générale qui démontre l'importance de ces propositions si essentielles par les vérités qu'elles drainent et que l'on n'oublie pas avec le temps.

Klaus Florian Vogt (Lohengrin)

Klaus Florian Vogt (Lohengrin)

Représentation du 11 octobre 2023

Après 10 jours sans représentations, la série des 'Lohengrin' a repris avec un remplacement inattendu et au pied levé pour un soir le 11 octobre 2023, celui de Piotr Beczala, souffrant, par Klaus Florian Vogt.

Ce n'est pas la première fois que ce magnifique ténor wagnérien fidèle du Festival de Bayreuth incarne un chef militaire - c'était déjà le cas dans la production de 'Parsifal' de Uwe Eric Laufenberg -, si bien qu'il apparaît ce soir dans la continuité des rôles qu'il a toujours incarnés, sérieux d'allure, prévenants et attentionnés, mais prompts à s'irriter si les protagonistes ne sont pas à la hauteur de sa stature morale, même si dans cette production son personnage devient vite un symbole critique de l'esprit de guerre.

Klaus Florian Vogt (Lohengrin)

Klaus Florian Vogt (Lohengrin)

Depuis ses débuts dans le rôle de Lohengrin à l'opéra d'Erfurt en 2002, Klaus Florian Vogt ne cesse d'impressionner par la manière dont il a su préserver la candeur de son timbre de voix tout en l'enrichissant en chaleur et puissance.

Grande subtilité des nuances, magnificence des couleurs et splendide rayonnement toujours aussi souverain qui emportent l'auditeur dans un autre temps, il fait vivre aux spectateurs l'expérience de l'évocation d'une âme surnaturelle avec une telle intensité que son grand air 'In fernem land' devient un sidérant récit spirituel avec une capacité à exacerber la sensibilité de l'auditeur pour l'empreindre de sentimentalisme. C'est véritablement trop beau pour être décrit!

Klaus Florian Vogt (Lohengrin)

Klaus Florian Vogt (Lohengrin)

Par ailleurs, après quelques jours de repos, la distribution est à son meilleur, Kwangchul Youn parfait de par sa stature de chef d'Etat, Wolfgang Koch brillant dans ses expressions naturalistes et très théâtrales, Nina Stemme impressionnante par la somptuosité de ses graves et la pénétrance de ses aigus hallucinés, et Sinead Campbell Wallace vaillante en toutes circonstances.

Chœurs à nouveau inspirants et élégiaques, orchestre sous tension permanente par la main galvanisante d'Alexander Soddy, cordes qui développent des tissures évanescentes absolument fantastiques, cette soirée du 11 octobre restera gravée pour beaucoup dans les mémoires.

Nina Stemme, Klaus Florian Vogt, Kwangchul Youn et les choeurs

Nina Stemme, Klaus Florian Vogt, Kwangchul Youn et les choeurs

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Publié le 18 Décembre 2017

Elektra (Richard Strauss)
Version de concert du 15 décembre 2017
Philharmonie de Paris - Grande salle Pierre Boulez

Elektra Nina Stemme
Klytämnestra Waltraud Meier
Chrysothémis Gun-Brit Barkmin
Orest Matthias Goerne
Ägisth Norbert Ernst
Die Erste Magd Bonita Hyman
Die zweite Magd Yaël Raanan Vandoor 
Die dritte Magd Valentine Lemercier
Die vierte Magd Lauren Michelle
Die fünfte Magd Kirsi Tiihonen
Die Aufseherin Amélie Robine

Direction musicale Mikko Franck                                  Mikko Franck
Orchestre philharmonique de Radio France
Chœur de Radio France

Alors qu'elle vient de mettre un terme à tous ses grands rôles wagnériens, hormis celui maléfique d'Ortrud qu'elle reprendra à Bayreuth l'été prochain, Waltraud Meier est de retour ce soir pour incarner la mère adultère et criminelle d'Elektra sur la scène de la Philharmonie.

Mikko Franck et Nina Stemme (Elektra)

Mikko Franck et Nina Stemme (Elektra)

Une entrée fantastique, le regard légèrement incurvé vers Nina Stemme, les épaules décidées et la démarche assurée, le magnétisme de cette artiste est d'une telle puissance, et son art déclamatoire d'une telle précision, que la force de la beauté affirmée de son personnage peut encore et toujours engendrer les larmes d'une émotion subjuguée par tant de vérité dans l'incarnation.

Et les fulgurances de sa voix ont un souffle et une tenue pénétrante totalement intimidants. Clytemnestre nerveuse, humaine et d'une noirceur morbide peu prononcée, prenant à partie le spectateur saisi par un regard défiant, même son retrait après sa grande confrontation avec Elektra est une leçon de vie et de théâtre que l'on ne peut oublier.

Waltraud Meier (Clytemnestre)

Waltraud Meier (Clytemnestre)

Nina Stemme, elle, portant une robe noire subtilement scintillante, enrobe sa violence d'un magnifique timbre sombrement ambré, puissant sans en forcer les appuis et sans altérer son unité. Elektra est bien une jeune femme tourmentée, mais qui n'a rien cédé à sa stature de femme aristocratique.

