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Publié le 24 Mars 2023

Guerre et Paix (Sergueï Prokofiev – Léningrad, 12 juin 1946)
Représentation du 15 mars 2023
Bayerische Staatsoper

Natascha Rostowa Olga Kulchynska
Sonja Alexandra Yangel
Marja Dmitrijewna Achrossimowa Violeta Urmana
Peronskaja Olga Guryakova
Graf Ilja Andrejewitsch Rostow Mischa Schelomianski
Graf Pierre Besuchow Arsen Soghomonyan
Gräfin Hélène Besuchowa Victoria Karkacheva
Anatol Kuragin Bekhzod Davronov
Leutnant Dolochow Alexei Botnarciuc
Fürstin Marja Bolkonskaja Christina Bock
Fürst Nikolai Andrejewitsch Bolkonski Andrei Zhilikhovsky
Matrjoscha Oksana Volkova
Dunjascha Elmira Karakhanova
Gawrila Roman Chabaranok
Métivier Stanislav Kuflyuk
Französischer Abbé Maxim Paster
Denissow Dmitry Cheblykov
Tichon Schtscherbaty Nikita Volkov
Fjodor Alexander Fedorov
Matwejew Sergei Leiferkus
Wassilissa Xenia Vyaznikova
Trischka Solist(en) des Tölzer Knabenchors
Michail I. Kutusow Dmitry Ulyanov
Kaisarow Alexander Fedin
Napoleon Tómas Tómasson
Adjutant des Generals Compans Alexander Fedorov
Adjutant Murats Alexandra Yangel
Marschall Bertier Stanislav Kuflyuk
General Belliard Bálint Szabó
Adjutant des Fürsten Eugène Granit Musliu
Stimme hinter den Kulissen Aleksey Kursanov
Adjutant aus dem Gefolge Napoleons Thomas Mole
Händlerin Olga Guryakova
Mawra Kusminitschna Xenia Vyaznikova
Iwanow Alexander Fedorov

Direction Musicale Vladimir Jurowski
Mise en scène Dmitri Tcherniakov (2023)

Immense fleuve lyrique, ‘Guerre et Paix’ de Sergueï Prokofiev est rarement monté hors de sa ville de création, Saint-Pétersbourg, et de la capitale russe, Moscou, où il est régulièrement interprété plusieurs fois par décennies. Ailleurs, seuls 9 pays, l’Allemagne, la France, la Hongrie, la Suisse, l’Italie, l’Autriche, le Canada, le Royaume-Uni et les États-Unis l’ont représenté au moins une fois sur scène au cours des 25 dernières années.

Programmer un tel ouvrage est donc une marque de prestige, et, originellement, Dmitri Tcheniakov et Vladimir Jurowski avaient l’intention de le jouer à l’opéra de Munich dans sa version intégrale.

War and Peace - Voyna i mir (Jurowski Tcherniakov Kulchynska Zhilikhovsky) Munich

Sa genèse est cependant fort complexe. La première représentation fut interprétée au piano par Sviatoslav Richter et Anatoly Vedernikov en mai 1942 à Moscou, puis, la première version orchestrale (avec 9 des 11 tableaux initiaux) fut donnée le 07 juin 1945 à la Grande Salle du Conservatoire de Moscou, et, finalement, la création scénique de la première partie, augmentée de la scène du bal, fut créée le 12 juin 1946.

Prokofiev n’achèvera la seconde partie, où fut rajoutée la scène du conseil de guerre (tableau n°10), qu’en mai 1947, et il poursuivit coupures, remaniements et ajouts jusqu’à l’édition de la partition définitive en 1958.

Olga Kulchynska (Natascha) et Andrei Zhilikhovsky (Andrejewitsch Bolkonski)

Olga Kulchynska (Natascha) et Andrei Zhilikhovsky (Andrejewitsch Bolkonski)

De cette partition, l’Opéra d’État de Bavière reprend complètement les 7 tableaux de la première partie, ‘La Paix’, mais opère plus de 30 minutes de coupures dans la seconde partie, ‘La Guerre’, afin de supprimer tous les passages aux élans trop patriotiques qu’il n’est plus possible d’entendre à l’heure de la guerre menée par la Russie en Ukraine.

