Histoire de l'Opéra, vie culturelle parisienne et ailleurs, et évènements astronomiques. Comptes rendus de spectacles de l'Opéra National de Paris, de théâtres parisiens (Châtelet, Champs Élysées, Odéon ...), des opéras en province (Rouen, Strasbourg, Lyon ...) et à l'étranger (Belgique, Hollande, Allemagne, Espagne, Angleterre...).
Oedipe Rex / Symphonie de Psaumes (Igor Stravinsky)
Représentation du 15 juillet 2016
Grand Théâtre de Provence
Festival d'Aix-en-Provence
Oedipe Rex (1927)
Oedipe Joseph Kaiser
Jocaste Violeta Urmana
Créon / Tirésias / le Messager Sir Willard White
Le Berger Joshua Stewart
Antigone Pauline Chevillier
Ismène Laurel Jenkins
Choeur Orphei Drängar
Symphonie de Psaumes (1930) Oedipe Joseph Kaiser
Choeurs Orphei Drängar, Gustaf Sjökvist Chamber Choir, Sofia Vokalensemble Joseph Kaiser (Oedipe)
Direction Musicale Esa-Pekka Salonen
Mise en scène Peter Sellars (2010)
Philharmonia Orchestra
Composées à Nice quand Igor Stravinsky avait rejoint la Côte d'Azur dont le climat convenait mieux à la santé de sa femme, ces deux oeuvres vocales, un oratorio et une oeuvre religieuse, ont une étrange résonance ce soir après la minute de silence sollicitée par l'orchestre et Bernard Foccroulle, le directeur du festival.
'Oedipe Rex' est une oeuvre puissante, portée par une musique froidement magistrale, faite pour marquer les exprits. Esa-Pekka Salonen et le Philharmonia Orchestra en restituent toute la beauté glacée avec un sens de l'inéluctable sidérant.
Mais certaines sonorités ont aussi un charme plus ancien, telles celles des flûtes qui ramènent la musique à des évocations plus intimistes.
La communion de l'orchestre, car il s'agit bien de cela, avec le choeur d'hommes suédois 'Orphei Drängar' est une des plus belles invocations humaines jamais entendue à ce jour.
Esa-Pekka Salonen et Violeta Urmana
Une quarantaine de ténors, un peu moins de barytons et basses, la clarté - l'espérance - et les murmures plus sombres - les inquiétudes - forment un ensemble tendre et volontaire qui transcende l'idée même d'un peuple uni.
Les chanteurs sont habillés de toutes les nuances de bleu possibles, pieds et, parfois, chevilles nus, et sa gestuelle exprime superbement tous les états d'âmes changeants de ces hommes devant l'inconnu de leur destinée.
Cette beauté si poétique et suppliante est à elle seule le coeur palpitant de l'oeuvre.
Joseph Kaiser, en Oedipe, chante avec une simplicité qui ne met pas aussi bien en valeur le charme des inflexions que l'on aime chez lui dans les rôles de Lenski ('Eugène Onéguine') ou de Flamand ('Capriccio'), et c'est surtout Violeta Urmana qui impose une présence mémorable, bien que courte, en Jocaste.
Son timbre est toujours plus gorgé de noirceur et de gravité, ses aigus ont gagné en souplesse, plus ample en est l'émanation de sa noblesse.
Violeta Urmana (Jocaste) et Sir Willard White (Créon)
Et Willard White, la sagesse blessée inquiétante et humaine, apparaît plus que jamais comme la valeur sûre qui fixe une autorité intemporelle indiscutable.
Enfin, Pauline Chevillier joue un rôle parfait de récitante, naturelle et éloquente, sans solennité trop sérieuse qui pourrait nous tenir à distance.
Dans la seconde partie, 'La symphonie de Psaumes', oeuvre écrite après le ralliement de Stravinsky à l'église orthodoxe russe, deux choeurs féminins, le Gustaf Sjökvist Chamber Choir et le Sofia Vokalensemble, se joignent au choeur d'hommes.
Les voix deviennent alors la métaphore de tout un peuple, la qualité des timbres et l'osmose dans laquelle ils s'épanouissent sont à nouveau sublimes d'unité, et ce voyage profond se déroule sur scène dans une tonalité vert clair apaisante.
