Histoire de l'Opéra, vie culturelle parisienne et ailleurs, et évènements astronomiques. Comptes rendus de spectacles de l'Opéra National de Paris, de théâtres parisiens (Châtelet, Champs Élysées, Odéon ...), des opéras en province (Rouen, Strasbourg, Lyon ...) et à l'étranger (Belgique, Hollande, Allemagne, Espagne, Angleterre...).
Das Rheingold (Richard Wagner)
Représentation du 12 septembre 2015
Jahrhunderthalle - Bochum
Ruhrtriennale 2015
Wotan Mika Kares
Donner Andrew Lee Foster-Williams
Froh Rolf Romei
Loge Peter Bronder
Alberich Leigh Melrose
Mime Elmar Gilbertsson
Fasolt Frank van Hove
Fafner Peter Lobert
Fricka Maria Riccarda Wesseling
Freia Agneta Eichenholz
Erda Jane Henschel
Woglinde Anna Patalong
Wellgunde Dorottya Láng
Floßhilde Jurgita Adamonytė
Sintolt, der Hegeling, Diener Stefan Hunstein
Musique électronique Mika Vainio
Mise en scène Johan Simons Teodor Currentzis
Direction Musicale Teodor Currentzis Music Aeterna Ensemble
Quand l’on contemple les murs de briques rouges, noircies par le temps, les immenses cuves rouillées, les enchevêtrements de canalisations tubulaires, les complexes industriels de la Ruhr se révèlent être un lieu qui s’impose pour mettre en scène l’histoire de la lutte des classes ouvrières.
Ainsi, si Johan Simons a choisi de monter l’Or du Rhin, ce n’est pas pour initier une nouvelle Tétralogie, mais pour mettre en avant la pièce du cycle wagnérien la mieux adaptée pour représenter l’exploitation d’une majorité par une minorité. Le Rhin, par ailleurs, irrigue la région de la Ruhr au bord de Duisburg et à quelques kilomètres de Bochum.
Maria Riccarda Wesseling (Fricka)
Il n’y aura donc probablement pas de suite à ce spectacle, mais il aura laissé à l’ensemble des auditeurs une impression musicale qui les embrase, et un regard fort sur des personnages tous très bien incarnés.
La première surprise qui attend le spectateur, à son entrée dans la halle, est le lieu de la production.
La halle n°3 de la Jahrhunderthalle de Bochum est en effet l’endroit où fut créée la fantastique version de la Flûte Enchantée de La Fura Dels Baus, diffusée sur Arte, et malheureusement mal adaptée à sa reprise sur la scène étriquée – par comparaison avec l’immensité des bâtiments des villes minières de la Ruhr – de l’Opéra Bastille.
Sa conception évoque un hangar à avions ou un hall de gare, et son toit si haut, composé de plaques translucides qui laissent passer la lumière du jour, donne réellement l’impression d’une cathédrale industrielle des temps modernes.
D’autant plus que le dispositif scénique conçu par Johan Simons est plutôt inhabituel.
Au premier plan, gisent parmi les décombres d’un toit aux moulures aristocratiques les corps de trois fausses filles du Rhin, étendus au milieu de quelques flaques d’eau.
En surplomb, l’orchestre occupe toute la partie centrale, les harpes dominent harmonieusement son aile gauche, et un gong doré et éclatant se dissimule sous son aile droite.
Les chanteurs n’auront alors de cesse de traverser cet orchestre de part en part, pendant que les musiciens jouent, afin de passer de l’avant-scène à l’arrière scène qui, elle, représente un échafaudage enserrant une demeure bourgeoise en construction.
Le décor est parfaitement lisible, et Johan Simons fait revivre avec humour le monde d’une grande famille industrielle, richement habillée, servie par des domestiques à la tenue impeccable, et disposant de Freia, transformée en call-girl, pour dispenser ses fruits de jeunesse éternelle sous forme de services sexuels.
A l’opposé, Alberich vit dans la fange et la frustration sexuelle, se laisse abuser par les filles du Rhin, mais leur prend l’Or, symbolisé dans cette production par le charbon, la véritable richesse de la région.