Sont ainsi omis dans cette nouvelle production le chœur des volontaires, l’air stalinien de Koutouzov et le chœur des Cosaques du 8e tableau situé avant la bataille de Borodino, le chœur final du 9e tableau à l’approche des Russes du camp de Napoléon, l’intégralité du 10e tableau qui se déroule au conseil de guerre, le chœur des Moscovites du 11e tableau, et les 3/4 du treizième tableau, dont le chœur final.

Violeta Urmana (Marja Dmitrijewna Achrossimowa)

Violeta Urmana (Marja Dmitrijewna Achrossimowa)

Il n’est pas impossible que, finalement, cette version revienne à la partition qui tenait le plus à cœur au compositeur russe. Et il est évidemment inutile d’attendre une lecture de l’œuvre au premier degré de la part de Dmitri Tcherniakov, qui interroge le texte du livret en profondeur et cherche à montrer sur scène ce qu’il révèle de la mentalité russe.

Il situe ainsi l’action du début à la fin au sein du somptueux décor de la ‘salle des colonnes’ du Palais des syndicats de Moscou, bâtiment destiné à célébrer des évènements importants, à accueillir des concerts symphoniques et, surtout, à honorer les funérailles des chefs d’État. Les corps de Lénine, Staline et Gorbatchev y ont été exposés.

Tous les détails de cette salle sont minutieusement reconstitués, les colonnes corinthiennes, les balcons, le parquet, la coupole ainsi que les multiples lustres en cristal, mais ce cadre magnifique est transformé en un lieu de refuge pour la population moscovite. Sacs de couchage, couvertures, vêtements recouvrent le sol occupé par le chœur et probablement des figurants.

Alexei Botnarciuc (Leutnant Dolochow) et Bekhzod Davronov (Anatol Kuragin)

Alexei Botnarciuc (Leutnant Dolochow) et Bekhzod Davronov (Anatol Kuragin)

Dans cette première partie, le metteur en scène dépeint un portrait sensible de Natacha comme il sait si bien le faire depuis l’inoubliable Tatiana d’’Eugène Onéguine’ qu’il fit connaître au Palais Garnier en 2008, production désormais reprise à l’Opéra de Vienne.

Au début de l’histoire, le prince André Bolkonskii erre seul au milieu de la salle comme s’il allait nous raconter ce qui a précipité le malheur de son monde.

Les gens qui étaient couchés au sol se relèvent petit à petit, et le passé se réactive à un moment où tous réunis dans l’enceinte semblent à la fois dans l’attente et en recherche de protection.

Arsen Soghomonyan (Pierre Besuchow) et Olga Kulchynska (Natascha)

Arsen Soghomonyan (Pierre Besuchow) et Olga Kulchynska (Natascha)

Ceux-ci revivent un moment festif dans une humeur bon enfant. Les différences sociales sont fortement atténuées, même si Peronskaja, incarnée par Olga Guryakova – une émouvante artiste qui insufflait un subtil glamour à ses interprétations de Natacha et Tatiana à l’Opéra Bastille au début des années 2000 et qui, ce soir, joue à fond, avec un timbre encore bien percutant, la bourgeoise heureuse parfaitement adaptée à l’environnement social -, s’affiche en manteau de fourrure pimpant.

La scène de bal s’insère naturellement dans cet état d’esprit sous la forme d’une mise en scène joyeuse de la présentation des multiples protagonistes.