Les choeurs Orphei Drängar, Gustaf Sjökvist Chamber Choir et Sofia Vokalensemble
Peter Sellars s'est, en effet, exclusivement concentré sur le travail gestuel des choeurs et le déplacement dans l'espace des chanteurs, ne crée aucun effet scénique autrement significatif que la volonté de construire une continuité entre les deux ouvrages, et ce minimalisme peut être aussi bien critiqué que compris comme la volonté de laisser le champ intégral aux choristes, ce qui bénéficie à l'écoute et l'imprégnation de ces chants si beaux et d'une écriture unique.
Arabella (Richard Strauss) Représentation du 11 juillet 2015 Munich Opera Festival Bayerishe Staatsoper
Graf Waldner Kurt Rydl
Adelaide Doris Soffel
ArabellaAnja Harteros
Zdenka Hanna-Elisabeth Müller
MandrykaThomas J. Mayer
Matteo Joseph Kaiser
Die Fiakermilli Eir Inderhaug
Mise en scèneAndreas Dresen
Direction musicalePhilippe Jordan
Bayerisches Staatsorchester Chor der Bayerischen Staatsoper
Hanna-Elisabeth Müller (Zdenka) et Anja Harteros (Arabella)
Trois ans après sa première interprétation d’Arabellaà l’Opéra Bastille, Philippe Jordan fait une sensationnelle entrée à l’Opéra d’Etat de Bavière, accompagné par une partie de la distribution parisienne, Kurt Rydl, Doris Soffel et Joseph Kaiser.
La Bayerishe Staatsoper
Trois grandes lignes artistiques caractérisent ainsi sa direction, l’art de l’émerveillement, c’est à dire ce sens enchanteur du scintillement auroral qui saisit l’âme dans un instant d’éternité, lors du duo Arabella-Zdenka par exemple, puis, la finesse des détails sentimentaux de chaque instrument, les violons plus particulièrement dans cette oeuvre, qu’il prend grand soin à laisser se détacher très nettement, et enfin, l’impressionnante montée des grondements des forces souterraines et majestueuses qui traverse la masse orchestrale pour annoncer le basculement d’un monde finissant.
Et trois artistes concentrent les faisceaux de notre regard admiratif, aussi bien pour leur chant que pour leur être tout entier.
Anja Harteros (Arabella)
La première, Anja Harteros, est chez elle, sur la scène du théâtre de sa vie. Sa ligne aristocratique et sa manière de laisser ressortir subtilement son âme de jeune fille, tout en maintenant une présence accomplie retranchée dans un univers intérieur mélancolique, la gardent de toute artificialité et de tout glamour inutile. Et le plus magique, dans sa voix, est bien entendu la grâce nostalgique de sa tessiture hautement aérienne, et le plus surprenant, l’humaine simplicité de la conversation courante de ses mots déclamés.
La seconde, Hanna-Elisabeth Müller, est infiniment touchante dans ce rôle d’une jeune fille capable de laisser de côté ses aspirations profondes et intimes pour aider celui qu’elle aime à conquérir Arabella. En effet, il y a dans le personnage de Zdenka cette aptitude folle à l’abnégation par amour, ce qui n’est évidemment pas un trait de caractère courant de la vie.
Et la soprano fait ressortir de façon poignante une jeunesse vibrante, teintée d’idéalisme, en extériorisant son chant perçant et rayonnant qui laisse poindre ses agitations intérieures qu’elle ne sait apaiser autrement.
Thomas Johannes Mayer (Mandryka)
Naturellement excellent acteur, Thomas Johannes Mayer use de son charisme de fauve au grand cœur pour dépeindre un Mandryka fier, mais humain. Tout sonne juste chez lui, son timbre a de la noblesse sans puissance excessive, ce qui en fait le personnage masculin le plus accompli de la distribution.
Quant à Doris Soffel et Kurt Rydl, ils forment un couple fort par l’exagération voulue de leurs caractères bouffes. Cependant, Joseph Kaiser dilue trop Matteo dans un jeu de comédie de boulevard pour paraître sincère, et quelque chose de son timbre d’or semble s’être perdu ce soir.
