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Publié le 27 Juillet 2019

Pelléas et Mélisande (Claude Debussy)
Représentation du 24 juillet 2019
NationalTheater Mannheim

Pelléas Raymond Ayers
Mélisande Astrid Kessler
Golaud Joachim Goltz
Arkel Patrick Zielke
Genevieve Kathrin Koch
 Yniold Fridolin Bosse
Un médecin, Un berger Mathias Tönges

Direction musicale Alexander Soddy
Mise en scène Barry Kosky (2017)

Coprodution Komischen Oper Berlin
                                                          Astrid Kessler (Mélisande) et Raymond Ayers (Pelléas)

Pour cette production invitée à l'Opéra National du Rhin à l'automne 2018 avant d'être jouée à l'Opéra de Mannheim qui en est le coproducteur en association avec le Komischen Oper de Berlin, le théâtre de Barry Kosky exacerbe une vision des rapports humains qui resserre les acteurs du drame de Maurice Maeterlinck dans une complexe toile névrotique, dont la cruauté et les cris d'angoisse font songer à la dureté du regard de Michael Haneke au cinéma.

Raymond Ayers (Pelléas) et Astrid Kessler (Mélisande)

Raymond Ayers (Pelléas) et Astrid Kessler (Mélisande)

Les amoureux de la poésie de Maeterlinck regretteront inévitablement la disparition du climat vaporeux si communément mis en scène à l'opéra en écho à l'atmosphère profondément ésotérique du chef-d’œuvre de Claude Debussy, mais aucunement le mystère n'est absent de ce travail sans concession.

La scénographie représente une chambre photographique aux parois gris-noir qui évoque immédiatement la structure froide et géométrique d'une scène lyrique moderne, structure elle même enchâssée dans le cadre d'un rideau d'avant-scène d'un ancien théâtre, dont les replis se devinent à l'ombre des faisceaux de lumière.

Patrick Zielke (Arkel)

Patrick Zielke (Arkel)

Le dispositif au sol repose également sur plusieurs anneaux concentriques qui pivotent en sens inverse de manière à pouvoir faire apparaître et disparaître les personnages sans qu'ils n'aient à bouger, et tout en suivant l'écoulement fluide de la musique.

L'ensemble peut cependant sembler bien confiné sur la scène en format cinémascope du Théâtre de Mannheim, mais c'est l'ampleur de la musique et de l'interprétation orchestrale qui gagne en emphase.

Astrid Kessler (Mélisande)

Astrid Kessler (Mélisande)

Barrie Kosky obtient ainsi de tous les chanteurs un engagement d'un expressionnisme captivant et poignant dont il devient impossible d'être distrait un seul instant, car il entretient chez chacun un mystère psychologique qui interroge et stimule la perception du spectateur.

Mélisande n'a ainsi de cesse de changer d'apparence, comme si nous assistions aux métamorphoses de tous les visages possibles de la femme, depuis l'être léger et brillant à la femme enceinte et prête à devenir mère, en passant par l'être étrange, hybride entre femme et élément naturel, et ces changements d'état se succèdent à un rythme étourdissant.

Kathrin Koch (Genevieve)

Kathrin Koch (Genevieve)

Pelléas apparaît comme un jeune homme un peu gauche, nullement sublimement poétique, fasciné par une personnalité qui a le pouvoir de le faire sortir de sa condition conventionnelle, et Golaud ressemble à un homme mûr, puissant, dont le problème serait plutôt d'arriver à dominer et posséder l'insaisissable étrangeté de Mélisande. Arkel n'est alors plus qu'un vieux patriarche boiteux décadent, dont le traitement libidineux se rapproche de ce que Peter Sellars avait décrit dans sa version semi-scénique à la Philharmonie de Berlin.

Joachim Goltz (Golaud) et Raymond Ayers (Pelléas)

Joachim Goltz (Golaud) et Raymond Ayers (Pelléas)

Les scènes d'une grande force expressive abondent, telle celle effrayante d'Yniold s'agitant comme un pantin sur les épaules de Golaud, et dont les ombres de tous deux prennent une allure fantomatique,ou bien celle décrivant la relation ambiguë teintée d'allusions homosexuelles entre Golaud et Pelléas dans la grotte obscure,  ou bien celle macabre qui évoque le massacre de Mélisande lors de son enfantement et la disparition de son corps comme un simple objet inerte.