Epigraphe en introduction du 8e tableau de 'Guerre et Paix'

Epigraphe en introduction du 8e tableau de 'Guerre et Paix'

Pour Olga Kulchynska, artiste lyrique ukrainienne qui s’est faite remarquée en 2018 à l’Opéra Bastille dans le rôle de Rosine du ‘Barbier de Séville’, le défi est grand à faire vivre les élans passionnés et cyclothymiques de Natacha, car il s’agit de faire ressentir son manque affectif désespéré qui s’anime d’abord sous le regard du Prince Bolkonskii, et qui, une fois celui ci écarté par son père, se reporte sur le dangereux et instable Kouraguine.

Le sentiment d’exaltation est très bien rendu, de par sa voix lumineuse et fruitée qui a la légèreté de l’oiseau de ‘Siegfried’ même dans les coups de sang les plus imprévisibles, avec une irrésistible envie de vivre qui contraste avec les angoisses de Sonja pour laquelle Alexandra Yangel offre une figure prévenante teintée de mélancolie sombre d’une très grande justesse.

Il faut dire que Dmitri Tcherniakov s’ingénie à donner vie aux dizaines d’artistes qui suivent de leur regard l’intimité de l’action autour de Natacha, comme s’ils avaient tous à conduire une ligne de vie bien spécifique qui accroît l’impression de réalisme d’ensemble. Leur présence permet également de mettre en exergue le décalage comportemental de la jeune fille avec son milieu social.

Arsen Soghomonyan (Pierre Besuchow) et Andrei Zhilikhovsky (Andrejewitsch Bolkonski)

Arsen Soghomonyan (Pierre Besuchow) et Andrei Zhilikhovsky (Andrejewitsch Bolkonski)

A cela s’ajoute une intégration de la rythmique musicale dans le jeu d’acteur qui, visuellement, la rend encore plus évidente au spectateur. Et ce travail musical peut aussi bien se traduire par une gestuelle futile et ludique, à l’instar de l’arrivée dansante de Kouraguine et ses amis, qu’engendrer une grande tension d’échange lorsque Achrossimowa se confronte à Natacha pour l’aider à remettre les pieds sur terre.

Avec ses habits de grand-mère qui la rendent adorablement touchante, Violeta Urmana est d’une authenticité magnifique, la figure même du cœur sur la main à la volonté ferme, et tout dans son chant et ses expressions sincères concoure à ennoblir le très beau portrait qu’elle fait vivre.

Dmitry Ulyanov (Michail I. Kutusow)

Dmitry Ulyanov (Michail I. Kutusow)

Naturellement, le mal-être de Natacha allant grandissant, après qu’elle ait appris de Pierre Besuchow que Kouraguine est marié, cette situation blessante conduit à une tentative de suicide jouée avec une sensibilité à fleur de peau fort poignante.

Arsen Soghomonyan manifeste avec un timbre de voix robuste, mature et adouci une grande densité expressive qui donne beaucoup de profondeur à ce comte épris d’une jeune fille qu’il cherche à protéger. L’homme est sérieux, intelligent, et son monologue est mené avec force de conviction, sans que le moindre geste ne soit laissé au hasard, avant qu’une voix en coulisses annonce l’arrivée de Napoléon, et qu’un jeune enfant pointe sur le pauvre homme une arme automatique à jets d’eau dans un esprit de dérision surprenant.

War and Peace - Voyna i mir (Jurowski Tcherniakov Kulchynska Zhilikhovsky) Munich

Car si la première partie est une vibrante mise en relief du caractère de Natacha dénuée de tout mélo-dramatisme facile, la seconde partie ne met plus en scène deux armées qui s’affrontent mais le peuple russe lui-même. L’épigraphe est d’ailleurs chanté en avant-scène dans l’ombre et avec une gestuelle fort vindicative qui dynamise l’excellent chœur puissant du Bayerische Staatsoper, qui devient dorénavant le principal sujet de l’action.

Dmitri Tcherniakov imagine que tous ces russes installés au centre de la salle se livrent à un jeu de simulation de guerre où tous les aspects sont abordés : combat, camouflage, évacuation des blessés, soins. Mais l’ennemi n’est jamais visible.

