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Publié le 14 Juillet 2015

Arabella (Richard Strauss)
Représentation du 11 juillet 2015
Munich Opera Festival
Bayerishe Staatsoper

Graf Waldner Kurt Rydl
Adelaide Doris Soffel
Arabella Anja Harteros
Zdenka Hanna-Elisabeth Müller
Mandryka Thomas J. Mayer
Matteo Joseph Kaiser
Die Fiakermilli Eir Inderhaug

Mise en scène Andreas Dresen
Direction musicale Philippe Jordan

Bayerisches Staatsorchester
Chor der Bayerischen Staatsoper

                                                 Hanna-Elisabeth Müller (Zdenka) et Anja Harteros (Arabella)

Trois ans après sa première interprétation d’Arabella à l’Opéra Bastille, Philippe Jordan fait une sensationnelle entrée à l’Opéra d’Etat de Bavière, accompagné par une partie de la distribution parisienne, Kurt Rydl, Doris Soffel et Joseph Kaiser.

La Bayerishe Staatsoper

La Bayerishe Staatsoper

Trois grandes lignes artistiques caractérisent ainsi sa direction, l’art de l’émerveillement, c’est à dire ce sens enchanteur du scintillement auroral qui saisit l’âme dans un instant d’éternité, lors du duo Arabella-Zdenka par exemple, puis, la finesse des détails sentimentaux de chaque instrument, les violons plus particulièrement dans cette oeuvre, qu’il prend grand soin à laisser se détacher très nettement, et enfin, l’impressionnante montée des grondements des forces souterraines et majestueuses qui traverse la masse orchestrale pour annoncer le basculement d’un monde finissant.

Et trois artistes concentrent les faisceaux de notre regard admiratif, aussi bien pour leur chant que pour leur être tout entier.

Anja Harteros (Arabella)

Anja Harteros (Arabella)

La première, Anja Harteros, est chez elle, sur la scène du théâtre de sa vie. Sa ligne aristocratique et sa manière de laisser ressortir subtilement son âme de jeune fille, tout en maintenant une présence accomplie retranchée dans un univers intérieur mélancolique, la gardent de toute artificialité et de tout glamour inutile. Et le plus magique, dans sa voix, est bien entendu la grâce nostalgique de sa tessiture hautement aérienne, et le plus surprenant, l’humaine simplicité de la conversation courante de ses mots déclamés.

La seconde, Hanna-Elisabeth Müller, est infiniment touchante dans ce rôle d’une jeune fille capable de laisser de côté ses aspirations profondes et intimes pour aider celui qu’elle aime à conquérir Arabella. En effet, il y a dans le personnage de Zdenka cette aptitude folle à l’abnégation par amour, ce qui n’est évidemment pas un trait de caractère courant de la vie.

Et la soprano fait ressortir de façon poignante une jeunesse vibrante, teintée d’idéalisme, en extériorisant son chant perçant et rayonnant qui laisse poindre ses agitations intérieures qu’elle ne sait apaiser autrement.

Thomas Johannes Mayer (Mandryka)

Thomas Johannes Mayer (Mandryka)

Naturellement excellent acteur, Thomas Johannes Mayer use de son charisme de fauve au grand cœur pour dépeindre un Mandryka fier, mais humain. Tout sonne juste chez lui, son timbre a de la noblesse sans puissance excessive, ce qui en fait le personnage masculin le plus accompli de la distribution.

Quant à Doris Soffel et Kurt Rydl, ils forment un couple fort par l’exagération voulue de leurs caractères bouffes. Cependant, Joseph Kaiser dilue trop Matteo dans un jeu de comédie de boulevard pour paraître sincère, et quelque chose de son timbre d’or semble s’être perdu ce soir.

Eir Inderhaug (Die Fiakermilli) et Anja Harteros (Arabella)

Eir Inderhaug (Die Fiakermilli) et Anja Harteros (Arabella)

La jolie surprise vient du Fiakermilli agile et décomplexé de la soprano norvégienne Eir Inderhaug, qui fait une entrée spectaculaire à l’Opéra de Munich dans une transposition en femme dominatrice, égérie d’une société en perdition.

A partir d’un décor unique et pivotant d’un quart de tout à chaque acte, Andreas Dresen ravit les amateurs de contrastes, d’ombres et de lumières aveuglantes en noir et blanc.
Sous deux grands escaliers qui se croisent et se séparent pour rejoindre le sol tout en s’élargissant vers des hauteurs sans fin également, il évoque au premier acte l’architecture inquiétante des tableaux expressionnistes allemands du début du XXème siècle, dans lequel notre imaginaire peut y réinterpréter ses arêtes vivent et ses formes géométriques suggestives.