Le metteur en scène  réalise un portrait terriblement noir de l'évolution de la masculinité, ses passages ombrageux, et sa dégénérescence violente.

Joachim Goltz (Golaud) et Fridolin Bosse (Yniold)

Joachim Goltz (Golaud) et Fridolin Bosse (Yniold)

Pour soutenir ce spectacle incroyable, le jeune chef d'orchestre Alexander Soddy joue aussi bien sur les variations de textures et de couleurs des cordes, d'une soierie légèrement austère virant de la clarté aiguë et oppressante aux noirceurs sous-jacentes et subconscientes, tout en imprimant de grands mouvements descriptifs qui soulignent les interventions de chaque protagoniste, rappelant la force des motifs théâtraux que Richard Wagner développa dans l'Anneau du Nibelung. Les puristes Debussystes pourraient avec raison reprocher ce retour à Wagner dont le musicien français cherchait à se détacher, mais comment ne pas être séduit par la puissance du monde qui s'en dégage, et ne pas s'en étonner dans un monde musical germanique?

Raymond Ayers (Pelléas) et Astrid Kessler (Mélisande)

Raymond Ayers (Pelléas) et Astrid Kessler (Mélisande)

Par ailleurs, le métal des cuivres sonne toujours avec éclat, miroite sporadiquement dans l'espace de toute la salle, et laisse aux cordes la prévalence des sombres mouvements sourds.

L'ensemble de la distribution, en partie constituée de membres de la troupe de l'opéra de Mannheim, réussit à préserver l'intelligibilité du texte de façon fort appréciable, le meilleur étant sans conteste Joachim Goltz, un baryton clair d'un excellent mordant qui rend à Golaud un tempérament passionnel et menaçant au point que son rôle concentre une tension maximale dans le déroulé de ce drame familial.

Fridolin Bosse, Joachim Goltz, Astrid Kessler,  Alexander Soddy et Raymond Ayers

Fridolin Bosse, Joachim Goltz, Astrid Kessler, Alexander Soddy et Raymond Ayers

Astrid Kessler, qui a des allures de Barbara Hannigan animée par la même folie du jeu de scène, est épatante de spontanéité et de fraicheur, timbre attachant et impressionnante capacité de projection dans les moments de fébrilité, ce portrait réaliste se départit cependant des interprétations habituellement plus mélancoliques et abstraites ce qui connecte totalement Mélisande à la féminité contemporaine.

Et ceci est encore plus vrai pour Raymond Ayers qui, bien moins précis dans sa diction, dépeint un Pelléas encore plus éloigné des interprétations évanescentes et intemporelles, pour au contraire approcher son versant naturaliste qui tranche au départ, mais se fond de mieux en mieux dans l'approche crue du metteur en scène. Le chanteur est par ailleurs très crédible dans sa façon de montrer son désarroi et ses torpeurs.

 Alexander Soddy

Alexander Soddy

Étonnant Arkel de Patrick Zielke, d'une force démonstrative qui révèle également de fins allègements dans ses ports de voix, belle Genevieve de Kathrin Koch, un modèle d'intégrité, et surtout formidable Yniold de Fridolin Bosse, au français impeccable, qui donne au jeune enfant une présence et une vitalité rarement vues sur scène, complètent cet ensemble qui aura permis de vivre cet ouvrage avec une force d'une poignance telle que l'on en accepte l'écart avec l'irréalité et la poésie qui lui est naturellement attachée.

Accueil triomphal de la part du public que l'on sentait attentif et entièrement saisi.

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Publié le 12 Février 2018

Die Gezeichneten (Franz Schreker)
Représentation du 10 février 2018
Komische Oper Berlin

Adorno Joachim Goltz
Tamare Michael Nagy
Lodovico Jens Larsen
Carlotta Ausrine Stundyte
Alviano Peter Hoare
Guidobald Adrian Strooper
Menaldo Ivan Turšić
Michelotto Tom Erik Lie
Gonsalvo Denis Milo

Direction musicale Stefan Soltesz
Mise en scène Calixto Bieito (2018)

Peter Hoare (Alviano) et Ausrine Stundyte (Carlotta)

Pour l'anniversaire des cent ans de la création des Stigmatisés, le Komische Oper de Berlin porte sur scène une nouvelle production de l’œuvre la plus connue de Franz Schreker en la livrant au regard saillant et sans indulgence de Calixto Bieito, un de ces metteurs en scène qui n'a pas peur de porter au cœur du théâtre des problématiques sociales crues, surtout quand il s'agit de montrer à quel point la dignité humaine peut subir les pires oppressions de la part de ceux qui détiennent le pouvoir.