Olga Guryakova (Peronskaja)

Olga Guryakova (Peronskaja)

Le baryton moldave, Andrei Zhilikhovsky, prête son charme et sa chaleur de voix au rôle d’André Bolkonskii qui, avec le même détachement qu’en première partie, est encore perdu dans ses pensées pour Natacha, sans paraître pour un sou comme un des leaders du champ de bataille.

Kutusow, le général en chef des armées, auquel Dmitry Ulyanov prête une sereine envergure débonnaire, est présenté comme un chef relâché, vulgaire, et sans prestance.  Et l’on assiste ainsi à une description dérisoire de tous les symboles religieux ou militaires, les chœurs signant des croix orthodoxes de façon rapide et mécanique, allure saccadée et automatique que l’on retrouve pour décrire le Napoléon loufoque animé par Tómas Tómasson qui prend beaucoup de plaisir à forcer la caricature.

Andrei Zhilikhovsky (Andrejewitsch Bolkonski) et Olga Kulchynska (Natascha)

Andrei Zhilikhovsky (Andrejewitsch Bolkonski) et Olga Kulchynska (Natascha)

Au début, cette approche semble bien légère et laisse craindre que Tcherniakov ne se contente de démythifier le volet sur ‘La Guerre’. Mais les lustres sont désormais recouverts d’un voile noir qui ne laisse présager rien de bon.
Et l’on assiste, sans s’en rendre compte au départ, à un début de tension entre les différentes individualités de la foule. Les gestes deviennent de plus en plus violents à partir du 11e tableau, avec exécutions arbitraires, tentatives de viols, et même vols des portraits de grands artistes russes tels Tchaïkovski ou Prokofiev.

En quelques images, le grand gâchis de l’histoire russe est illustré de façon glaçante avec un immense sentiment de dommage irréversible. Et c’est au cours du tableau de l’incendie de Moscou que la nature autodestructrice des Russes est le mieux mise en évidence, toujours dans un assombrissement sans retour, jusqu’au grand hommage rendu à Kutosow au moment où il s’allonge sur un nouveau lit mortuaire qui signe l’enterrement final de l’âme russe.

André Bolkonskii s’est finalement suicidé, Natacha s’est éteinte auprès de lui, et tout s’achève dans une grande impression de néant sous le regard malheureux de Pierre Besuchow.

Andrei Zhilikhovsky, Olga Kulchynska et Vladimir Jurowski

Andrei Zhilikhovsky, Olga Kulchynska et Vladimir Jurowski

Tout au long de cette représentation, l’unité artistique entre Vladimir Jurowski et les musiciens de l’Opéra de Bavière est évidente. L’évocation de la nature qui ouvre ce grand monument lyrique est un enchantement musical. La vie terrestre, les frémissements de sa verdoyance, et l’espoir d’un bonheur à portée de main sont magnifiquement évoqués, et ce splendide raffinement se double d’un art de la malléabilité qui fait rougeoyer d’une souplesse absolument crépusculaire la luxuriante matière qu’offre l'ensemble orchestral.

Très belle énergie sonore qui relance constamment l’action, les éclats des cuivres sont ciselés avec une formidable précision, mais sans en faire trop dans la grandiloquence épique.

Il y a aussi une recherche d’intimisme, de concentration du drame à sa juste mesure, et pour tout ce savant équilibre, Vladimir Jurowski et Dmitri Tcherniakov apparaissent comme deux des grandes valeurs artistiques russes d’aujourd’hui – ils sont nés tous les deux à Moscou au début des années 70 - dont on imagine bien la peine et la désolation qu’inspire le comportement de leur patrie d’origine, eux qui défendent au plus profond d'eux-mêmes un rapport éclairé et réfléchi à la vie.