Eir Inderhaug (Die Fiakermilli) et Anja Harteros (Arabella)
La jolie surprise vient du Fiakermilli agile et décomplexé de la soprano norvégienne Eir Inderhaug, qui fait une entrée spectaculaire à l’Opéra de Munich dans une transposition en femme dominatrice, égérie d’une société en perdition.
A partir d’un décor unique et pivotant d’un quart de tout à chaque acte, Andreas Dresen ravit les amateurs de contrastes, d’ombres et de lumières aveuglantes en noir et blanc.
Sous deux grands escaliers qui se croisent et se séparent pour rejoindre le sol tout en s’élargissant vers des hauteurs sans fin également, il évoque au premier acte l’architecture inquiétante des tableaux expressionnistes allemands du début du XXème siècle, dans lequel notre imaginaire peut y réinterpréter ses arêtes vivent et ses formes géométriques suggestives.
Anja Harteros (Arabella) et Thomas Johannes Mayer (Mandryka)
Au second acte, une partie des rampes apparaît, et le défilé d’une société masquée cherchant à résoudre ses fantasmes orgiaques rappelle la description identique que vient d’en faire Benoit Jacquot à l’Opéra National de Paris dans sa nouvelle production de La Traviata. On se sentirait blasé de ces images d’où émergent de-ci de-là quelques corps nus, s’il n’y avait la vision frontale, au dernier acte, de ces deux escaliers qui prennent la forme d’une croix stylisée, blanche sur fond noir, et qui annonce ainsi le refus d’une société perdue – on aurait envie de rajouter, par prolongement, le refus d’une société qui a définitivement embrassé l’idéal fou du National-Socialisme.
Anja Harteros (Arabella)
Même si la crédibilité des personnages repose surtout sur les talents de comédiens des chanteurs, cette vision a le mérite d’extraire de son contexte fermé et petit-bourgeois l’univers ennuyeux d’Arabella.
Elle apparaît ainsi comme celle qui, tentée un temps par le mouvement décadent du monde, comme l’est également Mandryka à travers son aventure avec Die Fiakermilli – ouvertement sexuelle ici -, va retrouver le goût de l’innocence et du jeu dans sa relation à un homme qui l’aime pour elle-même.
Magnifique descente finale d’Anja Harteros le long du grand escalier, un grand classique.
Capriccio (Richard Strauss) Représentations des 8 et 22 septembre 2012 Palais Garnier
La Comtesse Michaela Kaune Le Comte Bo Skovhus Flamand Joseph Kaiser Olivier Adrian Eröd La Roche Peter Rose Clairon Michaela Schuster Monsieur Taupe Ryland Davies La chanteuse italienne Barbara Bargnesi Le chanteur italien Manuel Nuñez Camelino Le Majordome Jérôme Varnier
Mise en scène Robert Carsen (2004) Direction musicale Philippe Jordan
Michaela Kaune (La Comtesse Madeleine)
Inévitablement, la seconde reprise de Capriccio fait ressurgir les souvenirs idéalisés des derniers jours de la direction d’Hugues Gall.
Le choix d’une œuvre abordant sur le plan philosophique la convergence des arts - le théâtre, la danse, la musique et la poésie - et la candeur du sentiment amoureux telles qu’elles se déclinent dans la création lyrique ne pouvaient que générer une immense impression de totalité, surtout lorsque des interprètes emblématiques de ce directeur, Renée Fleming, Franz Hawlata, Anne Sofie von Otter pour ne citer qu’eux, étaient réunis à l’occasion de cette ultime conversation en musique.
Adrian Eröd (Olivier), Peter Rose (La Roche) et Joseph Kaiser (Flamand)
Une fois compris et dépassé le regard nostalgique sur cette époque, le spectacle qui ouvre la saison de 2012/2013 sous les ors du Palais Garnier apparaît comme un luxueux brillant lyrique qui conserve une part de son âme grâce à la présence de Michaela Kaune dans la grande scène finale, une apparition merveilleuse pour le spectateur qui la découvre pour la première fois après les deux levers de rideaux successifs, celui de la scène, puis celui du théâtre sur la scène.