Et quelle énergie positive émane de Gun-Brit Barkmin, mariant finesse straussienne et expressivité bergienne, tant elle évoque l'élan pour la vie d'une amoureuse et l'élan intrépide et excitant d'une Lulu dangereuse!

Le Philharmonique de Radio France

Le Philharmonique de Radio France

Ces trois grandes chanteuses formidablement appariées sont ainsi le cœur vibrant de cette unique soirée qui s'est ouverte sur un accueil haut en couleur par les servantes et leur surveillante, une palette d'expressions riches en sentiments névrotiques et hystériques dominée par le trait de lumière irradiant de la personnalité glamour de Lauren Michelle.

On le connaissait poète lunaire au timbre caressant et moelleux, Matthias Goerne se fait terriblement noir, ce soir, les boyaux en torsion et l'âme répugnée, un Oreste que l'on croirait animé par la haine au moindre mot exprimé.

Lauren Michelle (La quatrième servante)

Lauren Michelle (La quatrième servante)

Quant à l'Egisthe de Norbert Ernst, ne lui manque qu'un masque horrifié plus saisissant quand il bascule de sa légèreté habituelle vers la crise de panique engendrée par l'arrivée d'Oreste.

D'ailleurs, les deux climax qui marquent l'aboutissement des deux crimes vengeurs ne sont pas les points les plus intenses de cette interprétation qui valorise, avant tout, la cohésion d'ensemble et le lyrisme fusionnel.

Gun-Brit Barkmin (Chrysothémis), Waltraud Meier (Clytemnestre) et Matthias Goerne (Oreste)

Gun-Brit Barkmin (Chrysothémis), Waltraud Meier (Clytemnestre) et Matthias Goerne (Oreste)

Depuis le parterre, en effet, le son grave des cuivres et des basses forme une matière chaude et malléable que les cordes et les vents innervent de leurs lignes et sinuosités dynamisées en permanence par Mikko Franck. Habituellement assis, on le voit alors prendre pied au cœur de l'orchestre pour soulever en lui une houle épique qui enveloppe ainsi les artistes d'une tension si chaleureuse qu'elle se garde de toute expression trop agressive.

Une merveille sonore, un règlement de comptes hypnotisant au point d'être parcouru soi-même de frissons irisants, une telle beauté laisse rêveur surtout lorsqu'elle ne surgit que pour un soir.

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Publié le 15 Octobre 2012

Tristan et Isolde (Richard Wagner)
Version concert du 13 octobre 2012
Salle Pleyel

Isolde Nina Stemme
Tristan Christian Franz
Le Roi Marke Peter Rose
Brangäne Sarah Connolly
Kurwenal Detlef Roth
Melot Richard Berkeley-Steele
Un jeune marin Pascal Bourgeois
Un berger Christophe Poncet
Un pilote Renaud Derrien

Orchestre Philharmonique de Radio France
Direction musicale Mikko Franck
Chœur d'hommes de Radio France

 

                                                                                          Sarah Connolly (Brangäne)

Bien que la salle Pleyel possède une acoustique réverbérée et une largeur d’espace favorable aux grandes étendues orchestrales des opéras de Wagner, la blancheur impersonnelle de ses parois anguleuses et sa configuration géométrique s’accommodent mal de l’univers infini de Tristan et Isolde.

Et les images hypnotiques de Bill Viola - filmées pour la mise en scène historique de Peter Sellars à l’Opéra National de Paris - ont marqué nombres d’entre nous d’une empreinte visuelle mystérieusement indélébile. Par conséquent, une version de concert ne peut avoir un impact aussi fort que si l’interprétation intègre le temps pour nous attirer dans les profondeurs de la musique.

C’est pourtant avec un fort sentiment que s’est achevé le premier acte de ce soir. La direction de Mikko Franck, sans temps mort, juxtaposait les lignes du discours dramatique tissées de coloris gris et boisés - lignes fortement contrastées par l’éclat claironnant des cuivres -, régénérant une force théâtrale galvanisante pour Nina Stemme.

Nina Stemme (Isolde)

Nina Stemme (Isolde)

Qui peut imaginer meilleure interprète de la Princesse d’Irlande, talentueuse au point de savoir faire vivre à la fois un tempérament enflammé et l‘aplomb d‘une grandeur d‘être superbe, tout cela avec une intensité foudroyante et un galbe vocal d’une noirceur de sang noble et sensuelle?

Même son partenaire, Christian Franz, nous a rappelé, pour un moment, la jeunesse resplendissante et immuable de Renée Kollo, gravée au disque sous la direction irréelle de Carlos Kleiber, et Sarah Connolly s’est trouvée elle même emportée au point de tenir égale véhémence face à Isolde.

Seulement, le flux orchestral ne s’est pas ralenti au second acte, et les ondes n’ont fait qu’esquisser une intériorité bien trop superficielle et peu modelée pour suggérer un début d’immersion vers les abysses dépressives du drame. Pire, le rythme ne s’est pas ralenti au troisième acte, et les imprécisions firent concurrence à bien des motifs à peine esquissés, pour s’effacer sous les suivants, entretenant, il est vrai, un influx vital entrainant.