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Publié le 20 Janvier 2012

La Dame de Pique (Tchaïkovski)
Représentation du 19 janvier 2012
Opéra Bastille

Hermann Vladimir Galouzine
Comte Tomski Eugeny Nikitin
Prince Eletski Ludovic Tézier
Tchekalinski Martin Mühle
Sourine Balint Szabo
Tchaplitski Fernando Velasquez
Naroumov Yves Cochois
La Comtesse Larissa Diadkova
Lisa Olga Guryakova
Paulina Varduhi Abrahamyan
Macha Nona Javakhidze
Le maître de cérémonie Robert Catania

Direction musicale Dmitri Jurowski
Mise en scène    Lev Dodin (1999)

                                                                                                              Ludovic Tézier (Eletski)

Lorsque les décors de David Borovsky et la mise en scène de Lev Dodin arrivèrent sur les planches de l’Opéra Bastille, plus de douze ans depuis aujourd’hui, l’univers glacial de l’asile de fous parut se heurter à une musique qui en est le contraire, inspirée par l'humanisme mozartien et parcourue des noirs pressentiments du destin.
 

Le temps a permis d'en révéler toute l'intelligence de vue et de mieux mesurer l'intérêt dramaturgique des modifications consenties.
La plus importante se situe au milieu du troisième tableau à partir de l'intermède "la bergère sincère" qui n'est qu'un simple divertissement chanté par un duo.

S'il arrive que Daphnis et Chloé soient chantés par les interprètes respectives de Pauline et Lisa, ce sont Hermann et Lisa qui jouent leur propre rôle au cours d'une partie de colin-maillard, les yeux recouverts d'un foulard blanc.

Cette image du bonheur qui se cherche est ensuite assombrie par l'apparition de la Comtesse, les yeux bandés d'un ruban noir, entrainant une confusion qui la fera élire par Hermann, avec la complicité des aristocrates présents pendant la scène.   

                                                                                   Eugeny Nikitin (Tomski)

La pastorale met alors en scène le basculement du drame en soulignant la manipulation par l'entourage du héros. 

Si pendant toute la première partie tout se passe à l'hôpital où a atterri Hermann devenu fou, en toute fidélité à la nouvelle de Pouchkine, dans l'univers clos de murs peints en blanc et vert tristes, l'arrière scène s'ouvre ensuite sur le monde de la comtesse et les jardins d'été de St Petersbourg embellis par la beauté plastique des statues italiennes.

Olga Guryakova (Lisa)

Olga Guryakova (Lisa)

Pour que ce travail théâtral ait un impact fort, il faut un chanteur capable d'incarner de bout en bout la folie du personnage central, car jamais il ne sort à un seul instant du champ de vue.
Présent dès la création à Bastille, puis lors de la dernière reprise, Vladimir Galouzine est la plus grand incarnation d'Hermann qui soit à notre époque, et chacun peut se réjouir d'assister au génie de cet artiste fabuleux et inoubliable.
Les obsessions des tourments de l'âme, les réactions irrationnelles internes et les effrois soudains se lisent sur le front et le visage, à travers les pas hésitants et les mains en panique, et cette folie est si juste et crédible qu'elle renvoie à la crainte de notre propre folie.
Les couleurs de sa voix sont magnifiquement sombres et humaines, elles expriment une beauté en souffrance, et la puissance et la portée de son souffle ont la force d'un appel au secours que l'auditeur ne peut pas éviter.

Vladimir Galouzine (Hermann)

Vladimir Galouzine (Hermann)

A l'écoute d'Eugeny Nikitin, on ne peut s'empêcher de penser au Iago de Verdi. Il y a quelque chose de dominateur, parfois maléfique, dans cette voix qui peut prendre des accents légèrement caressants, afin de faussement rassurer Hermann.

Et Ludovic Tézier - le seul qui reste constamment en surplomb de la chambre, alors que les autres personnages descendent de leur jugement de haut pour entrer en contact et perturber négativement Hermann - nous offre une image d’une noblesse assurée, un soin du chant précis, comme si la langue russe était sa langue maternelle, avec ce subtil détachement qui le protège de tout débordement émotionnel et lui donne ainsi cette allure si maîtrisée.