Si le chant de la soprano allemande ne dispose pas de ce fil subtilement velouté qui lie les mots sous le souffle de Renée Fleming, tout est impeccablement déclamé au cours des longues digressions jusqu’à ce qu’elle devienne tragédienne, embellie par ses expressions qui révèlent des torpeurs tout en maintenant une ligne vocale finement épurée. Réussir cela est indispensable pour donner grâce et vérité à ce mouvement final d’extériorisation.
Michaela Kaune (La Comtesse Madeleine)
Elle ne domine pas crânement, sans doute, mais elle s’harmonise avec un ensemble de chanteurs qui ont tous des qualités qui les distinguent subtilement de façon à créer une troupe équilibrée qui se répond avec naturel. Sous les traits de La Roche, Peter Rose impose une franchise de ton et une agréable homogénéité de timbre qui adoucit le caractère de ce directeur tiré vers une sensibilité humaine malgré ses soucis de gloire.
Les deux prétendants ont eux aussi leur petites particularités, Joseph Kaiser ayant surtout pour lui la poésie d’un timbre aux accents slaves quand il jette ses exclamations à cœur ouvert vers la Comtesse, mais également une souplesse feutrée dans la démarche théâtrale, alors qu'Adrian Eröd est le plus classique des Olivier, le parfait gentilhomme élevé aux bonnes manières, un chant mesuré, et taillé sur mesure, sans le moindre accroc.
Bov Skovhus s’est souvent fait remarquer pour ses emphases qui dramatisent à l’excès, mais avec sincérité, ses sentiments envers ses personnages de jeu, alors le Comte passe pour un instable incontrôlable avec lequel seule l’actrice Clairon peut rivaliser.
Joseph Kaiser (Flamand)
Riche en contrastes, le timbre de Michaela Schuster peut être aussi clair que parcellé d’intonations sombres et d’irrégularités qu’elle dépasse par la sympathie de ses mimiques rarement dirigées vers les postures hautaines. Avec elle et Peter Rose, la vision de Robert Carsen, tendue vers la comédie de Marivaux, trouve un liant qui dédramatise, une vitalité à la fois distanciée et susceptible amusante à regarder.
Le livret de Capriccio s’apprécie hors représentation, car en suivre les surtitres au cours de la scène ne peut que distraire, et empêcher même de laisser son imaginaire se construire au fil de la musique et des échanges entre chanteurs.
Michaela Schuster (Clairon)
Robert Carsen ne s’est pas contenté de travailler l’animation du jeu scénique, et surtout les jeux de distances, de fuites et de rapprochements entre les protagonistes, il a également offert le cadre extraordinaire d’un avant scène dépouillé et, en arrière plan, une reproduction du foyer de la danse soutenu par des piliers torsadés qui reflètent son mobilier et la salle à travers ses miroirs dans une ambiance lumineuse dorée comme en fin de journée, la fin d’une époque.
Mais lorsque l’on sait avec quelle splendeur la conclusion est offerte au spectateur, on ne peut s’empêcher de vivre avec un certain empressement dans l’attente de ce moment crucial qui peut se lire sous plusieurs points de vue.
Michaela Kaune (La Comtesse Madeleine)
Le plus évident est d’y voir l’apparition magique d’une pièce lyrique intemporelle devant laquelle s’effacent les fatigantes discussions sans fin du quotidien. Plus profondément, on peut y trouver le reflet de ce que représente l’art lyrique, une projection en ombres et lumières de l’âme humaine lorsqu’elle n’est plus étouffée par la vie en société, ses convenances, ou ses propres contradictions.
Robert Carsen rajoute alors un dernier niveau en faisant disparaître brutalement les décors déplacés nonchalamment pas les techniciens de l’Opéra Garnier, pour laisser la scène vide avec en arrière plan, tout de même, le Foyer de la danse au creux duquel une danseuse achève son entraînement. Les illusions explosent, et l’auditeur peut toujours se demander ce que tout cela a changé.
On avait quitté l’Opéra Bastille avec l’Arabella dirigée par Philippe Jordan, puis suivit les débuts du jeune directeur musical à Bayreuth pour la dernière reprise du Parsifal mis en scène par Stefan Herheim, et, infatigable, le revoici dirigeant en ouverture le testament lyrique de Richard Strauss.