Mika Kares (Wotan)
La fin désastreuse est donc annoncée dès le début, et la véritable force de la mise en scène repose sur la violence des rapports humains dans la mine d’Alberich, dont nombre d’effets rappellent ceux que Johan Simons avaient utilisé pourSimon Boccanegra à l’Opéra National de Paris – on pense à la cache d’où sortait Adorno, reprise ici pour Wotan et Loge déguisés en mineurs, et au clivage entre la classe aristocratique et la plèbe. Et règne toujours ce goût pour l’esthétique du dénuement et de l’humain dans ce qu’il a de plus banal.
Agneta Eichenholz (Freia) et Maria Riccarda Wesseling (Fricka)
Cette obsession enthousiaste pour la Révolution prend toutefois une forme un peu lourde, mais qui a de quoi enchanter, quand, au moment de la descente dans la mine, des musiciens et Currentzis lui-même quittent la scène pour aller cogner du marteau, pendant qu’un acteur, Stefan Hunstein, appelle au soulèvement des esclaves contre la poignée de privilégiés.
L’effet est délirant et assommant, impossible à réaliser sur une scène d’opéra.
Et dans cette version, Fafner émerge comme le grand vainqueur, lui aussi un ouvrier, qui n’aura laissé aux Dieux qu’une maison en toc dans laquelle ils ne peuvent entrer.
Il s’agit ainsi d'un rêve de revanche du travailleur sur le capital.
Il y a cependant une victoire qui est totalement incontestable, celle des musiciens, du chef et de l’ensemble des chanteurs.
Musica aeterna et Teodor Currentzis
A notre grande surprise, l’acoustique de la Jahrhunderthalle est formidablement favorable aux chanteurs et à l’orchestre. Elle agit comme un véritable liant sonore entre les différents plans musicaux, sans réverbération excessive, et ennoblit chaque voix en en faisant entendre toute la délicatesse des nuances, de loin comme de près.
Ainsi, les trois filles du Rhin, Anna Patalong, Dorottya Láng et Jurgita Adamonytė, sont toutes trois jeunes, charnelles et enjôleuses car elles ont une profondeur vocale sensuelle et présente. Jane Henschel, Erda aveugle et prophétique, grimée en vieille dame qui pourrait être la mère du Dieu des dieux, devrait être leur exact contraire. Mais quand elle intervient au milieu des décombres, le galbe de son chant est d’une grâce solennelle stupéfiante qui invite à un accueil total et captivant.
Elmar Gilbertsson (Mime)
D’une très belle carrure, Mika Kares n’en a pas moins une malléabilité qui lui permet de peindre un Wotan nonchalant, calme et sûr de lui en toutes circonstances, une voix très souple et solide qui cache aussi un caractère violent dont Mime fera les frais.
Et d’une taille bien plus modeste, Peter Bronder déroule son personnage de Loge en s’attachant à le jouer comme dans une comédie de boulevard, s’agitant beaucoup, mais avec également une assurance et un mordant vocal saisissants.
Pour celles et ceux qui ont eu la chance de la découvrir à ce moment-là, Maria Riccarda Wesseling s’est fait connaître à l’Opéra National de Paris en 2006, lorsqu’elle dut remplacer Susan Graham à la première d’Iphigénie en Tauride mise en scène par Krzysztof Warlikowski. Elle avait été prévenue deux heures seulement avant le spectacle…
Elle a notamment continué à explorer le répertoire Baroque ou Classique (Monteverdi au Teatro Real de Madrid, Gluck à l’Opéra Garnier), mais qui aurait imaginé qu’elle se risquerait dans un rôle wagnérien tel que celui de Fricka ?
Maria Riccarda Wesseling (Fricka)
Dans l’Or du Rhin, ce rôle est plus clair que dans la Walkyrie, ce qui lui convient très bien vocalement, et comme elle est une artiste qui a le sens du théâtre, elle s’amuse magnifiquement de son personnage en le rendant très humain et attachant, décrivant des sentiments de joie ou d’inquiétude naturellement expressifs.
Cette richesse émotionnelle se retrouve aussi lorsqu’on la rencontre en personne, une énergie qu’elle rayonne avec bonheur.