Larissa Diadkova (La Comtesse)

Larissa Diadkova (La Comtesse)

Olga Guryakova a encore montré récemment, lors de la dernière reprise d’Eugène Onéguine, qu’elle est une magnifique Tatiana. Toutefois, la tessiture de Lisa l’oblige à de fortes tensions dans les aigus ce qui décolore son timbre et la pousse à bout de souffle.
Elle est cependant violemment théâtrale, et le charme et l’énergie de son être s’imposent avec évidence, alors que Varduhi Abrahamyan, au rôle bien plus court, reste sur une posture très conventionnelle, chante sa romance au piano avec un style profond et touchant, mais qui pourrait être plus chaud et noir.

Très souvent, le rôle de la comtesse est confié à des chanteuses en fin de carrière. Larissa Diadkova n’en est pas là, elle est à la fois autoritaire et percutante. L’air de Richard Cœur de Lion est d’une noirceur à donner le frisson - l’accroche du texte français pourrait cependant être un peu plus mordante -,  et elle se révèle également une actrice souple et mystérieuse.

Vladimir Galouzine (Hermann)

Vladimir Galouzine (Hermann)

Et si le timbre charnu de Nona Javakhidze, en Macha, est très agréable à entendre, la réussite de la soirée repose aussi sur la haute qualité artistique de la direction et de l’exécution musicale par Dmitri Jurowski et l’orchestre de l’Opéra de Paris. 

Les cordes sont absolument sublimes de nuances et de finesses, les couleurs des cuivres s’y allient pour créer une atmosphère prenante qui agit en bas-fonds comme pour mieux atteindre le subconscient, et même les timbales sonnent juste avec une tension théâtrale qui n’est jamais bruyante, comme s’il s’agissait de ne pas briser le travail en profondeur du discours musical.
Il faut souhaiter que cet état de grâce, que l’on ne vit pas toujours à l’opéra, se prolonge sur toutes les représentations.

Vladimir Galouzine (Hermann) et Larissa Diadkova (La Comtesse)

Vladimir Galouzine (Hermann) et Larissa Diadkova (La Comtesse)

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Publié le 17 Septembre 2010

Eugène Onéguine (Piotr Ilyitch Tchaikovski)
Répétition générale du 15 septembre 2010
Opéra Bastille

Madame Larina Nadine Denize
Tatiana Olga Guryakova
Olga Alisa Kolosova
La Nourrice Nona Javakhidze
Lenski Joseph Kaiser
Eugène Onéguine Ludovic Tézier
Le Prince Grémine Gleb Nikolski
Zaretski Ugo Rabec
Monsieur Triquet Jean-Paul Fouchécourt

Mise en scène Willy Decker

Direction musicale Vasily Petrenko

 

                     Ludovic Tézier (Eugène Onéguine)

L’ouverture de la nouvelle saison de l’Opéra de Paris laisse le champ à deux portraits d’hommes en errance, le Hollandais du Vaisseau Fantôme et Eugène Onéguine, dans deux reprises créées sous la direction d’Hugues Gall et confiées au metteur en scène favori de Nicolas Joel : Willy Decker.

Dans le cas d’Eugène Onéguine, il nous faut remonter assez loin puisque la production date de 1995, lorsque les nouvelles créations de La Bohème, Billy Budd et Cosi Fan Tutte constituaient, elles aussi, les nouvelles armes de reconquête du rang international de la Maison.

Eugène Onéguine (Guryakova - Tézier - msc Decker) Bastille

Confronter ce spectacle à celui qui vient au même moment d’ouvrir la première saison de Gerard Mortier à Madrid, dans la vision de Dmitri Tcherniakov qu’accueillit Paris il y a deux ans, permet une captivante mise en relief des forces et faiblesses de part et d’autre.

Inévitablement, Madame Larina retombe dans une posture effacée et n’est plus la mère de famille qui rythme la vie dans sa datcha, bien que Nadine Denize restitue un maternalisme naturel.