Si le sextuor à cordes initial semble trop rivaliser avec le confort doucereux des velours de Garnier, Philippe Jordan mène par la suite l’orchestre vers de majestueuses enveloppes - tout en souplesse.
Les textures des cordes prennent des couleurs surannées qui ont leur charme, mais sans les irisations chatoyantes qu’elles pourraient disperser, et les plus belles impressions musicales se lisent quand harpes et cuivres se mêlent au bois pour tendre vers une profonde liquidité reposante, un envahissement sonore qui ne nous quittera plus, on l’espère, pour un peu de temps.
Capriccio (Richard Strauss) Représentation du 23 avril 2011 New York Metropolitan Opera
Flamand Joseph Kaiser Olivier Russell Braun La Roche Peter Rose La Comtesse Renée Fleming Le Comte Morten Frank Larsen Clairon Sarah Connolly Les chanteurs italiens Olga Makarina Barry Banks
Direction Musicale Andrew Davis Mise en scène John Cox
Renée Fleming (La Comtesse Madeleine)
Il va sans dire que lorsque l’on a vu l’écrin dans lequel Robert Carsen a matérialisé sa vision de Capriccio au Palais Garnier, une fort émouvante ode à notre amour pour l’opéra en tant qu’inspiration musicale et espace de vie théâtrale, et une évocation de ses illusions que l’on ne voudrait pas voir lorsque La Comtesse Madeleine quitte son rôle alors que les techniciens démontent l’ensemble des décors, la production de John Cox se situe un cran en dessous, même si elle insuffle beaucoup de vie dans les rapports entre personnages.
L’esthétique du décor années vingt, les éclairages vifs et fixes, sauf à la toute fin, et son côté pièce de théâtre bourgeois qui idéalise une femme devant choisir entre deux prétendants réduisent le texte à une douce scène amusante. Et surprise, la belle fait même un choix au moment où les dernières lumières s’éteignent, mais dont seul le domestique en prendra connaissance.
Joseph Kaiser (Flamand)
La direction de Andrew Davis se complaît dans une sorte de confort tranquille sans fantaisie, se fait à plusieurs reprises lâcher par les cuivres, ce qui fait reposer toute la vitalité sur les chanteurs.
Toujours aussi glamour dans ses poses, Renée Fleming a conservé la couleur de la crème qui a fait sa notoriété, mais le temps l'a rendue plus femme, et moins douce langueur policée. Morten Frank Larsen conduit le personnage du Comte comme un coureur de jupon encore alerte, pas du genre à laisser son orgueil l’enfermer dans son statut supérieur, avec une solide présence que pourrait lui envier Sarah Connolly, car elle dilue Clairon dans une attitude légère, à moins que ce ne soit la volonté du metteur en scène.
Autre excellent meneur,Peter Rose fait également de La Roche un fin diseur.
Très réservé au risque de créer un certain déséquilibre, Russell Braun laisse le champ libre à un Joseph Kaiser magnifiquement expressif, souffle vaillant et accents mélancoliques qui en font une merveille à écouter lorsque l’on tourne la tête vers l’immensité de la salle envahie par son chant. On ne le croirait pas Canadien, sinon Slave, lui qui est une des splendides découvertes de cette saison à l'Opéra de Paris dans Oneguine.
Les brillants Olga Makarina et Barry Blanks se livrent à un concours d'endurance accrocheur, pour lequel le public, aussi prompt à déclencher les rires comme il le fit dans le Comte Ory, manifeste son enthousiasme le plus sincère.
Eugène Onéguine (Piotr Ilyitch Tchaikovski) Répétition générale du 15 septembre 2010 Opéra Bastille
Madame Larina Nadine Denize Tatiana Olga Guryakova Olga Alisa Kolosova La Nourrice Nona Javakhidze Lenski Joseph Kaiser Eugène Onéguine Ludovic Tézier Le Prince Grémine Gleb Nikolski Zaretski Ugo Rabec Monsieur Triquet Jean-Paul Fouchécourt
Mise en scène Willy Decker
Direction musicale Vasily Petrenko
Ludovic Tézier (Eugène Onéguine)
L’ouverture de la nouvelle saison de l’Opéra de Paris laisse le champ à deux portraits d’hommes en errance, le Hollandais du Vaisseau Fantôme et Eugène Onéguine, dans deux reprises créées sous la direction d’Hugues Gall et confiées au metteur en scène favori de Nicolas Joel : Willy Decker.