Leigh Melrose (Alberich)
Mais deux autres chanteurs occupent une place importante dans cet opéra, Leigh Melrose (Alberich) et Elmar Gilbertsson (Mime).
Le premier fait vivre tous les aspects les plus noirs du nain au point de le transformer en bête terriblement frustrée et névrosée, déformant même l’impétuosité de sa jeunesse vocale pour la plier aux laideurs du Nibelungen.
Le second est tout aussi humain, sans faux-semblants, formidablement présent.
Tous deux ont de plus des rôles très ingrats qui les poussent à se salir dans les eaux boueuses de la mine, mais Johan Simons veut montrer à travers eux comment cette humanité résiste malgré l’humiliation.
Peter Lobert (Fafner)
Les autres seconds rôles sont tous impliqués intégralement dans ce jeu de façade, même s’il y aura un grand vainqueur qui finira par transformer le charbon en or, Peter Lobert dans le rôle de Fafner. Jeune et Costaud, ce chanteur bonhomme surprend à plusieurs reprises les spectateurs quand il provient de leurs gradins pour devenir ainsi le pendant de Wotan, le symbole du peuple qui va réussir à prendre sa revanche.
Mais tous ces chanteurs n’auraient sans doute pas donné autant d’eux-mêmes s’ils n’avaient été liés par l’énergie galvanisante de Teodor Currentzis.
Anna Patalong, Dorottya Láng, Jurgita Adamonytė (Les filles du Rhin) et Jane Henschel (Erda)
L’ensemble Musica Aeterna est connu pour ses couleurs baroques chatoyantes, mais qui aurait pensé qu’il puisse prendre, dans cette halle certes magnifique pour déployer les qualités sonores sans en altérer la moindre teinte, une ampleur wagnérienne aussi éclatante ?
Les cuivres dorent les ensembles - en délivrant même une ampleur de lame de fond d’une rondeur parfaite -, les cordes, et particulièrement les basses, soulèvent des ondes monstrueuses, les coups de théâtre sont toujours tendus et bien timbrés, claquant avec ce plaisir jouissif de la part du chef d’orchestre à surprendre par sa soudaineté.
Teodor Currentzis ose même fait jouer l'orchestre debout, telle une armée levée vers le combat au passage dans le monde des Nibelungen, avant que l'on n'entende plus que le martèlement des enclumes.
Teodor Currentzis
Mais il a également un goût aristocratique pour l’ornementation que l’on peut apprécier, par exemple, dans la scène de l'évocation amoureuse de Fasolt pour son idéal féminin, où la langueur du sentiment se transforme en un tournoiement allègre du motif du hautbois, qui émerge de l'orchestre subitement pour y disparaître comme aspiré par son propre courant.
Ce sont tous les détails en apparence fantaisistes et les recherches d’effets déments (à l’instar de ces coups de gong d’argent fantastiques) emportés dans l’avancée de la musique qui nous auront immergés dans une exaltante expérience musicale que l’on n’est pas prêt d’oublier.
L’avenir est à ces musiciens fougueux, les joyaux essentiels de notre époque.
Accattone (Pasolini-Tachelet) D’après le film du même nom de Pier Paolo Pasolini (1961) dans la version de Koen Tachelet Représentations du 14 et 15 août 2015 Kohlenmischhalle Zeche Lohberg, Dinslaken Ruhrtriennale 2015
AccatoneSteven Scharf
MaddalenaSandra Hüller
AmoreElsie de Brauw
Das Gesetz Benny Claessens
StellaAnna Drexler
Pio Mandela Wee Wee
Balilla Steven van Watermeulen
CartagineJeff Wilbusch
RenatoLukas von der Lühe
Nannina / Ascensa Laura Mentink
Io Pien Westendorp
Steven Scharf (Accattone) et Sandra Hüller (Maddalena)
Solistes
Dorothée Mields (Soprano)
Alex Potter (Alto)
Thomas Hobbs (Ténor)
Peter Kooij (Basse)
Christine Busch (Solo Violine)
Mise en scène Johan Simons
Dramaturgie musicaleJan Vandenhouwe
Direction musicale Philippe Herreweghe Chor Collegium Vocale Gent Orchester Collegium Vocale Gent
Coproduction Théâtre Néerlandais de Gand (NTGent)
Alex Potter (Contre-ténor)
C’est sous l’immense voute façonnée en forme d’as de pique de la Kohlenmischhalle de Zeche Lohberg (Dinslaken), que Johan Simons, le nouvel intendant de la Ruhrtriennale, ouvre son mandat avec une adaptation du film de Pier Paolo Pasolini, Accattone(1961).