La nourrice, petite vieille toute courbaturée, est traitée façon Singspiel, façon Papagena toute âgée, alors que Nona Javakhidze la chante avec la légèreté de l’âme en grâce, la seule voix qui pourrait atteindre la jeune fille.

Olga Guryakova (Tatiana)

Olga Guryakova (Tatiana)

Cette jeune fille, Tatiana, Olga Guryakova l’incarne totalement, avec ces couleurs russes, c’est-à-dire ces couleurs au galbe noble et à l’ébène lumineux qu’elle n’a pas perdu depuis son interprétation il y a sept ans de cela sur la même scène.

Le visage tout rond d’innocence, les cheveux parcourus de mèches finement tissées comme en peinture, la puissance de ses sentiments qui passent intégralement par la voix trouve aussi quelques expressions scéniques fortes lorsque, dans une réaction de honte absolue, elle détruit la lettre qu'Onéguine lui a sèchement rendu.

Alisa Kolosova (Olga) et Joseph Kaiser (Lenski)

Alisa Kolosova (Olga) et Joseph Kaiser (Lenski)

Il est vrai que Ludovic Tézier se contente de retrouver cette posture hautaine et méprisante qu’il acquière si facilement, son personnage ne suscitant aucune compassion de la part de l’auditeur, aucune circonstance atténuante.

Peu importe que les tonalités slaves ne soient pas un don naturel, il est la sévérité même qui doit cependant s’abaisser face à l’immense Prince de Gleb Nikolski, un médium impressionnant, quelques limites dans les expressions forcées, tout en mesure dans sa relation à Tatiana et Onéguine.

L’autre couple, Olga et Lenski, trouve en Alisa Kolosova et Joseph Kaiser deux interprètes élégants, musicalement et scéniquement, le second sans doute plus touchant de par son rôle, mais aussi par la variété de ses coloris.

Joseph Kaiser (Lenski)

Joseph Kaiser (Lenski)

L’impeccable et fine diction de Jean-Paul Fouchécourt permet de retrouver un Monsieur Triquet chantant en langue française, principale entorse musicale que Dmitri Tcherniakov s’était alloué dans sa production du Bolchoï en faisant interpréter cet air par Lenski, mais dans un but bien précis.

Le haut niveau musical de cette reprise bénéficie par ailleurs du soutien d’un orchestre et d’un chef intégralement consacrés au potentiel sentimental et langoureusement mélancolique de la partition, une fluidité majestueuse du discours qui en réduit aussi la noirceur.

La gestuelle souple, harmonieuse, de Vasily Petrenko, et son emprise sur les musiciens et les chanteurs s’admirent avec autant de plaisir.

Olga Guryakova (Tatiana)

Olga Guryakova (Tatiana)

Joseph Kaiser (Lenski)

Evidemment, comparée à la richesse du travail dramatique de l’équipe du Bolchoï, vers lequel le cœur reste tourné, la vision de Willy Decker paraît bien sage et naïve, simple dans son approche humaine, attachée au folkore russe qui pourrait rappeler les farandoles de Mireille la saison passée, et classique dans la représentation du milieu conventionnel et sinistre que rejoint Tatiana.

Mais il y a dans les éclairages, le fond de scène la nuit, les lumières d’hiver dans la seconde partie, un pouvoir psychique réellement saisissant.

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Publié le 7 Juillet 2007

Rusalka (Dvorak)

Répétition générale du 06 septembre 2005 (Bastille)
 
Direction musicale Jiri Belohlavek
Mise en scène Robert Carsen
 
Le Prince Miroslav Dvordky
La princesse étrangère Anda Louise Bogza
Rusalka Olga Guryakova
L’Esprit du lac Franz Hawalata
Jezibaba Larissa Dyadkova
Le garçon de cuisine Karine Deshayes
 
Les propos suivants sont à nuancer, les chanteurs n’étant pas tenus de chanter à pleine voix lors d’une générale.
 