Dans le cas d’Eugène Onéguine, il nous faut remonter assez loin puisque la production date de 1995, lorsque les nouvelles créations de La Bohème, Billy Budd et Cosi Fan Tutte constituaient, elles aussi, les nouvelles armes de reconquête du rang international de la Maison.
Confronter ce spectacle à celui qui vient au même moment d’ouvrir la première saison de Gerard Mortier à Madrid, dans la vision de Dmitri Tcherniakov qu’accueillit Paris il y a deux ans, permet une captivante mise en relief des forces et faiblesses de part et d’autre.
Inévitablement, Madame Larina retombe dans une posture effacée et n’est plus la mère de famille qui rythme la vie dans sa datcha, bien que Nadine Denize restitue un maternalisme naturel.
La nourrice, petite vieille toute courbaturée, est traitée façon Singspiel, façon Papagena toute âgée, alors que Nona Javakhidze la chante avec la légèreté de l’âme en grâce, la seule voix qui pourrait atteindre la jeune fille.
Olga Guryakova (Tatiana)
Cette jeune fille, Tatiana, Olga Guryakova l’incarne totalement, avec ces couleurs russes, c’est-à-dire ces couleurs au galbe noble et à l’ébène lumineux qu’elle n’a pas perdu depuis son interprétation il y a sept ans de cela sur la même scène.
Le visage tout rond d’innocence, les cheveux parcourus de mèches finement tissées comme en peinture, la puissance de ses sentiments qui passent intégralement par la voix trouve aussi quelques expressions scéniques fortes lorsque, dans une réaction de honte absolue, elle détruit la lettre qu'Onéguine lui a sèchement rendu.
Alisa Kolosova (Olga) et Joseph Kaiser (Lenski)
Il est vrai que Ludovic Tézier se contente de retrouver cette posture hautaine et méprisante qu’il acquière si facilement, son personnage ne suscitant aucune compassion de la part de l’auditeur, aucune circonstance atténuante.
Peu importe que les tonalités slaves ne soient pas un don naturel, il est la sévérité même qui doit cependant s’abaisser face à l’immense Prince de Gleb Nikolski, un médium impressionnant, quelques limites dans les expressions forcées, tout en mesure dans sa relation à Tatiana et Onéguine.
L’autre couple, Olga et Lenski, trouve en Alisa Kolosova et Joseph Kaiser deux interprètes élégants, musicalement et scéniquement, le second sans doute plus touchant de par son rôle, mais aussi par la variété de ses coloris.
Joseph Kaiser (Lenski)
L’impeccable et fine diction de Jean-Paul Fouchécourt permet de retrouver un Monsieur Triquet chantant en langue française, principale entorse musicale que Dmitri Tcherniakov s’était alloué dans sa production du Bolchoï en faisant interpréter cet air par Lenski, mais dans un but bien précis.
Le haut niveau musical de cette reprise bénéficie par ailleurs du soutien d’un orchestre et d’un chef intégralement consacrés au potentiel sentimental et langoureusement mélancolique de la partition, une fluidité majestueuse du discours qui en réduit aussi la noirceur.
La gestuelle souple, harmonieuse, de Vasily Petrenko, et son emprise sur les musiciens et les chanteurs s’admirent avec autant de plaisir.
Olga Guryakova (Tatiana)
Joseph Kaiser (Lenski)
Evidemment, comparée à la richesse du travail dramatique de l’équipe du Bolchoï, vers lequel le cœur reste tourné, la vision de Willy Decker paraît bien sage et naïve, simple dans son approche humaine, attachée au folkore russe qui pourrait rappeler les farandoles de Mireille la saison passée, et classique dans la représentation du milieu conventionnel et sinistre que rejoint Tatiana.
Mais il y a dans les éclairages, le fond de scène la nuit, les lumières d’hiver dans la seconde partie, un pouvoir psychique réellement saisissant.