Entrée de la Kohlenmischhalle
Et s’il a choisi de mettre en scène une vision personnelle du premier film du scénariste italien au cœur d’une ancienne usine de traitement du charbon, ce n’est pas seulement pour la vastitude de son terrain de jeu, mais également pour l’enjeu social que représente une ville qui a connu un rapide déclin économique, et qui a développé, par la suite, un mouvement de radicalisation islamiste.
Dans l’attente du début du spectacle
Ceux qui connaissent le film risquent cependant d’être au premier abord dépités, car le metteur en scène hollandais reprend l’esprit des scènes d’Accattone mais évidemment pas son esthétique. Rien n’évoque les faubourgs de Rome et sa vitalité, car la scène n’est qu’un désert de cailloux qui s’évade à horizon vers la verdeur des bosquets du site industriel.
Rien n’évoque non plus la sensualité des corps masculins amoureusement filmés par Pasolini.
Steven Scharf (Accattone) et Mandela Wee Wee (Pio)
Nombre de scènes sont par ailleurs uniquement racontées et mimées, et non pas jouées au premier degré.
Ainsi, la scène où Accattone plonge dans le Tibre sous les yeux des enfants émerveillés n’est plus qu’une sorte de rêve qui se fracasse contre la dureté du sol poussiéreux. De même, la violente agression de Maddalena, dans un terrain vague, aurait pu être jouée de la même manière que dans le film, mais Johan Simons la transforme en une danse consternante où les protagonistes, Sandra Hüller et Benny Claessens, se soutiennent mutuellement en titubant lamentablement sous le regard de leur entourage.
Benny Claessens (Das Gesetz), Steven Scharf (Accattone), Steven van Watermeulen (Balilla) et Jeff Wilbusch (Cartagine)
Ce que nous voyons, durant tout le spectacle, est une parodie de la vie dansée par tous sous l’emprise d’un malaise soul et désorienté. La représentation de l’état intérieur prend le dessus sur la narration dramaturgique.
On oublie alors Rome, et l’on regarde à nouveau cette voie ferrée provenant du loin jusqu’aux pieds des spectateurs. Ne serait-elle pas le trajet par lequel sont arrivées ces filles de l’Est qui sont devenues, au contact d’un univers désastreux, les prostituées d’Accattone ?
Anna Drexler (Stella)
Cette vie de l’échec n’est pourtant pas exempte de grâce, car si des scènes vivantes se détachent dans l’ombre des arrières plans, les personnages retrouvent leur poésie quand leurs silhouettes éloignées se détachent sur le fond paysager d’une tonalité presque bucolique, au-delà de l’usine.
Et au fur et à mesure que les lumières du jour disparaissent, les lumières de la centrale éclairent d’irréalité l’allée principale, et quand vient le moment de la mort d’Accattone, avançant de loin, à pied, avec sa moto, il croise les femmes enfin libérées, qui, elles, courent vers l’infini de la scène dans l’autre sens.
Steven Scharf (Accattone) et Anna Drexler (Stella)
Ses comparses, vêtus d’un costume noir, l’attendent pour son enterrement, et l’on ne peut que repenser au passage du film de Pasolini au cours duquel une cérémonie religieuse défile devant Accattone. Elle prend véritablement une valeur prémonitoire.
Cette rédemption du proxénète, par amour pour Stella, s’achève sous le chant et la musique de Bach, que le Chœur et l’Orchestre Vocale Gent ont, tout au long de la représentation, interprété d’une chaleureuse douceur compassionnelle qui est aussi, pour le public, une aide pour soutenir pendant 2h30 la vision de ce monde désespérant.