C’est tout d’abord un vrai plaisir de retrouver l’Opéra Bastille, tout donne le sentiment que le spectateur va être mieux traité que l’année passée. Pléthore de sièges permettent aux spectateurs d’attendre plus confortablement aux guichets, les distributions sont de retour, gracieusement remises à chacun, le programme est passé de 11 à 10 euros et les places debout au fond du parterre paraissent bien agencées et laissent la possibilité de rejoindre éventuellement les places vides du parterre.
Enfin les syndicats ont eu tout ce qu’ils voulaient pour ne pas poser leur préavis de grève pour la première.
 
Cette reprise de Rusalka (c’est un opéra du XXième siècle mine de rien) devrait superbement lancer cette 2ième saison à l’Opéra National de Paris.
Olga Guryakova interprète une Rusalka fort émouvante. Elle vous projette intensément cette douleur qui vous touche au cœur au moment où l’attention vis-à-vis de son sort pourrait faiblir. La mise en voix se ressent au premier mouvement de la romance au clair de lune, ensuite on se laisse porter.
 
Le timbre de Franz Hawalata est toujours aussi caractéristique. Il me renvoie à cet extraordinaire Capriccio de juin 2004 à Garnier où toutefois il ne semble pas avoir depuis déployé projection et présence aussi marquante. Il est un esprit du lac inquiétant mais pas écrasant.
 
Dyadkova est une excellente tragédienne, ses graves impressionnent, mais ses aigus éraillés font vaciller la stature de Jezibaba.
 
Dans le genre « je veux écraser toutes mes concurrentes » Anda Louise Bogza présente une princesse bien affirmée au physique généreux et passe facilement l’orchestre.
Personnellement c’est un peu la déception avec Miroslav Dvordky car son prince semble laisser filer la voix latéralement. Musical, il reste trop peu affecté et on ne l’entend pas toujours. Il s’en sort mieux au duo final.
Scène finale : Miroslav Dvordky et Olga Guryakova

Scène finale : Miroslav Dvordky et Olga Guryakova

Si l’orchestre est l’élément principal de cet opéra et bien Jiri Belohlavek tient peut être une interprétation idéale. C’est théâtral, lyrique et rarement bruyant. L’effet est amplifié par l’atmosphère visuelle de ce très beau spectacle.
 
Pour les fans de Karine Deshayes, sa brève apparition en garçon de cuisine est remarquable. Présence, clarté vocale et vivacité.

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Publié le 6 Juillet 2007

Simon Boccanegra (Verdi)
Répétition générale du 07 avril 2007
 (Opéra Bastille)

Simon Boccanegra Dimitri Hvorostovsky
Amélia Olga Guryakova
Gabriele Stefano Secco
Fiesco Franz Josef Selig
Paolo Frank Ferrari

Mise en scène Johan Simons
Direction musicale James Conlon

Une répétition est toujours enveloppée de réserves d’autant plus que dans le cas de Simon Boccanegra les artistes ne semblent pas, pour l’instant, en accord parfait avec l’expression musicale et théâtrale de l’œuvre.

La noblesse de chant de Dmitri Hvorostovsky impose d’emblée un homme d’élite au cœur généreux opposé à l’autorité de Franz Josef Selig, Fiesco massif et dénué de toute force vitale.

 

Olga Guryakova

Olga Guryakova

Franck Ferrari impeccable de perfidie, mais charme, projection et présence de O.Guryakova ne masquent cependant pas les atteintes faites aux lignes musicales : passages en force et décalages extériorisent une nervosité excessive.
Le duo avec Simon Boccanegra impose quand même un temps fort de la représentation.

Stefano Secco absolument magnifique et stupéfiant d’audace pour une générale.

James Conlon accomplit un retour fracassant et accumule dans la fosse toute la violence des rapports politiques.
 
Pour cette reprise, la révision des costumes embourgeoise protagonistes et figurants et les éclairages, dans l’ensemble très assombris, créent également de meilleurs contrastes et de très beau effets chatoyants avec le rideau argenté.

 

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