Il y eut bien sûr une petite icône pour chaque acte, la fraîcheur de Pascal Bourgeois isolée au dessus des gradins de l’arrière scène, l’apparition surnaturelle de Sarah Connolly pendant la nuit d’amour, et la plainte du cor depuis le premier balcon en surplomb de l’orchestre, à chaque fois un instant en suspend.

Christian Franz (Tristan) et Nina Stemme (Isolde)

Christian Franz (Tristan) et Nina Stemme (Isolde)

Malgré sa vaillance, Christian Franz n’a pas le théâtre de Nina Stemme, et son corps oscille en usant que rarement des expressions des mains, si bien que peu de cette douleur tellurique interne est renvoyée vers la salle. Il a en revanche une simplicité touchante.

Il y eut aussi l’humanité engagée de Detlef Roth et la noblesse un peu indifférente de Peter Rose.
Le lyrisme engloutissant de Myung-Whun Chung aurait sans doute mieux convenu au relief et aux couleurs crépusculaires de Tristan et Isolde.

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Publié le 6 Octobre 2011

Tannhäuser (Richard Wagner)
Répétition générale du 03 octobre et représentations du 09, 12, 17, 23, 29 octobre 2011
Opéra Bastille

Tannhäuser Christopher Ventris
Elisabeth Nina Stemme
Venus Sophie Koch
Wolfram Stéphane Degout
Hermann Christof Fischesser
Walther Stanislas de Barbeyrac
Biterolf Tomasz Konieczny
 
Direction Musicale Sir Mark Elder
Mise en scène Robert Carsen (2007)

 

                                                                                                   Stéphane Degout (Wolfram)

Alors que l’Opéra de Paris vient de nous offrir un de ses fours les plus mémorables à travers la nouvelle production de Faust, la reprise de la mise en scène de Tannhäuser imaginée par Robert Carsen nous permet de retrouver un travail qui réussit à la fois à se libérer d'une interprétation textuelle et de presque tous les symboles religieux, tout en respectant le cœur du conflit entre sensualité et spiritualité, à conserver une ligne esthétique charnelle mais dénuée de toute trivialité, et à trouver une issue sublimée en tournant le final en hommage aux œuvres érotiques des grands artistes peintres.

Cette approche, réalisée avec intelligence, lisibilité et cohérence, peut néanmoins décevoir l'auditeur qui ne retrouve plus le thème de l'amour impossible inhérent à nombres d’œuvres lyriques.

On admire toujours autant l’atmosphère rougeoyante de la grande scène du Vénusberg, dans l’espace resserré de l’atelier de Tannhäuser, et les lents passages de Vénus entre ombres et lumières, harmonieusement liés à la musique.

Sophie Koch (Vénus) et Christopher Ventris (Tannhäuser)

Sophie Koch (Vénus) et Christopher Ventris (Tannhäuser)

Sophie Koch se fait entièrement déesse, tragique et sensuelle, une voix impériale aux accents sauvages mais aussi émouvante, à laquelle elle allie élégance du mouvement et vérité subtile de l’expression théâtrale.

Moins fluide dans ses déplacements, Nina Stemme est naturellement saisissante par l’ampleur de sa voix, la qualité d’une tessiture portée par un souffle long et puissant, et une noirceur qui révèle toute sa profondeur lorsque Elisabeth invoque la mort au troisième acte.
La soprano suédoise possède en réalité les énormes moyens d’une Isolde ou d’une Elektra, ce qui paraît un peu surdimensionné à l’égard d’un rôle qui rayonne de jeunesse et d’idéalisme.

Les quelques faiblesses de la répétition se sont évanouies, ce qui permet de voir à quel point Christopher Ventris incarne un Tannhäuser avec une rage de vivre que l’on ressent dans la clarté mordante de sa voix, avec cet indéfinissable sentiment de tristesse d’âme. Il s'agit ici d'un engagement scénique total et impressionnant.

Surprenant dans son apparence d’humble intellectuel, Stéphane Degout est un Wolfram d’une humaine évidence, il déroule « O du mein holder Abendstern » superbement, chanté sans affectation naïvement rêveuse, mais le plus sincèrement possible, le timbre légèrement duveteux.

Tous les autres interprètes, Christof Fischesser, Stanislas de Barbeyrac, Tomasz Konieczny sont parfaitement distribués, si bien que l’on ne peut que constater que l’ensemble de la distribution rivalise, et même surpasse, celle de 2007.

A défaut d'effets de style remarquables, la direction de Sir Mark Elder privilégie la délicatesse des moments intimes, s'imprègne même d'une énergie théâtrale enthousiasmante lors de la répétition, mais ne couvre pas les voix pour autant.

               

                                                                                    Nina Stemme (Elisabeth)

Et puis soudain, lors de la représentation du 17, l'orchestre retrouve une vigueur et un magnifique sens des ondes wagnériennes, auxquels la salle entière répondra par un salut à coeur sans retenue.

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