Choeur et Orchestre Collegium Vocal et Philippe Herreweghe
Il règne une profondeur unie entre les solistes, les musiciens et le directeur musical, Philippe Herreweghe, depuis l’estrade de béton qui les soutient légèrement en hauteur.
Tous ces acteurs jouent sur un terrain qui déforme leurs mouvements, les souille, un calvaire dont on souhaiterait la fin rien que pour eux-mêmes. Car c’est un défi pour le spectateur que d’assister impuissant à des comportements qui relèvent du non-sens.
Dorothée Mields (Soprano)
On peut alors comparer comment deux publics très différents, celui de la première, mondain, très aisé, mais aussi professionnel, et celui de la seconde représentation, diversifié et populaire dans le bon sens du terme, l’ont accueilli. Bien plus d’empathie se ressentait le second soir…
Fidelio (Ludwig van Beethoven)
Représentation du 28 novembre 2008 (Garnier)
Direction musicale Sylvain Cambreling
Mise en scène Johan Simons
Dialogues de Martin Mosebach
Don Fernando Paul Gay
Don Pizarro Alan Held
Florestan Jonas Kaufmann
Leonore Angela Denoke
Rocco Franz-Josef Selig
Marzelline Julia Kleiter
Jaquino Ales Briscein
On ne pouvait pas trouver opéra plus proche de notre actualité que celui là, que ce soit à propos du problème de surpopulation carcérale en France et des conditions de détentions amenant certains prisonniers au suicide, ou bien encore plus inquiétant, la manière dont la grande démocratie américaine autorise la torture (bien entendu hors de son territoire) à Guantanamo ou Abu Ghraid, en totale contradiction avec les principes fondamentaux de la déclaration universelle des droits de l’homme.
Nous savons également que beaucoup de citoyens préfèrent fermer les yeux sur ces sujets, et élire des hommes politiques d’abord sur leur capacité à améliorer leur petit confort quotidien, même si ce dernier est déjà largement supérieur à celui des 9 dixièmes de la population mondiale.
Angela Denoke (Fidelio)
Pour ce Fidelio, Sylvain Cambreling a donc rétabli la structure de Leonore (air, duo, trio, quatuor), ce qui laisse plus de temps et de cohérence à la construction des liens entre Jaquino, Marzelline, Rocco et Fidelio.
Le texte de Martin Mosebach marque une première idée sous-jacente : « la prison est pour nous atelier, bureau et machine ». La prison est dans la quotidienneté et le spectateur est ici pris à partie.
Les chanteurs évoluent dans un espace restreint (le poste de surveillance ressemble à une cage) sans lumière naturelle, et scéniquement Johan Simons insiste sur leur mal-être, leurs gestes conditionnés, commandés ou bien limités par leur univers.
Bien que Julia Kleiter et Ales Briscein tiennent des personnage simples, leur interprétation est sans reproche.
L’arrivée de Don Pizarro est portée par un Alan Held féroce, avec une voix « coup de poing » qui concoure à faire du gouverneur un homme en rapport violent avec l’autre comme preuve de sa liberté conquise.
La convergence scénique, vocale et orchestrale dans son air implacable est une réussite indiscutable.
Jonas Kaufmann (Florestan)
Petit à petit, la scène se retrouve rayée de toute part par les ombres des barreaux de la prison, jusqu’à l’ouverture sur la cour des prisonniers, illuminée par une lumière naturelle devenue leur seul espoir.
Dans tout ce premier acte, Sylvain Cambreling donne une épaisseur à la musique et une expressivité théâtrale sans relâche assez inattendue car l’on imagine mal en 1H30 qu’il n’y ait quelques passages qui traînent (critique qui avait été faite à Beethoven).
Ce n’est pas le cas ici et il faut en être reconnaissant au chef.
Angela Denoke est d’ailleurs une Leonore émouvante rien que par son regard (et l‘on fait grâce à Simons d‘avoir aussi bien magnifié son humanité), et dans son timbre se mélangent froideur et profondeur psychologique.
Elle ne cède qu’à quelques aigus qui pourraient être plus puissants et lancés plus sèchement.