Anja Harteros (Arabella) et Thomas Johannes Mayer (Mandryka)

Anja Harteros (Arabella) et Thomas Johannes Mayer (Mandryka)

Au second acte, une partie des rampes apparaît, et le défilé d’une société masquée cherchant à résoudre ses fantasmes orgiaques rappelle la description identique que vient d’en faire Benoit Jacquot à l’Opéra National de Paris dans sa nouvelle production de La Traviata. On se sentirait blasé de ces images d’où émergent de-ci de-là quelques corps nus, s’il n’y avait la vision frontale, au dernier acte, de ces deux escaliers qui prennent la forme d’une croix stylisée, blanche sur fond noir, et qui annonce ainsi le refus d’une société perdue – on aurait envie de rajouter, par prolongement, le refus d’une société qui a définitivement embrassé l’idéal fou du National-Socialisme.

Anja Harteros (Arabella)

Anja Harteros (Arabella)

Même si la crédibilité des personnages repose surtout sur les talents de comédiens des chanteurs, cette vision a le mérite d’extraire de son contexte fermé et petit-bourgeois l’univers ennuyeux d’Arabella.

Elle apparaît ainsi comme celle qui, tentée un temps par le mouvement décadent du monde, comme l’est également Mandryka à travers son aventure avec Die Fiakermilli – ouvertement sexuelle ici -, va retrouver le goût de l’innocence et du jeu dans sa relation à un homme qui l’aime pour elle-même.

Magnifique descente finale d’Anja Harteros le long du grand escalier, un grand classique.

Anja Harteros et Philippe Jordan

Anja Harteros et Philippe Jordan

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Publié le 2 Avril 2013

Wozzeck (Alban Berg)
Représentation du 30 mars 2013
Wiener Staatsoper

Wozzeck Simon Keenlyside
Le Tambour Major Gary Lehman
Hauptmann Herwig Pecoraro
Le Docteur Wolfgang Bankl
Marie Anne Schwanewilms

Direction musicale Franz Welser-Möst
Mise en scène Adolf Dresen (1987)

                                                      Wozzeck (Simon Keenlyside) et Marie (Anne Schwanewilms)

Si l’on désire défendre un chef-d’œuvre comme celui de Wozzeck, ce n’est certainement pas en réanimant une production datant de 1987, coulée dans la toile de cire, que l’on pourra capter un public jeune, si celui-ci vient avec un manque d’habitude à la culture lyrique.

Il s’agit d’une illustration sans le moindre recul par rapport au texte, avec un matériau vieilli qui tire ce spectacle vers une vision enfantine. Certains artifices sont ridicules, comme la manière de faire déambuler sur place les interprètes, ou d’imaginer une lune rouge « qui saigne » sur l’horizon, alors qu’une lumière de clair de lune plonge au même instant depuis le zénith vers le couple de Wozzeck et Marie.

Marie (Anne Schwanewilms)

Marie (Anne Schwanewilms)

Les scènes intimes entre Marie et son enfant sont, elles, plus touchantes lorsqu’elles sont isolées sous les lueurs intérieures de la pièce, sur un simple lit ou devant un petit bureau, et l’aspiration progressive de Wozzeck vers les eaux troubles de l’étang conserve une part d’illusion bien mystérieuse.

Quand on connaît l’image un peu froide mais fragile d’Anne Schwanewilms, et sa belle chevelure rousse crêpée, telle qu’on peut l’admirer dans les rôles de la Maréchale ou d’Elsa von Brabant, la voir s’emparer ainsi d’un personnage de chair et de sang modifie notre regard sur elle, et la rend plus fascinante.

Elle chante le plus souvent dans la tessiture aigue, la plus pure et la mieux projetée pour sa voix, et passe à des expressions naturalistes chevillées au corps avec une brutalité qui, malgré tout, ne lui ôte en rien sa féminité aristocratique. Elle est un peu trop sophistiquée, ce qui crée un décalage supplémentaire avec Wozzeck, pour lequel Simon Keenlyside n’est que trop bien un habitué du rôle.
 

Jouer la maladresse, les blocages et l’humanité sans masque de ce soldat est comme une seconde nature pour lui. On est en empathie constante avec ce personnage dont l’inadaptation révèle aussi l’incompréhension et l’insensibilité de la société qui joue et danse autour de lui.

Vocalement, la poésie désabusée de son timbre réduit l’impact que pourraient avoir des intonations plus incisives, et c’est donc son jeu savamment incontrôlé qui s’impose en toute évidence.

Les rôles secondaires sont très bien tenus, mais aucun des protagonistes, ni même le Tambour Major, ne décrit de personnalité qui impressionne par sa stature ou son caractère.

                                                                                          Marie (Anne Schwanewilms)

En réalité, la plus grande réussite de la soirée repose dans les mains des musiciens et du chef. Franz Welser-Möst sculpte une œuvre d’une force rarement jouée avec un son aussi prodigieux de transparence et de finesse, une clarté d’harmonie des instruments à vents, des couleurs straussiennes qui respirent avec une ampleur comme jamais on en a entendu dans cette partition, mais également un tumulte sarcastique qui évoque les œuvres de Prokofiev.
Pris par une telle intensité puissante et théâtrale, on perçoit cependant la rupture avec le drame sur scène.

On n’écouterait que l’orchestre, si l’attente d’une expressivité visuelle qui s’accorde mieux avec un tel engagement musical ne se faisait trop sentir.

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