Die Gezeichneten (Hoare-Stundyte-Nagy-Soltesz-Bieito) Komische Oper Berlin

Il choisit ici de représenter Alviano, un riche génois difforme qui a créé une île paradisiaque dans l’idée de dépasser les souffrances infligées par sa maladie, sous les traits d'un homme affectivement déséquilibré, en proie à une attirance sexuelle pour les enfants.

C'est donc ce qui se passe sur cette île, utilisée par des notables de la ville pour y organiser des orgies, qui est au cœur du sujet.

Pousser à ce point l'interprétation en confrontant le spectateur à la violence de cette folie déforme incontestablement la structure dramatique originelle de l’œuvre, mais la radicalité théâtrale avec laquelle ce point de vue est analysé pour aboutir à une conclusion qui fait sens est d'une telle vérité psychologique, que tout se comprend sans qu'il n'y ait besoin de se rattacher au texte.

Ausrine Stundyte (Carlotta)

Ausrine Stundyte (Carlotta)

Des visages d'enfants, parfois tuméfiés, s'affichent en grand de toute part. En avant scène, Alviano se débat avec ses souffrances, une poupée à la main, alors que des hommes attachent et attirent des jeunes hors du plateau.

Carlotta, elle, n'est plus une artiste peintre, mais une femme atteinte de nymphomanie. Le portrait qu'elle dessine de celui qui la fascine est cependant découpé au couteau sur un fond uniforme, sous forme d'un contour anguleux.

Die Gezeichneten (Hoare-Stundyte-Nagy-Soltesz-Bieito) Komische Oper Berlin

Au fur et à mesure que le mystère se désépaissit, ce jeu d'échanges entre Alviano et Carlotta laisse place à la représentation de l'île enchantée, un univers où des jouets gigantesques, train qui tourne en boucle et peluches inertes multicolores, évoquent les manques affectifs des hommes et leur compensation par leurs déviances sexuelles. Les enfants ne sont plus que des objets à fantasmes.

La rivalité entre Alviano et Tamare ne fait plus sens selon ce propos, et c'est Carlotta elle même qui tue ce dernier, comme un exutoire au traumatisme qu'elle a connu dans sa jeunesse et qui l'a totalement déséquilibrée. Un meurtre pour vengeance d'un viol.

Michael Nagy (Tamare)

Michael Nagy (Tamare)

Ausrine Stundyte, athlétique et puissamment féline, use de sa voix expressive et sauvage, pleine et sensuelle dans la tessiture médiane, pour incarner sans ambages la présence et les pulsions sexuelles de cette héroïne écorchée. Elle connaît déjà bien Calixto Bieito depuis Tannhäuser et Lady Macbeth de Mzensk à l'opéra des Flandres, et c'est sur une nouvelle production de cette Lady de Chostakovitch qu'elle retrouvera Krzysztof Warlikowski la saison prochaine pour faire ses débuts à l'Opéra de Paris.

Michael Nagy (Tamare)

Michael Nagy (Tamare)

Les rôles masculins, eux, ont tous de ce vérisme musical que revendique Schreker et qui donne une tonalité froide et perçante à leur chant, et parmi eux, Peter Hoare s'investit totalement avec un sens de l'urgence glaçant. Il faut véritablement une forte capacité d'effacement de soi pour pousser aussi loin ce jeu de torpeurs misérables.

Mais finalement, peu le différencie de Michael Nagy qui, toutefois, a meilleure emprise scénique pour imprimer à Tamare un aplomb viril et inquiétant.

Ausrine Stundyte (Carlotta)

Ausrine Stundyte (Carlotta)

Et loin de reproduire la luxuriance fantastique d'Ingo Metzmacher qui dirigeait l'été dernier l'orchestre du Bayerische Staatsoper dans la production des Stigmatisés de Krzysztof WarlikowskiStefan Soltesz propose une lecture plus compacte mais tout aussi complexe, qui sert formidablement l'engagement violemment théâtral des artistes, si bien que l'on se trouve complètement happé par ce délire d'adultes dans un monde d'enfant à en finir profondément estomaqué.

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