Alors naturellement, l’ouverture du IIème acte saisit la salle entière, car Cambreling accroit la tension à partir d'une atmosphère déja bien préparée au Ier acte.
Il est impossible de ne pas penser que la capacité de la peinture musicale à décrire le milieu dans lequel est détenu Florestan, ainsi que sa détérioration intérieure, donne à Beethoven un demi siècle d’avance (Verdi et Wagner n’étaient âgés que d'un an en 1814!).
Sous une lampe éblouissante, le prisonnier politique est ici livré à des spasmes où l’on pressent que le passage à l’état animal est proche.
Jonas Kaufmann souffle un « Gott! », non pas hurlé, mais piano pour ensuite l’enfler progressivement et le projeter dans un temps hors du commun.
Jonas Kaufmann (Florestan)
Désolé pour les fans de son physique, il est ici aveugle, les yeux bandés, et il faudra attendre la fin pour voir son visage.
Sa voix puissante, au médium riche, et sa passion visible du théâtre dessinent un homme déchiré qu’il faut absolument avoir vu. Le jeu, fouillé et subtile, évite toute dérive vers l’exposition de bête de foire.
Franz-Josef Selig est un Rocco très intéressant par les ambiguïtés de l’humanité que suggère son timbre, passant du grave large à la douceur de la voix de tête. Parfois celle ci perd ses couleurs mais cela ne gêne pas outre mesure. Il représente ici l’homme désireux d’améliorer son quotidien quitte à devenir l’instrument de l’oppresseur.
Le texte de Mosebach devient dans cette partie une dénonciation de la logique du pouvoir, pour lequel compte d'abord le fonctionnement de son système au mépris de la vie humaine.
Simons n'épargne aucun détail pour susciter l'effroi jusqu'aux craquements du plancher, seule musique sur laquelle Pizarro élabore son plan d'extermination.
Angela Denoke (Fidelio) et Jonas Kaufmann (Florestan)
Alors quand arrive le Ministre, Paul Gay paraît un peu terne, ce qui quelque part convient car son rôle de gouverneur n’en sort pas grandi quand il se tient droit face à la salle, consterné par la responsabilité qu’il a eu dans ce drame.
La scène finale est une exaltation de l’espérance, la montée du chœur s’accompagnant de manière plutôt attendue d’une lumière qui offre une vision magnifique sur tout le public de Garnier, mais une ombre reste sur les solistes, le gouverneur désemparé, et le couple uni dans la douleur.
La direction de Sylvain Cambreling, violente et à charge débridée, est sur ces dernières minutes excessive.
Il est rare de voir l'ensemble de l'orchestre applaudir autant les artistes d'autant plus que l'angoissant second acte incite à la retenue.
Simon Boccanegra (Verdi)
Répétition générale du 07 avril 2007 (Opéra Bastille)
Simon Boccanegra Dimitri Hvorostovsky
Amélia Olga Guryakova
Gabriele Stefano Secco
Fiesco Franz Josef Selig
Paolo Frank Ferrari
Mise en scène Johan Simons
Direction musicale James Conlon
Une répétition est toujours enveloppée de réserves d’autant plus que dans le cas de Simon Boccanegra les artistes ne semblent pas, pour l’instant, en accord parfait avec l’expression musicale et théâtrale de l’œuvre.
La noblesse de chant de Dmitri Hvorostovsky impose d’emblée un homme d’élite au cœur généreux opposé à l’autorité de Franz Josef Selig, Fiesco massif et dénué de toute force vitale.
Olga Guryakova
Franck Ferrari impeccable de perfidie, mais charme, projection et présence de O.Guryakova ne masquent cependant pas les atteintes faites aux lignes musicales : passages en force et décalages extériorisent une nervosité excessive. Le duo avec Simon Boccanegra impose quand même un temps fort de la représentation.
Stefano Secco absolument magnifique et stupéfiant d’audace pour une générale.
James Conlon accomplit un retour fracassant et accumule dans la fosse toute la violence des rapports politiques.
Pour cette reprise, la révision des costumes embourgeoise protagonistes et figurants et les éclairages, dans l’ensemble très assombris, créent également de meilleurs contrastes et de très beau effets chatoyants avec le rideau argenté.