Yevgeny Onegin par Dmitri Tcherniakov et le Bolchoï
Publié le 7 Septembre 2008
Eugène Onéguine (Piotr Ilyitch Tchaikovski)
Représentations du 04 et du 06 septembre 2008
Opéra Garnier
Madame Larina Makvala Kasrashvili
Tatiana Ekaterina Shcherbachenko
Olga Margarita Mamsirova
La Nourrice Emma Sarkisyan
Lenski Andrey Dunaev
Eugène Onéguine Mariusz Kwiecen
Le Prince Grémine Anatolij Kotscherga
Zaretski Valery Gilmanov
Mise en scène Dmitri Tcherniakov
Direction musicale Alexander Vedernikov
Solistes, Orchestre et Choeurs du Théâtre Bolchoï
Avec cette histoire de sentiments piétinés et méprisés qui conduisent Tatiana à trouver dans sa douleur la force de bâtir sa personnalité sociale, la sensibilité et l'intelligence d'un réalisateur comme Dmitri Tcherniakov étaient le gage d'une représentation qui mette l'âme à vif.
C'est bien ce qui s'est produit. M.Mamsirova (Olga) et E.Shcherbachenko (Tatiana)
Partant d'un décor unique construit autour d'une large table circulaire, de costumes élégamment dessinés en camaïeu beige pour la campagne ou bien gris pour la haute société, c'est tout l'univers d'un monde conventionnel qui est animé et détaillé afin d'en exposer l'agitation et l'insensibilité.
Ainsi lui est opposé l'attitude apparemment réservée de la jeune fille derrière laquelle se dissimule une violente affection.
Tout est rituel ici, même les pleurs de la mère de Tatiana pensant à son mari défunt et qui revient à la joie automatiquement pour reprendre son rôle de femme maîtresse des lieux.
Makvala Kasrashvili (Madame Larina)
La caractérisation du milieu social est donc un des points forts. On pourra citer cette idée ingénieuse de réunir le chœur autour de la même table au premier tableau comme une grande réunion de famille, ou bien la scène festive chez madame Larine qui aboutit à un summum du délire collectif.
Pour accentuer l'état d'esprit des convives, s'ajoute la célébration de l'anniversaire de Tatiana par des gens qui n'ont comme seule envie que d'en profiter, pour s'offrir un peu de divertissement sans connaître et encore moins comprendre la personne vers laquelle convergent les cadeaux.
Cette scène atteint son paroxysme lorsque Lenski se met à imiter Monsieur Triquet (tout en trafiquant sa voix) pour amuser grassement la galerie, petite entorse au livret mais à fin dramatique, et marquer encore plus le malaise de Tatiana face à cette ambiance insensée.
Car quelque part, le poète va au suicide en se comportant ainsi.
Et l’on appréciera le baiser consolateur de Tatiana pour Lenski adressé à celui qui, comme elle, est authentique dans ses sentiments et doit le rester. Chez madame Larine
La description de la haute bourgeoisie au 3ième acte est d’ailleurs très intéressante car finalement elle montre un milieu qui n’a de différent avec le milieu rural que son faste.
Le même rituel, le même attachement au respect du patriarche (Grémine joue le même rôle que Madame Larine car ils ont un pouvoir sur leur entourage) et cette table qui maintient toujours une distance infranchissable entre chacun.
Cependant, l’autre force de cette interprétation est tout entièrement contenue dans le rôle de Tatiana magnifiquement porté par Ekaterina Shcherbachenko
Pas de simagrées inutiles ici, au calme que la convenance sociale attend d’elle se substitue, lorsque qu’elle se trouve seule, de soudaines décharges d’émotions suivies de vaines tentatives de reprises.
Elle écarte même violemment la table et monte dessus pour enfin approcher en songe celui qu’elle aime.
Tous les gestes sont justes pour atteindre la vérité d’une adolescente qui cherche les mots et la manière de communiquer sa passion à Onéguine.
Qui a vécu cela sincèrement dans sa vie ne peut qu’être impliqué et attentif à la moindre expression car cela réveille ce qu’il y a de plus vital en soi.
Et c’est un fort ressenti qui surgit lorsque les lumières rayonnent d’une puissance équivalente à ce que cette jeune amoureuse vit intérieurement, le lustre surplombant la scène brillant alors avec une intensité telle qu’elle perce l’œil comme la douleur perce son cœur.
La transformation au dernier acte est tout aussi spectaculaire que fragile, les furtives compulsions de Tatiana ne laissant aucun doute sur l’existence réelle de ses sentiments envers Onéguine malgré l’effort tragique avec lequel elle les étouffe.
Dmitri Tcherniakov ne semble avoir qu’une petite difficulté : convaincre de sa transposition de la scène de duel (très belle lumière hivernale) qui devient une bagarre un peu confuse entre Onéguine et Lenski.
Cependant là aussi, la mort du poète s’approche du crédible par sa soudaineté.
Alors il est vrai que face à ce travail théâtral remarquable, l’oreille est plus distraite.
Alexander Vedernikov dirige l’orchestre du Bolchoï avec punch mais aussi un sens de l’intime dans la mise en valeur des solistes.
Il concourt impeccablement au concept d’ensemble d’un milieu clos que renforce la petite bonbonnière de l’opéra Garnier.
Ekaterina Shcherbachenko, voix très pure, fascine par la perfection de son visage de cire et contribue à ajouter une impressionnante sophistication qui la distancie encore plus d’Onéguine au dernier tableau.
C’est un plaisir également immense que de voir et entendre Makvala Kasrashvili s’en donner à cœur joie dans son rôle de matriarche, et Emma Sarkisyan est très touchante en nourrice.
La distribution masculine est particulièrement soignée pour la première représentation que ce soit l’élégance vocale de Mariusz Kwiecen, la clarté et la sensibilité d’Andrey Dunaev ou bien l’autorité incontestable d’Anatolij Kotscherga.
Le scandale levé par madame Galina Vishnevskaya et rapporté par le New York Times n’est finalement que cinéma inutile.
Vivement la sortie du DVD à Noël et la retransmission sur Arte, afin de fixer la représentation du 10 septembre 2008!